Cette approche de la période révolutionnaire portugaise (du 25-04-1974 au 25-11-1975) à travers ses échos dans la presse française de l’époque1, n’a pas pour objectif de présenter une étude exhaustive de la production journalistique sur le sujet. Il s’agira ici de donner un aperçu de la quantité des documents existants, constituant un riche corpus d’archives disponible pour les chercheurs (notamment au Centro de Documentação 25 de Abril), tout en mettant d’une part, en lumière certains aspects, analyses ou événements (en particulier l’Affaire du Journal República) de l’époque et tout en soulignant d’autre part, que derrière cette attention portée aux affaires portugaises se profilent des enjeux politiques français (c’est l’époque de l’Union de la Gauche, des luttes d’influence entre le PCF et le PS, et à droite, de la montée en puissance de Jacques Chirac, qui fondera le RPR en 1976, démissionnant de son poste de 1er Ministre qu’il occupait sous la Présidence de Valéry Giscard d’Estaing, élu en 1974).
Pour ce faire, je m’intéresserai essentiellement ici aux archives de l’Agence France Presse ainsi qu’à celles du journal Le Monde que j’ai consultées2 et ferai ponctuellement référence à d’autres journaux, représentatifs des autres tendances politiques (L’Humanité pour le PCF et Le Figaro pour le Centre Droit), sur la base d’un excellent article fort documenté consacré au même thème à partir des fonds d’archives de la Bibliothèque Nationale de France de Gilles Rodrigues3, gestionnaire de collections dans cette Bibliothèque. Ce dernier dénombre près de cent trente unes du Monde consacrées au Portugal d’avril 1974 à novembre 1975, outre tous les autres articles sur ce thème à l’intérieur de ce journal.
Le coup d’état militaire mené par le MFA (Movimento das Forças Armadas) qui mit fin en 1974 au Portugal au régime dictatorial en place depuis quarante-huit ans et plus connu actuellement dans l’histoire du Portugal sous le nom de « Revolução do 25 de Abril » ou « Revolução dos Cravos », ou encore « O 25 de Abril » eut un grand retentissement dans la presse française de l’époque. Il en fut de même pour toute la période (aussi appelée PREC, Processo Revolucionário em Curso) qui s’ensuivit (notamment de mars à novembre 1975), période très agitée aux plan politique, social et populaire jusqu’aux événements du 25 novembre 1975, qui marquèrent définitivement la fin de cette phase de transition démocratique et la position dominante du Parti socialiste et de l’axe modéré au sein du pouvoir. Telle fut ma première constatation en m’intéressant à la question de la place accordée aux événements portugais de 1974-75 en France. Le vif intérêt des Français pour ce pan de l’histoire de la démocratie portugaise, se reflète naturellement dans les médias français, qui publièrent un nombre très élevé d’articles sur le sujet. L’historien Yves Léonard décrit et explique ainsi cet engouement :
« Dans une ambiance printanière, la révolution des Œillets projette Lisbonne pour dix-huit mois sur l'avant-scène internationale. Le Portugal devient un lieu de pèlerinage et un laboratoire d'expérimentations politiques pour les gauches européennes » et plus loin : « À travers le pèlerinage à Lisbonne, ce sont des réponses aux convulsions politiques du temps que viennent chercher des milliers d'Européens. Les tensions entre gauche non communiste et PC alimentent ainsi des comparaisons entre d'une part Mário Soares et François Mitterrand, qui s'est rendu au Portugal dès les premiers jours de la révolution, et d'autre part Álvaro Cunhal et Georges Marchais. Et il cite lui-même Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur : “Ce qui se passe à Lisbonne retentit sur tous nos débats à l'intérieur de l'Union de la gauche”. »4
Les informations transmises et développées dans les journaux ont toujours au moins une source, hypotexte en littérature. L’AFP, Agence France Presse (l’une des trois grandes agences de presse mondiale), est dotée depuis 1957 d’un statut voté par le Parlement, qui « garantit son indépendance rédactionnelle, son implantation dans le monde et son autonomie financière »5. Sa mission est « de rechercher, tant en France qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective » et de les « mettre à la disposition des usagers »6. Dès cette époque, l’AFP est une Agence internationale qui dispose de 25 bureaux en province, 46 à l'étranger, 13 dans les territoires d'Outre-mer. Elle a des correspondants dans 116 pays et distribue ses informations dans 73 pays7.
Le Centro de Documentação 25 de Abril de l’Université de Coimbra détient un Fonds d’Archives privées de l’AFP constitué des dépêches relatives aux événements portugais de 1974 à 1976. Ce fonds est numérisé (Arquivo digital, Arquivos privados da Democracia portuguesa) et accessible librement depuis son site Internet8. Cela représente une ressource documentaire extrêmement importante puisque les informations contenues vont servir de source/hypotexte aux différents journaux français.
Le nombre de pages consacrées aux événements portugais est parlant et montre l’importance accordée à ce qu’il se passe au Portugal :
Les trois années (1974-1975-1976) représentent un total de 17 365 pages.
4230 pages pour l’année 1974 (en commençant le 25 avril, 3623 pages) ; on passe de 134 p. en janvier, 111 p. en février (foot…), à 284 pages en mars, 323 pages en avril (divisées en deux dossiers), 533 p. en mai (2 dossiers de 243 et 290 p.), etc.
8649 pages pour l’année 1975, avec un pic en mars 75 (714 p.), lors de la tentative ratée de coup d’état de la part des militaires conservateurs dont le chef de file était le général Spínola le 11 mars 1975, un autre pic au mois d’avril (614 p.) avec les élections à l’Assemblée Constituante le 25 avril, un autre au mois de mai (527 p.) avec l’affaire du journal República, qui débute le 19 mai et que nous développerons par la suite, puis 796 p. en juillet et 1399 p. en août sont consacrées au « Verão Quente »9 de 1975 et aux grandes luttes et divergences politiques entre trois grandes positions politiques : la faction modérée du MFA d’obédience plutôt socialiste, les partisans du Alliance Povo/MFA et du pouvoir populaire (souhaitant qu’un pouvoir politique significatif soit donné aux Assemblées Populaires) autour de Otelo Saraiva de Carvalho et du COPCON (Comando Operacional do Continente) et les militants ou sympathisants du PCP (dont le général Vasco Gonçalves). Et les 5 dossiers des archives de l’AFP concernant le mois de novembre 1975 comptent un total de 1135 p., reflet de l’effervescence politique qui débouchera sur les événements du 25 novembre et la prise en main des rennes politiques par les forces modérées du PS et du PPD.
Voici les premières dépêches de l’AFP informant sur les événements qui se trament à Lisbonne le 25 avril :
Soulignons que la source n’est pas citée mais qu’elle est sûre (« de bonne source »). Il y a bien des mouvements de troupe à Lisbonne.
Une autre feuille de dépêches annonce l’occupation des locaux du Radio Club par des forces armées, qui diffusent des communiqués par le biais de cet émetteur, demandant notamment « à la population de rester chez elle » :
Les nouvelles se font plus précises. Une des dépêches intitulée « Le déroulement des événements » indique que « Jeudi 25 avril a marqué la fin du régime de dictature civile au Portugal qui durait depuis cinquante ans », présente un bref historique des faits et reprend le fameux communiqué du Mouvement des Forces Armées diffusé à 07h30 annonçant qu’il a déclenché « des actions en vue de libérer le peuple portugais du gouvernement qui l’opprime depuis longtemps » :
Les nouvelles de ce coup d’état sont bien sûr relayées par les médias français, tout d’abord de façon très prudente (à l’instar des dépêches de l’AFP du reste) car, comme le souligne à juste titre Gilles Rodrigues, dans son article10, l’histoire du coup d’état militaire qui a renversé le gouvernement de gauche de Salvador Allende au Chili en septembre 1973 est encore très présent dans l’opinion publique française qui se méfie donc des actions militaires de ce type. Le 26 avril 1974, le titre du Figaro est « Coup d’État militaire au Portugal »11, celui de L’Humanité, « Soulèvement militaire au Portugal » et celui du journal Le Monde « Une junte militaire s'empare du pouvoir au Portugal » (voir annexe). Cet article reprend en les regroupant les différentes nouvelles transmises par le correspondant de l’AFP et s’en tient à des éléments factuels. Un écho de ces échos du coup d’État au Portugal dans la presse française paraît même dans la presse portugaise, dans le journal O Expresso du 27 avril 1974 :
Un second article (cf. annexe), beaucoup plus long, ayant le même titre que le précédent, enrichi du sous-titre « La seconde manche » (par référence à la première tentative de soulèvement raté du 16 mars à Caldas da Rainha) est signé du journaliste Marcel Niedergang, alors responsable du service des questions espagnoles et latino-américaines du journal. Il propose une analyse beaucoup poussée et fine de la situation. Il souligne le problème aigu que représente la guerre coloniale qui est à l’origine et au cœur de ce soulèvement de l’armée : « L'armée portugaise, malade d'une guerre africaine qui n'en finit pas et qui ronge les forces vives de la nation, éclate. ». Et il sent bien que le peuple portugais est prêt lui aussi à se révolter et à prendre part à l’action contre le régime dictatorial. Voici ce qu’il en dit :
« Ce qu'on hésite à appeler l'opinion publique, tant le régime Salazar a contribué à façonner un peuple anesthésié, dépolitisé, indifférent en apparence à tout ce qui n'est pas survie matérielle, n'a pour le moment pas de part dans ce conflit. Mais les passions couvent derrière cette façade faussement tranquille. Il n'est pas une famille portugaise qui ne soit pas touchée par la guerre. Par milliers, de jeunes Portugais de toutes classes sociales désertent pour échapper à un service militaire de quatre années, qui peut signifier à tout moment l'envoi sur l'un des théâtres d'opération : Guinée-Bissau, Angola ou Mozambique. »
Il fait part aux lecteurs du sentiment qu’ont les jeunes militaires de mener une guerre « dont l’issue victorieuse semble improbable », puis il présente le général Spinola, « ancien commandant en chef des forces portugaises en Guinée-Bissau ». « Ce baroudeur, dit-il, dont les " exploits " sur le terrain emportent l'adhésion des militaires eux-mêmes engagés dans une guerre sournoise mais difficile, n'est pas un " planqué ". ». Il ajoute : « Le général Spinola n'est pas un tendre, mais son efficacité lui permettra de proclamer bien haut ses thèses sur la manière de régler la guerre ». Il explique, comme suit, sa légitimité en tant que chef du mouvement : « Le mécontentement profond de l'armée, dirigé contre le gouvernement et des états-majors complaisants à l'égard du pouvoir politique, a donc trouvé un chef de file en la personne du général Spinola, dès le retour de ce dernier à Lisbonne. » Tout en ajoutant : « Mais c'est un étrange leader, ambigu » et plus loin « tenu en très haute estime par le président du conseil [Marcelo Caetano]. »
Le journaliste présente les thèses du général, « partisan d'une nouvelle République fédérale portugaise " du Minho à Timor " » ainsi que son livre « Le Portugal et son avenir », sorti le 22 février 1974, qu’il qualifie de « bombe » ainsi que de « catalyseur et de détonateur ». Il finit son article en disant que les militaires insurgés « paraissent, cette fois, bien résolus à gagner la seconde manche ».
Mais les données sont dans l’ensemble encore floues : un article du Monde du 27 avril 1974 (cf. annexe) présente le général Spínola comme l’organisateur du soulèvement du 25 avril et un autre, daté du 4 mai 1974, titre « Les membres de la junte choisis par le général Spinola » (cf. annexe) (et non par les membres du MFA).
Les mois de mai et juin 1974 sont marqués par une grande agitation sociale, syndicale, par d’intenses luttes ouvrières dans plusieurs entreprises portugaises et c’est alors aussi que commence l’occupation de maisons inhabitées par la population révoltée. Le 8 juillet 1974 est créé le COPCON (Comando Operacional do Continente), dont le rôle, au début est d’assurer le maintien de l’ordre et est dirigé par Otelo de Carvalho, qui va peu à peu incarner, la voie du pouvoir populaire.
Le titre d’un article du Monde du 16 juillet 1974 reprend une formule des majors Victor Alves et Melo Antunes, membres du Conseil d’État : « Vers le socialisme aussi loin que possible ». (cf. annexe)
Au fil des mois apparaissent les dissensions notoires entre les positions du nouveau gouvernement (présidé par Vasco Gonçalves, proche du PCP) et le général Spínola, bien plus conservateur, qui sera amené à démissionner fin septembre 74 (Voir l’article du Monde du 01 octobre 1974 « Se soumettre puis se démettre » (cf. annexe) dans lequel il est écrit « qu’en cherchant à donner un coup de barre à droite », le général « n’a réussi qu’à rendre plus manifeste le poids de la gauche et à rendre inévitable son départ de Belém »).
Le 04 février 1975, Marcel Niedergang publie une nouvelle analyse de la situation politique au Portugal et donne des clés pour comprendre quels sont les acteurs, les événements et les enjeux portugais. Dans cet article, intitulé, « Le Conseil de la Révolution » (cf. annexe), il reprend les propos du major Melo Antunes, rédacteur du Programme du MFA, qu’il présente aux lecteurs comme Ministre d’État, « ayant appartenu au petit groupe de jeunes officiers qui ont préparé le soulèvement du 25 avril » et qui dit :
« Nous devons être prudents, pragmatiques, attentifs à toutes les menaces, à tous les périls... La droite réactionnaire n'a pas renoncé. Et un certain radicalisme d'extrême gauche est préoccupant en raison des résonances qu'il peut avoir au sein des forces armées... ».
Le journaliste affirme au sujet de Melo Antunes que « Son analyse de la dynamique du Mouvement du 25 avril l'amène à penser que les Portugais ont la possibilité de bâtir une société démocratique » avec des « connotations socialistes très marquées. ». Il ajoute que « Les officiers des cadres moyens, qui ont réussi à abattre le régime Caetano plus facilement qu'ils ne l'escomptaient, avaient préparé un programme assez général et vague qui est devenu le " cadre d'action " du gouvernement. ». Il affirme que « Les hommes du M.F.A.[…] avaient promis de rétablir les institutions démocratiques et d'organiser des élections libres dans un délai d'un an. Ce sera chose faite […] avant la fin avril » ; qu’ils « voulaient offrir l'indépendance aux populations des territoires d'outremer. Le processus est largement engagé». « Mais, souligne très justement le journaliste, le Mouvement est également confronté, avant d'avoir terminé sa complète stabilisation, à des choix politiques, économiques, sociaux impliquant des options, des " modèles de société ". ». Marcel Niedergang souligne que Melo Antunes, qui était « classé à gauche », « fait à présent figure de modéré ». Il sera d’ailleurs le rédacteur du « Documento dos Nove » (cf. annexe), présenté le 7 août 1975 (un groupe de militaires représentant la faction modéré du MFA) ou « Documento Melo Antunes » qui s’oppose aux thèses du « Documento Aliança Povo/MFA, para a construção de uma sociedade socialista em Portugal » (cf. annexe), du 8 juillet 1975.
Le journaliste français propose également une analyse de l’évolution de l’armée portugaise avant 1974 qui, dit-il, « n'a jamais été absente de la lutte politique et des complots contre Salazar » et éclaire ainsi son engagement dans le processus révolutionnaire ; il conclut son article par ces interrogations : « Comment le M.F.A. pourra-t-il concilier la discipline et l'exercice quotidien de la révolution ? L'unité des forces armées et l'engagement politique permanent ? Pourra-t-il rentrer dans la mêlée politique sans se salir les mains ? ».
Enfin, en citant encore Melo Antunes dans ce même article, le journaliste du Monde met en exergue la singularité du cas portugais :
« Ce qui se passe ici ne ressemble à rien d'autre, dit-il. Il ne faut pas comparer pour comparer. Il y a une spécificité portugaise Peut-être sommes-nous présomptueux, mais nous espérons vraiment construire un modèle de société original, un socialisme à la portugaise, qui ne devra rien à personne... »
Après la tentative ratée de coup d’État du 11 mars 1975 de la part des conservateurs dirigés par le général Spínola, et la création, dès le lendemain d’un Conseil de la Révolution se substituant à la Junte de Salut National et au Conseil d’État, le gouvernement opère un net virage à gauche et entame un vaste programme de nationalisations. Les élections de l’Assemblée Constituante du 25 avril, qui enregistrent un taux record de participation de 91,7 %, accordent 37,9% des suffrages au PS, 26,4 % au PPD (actuel PSD), 12,5 % au PCP.
C’est dans ce contexte qu’éclate l’Affaire du Journal República. Si la spécificité portugaise semble indéniable, les hommes politiques français, par le biais des médias, ne vont pas s’abstenir de comparer. Ils vont s’emparer de l’Affaire du Journal República pour alimenter le débat politique et polémique de l’Union de la gauche en France13.
Le 19 mai 1975, des ouvriers et typographes du journal, rassemblés en Commission de Coordination des Travailleurs (CTT) proches de l’UDP (Union Démocratique Populaire, extrême gauche) vont en occuper le siège et écarter son directeur Raul Rego ainsi que la majorité des journalistes qui sont socialistes, en arguant du fait que le journal censurait les opinions divergentes de celles du PS. L’AFP relaie cette information dès le 20 mai en ces termes : « Le Portugal est aujourd’hui privé du seul journal qui traduisait fidèlement, du moins dans ses articles d’analyse, la ligne politique du parti socialiste »14. Un documentaire français a été réalisé par Ginette Lavigne sur cette affaire15.
Mário Soares, leader du PS portugais dénonce cette affaire et accuse le PCP d’avoir influencé la Commission des Travailleurs et de ne pas respecter la Loi sur la Liberté de la Presse ni la pluralité politique. Une grande manifestation est organisée par les socialistes devant les locaux du journal le soir même. Face à une situation insoluble, les forces militaires interviennent, font évacuer les locaux et posent des scellées. Mário Soares16 exporte l’affaire en France où il reçoit le soutien de François Mitterrand17 qui, rappelons-le, depuis le Congrès d’Epinay de 197118, veut s’imposer comme le chef de file de la gauche française non communiste, tout en ne s’aliénant pas l’électorat communiste. L’occupation du journal portugais déclenche une vive polémique en France à partir des visions différentes de la liberté de la presse entre socialistes et communistes et relance le débat de fond, par articles interposés, sur les profondes divergences entre socialistes et communistes, à l’heure où l’on s’interroge, plus fondamentalement, sur la pertinence d’une Union de la Gauche.
À la suite de cette affaire et de la tournure des événements politiques, le Parti Socialiste portugais est à l’origine de grandes manifestations dans le courant du mois de juillet 75. À la même période a lieu une vague d’actions violentes contre les sièges du PCP (à Rio Maior le 13 juillet) et d’autres organisations d’extrême gauche. D’autre part, les occupations d’usines, de maisons, de terres du Latifundium s’intensifient. Tous ces événements sont connus sous le nom de Verão Quente.
En juillet, le MFA élabore le document « Aliança Povo/MFA, para a construção da sociedade socialista em Portugal » auquel répond en août le Document Melo Antunes, du Grupo dos Nove, les éléments modérés du MFA, défenseurs d’un multipartisme politique, en réaction duquel sort peu après le Document du COPCON qui défend avant tout autre chose la thèse du Pouvoir populaire. Ce document est présenté de façon détaillé dans un article du Monde du 15 août 1975 (cf. annexe).
À cette même date, Le Monde publie également un article intitulé « Sollicitudes étrangères » (cf. annexe), qui résume bien l’impact de cette période-clé de l’Histoire du Portugal au-delà des frontières nationales et « l’intérêt suscité à l'étranger par les événements du Portugal », intérêt « très vif en France, où les partis de gauche, comme leurs adversaires, puisent dans la situation à Lisbonne des arguments plus ou moins intéressés à l'appui de leur propre cause ».
Dans Le Monde du 23 août 1975 (cf. annexe) est reprise la proposition de Mário Soares d’une rencontre des PC et PS d’Espagne, de France, d’Italie et du Portugal « pour discuter sur les problèmes de transition vers le socialisme ». Il affirme être « disposé au dialogue avec les communistes » et invite même le leader du PCP, Álvaro Cunhal à un débat public télévisé entre le PC, le PS le PPD et le MFA et évoque une possibilité d’envisager « un programme commun » à tous « pour sauver la révolution et vaincre la crise ».
Les événements qui suivent ne vont pas du tout dans ce sens. En septembre, octobre et novembre, les mouvements d’agitation sociale et politique s’aggravent. Les tensions politiques atteignent leur point culminant le 25 novembre 1975, lors duquel, pour déjouer un coup d’État pressenti de la part de l’extrême gauche, les militaires modérés (liés au groupe des Neuf) et avec le soutien des partis politiques de leur bord (le PS et le PPD) prennent le contrôle du pouvoir. C’est ainsi que s’achève l’une des périodes sans doute les plus agitées, les plus complexes et riches de l’Histoire politique portugaise.
Les événements portugais de cette période ont intrigué, inspiré, influencé le reste de l’Europe et surtout la France. Mais cet engouement étranger, en particulier français, prit une telle ampleur qu’il soulève la question de son interaction sur le processus de construction de la jeune démocratie portugaise. C’est l’idée avancée par Serge July, dont les propos sont rappelés par Yves Léonard, et qui « avec quelques années de recul, déplorera dans Libération (« Le traumatisme portugais », 25 avril 1979) l'instrumentalisation des œillets d'avril : «L'Europe gauchiste et contestataire, mais aussi l'Europe centriste et libérale, l'Europe communiste, l'Europe socialiste et l'Europe fasciste ont défilé à Lisbonne, intriguant et pesant sur les événements, cherchant leurs militaires et leurs partis respectifs dans la tourmente d'un processus révolutionnaire dont justement l'Europe se croyait immunisée. Une multitude de stratégies européennes se sont alors croisées et affrontées sur les bords du Tage, pas toujours, loin de là, au profit des Portugais qui avaient hérité, en plus de leurs difficultés, des fantasmes européens, des théories des uns et des autres »19.
Au-delà de cette lecture plausible « d’instrumentalisation des œillets d’avril », ce qui semble objectif, c’est l’existence d’un dialogue interactif riche entre le Portugal et la France, durant toute cette période-là et dont la presse se fait l’écho.
Plusieurs décennies ont passé depuis ces événements complexes et de nombreuses archives, dont celles de l’AFP et de la presse portugaise et/ou française sont à la disposition des chercheurs pour faire toute la lumière sur cette période fondatrice de la démocratie portugaise, qui a nourri d’innombrables débats sur la scène politique française.