Ce dossier porte sur la circulation des savoirs dans l’espace atlantique des XVIe au XIXe siècles1. Il part de l’hypothèse que ces déplacements, volontaires ou contraints, mettent en mouvement les connaissances elles-mêmes et sont à l’origine de réaménagements des sciences, des techniques, des structurations symboliques et des imaginaires.
L’espace et la période retenus sont particulièrement riches en voyages de toutes sortes (traite, exils, expatriations, missions scientifiques, diplomatiques…). De surcroît ces mouvements interviennent sur fond de restructurations sociales, politiques et épistémologiques qui s’ajoutent au travail de transformations et d’appropriations, aux actes de résistance, aux angoisses épistémiques, aux redéfinitions de polarités et de « capitalités », rendant plus complexe la dichotomie traditionnelle entre territoires dominants et territoires dominés ou subalternes.
Des modèles circulent d’un continent à l’autre, d’une région à l’autre, soumis à des processus de réappropriation et de dénaturalisation qui auront pour effet l’adaptation et la transformation des canons, qu’ils soient européens ou émergent des régions colonisées. Au cours de ces quatre siècles, on assiste aussi à une reconfiguration des empires : né à la charnière du Moyen âge et de l’époque moderne, l’empire espagnol décline et s’effondre ; le monde lusophone se restructure, tandis qu’émergent une expansion et une domination d’un type nouveau, dans un premier temps au service des intérêts économiques et commerciaux de la Grande-Bretagne.
Les réaménagements affectent fortement l’univers politique : essor de l’État-Nation, avènements de républiques, passage du statut de sujet à celui de citoyen… Néanmoins les changements n’interdisent pas ambiguïtés et survivances. L’apparition de la thermodynamique ne fait pas disparaître le modèle mécanique de production d’énergie, mais elle introduit de nouveaux schémas de pensée, de même que l’accélération et l’intensification des interconnexions.
Les auteurs auront donc été particulièrement attentifs aux effets de décentrement, à l’émergence éventuelle de nouvelles cartographies ou chronologies non nécessairement tributaires de l’agenda des métropoles, aux ruptures, voire aux révolutions, et aux persistances à l’œuvre.
En suivant les personnes (figures politiques, administrateurs, militaires, religieux, savants, diplomates, artistes, modestes expatriés, résistants, opprimés…) autant que les objets (les livres, les cartes, les collections, les plantes, les savoirs musicaux, la photographie, l’écrit intime, les ustensiles du quotidien) et les pratiques, les contributions croisent divers champs disciplinaires pour analyser la façon dont se dégagent des productions de sens et de sensibilités, de régimes de savoir et de partages du sensible, à travers les mécanismes d’imposition et de résistance, de contamination et de capillarité qu’ils mettent en œuvre.