Introduction. Naissance et affirmation du groupe Airbus (années 1960-années 1980)

Plan

Texte

En 2020, le Groupement d’intérêt économique (GIE) Airbus a fêté ses 50 ans. Fondé le 18 décembre 1970, il avait pour objet de coordonner la mise en œuvre d’un programme multilatéral de coopération industrielle en cours depuis juillet 1967 et de faciliter la commercialisation des avions.

Aux origines du projet Airbus : une coopération aéronautique européenne non communautaire

À partir des années 1960, les pays disposant d’une industrie aéronautique en Europe s’engagent dans des coopérations industrielles militaires (C160 Transall – France et République fédérale d’Allemagne [RFA], Jaguar – France et Grande-Bretagne) et civiles (Concorde – France et Grande-Bretagne, Mercure – France, Belgique, Espagne, Italie)1. Il s’agit pour eux de mutualiser les coûts et les connaissances, de partager les expériences, de s’ouvrir de nouveaux débouchés, de réaliser des apprentissages ou encore de partager les risques financiers, etc.

Alors que le trafic aérien commercial est en forte expansion, des discussions s’engagent durant la seconde moitié des années 1960 sur le lancement d’un appareil de transport civil de grande capacité, capable de s’insérer sur un marché très nettement dominé par les États-Unis. Cette perspective repose sur les savoir-faire multiples développés par les différents pays du continent européen et les projets en cours de développement (Galion, HBN 100, etc.). Au quatrième semestre de 1966, un groupe technique associant les constructeurs français, britanniques et allemands est formé pour réfléchir au développement d’un appareil, l’A300.

Le 26 septembre 1967 à Bonn, la RFA, la Grande-Bretagne et la France signent un protocole d’accord sur le lancement d’une première phase du projet2. La maîtrise d’œuvre de la cellule est confiée à la société française Sud-Aviation en raison de l’expérience qu’elle a accumulée avec Caravelle et Concorde, la Britannique Hawker-Siddeley apporte sa contribution en matière de cockpits et de voilures grâce au Comet et au Trident, la RFA, par l’intermédiaire du consortium Deutsche Airbus créé quelques semaines plus tôt3, s’implique dans le but de relancer et de rationaliser son industrie aéronautique. Le calendrier défini prévoit une réévaluation du projet en avril 1968, devant en principe conduire à la réalisation d’une deuxième tranche en juillet 1968.

Le comité des industriels regroupe des représentants de ces trois partenaires. Il se réunit pour la première fois le 16 octobre 1967 et se prononce pour la création d’une société chargée de la commercialisation des appareils. C’est Roger Béteille qui est nommé responsable de ce projet. Un consortium sous la forme d’une Société anonyme (SA) est créé le 14 juin 1968, Airbus International, dont la répartition du capital est la suivante : 37,5 % chacune pour Sud-Aviation et pour Hawker-Siddeley, 25 % pour Deutsche Airbus. Dans une étude sur les accords de coopération, l’économiste François Chesnais définit le consortium comme une forme d’organisation dans laquelle :

[des] entreprises communes qui poursuivent des objectifs techniques et commerciaux susceptibles d’être menés conjointement […] ont pour but de mettre au point, de produire et de commercialiser un produit lourd (par exemple un avion long-courrier, un gros moteur à réaction, un avion militaire ou une arme lourde) possédant de fortes caractéristiques systémiques qui permettent une division des tâches entre les partenaires du consortium4.

Les programmes développés en collaboration dans l’aéronautique répondent souvent à cette définition. Dans le cas d’Airbus, la coopération est dite non communautaire, car elle dépasse le cadre de la Communauté économique européenne (CEE), intègre la Grande-Bretagne puis l’Espagne qui n’en sont pas encore membres5. Mais une première déconvenue intervient en 1969. Confronté à des difficultés au plan national, miné par le coût financier du Concorde et espérant encore produire son moyen-courrier BAC 3-11 (ou BAC Three-Eleven), le gouvernement britannique se retire du projet, mais laisse à Hawker-Siddeley le droit d’y participer6. Alors que Concorde s’envole pour la première fois le 2 mars 1969, le 29 mai, un « accord intergouvernemental franco-allemand » est signé sur l’Airbus lors du 28e Salon du Bourget. Il encadre la conduite du programme et précise les attributions des différents partenaires. Un autre texte organise les relations entre les diverses entreprises impliquées.

Le GIE Airbus est finalement créé le 18 décembre 19707. Ce consortium, dont le siège est implanté à Paris, permet à des entreprises juridiquement indépendantes (l’Aérospatiale8, la Deutsche Airbus9 et Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima [CASA] en 197210) de collaborer et de travailler en réseau. Il a une double fonction, commerciale et technique. Airbus Industrie est chargé de la totalité des phases de la commercialisation des avions (études de marché, prospection de la clientèle, négociation et conclusion des contrats de vente et du service après-vente). Au plan industriel, il coordonne et assure la mise en cohérence technique et industrielle des programmes, c’est-à-dire d’une part importante de l’activité des entreprises partenaires. Pour François Chesnais, les principaux paramètres influant sur la conclusion d’accords de coopération du type du GIE sont caractérisés par :

– Un rôle important de l’État dans l’organisation de l’industrie, et du marché, d’une activité considérée comme stratégique ;
– Une structure très concentrée de l’offre internationale tendant vers le monopole ou le duopole ;
– Un important degré de nouveauté et de sophistication des technologies ;
– Une forte accumulation du capital technique au sein de grandes firmes disposant de liens privilégiés avec l’État et les grands laboratoires de recherche ;
– Des seuils d’investissements très élevés avec des temps d’amortissement très longs ;
– Un degré élevé de décomposabilité systémique des produits notamment dû à leur contenu technologique11.

En 1972, le capital du GIE se répartit à 47,9 % pour la France et la RFA chacune et 4,2 % pour l’Espagne. La Deutsche Airbus, CASA et l’Aérospatiale12 s’engagent dans la conception et la fabrication d’un appareil de transport moyen-courrier, l’Airbus A300, un wide body aircraft bimoteur.

Le consortium est chargé d’une double fonction, commerciale et technique. Airbus Industrie assure la totalité des phases de la commercialisation des avions (études de marché, prospection de la clientèle, négociation et conclusion des contrats de vente et du service après-vente). Le poids de l’activité liée à la commercialisation s’observe dans la répartition des effectifs du consortium. En juin 1994, 60 % du personnel d’Airbus Industrie étaient affectés à des activités relevant directement des fonctions commerciales13. Au plan industriel, Airbus Industrie coordonne et assure la mise en cohérence technique et industrielle des programmes, c’est-à-dire d’une part importante de l’activité des entreprises partenaires.

La fondation d’un GIE apparaît comme une réponse aux défis commerciaux, politiques et industriels qui naissent de cette collaboration internationale en matière d’aéronautique civile. Airbus est le premier programme de coopération internationale dans lequel aucun des partenaires industriels n’exerce de pouvoir dominant. C’est d’autant plus important quand on connaît le rôle stratégique que joue l’industrie aéronautique dans les politiques publiques et le fait que cette industrie se distingue par l’inexistence de firmes industrielles multinationales.

Des premières années difficiles : faire émerger un appareil commercialement crédible

L’A300B, biréacteur à large fuselage, vole pour la première fois le 23 octobre 1972, avant d’entrer en service commercial le 23 mai 1974. Au 18 novembre 1974, alors que le choc pétrolier commence à faire ressentir ses premiers effets, l’appareil se vend peu : il n’est commandé qu’à 19 appareils fermes et 22 options. Les débuts commerciaux sont compliqués. D’une grande complexité, le projet est rapidement confronté à la difficulté de s’insérer sur les marchés au sein d’un secteur dans lequel les barrières sont multiples, et où les États-Unis exercent une influence déterminante. Leur domination sur l’aviation de transport commercial est très nette, notamment par l’intermédiaire des Boeing 727, Boeing 737, Boeing 767, DC9 ou DC10. Boeing14, McDonnell Douglas Corporation et Lockheed Corporation ont en effet des positions hégémoniques sur l’ensemble des segments du marché aéronautique15.

Airbus doit donc parvenir à opérer une percée en Amérique du Nord afin de gagner en crédibilité auprès de la clientèle. Progressivement dans cette période, l’aviation intègre de plus en plus une logique commerciale16. Dans le cadre du projet Airbus, une évolution des modes d’action et d’intervention des États dans les dimensions industrielle, politique et commerciale, est visible, entre stratégie nationale et symbole de la construction européenne, entre enjeux industriels, technologiques, politiques ou encore diplomatiques17. Avec le développement du consortium, on passe d’une « logique de l’arsenal » dans laquelle le rôle de l’État est prépondérant dans la définition des objectifs, des programmes et de leurs réalisations, à un modèle où ces responsabilités sont du ressort des industriels du secteur.

Il faut finalement attendre le 6 avril 1978 et la commande de 23 avions (et 9 options, plus 25 options sur l’A310 qui n’est pas encore lancé officiellement) par la compagnie étasunienne Eastern Airlines de Frank Borman pour que l’Airbus parvienne à percer sur le marché. Quelques semaines plus tard, en juillet 1978, est lancé l’A310, dérivé de l’A300 à plus large rayon d’action, qui marque le développement d’une gamme d’appareils et introduit une série d’innovations (concept de communalité des appareils, pilotage à deux, etc.). Il vole pour la première fois le 3 avril 1982. La fin des années 1970 est également marquée par le retour de la Grande-Bretagne au sein du consortium. Le 1er janvier 1979, British Aerospace18 (BAe) rejoint officiellement Airbus pour participer à l’A310 (fig. 1 et 2).

Fig. 1. Partenaires engagés dans Airbus Industrie en janvier 1979

Fig. 1. Partenaires engagés dans Airbus Industrie en janvier 1979

(Tiré de Kechidi Med, L’Organisation comme système d’action et de cognition : éléments théoriques et référence à l’activité aéronautique, Thèse de doctorat en Sciences économiques, Sous la direction de François Morin, université Toulouse 1, 1995, 288 p.)

Fig. 2. Répartition des charges entre les partenaires (A300/310)

Fig. 2. Répartition des charges entre les partenaires (A300/310)

(Ibidem)

L’histoire d’Airbus Industrie est significative de deux émergences :

– L’émergence et la constitution, pour une large part inattendues19, d’un acteur de niveau européen qui vise ouvertement 30 % du marché mondial de l’aviation civile de plus de 100 places.

– L’émergence, au moins dans le cas français, de nouvelles formes de relations entre l’État et les entreprises du secteur aéronautique.

À ces deux émergences, il faut probablement ajouter le fait qu’Airbus est le premier programme de coopération internationale réussie dans lequel aucun des partenaires industriels n’exerce de pouvoir dominant. Cette remarque est importante quand on connaît le rôle stratégique que joue l’aéronautique dans les politiques publiques et le fait que cette industrie se distingue par l’inexistence de firmes industrielles multinationales.

Le 2 mars 1984 marque le lancement officiel de l’A320 qui introduit plusieurs innovations (commandes électriques, mini-manches, etc.), vole pour la première fois le 22 février 1987 et entre en service commercial le 18 avril 1988. Suivront d’autres appareils venant enrichir la gamme Airbus : A330 et A340 à la fin des années 1980 puis A380 et A350 dans les années 1990 et 2000. Au total, après une longue période de stagnation et de crise qui dure jusque dans les années 1980, Airbus connaît finalement un succès commercial incontestable qui le place en situation de concurrence directe avec Boeing20. À la fin des années 1990, le GIE Airbus laisse sa place à une entreprise multinationale privée, European Aeronautic Defence and Space (EADS), créée le 11 juillet 2000 par fusion de l’Aérospatiale, de la Deutsche Airbus et de CASA.

Le programme Airbus constitue un champ d’expérimentation important dans le cadre de la construction d’une Europe industrielle21. Projet emblématique issu de choix politiques stratégiques, la trajectoire d’Airbus interroge la place de l’Europe dans les industries de haute technologie et les stratégies mises en œuvre, par les pays et par les industriels, dans le développement des programmes aéronautiques.

Un colloque international : « Naissance et affirmation du groupe Airbus (années 1960-années 1980) »

Du 23 au 25 septembre 2020 s’est tenu à l’université Toulouse-Jean Jaurès le colloque international « Naissance et affirmation du groupe Airbus (années 1960-années 1980) » qui avait pour objectif, en rassemblant des chercheurs (historiens, sociologues, économistes, gestionnaires, etc.), des témoins et des acteurs, de contribuer à une meilleure compréhension des enjeux pluriels (économiques, sociaux, techniques, culturels, etc.) liés au développement du programme entre les années 1960 et les années 1980, afin d’en restituer de manière plus précise les ressorts et les étapes marquantes de sa réalisation. Il s’agissait notamment de comprendre comment les acteurs du projet, alors qu’ils se rattachaient à des contextes aéronautiques, politiques, économiques et sociaux différents, sont parvenus à s’entendre pour coopérer, pour relever le défi de la concurrence étasunienne et pour finalement faire émerger des projets symboles de la réussite d’une Europe industrielle.

Pour se cantonner au plan universitaire22, si depuis plusieurs décennies déjà, les géographes23, les sociologues, les politistes24 ou encore les économistes25 notamment, ont porté leur attention sur Airbus, les historiens sont restés un peu à l’écart de ce mouvement, malgré des initiatives pionnières, à l’image du colloque international « Airbus, un succès industriel européen26 » organisé par Emmanuel Chadeau et l’Institut d’histoire de l’industrie le 23 juin 1994.

Peu à peu, un système industriel complexe et en réseau s’est construit, marquant une spécialisation nationale et territoriale des acteurs de l’aéronautique européenne27, tandis qu’il revenait dans un premier temps au site de Toulouse d’assurer l’assemblage de parties d’avions en provenance des différents bassins aéronautiques européens situés en France, en RFA, en Espagne ou en Grande-Bretagne28. Comme l’ont souligné Med Kechidi et Damien Talbot :

De fait, à partir des années 1960, l’aéronautique devient une industrie où plus aucun avionneur ne réalise seul l’intégralité du produit : en 1972, les programmes réalisés en coopération représentaient déjà 50 % de l’activité aérospatiale française, contre 15 % seulement en 196229.

Cette organisation industrielle complexe a des répercussions sur la conduite des programmes. Les territoires, les entreprises, les salariés30 doivent prendre en compte les transformations du système productif aux plans local, national et international, afin que les projets menés puissent se développer dans de bonnes conditions. Les enjeux sont pluriels pour les nombreux acteurs impliqués dans cette opération de coopération. Airbus s’insère en effet dans un tissu industriel largement internationalisé et se heurte à des problématiques qui, si elles peuvent paraître, au premier abord, extérieures, se révèlent en fait centrales dans la compréhension des logiques à l’œuvre dans l’aéronautique mondiale.

Les articles de ce dossier sont regroupés sous trois intitulés : Airbus, aux origines… ; Airbus, les réalités d’un modèle industriel… ; et Airbus, d’autres coopérations…

Airbus, aux origines…

Les articles de cette partie traitent tous, sous des angles différents, des premiers pas du consortium européen.

Dans « Le projet Airbus parachève le choix de Toulouse comme capitale française de l’aéronautique civile », Jean-Marc Olivier montre que dès les débuts de l’implantation de l’activité aéronautique à Toulouse, il existe une relation complexe entre le rôle de l’État et celui des acteurs locaux (politiques, entrepreneurs et main-d’œuvre). C’est cette relation qui marque tout le développement des activités sur le territoire toulousain. Il permet de mieux comprendre comment la région toulousaine parvient à conquérir une place de choix dans le système industriel qui se construit en bénéficiant de changements dans les rapports de force et d’alliances, et s’affirme progressivement comme un pôle majeur de l’industrie aéronautique civile française puis européenne, voire mondiale.

Stephen Rookes, dans « Perfidious Albion? Understanding Britain’s Withdrawal from the Airbus Project, 1969 », s’intéresse aux hésitations et aux réserves britanniques vis-à-vis du projet Airbus. Sans contester les préférences atlantiques du gouvernement travailliste d’Harold Wilson, l’article soutient que de multiples raisons contextuelles ont compliqué l’élaboration d’une position décisive et ferme à l’égard du projet Airbus.

Dans « Le deal Eastern Air Lines-Airbus : une vente charnière », Gaëtan Sciacco revient sur la commande de 23 appareils par la compagnie, qui marque une première percée de l’avionneur européen sur le marché américain dominé par Boeing, McDonnell Douglas et Lockheed. Véritable pari, le prêt de plusieurs A300B qui précède cette commande dénote selon l’auteur de l’esprit novateur animant les équipes du GIE Airbus, non seulement dans le domaine technologique, mais aussi commercial et marketing.

« “No Sir, It’s an American Aircraft”: Selling the A300 to the US Public in the 1970s » de Guillaume de Syon, revient lui aussi sur la commande de Eastern, englobée dans une question plus large, celle de comprendre comment vendre un avion européen, technologiquement avancé, à des compagnies américaines et à un public américain convaincus par le « buy american ». L’auteur explique, sur la base d’archives récemment déclassifiées, comment Airbus a dû minimiser les origines européennes de l’avion afin de passer les barrières protectionnistes du marché américain.

Quelles sont les caractéristiques principales du système de relations, complexe, entre les différents acteurs nationaux, européens et internationaux qui ont rendu possible l’existence d’un système performant de production transnationale intégré ? C’est à cette question que répond Bertrand Vayssière dans « Airbus, un envol pour l’Europe ? ». En mettant en avant la réussite de l’opération Airbus, il s’interroge sur l’existence d’une « méthode communautaire » qui pourrait en expliquer le succès.

Dans la même lignée, Laurent Warlouzet, dans « Airbus, modèle ou exception pour les ambitions industrielles européennes, 1967-1984 » affirme que malgré un dialogue franco-allemand difficile, le lancement de l’A320 en 1984 est une réussite technique et commerciale. Pourtant, ce succès constitue, selon lui, une exception au regard d’autres coopérations aéronautiques européennes.

Si ces contributions aident à mieux comprendre les origines du projet Airbus dans certaines de ses facettes, d’autres apportent un éclairage sur la construction d’un modèle industriel.

Airbus, les réalités d’un modèle industriel…

Les ventes d’avions aux compagnies nationales sont-elles politiques ? Existe-t-il des corrélations entre la densité des liens politiques (gouvernementaux ou autres) et les ventes d’avions ? À ces questions importantes, Tobias A. Jopp et Mark Spoerer apportent des réponses dans « How Much Does Airbus’s Rise Over 1974-1989 Owe to “Political Sales”? A Pledge For a Statistical Approach ». Leur démonstration se fonde sur une analyse multivariée des livraisons d’appareils Airbus, Boeing, Lockheed et McDonnell Douglas aux compagnies aériennes gouvernementales ou privées entre 1969 et 1989.

Christian Kehrt, dans « Computerpilots? Airbus introduction of fly-by-wire technology in civil aviation in the 1970s and 1980s », interroge la relation homme-machine dans un cockpit et particulièrement l’introduction de la technologie fly-by-wire dans les avions Airbus. Pour lui, ce sont les avancées dans ce domaine qui ont conféré à l’industriel européen le pouvoir d’imposer un paradigme technologique aujourd’hui éprouvé.

L’article de Françoise Larré et Med Kechidi, « De l’Aérospatiale à Airbus : une histoire récente de la sous-traitance » propose de caractériser les formes et les contenus de la politique de sous-traitance déployée par Aérospatiale puis Airbus, des années 1970 jusqu’à la fin des années 1980. Il montre comment les relations contractuelles ont évolué du simple contrat marchand vers des relations de délégation d’une partie des activités d’études et de développement et progressivement vers des partenariats portant sur la conception, en commun, d’ensembles modulaires complets et complexes.

Quid des relations de genre dans l’entreprise Airbus ? Nathalie Lapeyre, dans « Quand la stratégie industrielle d’Airbus rencontre la politique du genre », s’intéresse à la mise en œuvre et à l’implémentation d’une politique d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Elle montre comment et en quoi cette volonté de féminisation des effectifs s’ancre dans une logique plus globale de réforme, de restructuration et de réorganisation du travail, menée en lien avec les reconfigurations historiques de la stratégie industrielle impulsées ces vingt dernières années.

Alors qu’un modèle industriel se développe et s’organise peu à peu, des coopérations se nouent, aussi bien directement avec des industriels ou avec des acteurs participants à l’écosystème d’affaires notamment technique et culturel, que dans le cadre d’autres coopérations.

Airbus, d’autres coopérations…

Au terme d’un long processus de restructuration et d’apprentissage, l’entreprise espagnole Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (CASA) est en mesure de s’insérer de manière croissante sur les marchés internationaux et de prendre une place dans le projet Airbus. C’est ce processus que nous présente Clair Juilliet dans « Dynamiques et trajectoires de développement d’une entreprise aéronautique espagnole des années 1940 aux années 1980 : le cas de Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima ». Les étapes clés de ce développement retracent la conquête d’une capacité d’innovation technique en matière, notamment, d’aérostructures.

La contribution de Fabienne Péris « De Dewoitine à Airbus : Vers une reconnaissance du patrimoine historique de l’aéronautique toulousaine. L’apport d’Aeroscopia » dresse un état des lieux du processus de patrimonialisation et des enjeux à venir, à l’heure où avec Aeroscopia, la Cité de l’espace et l’Envol des Pionniers, la métropole toulousaine valorise clairement ses spécificités culturelles scientifiques, aéronautiques et spatiales.

Enfin, Jean-Marc Zuliani analyse, dans « Le programme d’avion franco-italien ATR, succès et défis d’une coopération aéronautique binationale », le programme d’avions turbopropulsés Avions de transport régional (ATR), lancé en 1981 et de nos jours leader mondial de construction des avions à hélices pour le transport régional. Ce programme, construit lui aussi sous la forme d’un GIE, inscrit pour la première fois l’industrie aéronautique italienne au rang de partenaire industriel majeur au côté de la France pour la réalisation d’un appareil de transport civil. L’auteur retrace cette coopération réussie et s’interroge sur les défis auxquels les deux partenaires ont dû faire face.

Notes

1 Se reporter notamment à Burigana David, Deloge Pascal (dir.), « [Dossier] L’Europe des coopérations aéronautiques », Histoire, Économie & Société, 2010/4, 128 p. ; Carlier Claude, L’aéronautique française (1945-1975), Histoire/Documents, Lavauzelle, Paris, 1983, pp. 449-516 ; Hébert Jean-Paul, Hamiot Jean (dir.), Histoire de la coopération européenne dans l’armement, CNRS Éditions, Paris, 2004, 240 p. Retour au texte

2 Gunston Bill, Airbus. The complete story, J H Haynes & Co Ltd, Sparkford, 2009 [1988], 288 p. ; Raabe Thomas, Hochfliegende Ambitionen. Die Bundesregierungen und das Airbus-Projekt (1969-1981), Campus Verlag, Frankfurt, 2020, 176 p. Retour au texte

3 Le 5 septembre 1967 est formée la Deutsche Airbus GmbH, alliance chargée de défendre les intérêts allemands dans la réalisation d’un programme commun et associe Messerschmitt, Siebel, ATG, Hamburger, Vereinigte Flugtechnische Werke (VFW). Ils sont rejoints plus tard par Fokker. Retour au texte

4 Chesnais François, « Les accords de coopération technique entre firmes indépendantes », STI Revue, n° 4, OCDE, 1988, p. 121. Retour au texte

5 La première en devient membre en 1973, la seconde en 1986. Retour au texte

6 Sur l’histoire de l’industrie aéronautique britannique, se reporter notamment à Hayward Keith, The British Aircraft Industry, Manchester University Press, Manchester, 1989, 224 p. Retour au texte

7 Olivier Jean-Marc, 1970. Airbus, naissance d’un géant industriel, Éditions Midi-Pyrénéennes, Toulouse, 2020, 50 p. Retour au texte

8 Elle est née le 1er janvier 1970 de la fusion de Sud-Aviation, Nord-Aviation et la Sereb. Se reporter notamment à Carlier Claude, Sciacco Gaëtan, La passion de la conquête : d’Aérospatiale à EADS (1970-2000), Éditions du Chêne, Paris, 2001, 303 p. Retour au texte

9 La société néerlandaise Fokker engage un partenariat de longue durée avec l’allemande Vereinigte Flugzeug Werke (VFW) qui est partie prenante de la Deutsche Airbus en 1969. Le 28 décembre 1970, Fokker rejoint les partenaires du projet Airbus. Retour au texte

10 Román Y Arroyo José Maria, Los primeros 75 años (1923-1998), CASA, 2 tomes, SEPI, Lunwerg Editores, Barcelona, 1999, 229 et 213 p. ; Rogado Benito (coord.), Airbus y España. La historia contada por sus protagonistas, Fundación SEPI, Madrid, 2004, 270 p. Retour au texte

11 Chesnais François, « Accords de coopération inter-firmes, dynamique de l’économie mondiale et théorie de l’entreprise », in Humbert M. (ed.), Investissement international et dynamique de l’économie mondiale, Economica, Paris, 1990, p. 474. Retour au texte

12 L’Anglais Hawker Siddeley ne participe pas au capital mais est un fournisseur important, notamment pour la voilure. Retour au texte

13 Airbus Industrie, Présentation, octobre 1994. Retour au texte

14 Bauer Eugen E., Boeing: The First Century, TABA Publishing, Washington, 2000, 386 p. Retour au texte

15 Pattillo Donald M., Pushing the Envelope: The American Aircraft Industry, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1998, 462 p. Retour au texte

16 Gormand Claude, L’Industrie aéronautique et spatiale. Logique économique, logique de marché, L’Harmattan, Paris, 1993, 236 p. Retour au texte

17 Muller Pierre, Airbus : l’ambition européenne : logique d’État, logique de marché, L’Harmattan, Logiques sociales, Commissariat général du Plan, Paris, 1989, 255 p. Retour au texte

18 British Aerospace, société nationalisée, naît en 1977 de la fusion de British Aircraft Corporation, Hawker Siddeley et Scottish Aviation. Retour au texte

19 Chadeau Emmanuel (dir.), Airbus : un succès industriel européen : industrie française et coopération européenne (1965-1972), Actes du colloque, 23 juin 1994, Paris, Histoire industrielle, Rive Droite, Paris, 1995, 182 p. Retour au texte

20 Aris Stephen, Close to the Sun. How Airbus challenged America’s domination of the skies, Aurum, Londres, 2002, 242 p. ; Newhouse John, Boeing versus Airbus. The inside Story of the Greatest International Competition in Business, Alfred Knopf, New York, 2007, 254 p. Retour au texte

21 Burigana David, « L’Europe s’envolera-t-elle ? Le lancement de l’Airbus et le sabordage d’une coopération aéronautique “communautaire” (1965-1978) », Journal of European integration History, Vol. 13, n° 1, 2007, pp. 91-109. Retour au texte

22 Les acteurs, et les journalistes notamment, ont aussi porté leur attention sur Airbus. Se reporter par exemple à Quittard Jean-Pierre, Airbus ou la volonté européenne, Éditions France-Empire, Paris, 1979, 314 p. ; Picq Jean, Les ailes de l’Europe : l’aventure de l’Airbus, Fayard, Paris, 1990, 343 p. ; Sparaco Pierre, Airbus : La véritable histoire, Privat, Toulouse, 2005, 371 p. ; Ziegler Bernard, Les Cow-boys d’Airbus, Privat, Toulouse, 2008, 175 p. Retour au texte

23 Se reporter aux travaux de Guy Jalabert et de Jean-Marc Zuliani, par exemple Jalabert Guy, Zuliani Jean-Marc, « Airbus ou l’Europe industrielle », Cahiers d’histoire immédiate, n° 27, 2005, pp. 137-154 ; ou encore à Beckouche Pierre, La Nouvelle Géographie de l’industrie aéronautique européenne, Géographies en liberté, L’Harmattan, Paris, 1996, 222 p. Retour au texte

24 Muller Pierre, « La transformation des modes d’action de l’État à travers l’histoire du programme Airbus », Politiques et management public, Volume 7, n° 1, 1989, pp. 247-272. Retour au texte

25 Se reporter par exemple à Frigant Vincent, Kechidi Med, Talbot Damien, Les Territoires de l’aéronautique, Géographies en liberté, L’Harmattan, Paris, 2006, 250 p. ; Kechidi Med, « Modularité, firme-pivot, innovations : un nouveau modèle d’organisation industrielle pour Airbus », Revue française de gestion industrielle, Vol. 27, n° 2, 2008, pp. 22-41. Retour au texte

26 Chadeau Emmanuel (dir.), Airbus : un succès industriel européen, op. cit. Retour au texte

27 Zuliani Jean-Marc, Jalabert Guy, Leriche Frédéric, Les Villes européennes de l’aéronautique : système productif, réseaux internationaux de villes et dynamiques urbaines, CNRS, CIEU, UTM, Toulouse, 2002, 343 p. ; Zuliani Jean-Marc, Jalabert Guy, « L’industrie aéronautique européenne : organisation industrielle et fonctionnement en réseaux », L’espace géographique, Tome 34, n° 2, 2005, pp. 117-144. Retour au texte

28 Jalabert Guy, Zuliani Jean-Marc, Toulouse : l’avion et la ville, Privat, Toulouse, 2009, 349 p. Retour au texte

29 Kechidi Med, Talbot Damien, « Chapitre 4. L’industrie aéronautique et spatiale : d’une logique d’arsenal à une logique commerciale », in Colletis Gabriel, Lung Yannick (dir.), La France industrielle en question : analyses sectorielles, La Documentation Française, Paris, 2006, p. 79. Retour au texte

30 Juilliet Clair, Bâtir les relations professionnelles sous l’égide de l’État. Conflits et consensus socio-économiques dans un établissement de constructions aéronautiques français (1943-1978), Thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Jean-Marc Olivier, UT2J, Toulouse, 12 novembre 2018, 1 006 p. Retour au texte

Illustrations

  • Fig. 1. Partenaires engagés dans Airbus Industrie en janvier 1979

    Fig. 1. Partenaires engagés dans Airbus Industrie en janvier 1979

    (Tiré de Kechidi Med, L’Organisation comme système d’action et de cognition : éléments théoriques et référence à l’activité aéronautique, Thèse de doctorat en Sciences économiques, Sous la direction de François Morin, université Toulouse 1, 1995, 288 p.)

  • Fig. 2. Répartition des charges entre les partenaires (A300/310)

    Fig. 2. Répartition des charges entre les partenaires (A300/310)

    (Ibidem)

Citer cet article

Référence électronique

Clair Juilliet, Med Kechidi et Jean-Marc Olivier, « Introduction. Naissance et affirmation du groupe Airbus (années 1960-années 1980) », Nacelles [En ligne], 11 | 2021, mis en ligne le 10 décembre 2021, consulté le 26 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/1378

Auteurs

Clair Juilliet

Docteur en histoire de l’université de Toulouse, FRAMESPA (UMR 5136) et Labex SMS
clairjuilliet@gmail.com

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Med Kechidi

Professeur en sciences de gestion à l’UT2J. Il effectue ses recherches au sein du laboratoire Framespa (UMR CNRS 5136) dans le « Groupe aéro-spatial » qu’il dirige avec Jean-Marc Olivier. Ses travaux de recherche portent notamment sur les dynamiques d’innovations techniques et organisationnelles en particulier dans l’activité aéronautique.
med.kechidi@univ-tlse2.fr

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Jean-Marc Olivier

Professeur d’histoire contemporaine, université Toulouse-Jean-Jaurès, laboratoire FRAMESPA (UMR CNRS 5136)/Labex SMS
jm.olivier@univ-tlse2.fr

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