L’Écosse s’affirme ouvertement comme pays trilingue d’inspiration républicaine mais ce pays est inclus bon gré mal gré dans le Royaume-Uni dont la langue dominante est l’anglais. Le gaélique écossais, issu de l’irlandais, s’est installé sur le territoire il y a quelque dix-huit siècles ; importé par les Angles vers le sixième siècle, le nord-anglien s’est scindé en dialectes germaniques pour, à compter de la bataille victorieuse de Carham en 1018, devenir progressivement l’écossais (Scots) ; l’anglais résultant des invasions germaniques, danoise et normande a finalement été imposé à l’Écosse à partir de 1707, année de l’Union des Parlements écossais et anglais. Si ce trilinguisme perdure aujourd’hui, la résistance culturelle en Écosse s’est renforcée tout au long du vingtième siècle et n’a pas cessé après la réouverture du Parlement de l’Écosse en 1999. Et les gouvernements SNP d’inspiration indépendantiste issus des élections nationales ont renforcé le rôle des langues indigènes que sont le gaélique et l’écossais sans pour autant chercher à exclure la langue anglaise sous ses diverses formes : anglais britannique, anglais dit standard d’Écosse, anglais des « Highlands »…
Si Robert Burns s’est distingué en œuvrant pour la résilience de la langue écossaise dans le dernier quart du dix-huitième siècle, Walter Scott, dès ses premiers romans historiques, a judicieusement brassé l’anglais, l’écossais et le gaélique, entre autres langues : ainsi le roman Waverley offre-t-il aux lecteurs polyglottes des plaisirs qui échappent aux lecteurs anglophones monoglottes, et aux traducteurs des tortures s’ils ne maîtrisent ni l’écossais, ni le gaélique (le nom éponyme de Waverley étant un jeu de mot interlinguistique anglo-écossais non dénué d’ironie).
La littérature écossaise du vingt et unième siècle rassemble des textes en anglais, en gaélique, en écossais (nous resterons dans les limites de ces trois langues pour cette étude) dans des proportions très variables que le traducteur se doit d’évaluer : à ce propos il est désolant que la traduction française du roman The Fanatic de James Robertson occulte ou écrase les variations entre l’anglais standard d’Écosse et l’écossais du Lothian (Édimbourg) du vingtième siècle mis en contraste avec l’écossais du Lothian restitué du dix-septième siècle.
L’objet de cette étude, « La résistance des textes de littérature écossaise exposée au traducteur », est de tenter de bâtir une stratégie de traduction appliquée à un texte multilingue, en l’occurrence une version courte d’une pièce de théâtre, The Glen is Mine (1922), d’un auteur qui fut l’un des fondateurs du théâtre d’Écosse. Ces fondateurs avaient édité à l’intention des dramaturges une charte qui met en exergue l’importance primordiale de la scotticité, dont la question des langues indigènes. Il faut souligner le fait que bien peu de traducteurs francophones ont, à ce jour, osé la confrontation avec des textes soit en écossais (Scots), soit en gaélique (Gaelic), soit encore multilingues qui sont les plus délicats. Par exemple, John Herdman, l’auteur anglophone de Ghostwriting (1995), exploite librement la géographie de l’Écosse et son emploi de toponymes réels, comme Édimbourg, ne peut masquer à ses lecteurs avertis l’étymologie celtique du mot. Cependant, ses toponymes réalistes mais fictifs, tels que « Ardsalach » (équivalent de « Mont Salace » dans Ghostwriting), sont susceptibles de déclencher une émotion chez le lecteur complice, ce qui ne doit pas échapper au traducteur.
Ainsi, après une référence à la traduction en français standard d’une anthologie de poèmes en anglais, en écossais et en gaélique, cette étude aborde la stratégie de traduction étape par étape d’une pièce de théâtre multilingue écrite et jouée en 1922 alors que débutait la période de l’entre deux guerres mondiales dite de la Renaissance écossaise qui inclut la rénovation linguistique et la mise en relief de la scotticité.
Traduire une anthologie monolingue de poèmes écossais multilingues
L’aventure de la création d’une anthologie de poésie du vingtième siècle multilingue est née de la nécessité de venir à la rescousse d’une doctorante qui avait choisi de travailler sur les néo-makars, ou nouveaux poètes officiels d’Écosse institués par le nouveau Parlement. Cette doctorante a été invitée à sélectionner un poème de l’ensemble de la production de chaque néo makar et de le traduire en français. Cet exercice, initialement pédagogique, a permis de mettre au jour les divers niveaux de résistance de ces textes composés, les uns en anglais standard ou dialectal, les autres dans l’un des dialectes écossais. La connaissance du lieu (une ville, un port, une montagne, une île, etc.) dans lequel s’inscrit un poème est indispensable à sa compréhension, permettant d’éviter des contresens.
La résistance linguistique réside dans la variété des dialectes de la langue écossaise. Les trois exemples qui suivent sont à prendre comme des échantillons.
Dialecte de Dundee : « Rabbie, Rabbie, Burning Bright. » de W.N. Herbert, Dundee Makar. « Sae thi daurkest deys o thi haill damn year / can dawn in yawns baith dreich an drear — / sae thi Taxman's axe is at wir ear / fur his Returns? / We Scots sall neither dreid nor fear / but read wir Burns. »
Dialecte d’Édimbourg : « Strictly street dancing » de Christine de Luca, Edinburgh Makar. « Bins lurk in starlit chill. / Fifteen tonners rev, / beams sweep tarmac. / Rotas are ticked, / men leap aboard, / double gloved, high vis'd. »
Dialecte de Glasgow : « The Man who wanted to hug cows » de Jim Carruth, Glasgow Makar. « To those who listen the farmer’s wife still recalls / finding him asleep in the grass – a smile within the herd; / his head resting on thick-haired warmth, / lulled by the rise and fall of maternal ribs, / the beat of a larger heart. »
Chacun des poèmes est monolingue et peut être traduit directement en français standard ; l’ensemble est multilingue, en l’occurrence soit en anglais, soit en écossais, soit en gaélique. Le lien entre tous ces poèmes est la scotticité en raison de leurs références.
La résistance parfois se loge dans la rhétorique : il s’agit de préserver la qualité du discours et la forme du poème en respectant la longueur des vers et les figures de rhétorique afin de traduire l’intention de l’auteur. La résistance du poème réside en fait dans les difficultés du traducteur causées par son déficit de formation dans le domaine de la rhétorique. La résistance des poèmes sélectionnés pour être traduits non vers un dialecte de France mais vers le français standard est étroitement liée à la langue d’origine. Si le poème est en gaélique, le traducteur peut se trouver dans l’incapacité totale de le comprendre, à l’instar de ce poème intitulé « Paquerettes » de Marcas Mac an TUAIRNEIR :
Cuiridh camhanach an là, / crith air na neòineanan / a dh’fhàsas an lios air / cùl an taighe. — L’aurore qui s’invite / fait frissonner les pâquerettes / qui poussent dans le jardin / derrière chez moi. (Strophe 1).
Si le poème est en écossais, selon le dialecte du sud, l’écossais des Marches (Borders) ou du nord, comme ce poème intitulé « Vérité » de Christie Williamson :
Da answer phone’s caald / unblinkin licht / accuses me o da crime / at darena spaek hit’s nem. — Sur le répondeur / une lumière fixe et froide / m’accuse du crime / de ne pas la confronter. (premiers vers),
le traducteur devra deviner le sens en fonction du contexte.
Si le poème est en anglais, le traducteur devra qualifier ce parler qui contient des mots anglais dont le sens diffère parfois grandement (anglais d’Écosse standard, anglais des Hautes-Terres de l’Écosse) de l’anglais britannique.
Le traducteur, bien au fait des différences notoires entre la scotticité, l’anglicité et la britannicité, se libère de toute tentation de classement des auteurs entre les grands poètes ou écrivains et les poètes ou écrivains mineurs. Si une distinction doit être faite, il parle de poèmes d’auteurs officiels (Makars) et d’auteurs spontanés : dans cette anthologie, la partie réservée aux Makars est mise en opposition avec une grande sélection de poètes plus ou moins connus et reconnus sans classement autre qu’alphabétique des titres de poèmes, scotticité oblige. Les auteurs et critiques écossais sont, depuis des lustres et non sans raisons, suspicieux de leurs collègues étrangers ignorants du concept de scotticité en général et des langues indigènes en particulier.
Cette partie de l’anthologie, intitulée « kaléidoscope », cherche à donner à percevoir quelques aspects de la scotticité en affirmant que cette sélection (réalisée avec le concours de l’Association des Études Littéraires Écossaises, ASLS, de l’université de Glasgow) de poèmes écossais de la période présente participe de la réinvention permanente de la nation écossaise dans la mesure où chaque poème contient une double charge d’émotion et de réflexion propre à faire surgir le latent et l’énigmatique derrière les mots, leurs rythmes et leurs sonorités. La résistance de chacun des poèmes dans l’une ou l’autre langue est vaincue par le traducteur lorsque le concept de résistance se livre spontanément au lecteur.
Traduire un texte multilingue
Cette étude explorant la traduction d’un texte multilingue est une illustration de l’approche critique « texte / contexte » formalisée par Peter Barry dans Literature in contexts. L’exploration du contexte vise à offrir une vision élargie des contextes et l’exploration du texte une vision affinée des mots.
Cette étude fait suite à des travaux antérieurs : dans « Le réalisme linguistique dans Waverley », l’objectif était d’attirer l’attention des critiques français sur la présence ambivalente des mots relevant de l’onomastique. L’intention chez l’auteur est double, visant à créer une couleur locale, en l’occurrence écossaise, et à ajouter un commentaire masqué. Dans « À l’horizon d’Aros — une lecture des coordonnées de My Lady of Aros de John Brandane », le contexte des textes dramatiques à venir s’élargit jusqu’à une œuvre de fiction du même auteur qui dessine un décor séduisant, violent et invitant à la nostalgie. L’enjeu principal du texte dramatique de The Glen is Mine a été exposé dans « De la loi sur la propriété à la comédie : le transfert de pouvoir dans The Glen is Mine ». Pour une première approche de la traduction de textes multilingues écossais, « Translating Scottish Literary Texts: A Linguistic Clover-Leaf » vise à attirer l’attention des critiques et auteurs écossais sur les choix qu’un traducteur doit faire pour que les textes de fiction puissent être appréciés des lecteurs étrangers. Enfin, l’« Étude sur The Spanish Galleon, de John Brandane (1921), drame archétypal écossais plurilingue » est une première esquisse de traduction de texte multilingue. Cette étude ambitionne d’aller plus avant dans un texte plus complexe en donnant un rôle à la phonologie du gaélique, de l’écossais et de l’anglais d’Écosse.
L’examen du contexte et du paratexte au service des enjeux du texte
Umberto Eco, dans Les limites de l’interprétation, a souligné le rôle des intentions de l’auteur présentes dans le texte et le traducteur ne saurait s’en libérer. L’auteur, John MacIntyre (1869-1947) a choisi le pseudonyme de John Brandane qui était le surnom donné aux natifs de l’île de Bute. Cette pratique courante a l’avantage de rappeler aux spectateurs l’importance des faux noms dans les textes de fiction.
Au retour de la Première Guerre mondiale où il avait servi ès qualités de médecin, John MacIntyre décida de s’adonner pleinement à son hobby : le théâtre. Avec des amis, il entreprit de faire renaître, sous le nom de The Scottish National Players, le Glasgow Repertory Theatre, qui avait été fondé en 1909 mais dissous en 1914 lorsque la quasi-totalité des acteurs s’étaient engagés dans les forces armées. Cette troupe nationale d’Écosse, née en 1920, devint bientôt la Société du théâtre national d’Écosse (Scottish National Theatre Society).
Les objectifs de la Société du théâtre national d’Écosse, fondée en 1922 pour gérer la troupe au niveau national, étaient de développer un répertoire écossais clairement distinct des pièces d’auteurs britanniques que des troupes anglaises venaient jouer en Écosse… Les thèmes devaient être spécifiquement écossais et les textes devaient prendre en considération les trois langues d’Écosse : le gaélique, l’écossais (Scots) et l’anglais. Le modèle était Campbell of Kilmhor de Fergusson dont les représentations furent vite interrompues à l’été 1914.
Pour créer quelques exemples et entraîner d’autres dramaturges dans cette aventure, Brandane écrivit quelques pièces courtes, pour la plupart en collaboration avec le dramaturge Alexander Yuill (1861-1929). De lui, on connaît des drames et des “ceilidh plays” (pièces avec chants et danses) : The Glen is Mine, The Lifting, Glenforsa, Heather Gentry, The Inn of adventure, Rory Aforesaid, Man of Uz, The Spanish Galleon, The Happy War. On remarque que Brandane, dans plusieurs de ses pièces, s’inspire du récit de son roman historique dont l’action se déroule sur l’île de Mull au dix-huitième siècle, My Lady of Aros (1910).
Ainsi, conformément aux directives de la Société du théâtre national d’Écosse, J. Brandane écrivit The Glen is Mine pour traiter du sujet de la propriété terrienne en Écosse en choisissant des personnages gaélophones, scottophones et anglophones. La pièce fut écrite en 1920-21, et mise en scène bien avant d’être publiée. La toute première publication, dont le texte a été trouvé dans la bibliothèque de l’Université de Glasgow, est un résumé de la pièce en trois actes publiée en 1925 par Constable de Londres sous le titre The Glen is Mine. Par ailleurs, le texte a été traduit en gaélique d’Écosse par T.S. Mac-a-Phearsain, jouée devant des publics gaélophones dès 1932 et publiée à Glasgow en 1935 par An Comunn Gàidhealach sous le titre ’S leam fhìn an Gleann. Le texte qui est l’objet de ce travail de traduction en français est une version courte antérieure à 1925.
Il faut rappeler que, en 1925, fut publié le roman de John Buchan, John Macnab, qui traite aussi du thème de la propriété terrienne et du droit de passage, mais différemment de la pièce de Brandane.
Le contexte géographique de The Glen is Mine est simplifié : l’île d’Aros est le nom métonymique pour l’île de Mull. En effet, Aros est le nom du district nord de Mull devenu archétypal dans l’œuvre de Brandane (voir My Lady of Aros). Mull est d’une part à une courte distance du comté d’Argyll (Earra-ghàidheal signifie la côte des Gaëls) et d’autre part contigu à l’île de Iona, qui est le cœur de la religion chrétienne (branche celtique). Mull est au centre de la culture celtique de l’Écosse qui partage la mythologie irlandaise. Cependant, l’étymologie du toponyme Aros est incertaine, son origine étant gaélique ou norroise : il peut s’agir de « l’embouchure de la rivière » ou de « la rivière de la péninsule ». Mais il est certain qu’Aros est un parophone d’Éros.
Aros est donc une réduction de la partie gaélophone de l’Écosse : la mer, que parcouraient les navettes postales, est présente ainsi que la friche (deer forest) qui est un espace non cultivé pour l’élevage extensif des cervidés (qui ont remplacé les moutons) destinés à être chassés à grands frais (représentant un intérêt économique) et qui sont des zones de ravage des cervidés en surnombre et, maintenant, du changement climatique. Au-dessus de la friche s’élève la montagne Ben Creach, toponyme à valeur satirique dans ce texte, car cette montagne doit être sacrifiée par l’exploitation minière conçue par le personnage de « Stockman » (trader à la City de Londres). Enfin, la forêt est symbolisée par le bois de « Coillemore », menacé de destruction.
Le contexte historique et politique concerne la propriété terrienne ou la terre confisquée au moment de la guerre d’indépendance irlandaise remportée par les indépendantistes d’Irlande. 1920 est en Écosse le début de la Renaissance écossaise dans les arts et la littérature.
Le sentiment chez les Écossais de Haute Écosse d’être colonisés depuis les guerres d’indépendance vis-à-vis de l’Angleterre remonte au Moyen-Âge où les rois écossais étaient souvent capturés pour être retenus à la cour d’Angleterre : le roi David I a vécu en Angleterre entre 1093 et 1124 avant de pouvoir monter sur le trône d’Écosse jusqu’en 1153. Dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, la promiscuité des soldats écossais avec les soldats de l’Empire a ravivé le sentiment de colonisation chez les gaélophones. Malgré le développement de l’Empire britannique auquel les Écossais étaient associés, les Écossais de Haute Écosse constataient que, après la confiscation sous une forme ou l’autre de leurs terres par les lairds anglophones, leurs langues indigènes, le gaélique et l’écossais (Scots) étaient menacées de disparition au profit de l’anglais d’Angleterre. Le sentiment de colonisation subie par les Écossais n’a pas disparu au 21e siècle, malgré la réouverture du parlement de l’Écosse au 1er juillet 1999, car les Écossais se savent entièrement dépendants des choix politiques des Anglais. La mésaventure du Brexit est très mal vécue en Écosse.
La loi sur la location de terres aux fermiers de 1886 est le moteur de l’action : les bouleversements politiques et démographiques consécutifs à la catastrophe du soulèvement de 1745 mené par le prince Charles Stuart (dit Bonnie Prince Charlie) jusqu’au champ de bataille de Culloden (avril 1746) ont mis au jour les créations de grandes propriétés terriennes aux dépens des autochtones : les hommes n’appartenaient plus à la terre, mais la terre appartenait désormais aux hommes liés au pouvoir politique. Ces nouveaux « nobles » remplaçant les anciens chefs de clan sont devenus des emblèmes de cupidité : l’appât du gain et du profit rapide et risqué. Dans ce nouveau contexte d’économie libérale, les hommes et les femmes avaient très peu de valeur, contrairement aux titres de propriété et aux actions à jouer en Bourse. Suite aux conséquences de la Grande Famine de 1845-1850 en Irlande et dans l’ouest écossais, les paysans ont protesté tant et si bien que le Parlement de Westminster a voté une loi, The Crofters’ Holding Act (1886), moins pour protéger les petits fermiers que pour leur permettre de subsister sans qu’il soit indispensable de les aider financièrement à continuer à produire de la nourriture. La question de la propriété terrienne a trouvé des réponses après la restauration du parlement d’Écosse.
Le contexte linguistique perdure : le territoire écossais, depuis une quinzaine de siècles, se partage entre scottophones, descendants d’envahisseurs (les Angles) venus de l’ancienne Germanie, et gaélophones, descendants d’envahisseurs venus de l’Irlande voisine. Gaélophones et scottophones ont chacun développé une vision du monde différente même si leurs cultures ont subi les influences communes du latin, du scandinave et du français. Au début du 20e siècle, sur le territoire écossais, cohabitaient deux langues germaniques, dont l’anglais en progression et l’écossais en érosion, ainsi qu’une langue celtique, le gaélique, émancipée de l’irlandais depuis longtemps, et en régression. Cette caractéristique écossaise perdure au 21e siècle.
Après la Première Guerre mondiale, au moment où John Brandane écrivait ses pièces de théâtre, l’écossais allait vivre une renaissance enthousiaste dans les arts mais qui fut interrompue par les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale. Le gaélique allait bénéficier du regain du gaélique en Irlande suite à la guerre d’indépendance de 1919 à 1921.
Depuis un siècle déjà, dans les textes littéraires, ces trois langues apparaissent librement, soit dans les dialogues soit dans les toponymes et patronymes, ou bien encore dans des citations. Dans The Glen is Mine, dont l’action se déroule au cœur du « Gàidhealtachd » (ou Gaélie), le gaélique s’entend dans les toponymes locaux (Ardshielach, Coillemore, Torlochan, etc.) et se perçoit dans les répliques des personnages gaélophones qui, afin de permettre à tous les spectateurs de comprendre la pièce, s’expriment en anglais local saturé de « gaëlanglais », appelé anglais des Hautes-Terres ou « Highland English » (exemple de réplique en traduction littérale : « She's the fine daughter to me, is Morag. : C’est une chic fille que j’ai, ma Morag »). L’écossais s’entend dans les répliques des deux personnages venus du sud-ouest de l’Écosse, plus précisément de la région de Ayr : « Canny noo. / Ye'll wait till ye're up at yer ain hoose then—fower miles awa'. Ye'll dae nae piping here. » L’écossais qui se
lit dans les didascalies est du dialecte glasvégien : « She is a sturdy, steerin', sharp-tongued woman of fifty, with high colour and high cheek-bones, gat-toothed. »
Je fais mienne l’idée qu’Umberto Eco exprime dans Les Limites de l’interprétation selon laquelle l'interprétation s’appuie sur une triple compréhension correcte du texte : l’intention de l’auteur, l’intention du texte, l’intention du lecteur/auditeur/spectateur. Concernant The Glen is Mine qui a été écrit, joué et amendé quasi simultanément, l’intention de Brandane de produire un script qui inclue les trois langues d’Écosse est manifeste, mais inévitablement contrarié par le souci de la réception par des spectateurs ne pratiquant pas les trois langues.
Le texte de The Glen is Mine dont la version complète en anglais et en écossais est en trois actes est daté de 1925. La traduction en gaélique de 1935 montre un texte correspondant à la version de 1925 où tous les personnages donnés dans la liste ont un rôle. Le texte qui est l’objet de cette étude et dont la publication est antérieure à 1925 (1922 ou 1923) est manifestement réduit à l’essentiel au point de faire figure de la fable qui sous-tend le récit.
On pourrait avancer que cette version courte révèle quelques défauts d’édition : le texte est annoncé comme une comédie en 3 actes. Mais le tapuscrit n’en fait pas mention. Pour en faciliter la gestion, le traducteur l’a subdivisé en 12 scènes. Les personnages de Stockman, Dugald MacPhedran, Mrs MacAllister, Mrs Duncan, et du régisseur sont des personnages–types propres à alimenter le drame ou la comédie mais absents lors de l’édition. On imagine la possibilité d’ajouter d’une scène finale qui se passerait dans le pub de l’hôtel de Torlochan pour créer une pièce « ceilidh play » (pron. Kéli), comédie avec chants et danses ou comédie sociale populaire avec musique, chants et danses. En fait, la totalité des personnages est présente dans les versions complètes en anglais et écossais (1925) ainsi qu’en gaélique (1935).
The Glen is Mine est présenté comme une comédie : à l’évidence, un mariage est annoncé et les méchants sont punis. Mais il s’agit d’une comédie aigre-douce puisque, au moment où le rideau tombe, tout le monde est perdant et la jeune génération revendique le droit à l’éducation : est-ce à dire que les temps changent après la Première Guerre mondiale ?
Dans la version longue définitive, tant dans sa version anglo-écossaise que dans sa version gaélique, le texte est une comédie signalée par le mariage annoncé des deux amoureux et par la victoire du camp du droit ; dans la version courte, qui est celle à l’étude, il s’agit d’une comédie dramatique. Il existe en effet un conflit entre anglophones et gaélophones ; la victoire du héros gaélophone n’est pas définitive et le conflit est susceptible de surgir à nouveau, et l’histoire du 20e siècle en a montré la triste réalité. Le mariage envisagé par le couple de jeunes amants est loin d’être sûr à cause du conflit entre le clan conservateur et le clan progressiste. Le personnage de Mrs Galletly, scottophone, est dramatique dans sa nature de femme de colonisateur et comique dans sa fonction de femme sans instruction dans un contexte social gaélophone qu’elle ne maîtrise pas. Les coups de théâtre sont pourvus par le tandem père-fils de « lairds », ou propriétaires terriens. L’humour est généré par les conflits entre Angus, le héros gaélophone matois comme peuvent l’être les paysans qui ne paient pas de mine, et, d’une part, sa logeuse du moment, championne à son insu des colonisateurs scottophones, et ensuite, d’autre part, le nouveau propriétaire terrien avide de profitabilité.
L’équilibre fragile entre le drame et la comédie est satirique des conflits sociaux et politiques, ce qui illustre la scotticité du texte ; en effet, le spectateur peut imaginer spontanément qu’une comédie dramatique anglaise mettrait en conflit des personnages de la classe moyenne qui est absente dans ce texte au contexte bien spécifique illustré par l’onomastique.
Une stratégie de traduction dérivée de la compréhension et de l’interprétation du texte
Il s’agit de transmettre un savoir spécifique contenu dans une pièce de théâtre, édifier le citoyen et distraire le spectateur. Les spectateurs locaux, de l’île de Mull, alias Aros, peuvent imaginer que le village de Torlochan est construit sur le modèle bien réel de la bourgade de Craignure, petit port ouvert sur l’Écosse métropolitaine très proche. Mais cette précision n’est en rien indispensable, excepté le fait qu’elle peut augmenter la force de l’émotion suscitée par l’humour.
L’onomastique de fiction est au service du comique : Torlochan offre un oxymore, Ben Creach est un parophone de Creag, etc. Faut-il traduire les éléments d’onomastique ? Ne pas le faire revient à empêcher le spectateur étranger de comprendre la valeur de ces éléments. Faut-il laisser l’élément tel quel et ajouter une note explicative ? C’est alors laisser le lecteur, l’acteur et le spectateur devant une prononciation énigmatique : Torlochan [torloxan], Ben Creach [pen krex]... Ne pas évacuer le caractère écossais est un choix politique.
Traduire l’onomastique
L’onomastique se compose de deux branches : la toponymie et la patronymie. Dans le récit de The Glen Is Mine on trouve peu de toponymes, mais ils sont tous significatifs : Torlochan est le hameau de bord de mer avec son port fréquenté par les ferrys, son hôtel et son « pub » : « tor / torr » signifie une montagne pointue et « lochan » un petit lac ; ce qui offre une possibilité d’oxymore. Ardsheileach se compose de « àrd » qui signifie en altitude, Sheil est un emprunt probable au Loch Sheil d’un district voisin, et « ach » est une marque d’adjectivation : il s’agit du nom de la ferme que les Gellatly ont acquise sur les collines d’Aros, au milieu de la friche que possèdent les Murray, le patronyme du laird. Coillemore se compose de « coille », une forêt, un bois, et de « more » qui est un adjectif banal signifiant grand : c’est là que se trouve la chaumière, « croft », d’Angus et de Morag : elle est plus en altitude que Ardshielach mais elle en dépend. Enfin, Ben Creach est le nom de la montagne d’Aros mais « creach » est un parophone ironique de « creag » : « creag » signifie la roche, mais « creach » signifie le pillage, le butin, la ruine. Et tout près de là se trouve « the larach(s) » qui signifie le village en ruine, vestige des expulsions de petits fermiers par les grands propriétaires terriens installés par le pouvoir politique ; le colonel Murray en est, bien malgré lui, le descendant.
Une solution semble s’imposer au traducteur : « Àrdsheilach » [artʃiləx] peut s’adapter à la phonologie française en devenant « Ardchilar ». Et le traducteur peut joindre en note de bas de page une explication à valeur historique et politique : Àrdsheilach est emprunté à Ardshealach qui se situe à la pointe sud du loch et du glen Shiel. Glen Shiel est le lieu historique de la bataille de Glen Shiel de 1719 entre les Jacobites (alliés aux Espagnols) et l’armée britannique qui fut victorieuse. On peut aussi entendre un rapprochement entre Shiel et « shielings » car les shielings sont des habitations rustiques, construites généralement en altitude. Le traducteur peut se réclamer du modèle scottien qui consiste à expliciter le toponyme non traduit. Ainsi, pour adapter les toponymes à la phonologie française, Torlochan peut-il devenir « Torlorrane », Coillemore (le grand bois) « Keulieumor » (ce nom phonétique crée une homophonie entre « more » et « mort » qui n’est en rien gênante) ; quant à « Eilean Aros », il peut se transformer en « Élane Arosse » ou « île d’Aros », et l’on peut confier à un personnage le soin de produire la fusion Aros / Éros. Enfin, « Ben Creach » devient « Ben Krèrr » et « larachs » devient « Lararse ».
Traduire les patronymes
Pour ce qui concerne les patronymes, Galletly, Angus, Morag, Murray ne nécessitent pas de modification ; mais Murdo peut s’adapter en « Meurdo », et Morrison en Morrisson ; Stockman va se traduire par « Trèdeur / Letrèdeur ». Quant à Jock, pendant écossais de l’anglais Jack, il n’y a pas lieu de le traduire par Jean ou Jeannot qui ont, en français, des références culturelles très différentes de « Jock », mais une note explicative se justifie pleinement. Le patronyme MacKay peut s’adapter en « MacKaille », phonologie oblige. Le lecteur ou spectateur francophone entend « ma caille », mais le rire, ici, n’est pas destructeur pour le personnage amoureux.
On distingue deux groupes de personnages : d’une part, les personnages-types de la comédie écossaise tels que le docteur, le trèdeur, le régisseur, le laird, le marchand, la fille nubile, le Colonel. Le pasteur presbytérien, absent ici, est remplacé par Mme Galletly, la paroissienne qui a réponse à tout ; d’autre part, les personnages au nom particulier : Galletly, Morrison, Charlie, Angus… Dans la situation où des personnages sont annoncés mais n’apparaissent pas, le cas du « trader », Stockman, venu de Londres, ne doit-il pas être introduit pour la seule raison qu’il a un accent anglais de Londres qui ferait office de mise en valeur des accents de Charlie et du colonel ?
Le personnage de « Redfern » est cité mais il n’est pas présent sur scène. Charlie dit de lui : « Redfern offers good money. » Le spectateur averti sait que ce patronyme ne signifie pas « fougère rouge » mais bien le suborneur ou l’embobineur puisque le nom évoque l’arnaque ou la corruption. « Redfern » peut ainsi se traduire non par « Fougérouge » mais par « Lembobineur » et le traducteur peut éventuellement ajouter une note explicative, avec l’accord de l’éditeur.
Le personnage de Jock Galletly est un cas intéressant puisqu’il s’agit d’un prénom écossais de comédie et d’un patronyme anglais. Jock en écossais est l’équivalent de Jack en anglais et de Seoc [ʃɔk] en gaélique. Jock est un surnom chargé de dérision imposé aux soldats écossais de l’armée britannique. C’est un prénom typique de l’Écosse et une note explicative semble s’imposer puisqu’un « Jock » désigne un individu qui a beaucoup de muscles mais peu de neurones, ce qui correspond à son discours dans le texte. Le fait que Jock ait un patronyme anglais rend sa position délicate. En bref, l’auteur, John Brandane, semble avoir rencontré dans son hôpital de campagne en France un jeune médecin anglais du nom de Galletly. Jock Galletly serait-il une plaisanterie, peut-être amicale, liée à ce fait ? On note aussi que les quatre premières lettres de Galletly forment « gall » qui est un adjectif gaélique signifiant « étranger ». Le traducteur peut modifier Jock Galletly en « Choc Galletly » pour gaéliciser le prénom adapté à la phonologie française et transférer le sarcasme sur le patronyme anglais. Il paraît alors nécessaire d’ajouter une note explicative.
Jock / Choc Galletly et son épouse sont venus du comté d’Ayrshire, dans le sud-ouest de l’Écosse qui était le berceau des Covenantaires, extrémistes presbytériens, antipapistes notoires et scottophones revendicatifs. Ils se sont installés dans une ferme à vendre à Aros / Mull. Le couple illustre un phénomène historique et fait office de colonisateurs, sujet hautement polémique. Mme Galletly n’a pas de prénom, ce qui lui retire son humanité. Ce personnage représente les calvinistes anti-gaëls (surtout s’ils sont catholiques) et les scottophones anti gaélophones (surtout s’ils jouent de la cornemuse). C’est cependant un faux dragon dénué d’humanité car elle prend soin d’Angus qui s’est blessé en travaillant pour sa ferme. Elle n’est pas intégrée dans le contexte social et linguistique d’Aros et commet des gaffes pour le grand plaisir des spectateurs.
Angus Mackinnon est un petit fermier du laird qui fait aussi des petits travaux pour les propriétaires de la ferme d’Ardsheilach ; Angus habite à Coillemore, mais cet alcoolique notoire loge provisoirement à la grande ferme. Angus est gaélophone, son prénom gaélique est « Aonghas », qui se traduit par Aeneas ou Énée. Son patronyme, Mackinnon, vient du gaélique MacFhiongain (dont la forme adjectivée est Fingalach, dérivé de Fingal qui le réfère aux travaux d’Ossian et aux légendes celtiques communes à l’Irlande et à l’Écosse). Angus appartient à la mythologie celtique (au chapitre 11, Murdo s’exclame : « It's like a romance of the Feinne, Fingalians, man! »). Murdo MacKay, en gaélique Murchadh Mac Aoidh, possède un nom approprié à sa fonction de futur gendre d’Angus puisque « aoidh » a le sens de gaieté et celui de visiteur. Le traducteur de ce texte insérera une note explicative à l’intention de ses lecteurs (et metteurs en scène) et traduira les propos de Murdo en accord avec la nature du personnage.
Ainsi, le tandem Angus et Mme Galletly ne peut fonctionner que sur le mode de l’entente impossible, des escarmouches incessantes, du mépris de Mme Galletly envers Angus. Mais ce dernier, malgré son addiction au whisky, est capable d’expliquer à sa logeuse les causes et l’évolution du tandem formé par le Colonel et le Capitaine et de contrer légalement la conduite inacceptable du capitaine Charlie.
Le Colonel Murray, de l’armée britannique, est un notable local qualifié de laird. C’est l’héritier de la transformation britannique des traditions locales celtiques. C’est un anglophone d’origine écossaise (Murray vient de Moireach). Sa langue est identifiée comme anglais dit des Hautes-Terres. Son fils, Charlie, a dû servir pendant la Première Guerre mondiale, mais il a un comportement de colon envers les gens d’Aros. Son prénom banal, Charlie qui est le diminutif affectif de Charles, rappelle fâcheusement en Écosse le fameux égoïste Bonnie Prince Charlie, alias Charles Stewart, qui est la cause première du désastre de la bataille de Culloden (1746) et de ses conséquences toujours douloureuses en 1920.
Le Docteur Morrison est le médecin d’Aros, à l’image de l’auteur du texte. Il bénéficie d’un point de vue avantageux sur la société d’Aros.
Cependant, il reste quatre personnages absents mais cités dans la liste des personnages : Mrs. MacAllister est une fermière au caractère probablement bien trempé si l’on se fie à la devise de son clan : « audace » ; Mrs. Duncan, (du gaélique « dun », brun, et « can » ou « ceann », tête), est une Celte brune qui rappelle la tragédie de Macbeth. Dugald MacPhedran, le commerçant du village porte un nom biblique, Pierre, qui suscite les soupçons : Mac Pheadrain serait-il le fils de (saint) Pierre, celui qui aurait renié trois fois le Christ ?
Quant au quatrième personnage, Stockman, il n’est autre que l’expert qui travaille à la Bourse de Londres, son nom pouvant se traduire par Letrèdeur. Il est venu à Aros à la demande de Charlie mais il ne connaît rien de la société d’Aros. Dans le texte, on sait qu’il travaille à l’estimation d’Aros pour Charlie, mais il n’apparaît pas sur scène. Il est tentant de réintroduire Letrèdeur pour lui faire dire quelques phrases dans un anglais de Londres, excellent contrepoint à l’anglais de la Haute Écosse.
Enfin, le traducteur se trouve devant un personnage présent sur scène dont la voix est récurrente dans la performance : la cornemuse et son langage qui est la mélodie de « The Glen is Mine ». Sa présence et son discours n’offrent pas de possibilité de jeu sur le mot anglais « mine » puisque le titre réel est « ’S leam fhin an Gleann », (elle est à moi, cette vallée). Quoi qu’il en soit, la cornemuse et sa musique hantent la scène depuis l’ouverture du rideau. En effet, la cornemuse d’Angus est un objet de discorde entre Angus et sa logeuse : Angus a une côte cassée qui gêne sa respiration quand il veut souffler dans sa cornemuse. Le traducteur peut insérer une didascalie en tout début de récit indiquant que les tentatives de faire vivre l’instrument ont pour effet de faire tousser Angus : l’effet comique sur une réalité dramatique amènera rapidement le spectateur francophone à prendre conscience que la cornemuse est un personnage à part entière.
Traduire le paratexte
Les noms des personnages ont la particularité d’être dans le paratexte et dans le texte et ils sont traduisibles s’ils renvoient à des fonctions, comme Letrèdeur ou le Docteur. La graphie des noms propres qui relèvent de la scotticité (Murdo/Meurdo ; Murray ; Charlie, Jock/ Choc) peut s’adapter à la phonologie du français, ce qui a l’avantage d’aider tout à la fois les lecteurs et les acteurs.
Traduire le titre de la pièce répond à d’autres critères. The Glen is Mine présente un jeu sur le mot « mine » qui exprime deux idées très éloignées : la possession et l’extraction de minerai. « Cette vallée est à moi » occulte le mot « mine » et « Cette vallée est une mine » fait perdre la notion de possession. La rhétorique semble impuissante à faire fusionner l’extraction et la possession.
Puisque la pièce possède un héros, Angus, et comporte une île mythique, Aros, il est possible de composer un titre avec ces deux éléments et de les relier avec la notion de héros : « Angus, le héros d’Aros ». Le titre de la partition ’S leam fhein an Gleann fournit à la fois la notion de vallée et la présence indispensable de la cornemuse qui sont reliées par l’écho de la vallée ou du val. Le nom d’Angus n’est alors plus indispensable car il se fond dans le concept de héros : « Le héros du Val d’Aros » suggère une possibilité d’épanadiplose. Apparaît alors un lien vraisemblable entre parophonie et écho de la vallée car on sait que pendant des centaines de générations la cornemuse a servi de transmetteur de messages d’une vallée à l’autre.
L’élément « mine » a été perdu dans la reconstruction du titre, mais il peut être repris dans le corps du texte en jouant sur le mot « mine » au sens de visage, notamment celui du convalescent, et au sens d’extraction de minerai. La répartition et les variations de « mine » dans Le héros du Val d’Aros deviennent une affaire de choix et de responsabilité du traducteur.
Les didascalies doivent être traduites car elles sont conçues pour guider la mise en scène. Dans cette pièce, elles sont écrites en anglais d’Écosse. Le Scottish Standard English étant censé être à l’égal de l’anglais standard, la traduction doit se faire en français standard. Mais la didascalie qui présente le personnage de Mme Galletly montre des écarts par rapport à l’écossais standard : MRS. GALLETLY—a typical Ayrshire farmer's wife—enters from main door. She is a sturdy, steerin', sharp-tongued woman of fifty, with high colour and high cheek-bones, gat toothed. On ne sait si « steerin’ (très affairée) » et « gat-toothed » (partiellement édentée), qui ne relèvent pas de l’écossais standard mais vraisemblablement du glasvégien, sont un acte de rébellion contre l’anglais standard ou témoignent de l’humour écossais. Dans la même didascalie on trouve le mot drugget skirt signifiant une jupe de laine bas de gamme. Malgré la portée désuète des didascalies, il convient de traduire l’ensemble en français standard.
Comme les notes explicatives n’appartiennent pas au texte mais sont le fait soit de l’auteur, comme l’a souvent fait Walter Scott (ironie romantique scottienne), soit du traducteur, soit encore de l’éditeur, elles sont écrites en français standard. À titre d’exemple, lorsque Angus ramasse sa cornemuse que vient de lui jeter Mme Galletly, excédée, Angus la provoque : « Attends voir ! Je m’en vais te jouer une de ces belles mélodies un de ces jours : « Le Château de Donnan » ou… « Louange à Marie » ou… tiens ! « Cette vallée, c’est la mienne ». On notera que les titres cités sont une provocation pour Mme Galletly qui n’est pas catholique : « Le château de Donnan » (Castle Donnan : Eilean Donan tire vraisemblablement son nom d’un évêque irlandais arrivé en Écosse vers 580. Il y évangélisa la population celte jusqu’en 618. Une communauté religieuse fut fondée sur Eilean Donan à la fin du VIIe siècle.), « Louange à Marie » (The Praise of Mary : Marie, mère de Jésus, est célébrée surtout chez les catholiques). « Cette vallée, c’est la mienne » (The Glen is Mine — ’S leam fhein an Gleann) est une référence à la loi sur la protection des petits fermiers de 1886 ; les Galletly, venus du sud scottophone sont considérés par les gaélophones comme des colonisateurs venus prendre leurs terres et leur imposer le calvinisme.
Une autre forme de note est à négocier avec l’éditeur : Note sur l’évocation du titre « The Praise of Mary » / « Louanges à Marie » qui est une provocation de la part d’Angus — on déduit qu’il est catholique, héritage des missionnaires irlandais — envers Mme Galletly, dont on comprend vite qu’elle est calviniste : elle traite Angus de païen (Sc.1) :
« Mrs. GALLETLY : It's the Loard's mercy ye hadna twa legs broken, ye heathen!
(Mme Galletly : C’est grâce à la clémence divine que t’as pas eu deux jambes cassées, espèce de païen !)
Une introduction générale à l’intention des lecteurs et des metteurs en scène, voire des spectateurs est envisageable selon le choix de l’éditeur.
Traduire les répliques des personnages
La traduction doit tenir compte des éléments qui relèvent de la scotticité, donc du multilinguisme : Angus est un petit fermier gaélophone qui s’exprime en anglais des Hautes Terres (Highland English) pour être compréhensible par les spectateurs non gaélophones. Beaucoup de ses phrases sont des traductions littérales du gaélique : « Och, I'm wishing I was home » combine une structure gaélique (I’m wishing : en gaélique le temps présent ne s’exprime qu’à l’aspect progressif) avec une structure anglaise (wishing I was home). « She's the fine daughter to me, is Morag » est une structure gaélique traduisant quasiment littéralement une expression idiomatique : « C’est une chic fille à moi, Morag. » Morag possède un registre identique à celui de son père. La langue de Murdo, bien que gaélophone lui aussi, relève d’un autre niveau d’anglais des Hautes-Terres, plus proche de l’anglais standard.
Les Galletly s’expriment en écossais, plus précisément dans le dialecte du sud-ouest (Ayrshire). Il n’est plus de mise de confondre la langue écossaise, dans l’un ou l’autre de ses dialectes, avec du « mauvais anglais », ce qui a été pendant des générations, depuis le Moyen Âge, une façon de nier l’existence de cette langue.
Le colonel Murray, qui a pu prendre part à la guerre de 14-18 en tant que militaire de carrière, s’exprime dans l’anglais des Hautes-Terres, très proche de l’anglais dit standard. On pourrait aller jusqu’à le qualifier de « Scottish Standard English ». Murray a le comportement d’un laird traditionnel. Son fils, le capitaine Charlie, s’exprime en anglais standard. Comme son père, il est britannique.
Le docteur Morrison est polyglotte. Il pratique l’anglais, l’écossais et le gaélique ; cent ans après l’écriture de la pièce, on pourrait avancer que le docteur Morrison pratique le gaélique de la côte ouest, l’écossais de la région de Strathclyde et l’anglais SSE. Il s’adapte au parler de chacun de ses patients et reste économe dans son discours en usant de phrases simples.
Comme on l’a vu plus haut à propos de la traduction du titre, la polysémie du mot « mine » se décline dans le texte de la manière suivante : avoir bonne ou mauvaise mine, mine de rien, payer de mine, faire mine de, faire bonne mine, faire des mines, etc. Sa répétition fait partie de la comédie générée par le texte et la performance.
Traduire les répliques des personnages gaélophones
Les personnages gaélophones s’expriment dans une forme d’anglais très différente de l’anglais standard, chaque phrase spontanée étant une traduction quasiment littérale de la phrase équivalente en gaélique. Leur discours intelligible par des spectateurs non gaélophones conserve une forte identité gaélique. Ainsi, le spectateur est placé dans une situation de trilinguisme aussi proche de la réalité qu’il est possible. Le réalisme est préservé.
Les répliques d’Angus et de Morag sont construites sur des structures courantes en gaélique : « Is e nighean mhath a tha ann an Morag » (littéralement : C’est une fille chic qui est dans Morag) est rendue dans la bouche d’Angus par « She's the fine daughter to me, is Morag ». Et se traduit par « C’est une chic fille que j’ai là, ma Morag. » On trouve là un tic de langage qui est à reproduire tout au long du texte.
Le personnage de Meurdo, à qui Angus dit : « Tu dois être tout mouillé et frigorifié après le trajet jusqu’ici », répond : « I am that. » Alors qu’un anglophone aurait répondu spontanément « (Yes) I am », la traduction anglaise souligne la forme emphatique de « that » : « C’est bien ce que je suis. »
À propos de Meurdo qui rêve d’aller à l’université pour devenir chimiste, Morag dit : « …it's crazed he is already with his chemistry. ». On trouve ici une variante de la première expression idiomatique. La traduction peut être : « C’est sa folie qui le fait parler de chimie ».
Et dans le contexte de la conversation, Morag s’écrie : « … parce que Meurdo MacKaille, il est déjà fou quand il parle de chimie et… »
Au capitaine Charlie qui vient de railler l’accent d’Angus qui disait « conseedering » au lieu de « considering » Angus rétorque par un sarcasme : « The Captain will be having his little joke! ». Dans une traduction littérale de la structure gaélique du présent d’habitude avec l’aspect progressif on pourrait entendre : « Le capitaine tient toujours à se faire une petite plaisanterie ».
Pour la graphie, on peut s’aider de points de prononciation de l’accent gaël. Contrairement à l’anglais qui organise la phrase autour de syllabes accentuées, l’Écossais gaélophone et scottophone s’exprimant en anglais ne place pas un accent tonique sur la syllabe concernée mais allonge cette syllabe, à la manière d’Angus : « conseedering » au lieu de « considering ». Le traducteur pourra alors redoubler quelques voyelles (aa, ii, éé, ee) pour parodier l’accent d’un gaélophone ou d’un scottophone. Angus pourrait ainsi rétorquer au capitaine Charlie : « Le caapitaine tient toujours à se faire une petite pléésanterie. »
Chez le gaélophone il y a très peu d’écart entre les consonnes occlusives sourdes et voisées : ‘b’ et ‘p’ peuvent se transcrire ‘p’ ; ‘d’ et ‘t’ se transcrivent ‘t’ ; ‘g’ et ‘k’ se transcrivent ‘k’. « Och, but you're bitter, Morag. » peut se rendre par : « Orr’, qu’est-ce que tu es tuure, ma Morag. »
Le digraphe ‘ch’, comme dans « loch », est très proche du ‘R’ français comme dans ‘terre’ ; la prononciation ‘k’ est révélatrice d’un locuteur anglophone. Dans le toponyme Torlochan, le ‘ch’ se transcrit ‘k’ pour un anglophone et ‘rr’ pour un gaélophone et pour un scottophone dans la plupart des cas : Torlorrane.
En gaélique, les nasales (on, an…) sont un son partagé avec le français. On veillera à nasaliser plus fortement les voyelles en redoublant le ‘n’ :… : « …je me dis que le Benn Krèrr va être étrannge quand la bruyèère sera paartie… », ou encore « Le Colonnel n’est plus le lèèrd ici. » Le traducteur aura à choisir les syllabes qui seront modifiées.
Le gaélique est une langue chuintante, mais il importe d’éviter toute confusion avec l’accent auvergnat. Ce qui donne au gaélique d’Écosse une forte impression de langue chuintante et sibilante est le phénomène de palatalisation dans les consonnes fricatives et occlusives.
On ne peut pas mélanger à la graphie usuelle des signes de l’Alphabet phonétique international. Dans le texte, la voyelle du mot « juist » est prononcée comme le français « juste ». « Juist » est déjà une traduction de l’anglais « just » sur laquelle on greffe l’accent gaélophone, soit le ‘ch’ pour le chuintement non voisé (chuchte) et le ‘yeu’ pour le son /t/ palatalisé ; le trigraphe ‘yeu’ rappelle visuellement ‘yeux’ sans perturber le sens. Ainsi, le « juist » du gaélophone peut se transcrire par « chuchtyeu » (dans « juist », le ‘j’ est réalisé en /ch/ ; le ‘u’ est réalisé comme le ‘u’ français ; le ‘i’ transforme le ‘s’ en /ch/ et le ‘t’ en /tj/ réalisé « tyeu »). C’est un point délicat qu’il faut travailler avec des acteurs pour s’assurer qu’ils peuvent s’habituer à la présence inopinée de cet ajout ‘yeu’ dans l’écriture. La théorie doit s’accommoder de la pratique par souci de réalisme.
En phonétique, la svarabhakti, qui est l’insertion inattendue d’un son vocalique neutre entre deux consonnes, se pratique fréquemment : à titre d’exemple, « film » se prononcerait ‘filem’ ou ‘filim’ ; « section » se prononcerait ‘sèkesion’. La fréquence de ce phénomène en gaélique autorise le traducteur à en faire usage : « …tu ne parelais pas de tout l’aregent qu’il y avait dans la colline ? » ; « Et ces fous d’Irelandais et ces cons d’Annguelais ne vont pas se saouler et… ». L’emploi de la svarabhakti en français est sujet à caution dans la mesure où elle ferait naître un « accent du Midi » loin d’être adéquat.
La répétition d’un mot possède une valeur d’emphase : de ‘math’ (bon), on passe à ‘math, math’ (très bon). « Whatever are you at, at all, at all? » peut se traduire littéralement par « Mais, vraiment, vraiment, qu’est-ce que tu racontes ? » Ici le traducteur devra s’assurer que ce redoublement ne s’applique qu’aux personnages gaélophones de manière à s’intégrer au faisceau de caractérisations des personnages de ce groupe linguistique.
De tous ces cas, non exhaustifs, qui illustrent les caractéristiques de la langue gaélique, il appartient au traducteur de faire un usage judicieux afin de préserver la cohérence du texte.
Traduire les répliques des personnages scottophones
La langue écossaise n’a pas de dialecte de référence comme l’a pu être le « RP English » en son temps. Les linguistes écossais n’ont pas encore trouvé de dialecte commun à tous les dialectes, shetlandais, dorique, glasvégien, « Lothian » (il n’y a pas encore de traduction pour ce terme) ou l’écossais des Marches (Borders). La tentative de Hugh MacDiarmid au vingtième siècle de fonder le « Lallans », destiné à devenir la langue des Basses Terres du centre, de la côte-est et du sud de l’Écosse, a rapidement tourné court. Aussi le vocabulaire est-il très riche de ses variantes et les accents déconcertants pour les non-Écossais. Dans le texte The Glen is Mine nous en trouvons quelques échantillons : lippen (compter sur) ; canny noo (vas-y doucement) ; bothy (buron, dans les fermes, ou hutte pour les ouvriers agricoles).
On note que le digraphe ‘ui’ se prononce /u/ : « guid » signifie « bon » et se prononce comme ‘gude’. On peut exploiter le son /u/ dans les répliques.
La langue écossaise étant d’origine germanique, l’accent des scottophones possède quelques rares traits communs avec l’accent alsacien, mais il est aisé d’éviter toute confusion malencontreuse. La tendance à réduire des occlusives voisées à des occlusives sourdes n’est pas systématique : « Pour ça il te faudra attendre d’être pien rentré chez toi ». Transformer le ‘b’ en ‘p’ du mot « bien » permet de reproduire une emphase sur « bien ». De même, dans les syllabes accentuées en anglais, la voyelle est moins appuyée et légèrement plus allongée : « C’est grâce à la cléémence divine que… ». Peut-être faudra-t-il, en présence d’un scottophone, d’un gaélophone, et éventuellement d’un anglophone, moduler l’allongement des voyelles.
En revanche, les diphtongues anglaises, qui sont une des richesses de cette langue, ne se retrouvent pas en écossais. La graphie est conforme à la prononciation : « out » en anglais correspond à « oot » en écossais, et « down » à « doon ».
Depuis deux ou trois générations, l’usage de l’apostrophe destinée à marquer une élision est abolie en écossais : ce qui s’écrivait o’, wi’, no’, ha’e (correspondant à l’anglais of, with, not, have) s’écrit désormais o, wi, no, hae. La raison de cette évolution est qu’il n’est plus tolérable d’entendre un Anglais décomplexé donner des leçons de bonne prononciation anglaise à des scottophones qui s’expriment en langue écossaise.
En observant le trapèze de la cavité buccale cher aux étudiants de la langue anglaise pour représenter le placement des sons vocaliques, on note que les sons vocaliques écossais sont plus centraux que leurs équivalents anglais. Ainsi, au lieu du « you » anglais on entend le plus souvent « ye » ; « do », écrit « dae » se prononce ‘dé’ ; « home » s’écrit « hame » (/he:m/) ; pour « own », écrit « ain », on entend ‘één’ ; pour « had not », écrit « hadna », on entend ‘hédné. On peut poser comme principe que plus le dialecte écossais se situe vers le nord, jusqu’au shetlandais, plus l’influence du norrois se fait sentir.
Traduire les interjections
« Och ! » est devenu un terme commun aux gaélophones et aux scottophones : « Och » signifie « Oh ». Comme le ‘h’ français est habituellement muet, on peut traduire la consonne vélaire de « Och » par « Orr’ ». Pour aider à distinguer l’accent gaélophone d’Angus de l’accent écossais de la scottophone Mme Galletly, « Och » pour un scottophone se traduirait par « Orc’ » : l’ajout d’un /k/ parasite singulariserait ainsi l’antagoniste scottophone. Et la variante « Ach ! » peut se traiter de la même façon : « Arr ! » pour Angus et « Arrk ! » pour Mme Galletly.
Le pendant du « Yes » anglais est « Aye » en écossais (et en vieil anglais), ce mot étant commun à tous les personnage écossais : « Och aye… ». L’équivalent gaélique de « Aye » est « Seadh » [ʃɛɣ] qui est modulable en [ʃɛhg] et peut se transcrire en « chèrk » à l’intention des acteurs. Dans cette comédie, un personnage anglophone peut dire « Oui, il (l’) est » (pour « Yes, it is ») ; un personnage scottophone peut dire « Aye » ou bien, le cas échéant, « Ouy-da », comme au Moyen-Âge ; un personnage gaélophone peut approuver en disant « chèrk » en hochant de la tête.
Angus : Aye, you were always the ambitious one, lad.
Angus : C’est un fait que tu as toujours eu de l’ambition, mon garçon.
Murdo : And I am still!
Meurdo : Et ch’en ai encoore !
Traduire les répliques des personnages anglophones
Le colonel Murray, militaire en retraite et laird d’Aros, s’exprime en anglais britannique ; le capitaine Murray pratique l’anglais international ; Letrèdeur, quant à lui, s’exprime en anglais châtié.
Réintégrer le personnage de Letrèdeur dans ce texte incomplet servirait à assurer le rôle de mise en relief dans le jeu des accents anglais et permettrait d’expliciter le sketch de la baratte (scène 8) pour un public francophone. Ce qui suit est un essai d’intégration du personnage de Letrèdeur dans le texte :
MME GALLETLY The paurlor ? Och, it's a' reel-rall. We've been cleaning it. And there's nae lire there. But juist you bide here, and I'll tak' the Doctor and this gentleman roon to the new patent kirn and shew them hoo it works.
Mme Galletly Le salon ? … Orc’, le salon est tout sens dessus-dessous. On a commencé à faire le ménage. Et il n’y a rien pour s’asseoir. Mais attentez voir : Fous, vous restez ici et moi j’emmééne le Docteur et ce Monsieur pour aller voir ma nouvelle béraatte. Je vais leur montrer comment qu’on fait.
(Préciser en note : Mme Galletly parle de baratte au premier degré, ignorante du jeu de mot grivois en gaélique : faire tourner la baratte est une métaphore en gaélique avec un sous-entendu d’acte sexuel.)
Letrèdeur Ah oui !, hem, eh bien, je m’intéresse beaucoup à la nouvelle Technologie. La technique me passionne, comme je l’expliquais à votre landlord à l’hôtel de Torlokane. La technique et, hem, tous les avantages…
Le docteur M. (Sur un ton blasé) Oh, vous savez, moi, j’en ai vu des fermières manipuler la baratte. Et ne je sais que trop bien ce que ça produit sur l’île d’Eros. (Il regarde Angus qui mime la fermière qui tourne la manivelle tout en ondulant du bassin comme dans l’acte de copulation)
MME GALLETLY And Angus can gang intil his ain wee room there.
Mme Galletly Et notre Aenkus peut rentrer dans sa petite chambre, làà. (Note : Le mode d’infantilisation d’Angus est très sensible dans la phrase : Mme Galletly reproduit envers le gaélophone Angus le comportement insupportable des Anglais envers tout scottophone depuis des siècles !)
Letrèdeur La technologie fait de grands progrès depuis la Guerre, n’est-ce pas ? Elle apporte le bien-être dans les fermes autour de Ben Crèk et toutes les maisons d’Aros, comme sur les bords de la Tamise ; j’en sais quelque chose, voyez-vous. Il est bien loin le temps où l’on faisait tourner la baratte au bord du lok en plein air. Après vous, Ma’ame je vous prie…
Cet extrait du texte en voie d’aboutissement illustre la possibilité d’intégration de ce personnage de Letrèdeur avec un travail d’harmonisation des accents. Si l’on considère l’ensemble du texte, on voit que le maître-mot est le dosage des modulations dialectales.
Conclusion
Que le traducteur ait à traiter un texte pour une lecture muette ou pour une performance sur scène, il lui faut créer un fond sonore, en l’occurrence écossais, afin de faciliter le jeu de la plurivocalité qui « implique le respect et la reconnaissance des sujets différents parlant ou écrivant la langue à partir de leurs variations propres » (FARÈS, 1985).
À la voix du narrateur dans les didascalies et à celle du traducteur dans les notes s’ajoute la présence du personnage de la cornemuse, dont la voix est celle de ’S leam fhèin an Gleann, indissociable du souffle d’Angus. Au tout début de la pièce, à la fin de la chamaillerie entre Angus et Mme Galletly au sujet de la cornemuse, le traducteur peut prolonger la réplique d’Angus : « Je m’en vais te jouer une de ces belles mélodies un de ces jours : « Le Château de Donnan »… ou « Louange à Marie » ou… tiens ! « Cette vallée, c’est la mienne » par un aparté : « Il ajoute à voix basse : ’S leam fhein an Gleann ». Ainsi, l’acteur, qui aura à sa disposition une copie de la partition en notes, pourra fredonner la première portée « Mi si do / mi si la / mi si do / mi si sol / fa mi do mi // sol-ré-sol mi si la » ou la chantonner « ti ta-té / ti-té-ta… ». Et cette portée pourra être répétée tout au long de la pièce pour renforcer le comique de répétition en agaçant Mme Galletly, la femme du « colon ».
De la sorte, en superposant plusieurs mélodies vocales et musicales, la notion de polyphonie des langues, des accents locaux et des complaintes instrumentales s’en trouvera renforcée. Le multilinguisme, quelle que soit sa forme dans un contexte écossais, est un indice de scotticité.