Introduction
Chacun sait que l’histoire des Sourds et de la surdité aux États-Unis et très différente de celle qu’a connue la France, comme la plupart des autres pays d’Europe, où les langues des signes ne sont reconnues officiellement que depuis très peu. C’est ce qui explique l’aura et la célébrité de l’Université de Gallaudet, fondée à Washington en 1864 à l’intention des « sourds et malentendants »1, qui symbolise à elle seule toute la reconnaissance dont les Sourds ont été privées historiquement en France. Or, cet entretien nous permet de découvrir qu’il existe d’autres établissements d’enseignement supérieur tout aussi bien dotés à l’égard de la population sourde que Gallaudet. Aaryn Adams travaille au National Technical Institute for the Deaf à New York et a accepté de nous raconter quelques éléments de sa vie d’interprète.
Le texte qui suit résume en français l’enregistrement vidéo anglais (https://youtu.be/J4w4qpxdMOw), avec sous-titrage dans la même langue2. Nous vous proposons également en annexe une interprétation vidéo en LSF.
La formation : Je n’avais pas d’idée précise de carrière à 18 ans mais j’ai vu que monCommunity college3local proposait des cours de langue des signes et d’arts culinaires, je me suis inscrite aux deux et suis tombée amoureuse de la langue des signes. J’ai été formée à la ASL en deux ans (aujourd’hui il faut un niveau licence pour obtenir la certification) et j’ai pu commencer à travailler comme interprète immédiatement. C’est ce que je fais encore 17 ans plus tard…
Premières expériences professionnelles : fraîchement diplômée, j’ai tout de suite travaillé, et j’ai eu la chance d’être recrutée dans une université qui employait déjà 120 interprètes ASL, ce qui m’a permis d’être bien encadrée et de développer mes compétences dès le début de ma carrière, et j’en suis très reconnaissante. Il s’agit de TheNational Technical Institute for the Deafà Rochester4, New York, l’établissement « concurrent » de Gallaudet5. En fait, à un moment j’ai postulé à Gallaudet et n’ai pas été prise. Ça m’a interpellée parce que j’avais déjà un solide bagage d’interprète, mais j’ai compris que ma spécialisation (matières scientifiques, médecine etc.) ne correspond pas aux besoins de Gallaudet (plutôt sciences sociales et humaines).
Le coût de ses études : Pour moi, l’éducation n’est pas une question de prix, mais lesCommunity collegessont effectivement bien moins chers que les universités ; j’ai dû quand-même emprunter 20 000 dollars pour l’école et mon logement. Je me suis promis de tout rembourser avant mes 30 ans et j’y suis parvenue ! C’est cool, il ne nous reste plus que les affaires de mon mari à régler…
Comment se passe une journée de travail ?En ce moment, le genre de chose que je fais c’est... je suis en binôme avec un étudiant-e ou interne sourd-e et je les accompagne là où ils en sont de leur parcours, là j’ai travaillé avec deux internes sourds et une infirmière en oncologie, un étudiant en droit, deux doctorants, un en agriculture et l’autre en histoire et en ce moment j’ai un étudiant en Master de théologie, qui veut devenir prêtre.
Pour résumer, je suis leur interlocutrice privilégiée (go-to girl), je suis à leur disposition pour tout ce dont ils ont besoin, des réunions, des cours, tout ça. Je travaille en général en équipe, là j’ai signé un contrat de deux ans et je commence la deuxième année : on est trois interprètes à plein temps de jour et deux à plein temps de nuit, ce qui signifie que l’étudiante peut faire appel à un interprète chaque fois qu’elle en a besoin – c’est plutôt cool.
J’ajouterais que je suis aussi responsable du planning, donc elle me prévient quand elle ajoute quelque chose à son agenda et c’est moi qui m’occupe de prévoir l’interprète. C’est une activiste sociale, alors nous avons participé à beaucoup de manifestations, ce qui est intéressant pour moi parce que je ne l’avais jamais fait : être l’interlocutrice des agents de police du campus, ou parler avec les gens dans les bâtiments où ils font leurssit-in– un voyage intéressant pour moi...