Jacinto Octavio Picón (1852-1923) et Émile Zola (1840-1902) : Regards croisés de deux auteurs sur la vie socio-économique et religieuse en France et en Espagne à la fin du XIXesiècle

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Texte

Plusieursmotivations nous ont conduits à élaborer ce travail de confrontation interculturelle, à travers le regard respectif de deux auteurs sur certaines problématiques de société de leur temps. Jacinto Octavio Picón et Émile Zola sont deux écrivains de la même époque, à savoir le dernier quart du XIXesiècle, correspondant en France aux débuts de la IIIeRépublique et en Espagne à la Restauration de la dynastie des Bourbons. Picón et Zola partagent de nombreuses similitudes esthétiques et idéologiques ; ils ont tous deux une conception libérale, progressiste et républicaine de la société, de la culture et de la Religion. La présente étude porte particulièrement sur quelques contes et nouvelles des deux créateurs, qui présentent des points de convergence tant sur le plan structurel que thématique. Il s’agit pour Picón de « Las plegarias » et « El milagro », et pour Zola de « Comment on se marie » et « Comment on meurt ». Mais avant toute chose, il serait judicieux de présenter les auteurs, et spécialement Picón, caril est le moins connu des deux écrivains. Suivra une succincte présentation de Zola dans son activité de conteur et de nouvelliste, un aspect très peu connu de l’œuvre du célèbre romancier naturaliste français.

Intellectuel, écrivain et journaliste connuet respecté dans le Madrid de l’époque de la Restauration (1875-1902), Jacinto Octavio Picón naît dans la capitale espagnole en 1852 et y meurt en 1923. Outre sa production journalistique, il est notamment auteur de romans, de contes et de nouvelles.L’œuvre romanesque de Picón compte des titres tels queLa hijastra del amor(1884),El enemigo(1887),Dulce y sabrosa(1891), etc. En tant que conteur et nouvelliste, il publieNovelitas(1892),Cuentos de mi tiempo(1895),Tres mujeres(1896),Cuentos(1900),La vistosa(1901),La prudente, y otros cuentos(1905),Mujeres(1911),Los triunfos del dolor(1915),Desencanto(1925),Drama de familiaetEl últimoamor.Avant d’être repris en recueils, la plupart de ces contes avaient préalablement paru dans divers journaux et revues, de Madrid principalement. En1885, Picón est élu président de la section de Littérature de l’Ateneo de Madrid ; il entre à l’Académie royale de la Langue en 1900, succédant au célèbre historien et ancien président de la première République Emilio Castelar ; il accède à l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando en 1902 ; il devient vice-président du Patronato du Musée national du Prado en 1912, aux côtés de son ami le duc d’Albe qui en était président ; il est par ailleurs secrétaire de la Junta de Iconografía Nacional. Picón devient bibliothécaire perpétuel de l’Académie espagnole dès 1914, soit neuf ans avant sa mort en 1923.

Jacinto Octavio Picón, cadet d’Émile Zola de douze ans, est un authentique produit de la culture française. Ayant étudié au Collège français de Madrid, il est tout d’abord lié à la France par le sang ; sa mère était en effet française, originaire de Bordeaux, était une dame à la culture raffinée profondément imprégnée de la philosophie et de l’esprit voltairien. Picón est notamment sensible aux Lumières, àl’Encyclopédie, à l’idéologie de la Révolution de 1789 et à tout le courant idéologique libéral qui traverse la France du XIXesiècle. Outre son intérêt pour Zola, Picón s’intéresse à toute la vie littéraire, sociale, politique et artistique qui se déroule à Paris au cours de ce dernier quart du XIXesiècle. Il est présent dans la capitale française à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878 en tant que correspondant des journaux madrilènesEl ImparcialetLa Ilustración Española y Americana. Picón ycouvre également le Salon de peinture de 1880 pour le compte du périodique de MadridEl Correo, comptes rendus dans lesquels le journaliste démontre sa bonne connaissance de l’histoire de l’art en France. En 1916, Picón fait partie d’une ambassade d’intellectuels espagnols (le duc d’Albe, Ramón Menéndez Pidal, Américo Castro, Manuel Azaña, etc.) qui se rend à Paris en vue d’encourager le peuple français dans le conflit qu’il traverse. À cette occasion, Picón prononce un discours élogieux sur ce pays qu’iladmire et surtout sur le rôle remarquable de soutien que jouent les femmes françaises dans le conflit mondial. Picón sera alors distingué par la Légion d’Honneur et rentrera à Madrid avec la satisfaction d’avoir œuvré au resserrement et à la célébration des liens étroits qui unissent la France et l’Espagne, par leurs deux cultures sœurs qui doivent préserver leur proximité. La formation intellectuelle et idéologique dePicón est donc largement influencée par la culture française et particulièrement par lapensée libérale et progressiste du pays de Voltaire, Hugo et Zola. Picón voit en ces hommes de lettres de dignes modèles de l’engagement de l’écrivain dans la société, pour la liberté et le progrès des individus et des sociétés. Ajoutons dans cette perspective qu’il a épisodiquement collaboré aux périodiques françaisNouvelle Revue internationaleetLe Journal, comme le prouvent certains articles connus publiés en 1900, 1916 et 19171.

Quoique beaucoup moins connu internationalement que son homologue français, Picón aussi est un écrivain engagé : il défend des causes comme la condition féminine, la justice sociale, la modernité dans les mœurs et en politique, etc. Ses romans à thèse commeEl enemigo(1887), contre le cléricalisme, etDulce y sabrosa(1891), plaidoyer pour l’émancipation des femmes, sont, entre autres, des exemples de cet engagement de l’intellectuel et de l’homme de lettres dans les questions de société de son temps. À cet égard, il partage pleinement les préoccupations de Zola quia construit sa fresque romanesque en vue de montrer et de dénoncer, de façon parfois crue, les inégalités, les injustices et les déterminismes dont le plus grand nombre d’individus était l’objet dans cette société française du Second Empire.

En matière d’art, on sait le soutien que Zola apporta aux artistes non conformistes, qui s’éloignent de l’académisme et du traditionalisme prônés par les instances officielles, et qui conçoivent leurs créations suivant des perspectives modernes, éloignés de certains canons traditionnels, comme pour la peinture réaliste incarnée par Gustave Courbet (Un enterrement à Ornans, 1849-1850), la peinture naturaliste de Jules Bastien-Lepage (Les Foins, 1877), ou encore la peinture impressionniste de Claude Monet (Impression, soleil levant, 1872), etc. Picón, critique d’art reconnu en Espagne, qui suit attentivement cette actualité culturelle parisienne, y est parfaitement perméable et partage ces points de vue de Zola, considérations que l’écrivain et critique d’art madrilène soutient à son tour à Madrid où il combat la sclérose de la créativité des artistes, enfermés dans des considérations trop académiques, et où il prône l’émergence d’une créativité innovante, qu’il salue chez les peintres réalistes Ramón Martí Alsina, José Luis Pellicer, José Jiménez Aranda, etc., chez les paysagistes Carlos de Haes, Jaime Morera, Agustín Lhardy, etc., chez les impressionnistes Joaquín Sorolla, Aureliano de Beruete, Darío de Regoyos, etc., et chez les modernistes Ramón Casas, Santiago Rusiñol, Isidro Nonell, Miquel Utrillo, etc.

Mondialement célèbre comme romancier et comme critique engagé, Zola fut aussi un auteur de récits brefs, bien que cette facette de son talent soit pendant longtemps demeurée dans l’ombre. Ilest à cet égard intéressant de souligner que peu de nouvelles de Zola furent rassemblées en recueils, une large part de ses textes courts n’étant publiée que dans la presse, comme ce fut le cas d’une partie des contes de Picón. Sa production fut variée et s’échelonne sur une longue période. Le premier livre de Zola fut ainsi un recueil, lesContes à Ninon, publié en 1864 par un jeune auteur de vingt-quatre ans. La dernière nouvelle de Zola fut écrite en exil à Londres, pendant l’affaire Dreyfus, en 1898-1899. Toutefois,c’est entre 1875 et 1880 que l’écrivain rédigea le plus grand nombre de nouvelles. Parmi les autres volumes de cette catégorie, il convient de citerEsquisses parisiennes (1866), des études de femmes qui mêlent comique, sérieux et farce sur fond d’analysede mœurs, lesNouveaux Contes à Ninon(1874), assemblage de textes très hétérogènes, où voisinent chroniques, choses vues et nouvelles à thématiques sociales, ou encoreLe Capitaine Burle(1882), qui contient « Comment on meurt », l’un des deux textes de Zola sur lequel nous nous appuierons. À ce corpus s’ajouteNaïs Micoulin(1884), ensemble de six nouvelles, et un texte isolé,L’Attaque du moulin, inclus dans le fameux recueil collectifLes Soirées de Médan(1880), dont seulBoule de suifest passé à la postérité. Pour expliquer le peu de considération généralement accordé aux textes brefs de Zola, Roger Ripoll écrivait en 1976, dans son édition desContes et nouvellesparue dans la Pléiade :

C'est là l'effet d'un processus de sélection tout à fait courant, qu'il serait vain de déplorer ; la fortune littéraire de Zola est un fait, qu'il faut prendre comme tel. La renommée de l'écrivain est fondée surLes Rougon-Macquartaujourd'hui encore, ces romans répondent à la demande d'un public que les contes et lesnouvelles ne satisferaient probablement pas. Zola lui-même a, sinon provoqué, du moins autorisé cette exclusion : si, au début de sa carrière, il a mis tous ses soins à organiser la publicité desContes à Ninon, il semble s'être quelque peu désintéressé, par la suite, du sort de recueils qu'il considérait – il n'a pas hésité à le dire – comme secondaires. La critique a suivi(Ripoll , 1976, IX). 

Parmi les thèmes autour desquels convergent les réflexions de Picón et Zola se trouvent des questions essentielles à l’époque,telles que la situation socio-économique, la condition féminine et la vie religieuse.

1. Deux visions convergentes de la société contemporaine et de ses travers

Dans la droite ligne de l’esthétique littéraire réaliste, le naturalisme accorde une place prépondérante aux préoccupations concrètes des individus et des groupes sociaux, et vise à dépeindre la société dans ses aspects les plus matériels. Les enjeux socio-économiques sont présentés avec minutie, dans une perspective à visée documentaire et scientifique. Une phrase duRoman expérimentalsynthétise le projet zolien : « Nous disons tout, nous ne faisons plus un choix, nous n’idéalisons pas (Zola, 1880, 127) ». S’appuyant sur la médecine expérimentale de Claude Bernard et revendiquant l’objectivité du savant, Zola effectue un travail considérable en amont de sa rédaction : enquête de terrain, notes, esquisses préparatoires de plusieurs centaines de pages…

Les deux nouvelles zoliennes sur lesquelles nous porterons plus particulièrement notre attention présentent en outre une spécificité qui doit être relevée. « Comment on se marie » et « Comment on meurt » ont d’abord été écrits pour un public étranger, et présentés traduites en russe dansLe Messager de l’Europe[Vestnik Evropy], revue mensuelle d’histoire, de politique et de littérature éditée à Saint-Pétersbourg à laquelle Zola livra 64 articles (des chroniques, des récits brefs et des études de mœurs) de mars 1875 à décembre 1880. S’adressant à un lectorat qui ne baigne pas dans unenvironnement socio-culturel français, Zola est encore plus attentif à son rôle d’observateur ambitionnant de dépeindre l’ensemble de la société. La structure de ses deux récits brefs reproduit la stratification de la société de son époque. Ainsi, le premier chapitre de « Comment on se marie » se déroule dans l’aristocratie, la deuxième partie dépeint le milieu bourgeois, puis l’écrivain met en scène des petits commerçants, et enfin un ménage très modeste. « Comment on meurt » suit le même plan. La nouvelle décrit successivement une mort dans le monde aristocratique, puis dans la « haute bourgeoisie », le milieu des petits boutiquiers, celui des ouvriers, tandis que le cinquième chapitre nous conduit chez les paysans. Le « comment » présent dans les deux titres souligne la portée informative, voire didactique, des nouvelles, caractère renforcé par la présence d’une préface en tête de « Comment on se marie ».

En héritier littéraire de Balzac, Zola appréhende la société comme un organisme vivant.François-Marie Mourad qualifie judicieusement la nouvelle « Comment on meurt » de « physiologie (Zola, 2008, 77) », un terme revendiqué par le maître d’œuvre de laComédie humaine. L’un de ses essais ne s’intitule-t-il pasPhysiologie du mariage ? Cette étude de mœurs balzacienne, publiée en 1829,dresse un tableau sans complaisance des mesquineries conjugales et des malheurs que subissent les maris, mais aussi – et surtout – les épouses, comme nous le verrons dans notre deuxième partie.

Concernant les problématiques socio-économiques, Picón est évidemment partisan d’une distribution convenable des biens parmi les individus et les différents niveaux de la société. Il n’a eu de cesse de plaider pour la justice sociale, pour des conditions de vie plus dignes pour les plus défavorisés. Picón, bourgeois lui-même, n’en était pas moins critique vis-à-vis de l’aristocratie et de la bourgeoisie de l’Espagne de la Restauration, dont il disait qu’ils étaient desaristócratas de mal gusto y burgueses ignorantes. Aussi bien dans ses romans que dans ses contes (comme « La amenaza »), Picón fustige toujours la concentration des moyens socio-économiques dans les mains d’une oligarchie soucieuse des apparences et du maintien de ses privilèges. Dans la citation suivante tirée de l’un des contes qui nous intéressent ici (« Las plegarias »), Picón fait un portrait assez pittoresque et éloquent du ménage privé du nécessaire pour vivre, assez typique de la situation socio-économique du plus grand nombre dans cette société espagnole de la Restauration :

En un miserable sotabanco habita un matrimonio pobre. El marido fue empleado y quedó cesante sin auxilio, amparo ni valimiento; la mujer, que era menestrala, enfermó durante el primer embarazo y fue despedida del taller: rápidamente pasaron de la escasez a la pobreza y de la pobreza a la miseria; pero como eran jóvenes y se querían mucho, nada contuvo su pasión. En seis años de matrimonio tuvieron otros tantos hijos.

La noche era horrible; los vidrios rajados o mal juntos dejaban paso al frío por roturas y resquicios: no había rescoldo en el fogón, ni cisco en el brasero, ni provisiones en la alacena, ni casi ropas en las camas, porque el carbonero ya no fiaba, ni el tendero se compadecía, ni el prestamista devolvía las mantas sin que le pagasen lo estipulado; y los pequeñuelos lloraban y los mayorcitos pedían pan, mientras los padres se miraban silenciosa y desesperadamente, ya pronto el hombre a toda maldad y dispuesta la mujer a todo sacrificio (PICÓN, 1895a, 152-153).

Enregard lui répond la description de la demeure du foyer favorisé, qui représente un type de la « bonne » société de l’époque :

Al dar la una y media comenzaron a despedirse los contertulios: a las dos sólo quedaban en el magnífico salón los dueños de la casa, marido y mujer, ambos jóvenes, hermosos y al parecer felices: él se puso a leer un periódico de la noche y ella se entretuvo escribiendo con un lápiz de oro al dorso de una tarjeta las visitas y compras que pensaba hacer al día siguiente. […] Los murosestaban cubiertos de verdaderos tapices góticos, los estantes llenos de buenos libros, en un testero había un magnífico retrato de familia a cuyos lados brillaban dos panoplias de armas antiguas, y en otro lienzo de pared destacaba sobre el fondo multicolor y borroso del tapiz un santo pintado por Zurbarán. Cuanto allí había era prueba de exquisito gusto, cultura y riqueza bien empleada. Indudablemente el lujo de relumbrón, las antiguallas falsificadas y loscaprichos absurdos impuestos por la moda, no tenían entrada en aquella casa (PICÓN, 1895a, 147 et 148-149).

L’alternance concertée entre les évocations des milieux populaires et les scènes dépeignant les grands bourgeois est un procédé aussi efficace que saisissant. Zola recourt lui aussi à ce procédé dans « Comment on se marie » et « Comment on meurt ». Sans appuyer le trait, ce type de construction narrative permet de faire réfléchir les lecteurs sur les différences de niveau de vie criantes entre les classes, mais donne aussi à voir les mentalités dominantes dans chaque milieu. Ce regard n’est pas neutre, et se fait volontiers acerbe.

C’est ainsi de manière beaucoup plus critique et ironique que Picón présente un autre foyer nanti, dans un autre conte (« El milagro »), en insistant sur le manque de charité du couple et sa propension à dilapider son bien dans des futilités. Picón condamne ainsi avec une certaine ironie caustique cette superficialité du couple et son manque de libéralité et de générosité véritable envers les plus nécessiteux. En effet,le conteur dénonce cette ostentation inconvenante d’opulence matérielle en ces termes :

Damián y su mujer Casilda, él de cuarenta y cinco, y ella de algunos menos, tenían en el barrio fama de ricos, y sobre todo de roñosos. No se les podía tildar de avaros, pues en vivir bien, a su modo, gastaban con largueza; pero la palabra prójimo era para ellos letra muerta.

Delataban su holgura la bien rellena cesta que su criada Severiana les traía de la compra, la costosa ropa que vestían, y algún viaje de veraneo que, aun hecho en tren botijo, era mirado por los vecinos como rasgo de insolente lujo. Además, con cualquier pretexto, disponían comidas extraordinarias o se iban un día entero de campo con coche que les llevara a los Viveros o El Pardo, y esperase hasta lapuesta del sol, trayéndoles bien repletos de voluminosas tortillas, perdices estofadas, arroz con muchas cosas, magras de jamón y vino en abundancia.

De estos despilfarros sólo protestaba la vecindad con cierta disculpable envidia (PICÓN, 1895b, 193-194).

Ces exemples sont fort représentatifs de ce que pouvait être la vie socio-économique dans cette Espagne des années 70-90 du XIXesiècle. Entre le clergé, la noblesse et la bourgeoisie qui s’arrogeaient l’essentiel de l’économie et de la finance, les classes les plus modestes, beaucoup plus nombreuses, devaient se contenter des mises à pied, et de toutes sortes de déséquilibres socio-économiques qui se produisaient au gré des changements ministériels, pendant toute cette période duturno políticoentre libéraux et conservateurs, incarnés respectivement par Práxedes Mateo Sagasta et Antonio Cánovas del Castillo. Le couple du ménage misérable de « Las plegarias »symbolise parfaitement cet état de fait. Quant à Severiana, la bonne à tout faire du couple nanti de « El milagro », Damián et Casilda, elle est condamnée à travailler durement pour ce ménage qui ne manque pas une occasion de faire étalage de leur fortune, comme le décrit avec truculence Picón dans ce paragraphe où le couple offre un dîner somptueuxà leurs amis à l’occasion de la Nuit de Noël :

Al acercarse Nochebuena, Casilda y Damián dispusieron en obsequio de Luis y Genoveva, una cena opípara. Sopa de almendra, besugo, pavo, ensalada de lombarda cocida, infinidad de golosinas, para el centro de la mesa un castillete de guirlache, y para que fuese todo bien regado, Valdepeñas y Champaña de a doce reales botella. La cocina parecía un puesto de la Plaza Mayor y el comedor una tienda de ultramarinos.¡Cómo se iban a poner el cuerpo!¡Y qué tristeza tan honda sentía la pobre Severiana! Haría la cena, la serviría, fregaría… y luego tendría que acostarse sin dar un beso a su hija (PICÓN, 1895b, 201).

2. La place des femmes dans une société masculine

Au-delà de la peinture des mœurs contemporaines, la question de la condition féminine est sans aucun doute le thème qui a le plus retenu l’attention des deux écrivains parmi les problématiques de société de leur temps.

Marqué dans sa jeunesse par la poésie de Musset et l’idéalisme romantique, Zola adopta des vues plus réalistes sur les femmes et l’union des sexes grâce à certains romans de George Sand et à la lecture des essais de Michelet. Il rejette comme eux le mariage de convention dépourvu de sentiments partagés. Zola croit en l’amour sincère et pur, eten « un mariage de sympathie, basé sur une réciproque connaissance de caractère (Zola, 1907, 56) ». Le mariage sera du reste l’« un des grands sujets de son œuvre », ainsi que le rappellentColette Becker, Gina Gourdin-Servenière et Véronique Lavielle(Becker, Gourdin-Servenière et Lavielle, 1993, 245). Il est en effet patent que les enjeux matrimoniaux forment le pivot de beaucoup d’intrigues, comme c’était déjà le cas chez Balzac, qui a initié en quelque sorte une forme de tradition romanesque reprise etenrichie par nombre de romanciers réalistes et naturalistes de la seconde moitié du siècle. La réflexion historique qu’esquisse Zola en préambule de « Comment on se marie » dégage la spécificité de son siècle : l’amour « héroïque » du XVIIesiècle et l’amour « sensuel » du XVIIIesiècle ont été supplantés au XIXepar des considérations mercantiles et bassement bourgeoises : « le mariage est devenu une opération comme une autre », il est « l’amour positif qu'on bâcle, comme un marchéen Bourse ».

Zola peutêtre à bon droit considéré comme un écrivain soucieux de la condition féminine. Il fut très tôt attentif à l’importance de l’éducation et de l’instruction chez les femmes, et toute son œuvre en témoigne. Picón possède la même sensibilité, et il se fera souvent le porte-parole des femmes dans une société conçue et dominée par les hommes. Le jeune Zola écrivit ainsi à Cézanne le 16 avril 1860 :

L’éducation de la jeune fille est si différente de celle du jeune homme qu’à la sortie des écoles, même entre frèreet sœur, il n’y a plus aucun lien, aucune parenté d’idées. Ce sera bien pis entre deux époux. […] Ce n’est pas tout de coucher ensemble pour être mariés, il faut encore penser de même, sinon les époux ne peuvent manquer tôt ou tard de faire ménage. Voilàpourquoi l’éducation des filles me paraît si imparfaite. Elles arrivent dans le monde ignorantes, bien plus, ne sachant que des choses qu’il leur faut oublier (Zola, 1907, 209).

Ce thème « devient un de ses leitmotive (Becker, Gourdin-Servenière et Lavielle, 1993, 148) ». Plus tard, dans l’article polémique « De la moralité dans la littérature », écrit en 1880, il dénonce le caractère factice et le piètre modèle proposé par la plupart des héroïnes romanesques et théâtrales imaginées par les auteurs à la mode. Les effets sont désastreux : « Notre jeune fille française, dont l’instruction et l’éducation sont déplorables, et qui flotte de l’ange à la bête, est un produit direct de cette littérature imbécile (Zola, 1969, 511). L’avant-propos à « Comment on se marie » met en exergue les facteurs éducatifs selon lui à l’origine « du fossé profond [creusé] […] dès l’enfance, entre les garçons et les filles » :

Je prends la petite Marie et le petit Pierre. Jusqu'à six ou sept ans, on les laisse jouer ensemble. Leursmères sont amies ; ils se tutoient, s'allongent fraternellement des claques, se roulent dans les coins, sans honte. Mais, à sept ans, la société les sépare et s'empare d'eux. Pierre est enfermé dans un collège où l'on s'évertue à lui emplir le crâne du résumé de toutes les connaissances humaines ; plus tard, il entre dans les écoles spéciales, choisit une carrière, devient un homme. Livré à lui-même, lâché à travers le bien et le mal pendant ce long apprentissage de l'existence, il a côtoyé les vilenies, goûté aux douleurs et aux joies, fait une expérience des choses et des hommes. Marie, au contraire, a passé tout ce temps cloîtrée dans l'appartement de sa mère ; on lui a enseigné ce qu'une jeune fille bien élevée doit savoir : la littérature et l'histoireexpurgées, la géographie, l'arithmétique, le catéchisme, elle sait en outre jouer du piano, danser, dessiner des paysages aux deux crayons. Aussi Marie ignore-t-elle le monde, qu'elle a vu seulement par la fenêtre, et encore a-t-on fermé la fenêtre quandla vie passait trop bruyante dans la rue. Jamais elle ne s'est risquée seule sur le trottoir. On l'a soigneusement gardée, telle qu'une plante de serre, en lui ménageant l'air et le jour, en la développant dans un milieu artificiel, loin de tout contact. (ZOLA, 2005b, 715-716).

Picón consacre pour sa part cinq de ses huit romans à la situation socio-économique, juridique et matrimoniale de la femme dans cette Espagne de la Restauration qui est encore une société largement patriarcale. Parmi ces titres apparaîtDulce y sabrosa(1891), le roman le plus connu de l’écrivain, dans lequel Picón reprend le fameux mythe de don Juan, mais un don Juan qui est ici un antihéros car c’est Cristeta, le personnage féminin de l’œuvre, qui fait fléchir le légendaire séducteur sans scrupules. L’idée générale défendue par Picón dans ces romans « féminins » est l’émancipation des femmes de tous les jougs qui les maintiennent dans un état d’infériorité générale. Tout comme Zola, Picón estime que les femmes devraient pouvoir êtreéduquées de façon digne, et aussi qu’elles devraient avoir le droit de choisir librement leur mode de vie sentimentale. Les dix articles que Picón publie dans le journal madrilèneMadrid Cómico sous un pseudonyme féminin (« Ana Grama ») soutiennent exactement les mêmes points de vue. Dans les contes qui nous intéressent ici, l’on peut voir le profil de deux ou trois femmes dans des situations différentes, selon qu’elles appartiennent à tel ou tel milieu socio-économique. Dans le ménage favorisé de « Las plegarias », l’on remarque une femme épanouie et aimante, malgré le fait que le couple souffre de ne point parvenir à avoir un enfant. Dans le même conte, le ménage défavorisé présente aussi une femme chaleureuse et aimante en dépit de la misère qui tenaillele foyer. Il s’agit dans les deux cas d’une présentation assez positive de la femme et de sa vie sentimentale, malgré les autres aléas existentiels auxquels elles font face. C’est plutôt dans le conte « El milagro » que l’on voit le portrait de la femme bafouée, méprisée, rejetée. En effet, Severiana, après avoir eu un enfant avec l’homme chez qui elle travaillait, celui-ci l’abandonne avec la petite et à elle de supporter tout ce que cette situation implique.Picón décrit la situation de Severiana en cestermes :

En la casa donde antes estuvo Severiana fue seducida por el amo, que la despidió brutalmente huyendo luego de Madrid, en cuanto supo las consecuencias de su pasajero capricho. La pobre muchacha tuvo una niña, y en vez de llevarla a la Inclusa como algunas conocidas le aconsejaron, se la confió a una parienta que la cuidase, ofreciendo en cambio matarse a trabajar para pagar las mesadas. Desde entonces, como lo que Severiana más temía era quedarse desacomodada, no había impertinencia que no sufriese ni fatiga que no soportara. Era una criada modelo, sumisa, respetuosa, incansable y callada. Lo hacía todo ; […].(PICÓN, 1895b, 197).

Il s’agit ici pour Picón de dénoncer ce traitement infligé à la femme du fait de la condition trèsdéfavorable dans laquelle la placent tous les conditionnements sociopolitiques et moraux de l’époque. Severiana est condamnée à subir perpétuellement cet abandon lourd de conséquencesnéfastes pour elle et pour son avenir, en plus de devoir supporter les agissements peu prévenants du couple dont elle sera la « servante » par la suite, Damián et Casilda.

3. Le poids de la religion

Avec la condition féminine et les questions socio-économiques, la religion constitue une autre préoccupation commune à nos deux auteurs.

Bien que le degré d’emprise de l’institution religieuse diffère grandement entre la France et l’Espagne, Zola et Picón accordent tous deux une place importante au clergé. Même si la France a connu une déchristianisation assez violente au moment de la Révolution, préparée en amont par l’esprit corrosif des Lumières, les Réformés du XVIesiècle, et plus lointainement par un anticléricalisme bon enfant qui était déjà présent au Moyen Âge, comme maints fabliaux et ysopets en attestent, la France du Second empire, puis des premières décennies de la IIIeRépublique, demeure partagée sur la question religieuse. La société dépeinte par Zola est traversée par des enjeux politiques conflictuels, l’influence du clergé étant toujours notable dans le camp conservateur.

De nombreux personnages de prêtres parsèment les livres de Zola. L’auteur desRougon-Macquarta bien compris son rôle de témoin privilégié : « Personnage social, le prêtre est aussi, avec le médecin, celui qui connaît le plus intimement le secret des êtres. C’est donc une figure habituelle et commode du roman naturaliste. » (BECKER, GOURDIN-SERVENIÈRE et LAVIELLE, 1993, 351-352). Plusieurs types de prêtres apparaissent : les curés de campagne, vivant chichement parmi des paysans en voie de déchristianisation, tel l’abbé Horteur deLa Joie de vivre, ou l’abbé Godard deLa Terre ; les ecclésiastiques mondains, « qui compose[nt] avec la dépravation morale de la bourgeoisie et la couvre[nt] du voile de la décence. » (Ibid., 352). DansLa Faute de l’abbé Mouret, le prédécesseur de Serge, l’abbé Caffin, est un prêtre en disgrâce envoyé loin de sa Normandie natale, et mène une vie douillette éloignée de tout mysticisme ardent. Pour autant, les personnages de prêtres sincères, authentiquement pieux, charitables et dévoués, existent chez Zola : l’abbé Jouve procure ainsi un sincère réconfort spirituel et humain à Hélène dansUne page d’amour. La seule figure cléricale véritablement négative dans l’œuvre zolienne est celle de l’intrigant et manipulateur Faujas, présent dansLa Conquête de Plassans. On peut lui adjoindre le Frère Archangias, directeur d’école brutal, répugnant et obsédé par le péché dansLa Faute de l’abbéMouret. Pour le reste, « les portraits de prêtres sont, dans lesRougon-Macquart, dépourvus de charge caricaturale. » (Ibid.). Dans son cycle romanesque postérieur, lesTrois Villes, Zola fera d’un ecclésiastique, l’abbé Pierre Froment, le protagoniste central deLourdes, un prêtre tourmenté par la perte de sa foi. Sous l’influence du socialisme utopique, l’écrivain évolua même vers une forme de prophétisme laïc, encore plus manifeste dans son dernier ensemble littéraire, intitulé de manière révélatriceLes Quatre Évangiles.

Il n’est pas anodin que l’un des textes destinés auMessager de l’Europesoit consacré à des portraits de prêtres. Le titre russe de l’article signifie, traduit littéralement, « Types d’ecclésiastiques français ». Dans « Comment on se marie », le passage à l’église est une formalité obligatoire dans les classes les plusaisées, mais la ferveur religieuse n’est pas au rendez-vous, en particulier chez les grands bourgeois. Le mariage religieux est avant tout l’occasion d’étaler sa richesse. L’union de Jules Beaugrand et de Marguerite est célébrée à la Madeleine, dans le Paris opulent :

Trois jours auparavant, Jules et son père sont allés s'entendre pour les prix. Ils ont voulu tout le luxe possible et ont débattu certains chiffres : tant pour la messe au maître-autel, tant pour les orgues, tant pour les tapis. Il estconvenu qu'un tapis descendra les vingt marches, et viendra jusqu'au trottoir ; il est entendu également que les orgues salueront d'une marche triomphale l'entrée du cortège ; c'est cinquante francs de plus, mais cela est d'un grand effet. On a lancé un millier d'invitations. Quand les voitures arrivent en longue file correcte, l'église est déjà pleine de toute une foule, des hommes en habit, des femmes en grande toilette. Par un miracle de coquetterie, Marguerite n'est presque plus laide, sous son voile blanc et sa couronne de fleurs d'oranger. Jules est tout gonflé de son importance, en voyant qu'il a dérangé tant de monde. (ZOLA, 2005b, 723).

Face à la mort, les pratiques sociales varient également beaucoup d’une classe à l’autre. Dans « Comment on meurt », les obsèques religieuses sont somptueuses chez les aristocrates, avec une cérémonie longue et une pompe à la hauteur des circonstances. Dans la famille bourgeoise évoquée dans le deuxième chapitre, les questions matérielles priment, et c’est le prix duconvoi funèbre et de la messe qui importe avant tout. Pour les petits commerçants présentés au chapitre suivant, l’argent est source de privations et de patientes économies :

M. Rousseau a envoyé un commis remplir les formalités nécessaires. Lui, se rend àl’église et discute longuement le tarif des convois. Ce n’est pas parce qu’il a du chagrin qu’on doit le voler. Il aimait bien sa femme, et, si elle peut encore le voir, il est certain qu’il lui fait plaisir, en marchandant les curés et les employés des pompes funèbres. Cependant, il veut, pour le quartier, que l’enterrement soit convenable. (ZOLA, 2005a, 603).

Il en résulte une cérémonie religieuse bâclée « [e]n quarante minutes ». Dans le peuple, mis enscène dans l’ultime partie de la nouvelle, la messe est encore plus vite expédiée, et le prêtre célébrant n’est même pas mentionné.

La religion est omniprésente dans l’œuvre de Picón, aussi bien dans le roman que dans les contes et les articles de presse. L’œuvre caractéristique dans laquelle Picón expose son rejet du rôle parfois dogmatique de l’Église et le poids du clergé est son romanEl enemigo(1887). L’ennemi n’est autre que le curé, l’homme d’Église tout conquis à une observance étroite d’un certain dogmatisme prôné par une certaine hiérarchieecclésiastique. L’abbé Faujas n’est pas loin… Cette thématique religieuse est bien entendu traitée dans les deux contes que nous analysons ici, « Las plegarias » et « El milagro », mais aussi dans d’autres contes comme « El olvidado », « La cuarta virtud » ou encore « Santificar las fiestas ». Dans ce dernier conte, Picón présente les traits moraux caractéristiques du véritable curé, du véritable guide spirituel. Picón ne critique pas uniquement le clergé, mais aussi tous ceux qui pensent croire en Dieu mais qui en fait n’utilisent la « foi » que de façon intéressée et faussée : il s’agit le plus souvent d’une fausse dévotion que Picón fustige vivement. C’est le cas dans « El olvidado » où les prétendus croyants ont précisément « oublié » le Christ pour s’adonner à des apparences de dévotion. Voici le portrait que Picón dresse du vrai homme de Dieu, la description qu’il fait du bon curé, dans « Santificar las fiestas » :

Sus condiciones morales todas buenas: la piedad sincera, el trato afable, el lenguaje humilde, la caridad modesta, y en todo tan compasivo y tolerante, que, con ser grande el respeto que imponía, aún era mayor la cariñosa confianza que inspiraba.(PICÓN, 1895c, 258).

Picón est donc clairement un intellectuel anticlérical. Dans les contes quenous étudions ici, il est particulièrement question de la pratique religieuse en général, dans la vie quotidienne des individus. Le conte « Las plegarias » met en scène le couple économiquement favorisé qui prie Dieu d’exaucer sa prière d’avoir un enfant,tandis que le ménage défavorisé sollicite la bonté divine afin d’avoir le nécessaire pour vivre. Picón décrit l’attitude de prière de la femme de ce foyer miséreux en ces termes :

Rezó primero el Padre Nuestro, luego el Credo después muchas Salves y Ave Marías, cuanto aprendió de niña sin saber lo que significaba, y por último, buscando en las reconditeces de su alma acentos propios, inspirados en la magnitud de su desventura; dijo alzando los ojos y clavándolos en la estampa: “¡Señor! ¡Piedad, misericordia! ¡Que no se mueran estos niños! ¡Pan, nada más que pan!”.(PICÓN, 1895a, 153-154).

En bon moraliste, Picón conclut le conte « Las plegarias » par un dialogue qui se tient dans les cieux entre saint Pierre et Dieu lui-même. La scénarisation d’un teléchange transcendant à valeurcertainement didactique semble vouloir attirer l’attention des individus et des sociétés en les incitant à mieux suivre les préceptes et les commandements de Dieu ; Picón souhaite que l’humanité ne se fourvoie pas en pratiquant une religion éloignée de la vraie Loi divine. Il laisse la parole à saint Pierre et au Dieu Tout-Puissant :

En los altos cielos, espacios eternamente misteriosos y negados por siempre al pensamiento humano, allí donde sólo llegan los desvaríos de la imaginación y los arrobos de la fe, resonaban dos voces de acento sobrenatural y prodigioso. La una era majestuosa, imponente y dulce sobre toda ponderación; la otra era voz humana, dignificada y ennoblecida por la santidad.
— ¡Pedro! — dijo la primera.
— Señor — repuso con humildad la segunda.
— ¿Hay algo?
— Lo de siempre. Peticiones de la ambición, exigencias de la codicia, vanidades del amor propio, arrogancias de la soberbia, desafueros de la maldad, sollozos de dolor y bostezos de hambre.
[…]

— Mis órdenesse cumplen mal — dijo la voz de imponente e inefable dulzura — a pesar de mis bondades suben de la Tierra lamentos de dolor que mueven a piedad.
— Los del planetilla revoltoso no hacen más que pedir. Nadie quiere penar; todos creen merecer. Ninguno aceptasu misión fatal e ineludible, ni se resigna a cumplirla. Imaginan que la vida debe ser la felicidad, cuando es sólo ocasión de conseguirla.
— Es que yo no soy el Destino ciego, sino la Providencia bondadosa. ¡Felices! ¿Por qué no han de serlo? En verdad te digo que el hombre no comprenderá nunca la majestad del dolor. De hoy más, a quien pida con fe para obrar con caridad, désele todo. Hay que reorganizar este negociado. (PICÓN, 1895a, 155-156 et 157).

En guise de conclusion

Au terme de notre esquisse comparatiste, nous espérons avoir suffisamment mis en évidence les nombreux points de convergence esthétiques et idéologiques entre Jacinto Octavio Picón et Émile Zola. L’évocation de plusieurs de leurs récits brefs a permis de mesurer l’importance des questions sociales chez l’un et chez l’autre, puis de souligner que l’auteur desRougon-Macquartet l’écrivain madrilène se rejoignent aussi dans leur appréhension des enjeux liés à la place et à l’autonomie des femmes dans des sociétés masculines. La religionet la critique du cléricalisme forment une troisième thématique commune dont les occurrences sont nombreuses et étayées aussi bien dans les textes zoliens que dans les fictions imaginées par Picón. Notre étude étant loin d’avoir épuisé le sujet, nous appelons de nos vœux d’autres travaux axés sur une mise en parallèle encore plus poussée des productions narratives de Zola et de Picón. Les recherches conduites par Solange Hibbs-Lissorgues sur l’Église et la place des femmes dans la société espagnole de la seconde moitié du XIXesiècle constituent à cet égard un précieux point d’appui scientifique.

Note de fin

1 Nous avons la trace de quatre articles écrits par Picón et publiés dansces deux organes de presse parisiens, articles rédigés dans une langue française extrêmement correcte et soignée : « Le roman espagnol » et « La patrie et la jeunesse »,La Nouvelle Revue internationale, n° 5-7, avril 1900, p. 107-108 et 244-246 ; « Précieux hommage. L’Espagne, amie du droit, fait des vœux pour la France »,Le Journal, 21 novembre 1916 ; « Il faut resserrer les liens entre la France et l’Espagne »,Le Journal, 11 janvier 1917. Signalons en outre que dans ses articles de critique dramatique, Picón rendit compte de pièces qui étaient pour la plupart écrites par des auteurs français en vogue : Émile Augier, Dumas fils, Erckmann-Chatrian, Gounod, Sardou, etc. Voir A. Mackaya, 2015.

Citer cet article

Référence électronique

Aymar Mackaya et Olivier SAUVAGE, « Jacinto Octavio Picón (1852-1923) et Émile Zola (1840-1902) : Regards croisés de deux auteurs sur la vie socio-économique et religieuse en France et en Espagne à la fin du XIXesiècle », La main de Thôt [En ligne], 7 | 2019, mis en ligne le 07 janvier 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/796

Auteurs

Aymar Mackaya

Université Omar Bongo de Libreville (Gabon),
mackaymar@yahoo.fr

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Olivier SAUVAGE

Université catholique de Lyon,
sauvage720@gmail.com

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