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L’espace n’est pas simple.

Lorsque l’on interroge le mot, c’est un milieu qui apparaît. Un milieu fort, massif et presque poétique, dont la complexité et les nuances sont le sujet de bien des études conduites par les communautés des « sciences dures » qui, les premières, se le sont approprié. Ainsi, l’espace est nébuleuses, astres, phénomènes et distances. Il y est sujet et question, source d’une interrogation permanente, mais profondément vivifiante pour ceux qui se sont voués et se vouent encore à son exploration. L’espace est l’une de ces régions où le regard de l’homme a pris ses habitudes. Et aujourd’hui encore, il est le plus souvent identifié comme l’un des rares milieux où les préoccupations et pratiques s’éloignent des territoires du quotidien. Connu de tous, il resterait avant tout dans son exploration et dans son écriture le fait d’une poignée d’hommes hors-du-commun, ou simplement passionnés par son extrême singularité et les espoirs qu’il conduit.

Mais l’espace est aussi plus compliqué, car c’est un environnement où l’homme s’est introduit comme société complexe. Au-delà de la Lune et de Mars, de Proxima du Centaure à Bételgeuse d’Orion, il est aussi GPS, Pléiade, Apollo, Voyager ou Rosetta. Lieu d’expédition et de découverte, il est utilisé pour soutenir la civilisation et développer les sociétés. Dès ce moment, il gagne un peu plus en richesse et s’établit comme un sujet aux possibilités immenses. Pour autant, il n’est pas qu’une succession de machines cosmiques aux vastes et puissantes réalisations. Il n’est pas non plus que le seul inventaire des missions, des fusées, des sondes, des satellites, ou de ces artefacts qui aujourd’hui viennent à peupler, parfois avec angoisse, les horizons de l’humanité. L’espace est un milieu vivant, terriblement humain, fait de structures autant que de stratégies, de politiques aux ambitions variées, d’images ou d’impressions où se construisent les cultures et où se réalisent les imaginations. Il est un jeu d’acteurs, de décisions scientifiques et budgétaires. Il est une géographie où s’arment des industries, des universités, des acteurs politiques, parties prenantes des opérations. Il est un résultat, souvent positif, qui parfois passe par l’échec, mais où se concrétisent les progrès des laboratoires.

L’espace par l’homme n’évolue pas en vase clos. Il est riche, vaste, compliqué. Et cette complexité contribue à en faire un objet d’histoire, dont l’enjeu dépasse la seule description, pour constituer un champ historiographique complet. Dans sa définition classique, l’histoire de l’espace s’ancre sur une période récente, profondément contemporaine. Elle est celle de l’Âge spatial, dont les prémices se manifestent au crépuscule du XIXe siècle, mais dont l’histoire débute vraiment dans la seconde moitié du XXe siècle. À le comprendre ainsi, l’on pourrait signaler que ses sujets ne supportent pas toutes les qualités de périodes plus anciennes, mieux établies. Reproche pourrait aussi lui être fait que son extrême « jeunesse », autant que l’absence de conclusions pour bien des activités qui y sont conduites, sont autant de limites qui imposent la relégation de son étude aux prochaines décennies.

Faire l’histoire de l’espace est bel et bien un défi. La variété et la masse des sources, la confidentialité de certains détails, l’enjeu d’un traitement neutre quand le sujet est réputé pour fédérer l’imaginaire et l’espoir, sont autant de dangers qui mobilisent les qualités nécessaires à tout chercheur. Mais si défis il y a, ceux-ci ne doivent pas moins être relevés. L’espace s’impose aujourd’hui comme l’un des phénomènes majeurs de nos sociétés, dont les ramifications gagnent chaque jour en profondeur et en complexité. L’espace devenu un instrument essentiel qui, à l’instar de l’aviation, a su dépasser les coups d’éclat des premiers pionniers pour s’installer durablement dans nos vies quotidiennes. Apporter à son étude le regard du chercheur en sciences humaines est donc devenu presque vital, tant pour en saisir les enjeux que pour renforcer notre connaissance du monde contemporain.

Depuis plusieurs décennies déjà, toute une littérature se manifeste à son sujet, profitant d’une richesse variable des sources et des sujets. Elle reflète une recherche dispersée, en pleine structuration, mais d’une vigueur certaine, et dont les premiers résultats ont largement contribué à construire notre regard sur l’espace. Pour la revue Nacelles, le parti pris n’est pas d’envisager l’espace par des disciplines cloisonnées, mais comme un champ de recherche où toutes les sciences de l’homme, qu’elles soient sociales ou humaines, sont déjà au travail et viennent se compléter. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de pratiquer l’espace par l’histoire, mais également par les sciences politiques, le droit, la géographie.

Une question s’impose, dès lors : quels sont les contours de ces analyses et, par extension, dans quels cadres s’intègrent-elles ?

Tel est l’objet de ce dossier. Exposer quelques-uns de ces cadres et travaux qui, aujourd’hui, façonnent notre regard académique sur l’espace, sans nécessairement se limiter à la seule discipline historienne. Comprendre l’ampleur de ces travaux, d’en classer les qualités. Donner une dimension française à ces champs de recherche qui interrogent le rapport que l’espace entretient avec nos sociétés. Mais également constituer, élaborer et discuter de notre conception de l’espace.

Pour cela, nous proposons d’aborder la question par un groupement de trois contributions. Guilhem Penent exposera les activités, les enjeux et les justifications qui manifestent la recherche et les publications sur l’espace par les sciences humaines. Puis, Catherine Radtka questionnera les forces et orientations d’une historiographie européenne en construction. Enfin Georges-Emmanuel Gleize évoquera les particularités des travaux portant sur les activités spatiales les plus éloignées. Ces questionnements historiographiques nous paraissent comme un préliminaire nécessaire pour exposer des débats le plus souvent étrangers, qui occupent un champ en pleine construction.

Citer cet article

Référence électronique

Georges-Emmanuel Gleize et Jean-Marc Olivier, « À la recherche de l’Espace », Nacelles [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 28 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/250

Auteurs

Georges-Emmanuel Gleize

Doctorant en histoire contemporaine

Université Toulouse 2 Jean Jaurès

Laboratoire Framespa UMR 5136

georges_emmanuel.gleize@orange.fr

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Jean-Marc Olivier

Professeur d’histoire contemporaine, Vice-Président en charge des relations internationales

Université de Toulouse - Jean Jaurès

Laboratoire FRAMESPA (UMR CNRS 5136) / Labex SMS

jm.olivier@univ-tlse2.fr

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