Dynamiques et trajectoires de développement d’une entreprise aéronautique espagnole : le cas de Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (années 1940-années 1980)

  • Dynamics and Development Trajectories of a Spanish Aeronautical Company: The Case of Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (1940s-1980s)

Résumés

À partir des années 1970, l’industrie aéronautique espagnole connaît une croissance importante appuyée sur une multiplication des actions de coopération industrielle internationale et sur le développement d’une gamme d’appareils (C212, C101, CN235). Au terme d’une restructuration du secteur, Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (CASA), qui concentre l’essentiel des moyens industriels nationaux, est en mesure de s’insérer de manière croissante sur les marchés internationaux, se révélant capable d’innover et de s’imposer comme une actrice importante de l’aéronautique mondiale. Comment celle-ci parvient-elle à s’imposer sur certains segments spécifiques du marché aéronautique ? Que représente pour CASA la participation au projet international multilatéral Airbus ? L’objectif de cet article est de présenter les étapes clés du développement de l’entreprise des années 1940 aux années 1980 et de retracer cette conquête d’une capacité d’innovation technique en matière d’aérostructures.

From the 1970s onwards, the Spanish aeronautical industry experienced significant growth based on the multiplication of international industrial cooperation actions and the development of a range of aircraft (C212, C101, CN235). Following a restructuring of the sector, Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (CASA), which concentrates most of the national industrial resources, is in a position to enter the international markets in a growing manner, proving capable of innovating and imposing itself as an important player in the world aeronautics industry. How does it manage to establish itself in specific segments of the aeronautical market? What does participation in the international multilateral Airbus project mean for CASA? The aim of this article is to present the key stages in the development of the firm from the 1940s to the 1980s, and to trace this conquest of a capacity for technical innovation in aerostructures.

Plan

Texte

Introduction

À la fin de la guerre d’Espagne (1936-1939), qui entraîne la mise en place de la dictature franquiste (1939-1975), le pays est dévasté et très endetté. Si la Seconde Guerre mondiale marque le ralliement du régime à l’Allemagne1, l’Espagne adopte une forme de neutralité militaire qui n’empêche pas la poursuite de coopérations industrielles avec les puissances de l’Axe2. Au terme du conflit, elle se trouve placée dans une situation d’isolement politique et économique souvent assimilée par les chercheurs à une période d’autarcie3. La modeste industrie aéronautique nationale est dans une position très délicate, alors que la guerre a démontré que l’aviation était un secteur décisif pour assurer l’indépendance et la souveraineté nationales. Dans le but de se maintenir au pouvoir et d’assurer sa défense, le régime franquiste a donc, entre autres, souhaité maintenir un secteur aéronautique quoique très affaibli, domaine dans lequel l’Espagne ne jouait pourtant qu’un rôle secondaire. Si cette tentative de relance s’est d’abord opérée dans un cadre national en raison de l’isolement du régime, son ouverture croissante à partir des années 1950 lui a permis de nouer des relations avec des partenaires étrangers (États-Unis, pays européens, etc.).

La croissance de l’industrie aéronautique mondiale s’est appuyée sur une multiplication des coopérations, inégalitaires, civiles et militaires, entre les firmes de différents pays. Comme le constate David Burigana, elles ont reposé sur « un rapport de fausse égalité. Elle[s] présent[ent] en fait un leader qui est doté de capacités techno-industrielles ou financières privilégiées, ou encore d’une position géopolitique supérieure4 », qui transfère des compétences à des partenaires moins avancés par l’intermédiaire de contrats divers dans leurs formes et leurs résultats. Le chercheur invite donc à considérer les industries aéronautiques nationales dans un cadre transnational afin de pouvoir comprendre les relations qui se nouent, les échanges qui prennent forme ou encore les problématiques qui structurent la construction des marchés et des entreprises5.

Durant la seconde moitié du xxe siècle, le développement technologique et industriel du secteur – et plus largement de la Défense – en Espagne, a reposé en grande partie sur l’assistance étrangère et s’est manifesté par la construction de coopérations industrielles. Elles ont notamment permis au pays de réaliser des apprentissages techniques et organisationnels, de moderniser son armée et de développer ses moyens de production. Finalement, elles l’ont amené à s’insérer dans les réseaux internationaux de l’aéronautique et à participer au projet Airbus. L’exemple de Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (CASA) témoigne de l’importance de ces partenariats dans la croissance et la modernisation de la société. Ils lui ont permis peu à peu de se faire une place parmi les puissances aéronautiques et de développer des savoir-faire utiles à la mise en œuvre de programmes nationaux et à la participation à des projets internationaux dans lesquels elle a pu prendre une place différente selon les époques.

Alors que la coopération s’est d’abord construite par le militaire dans une logique d’arsenal et de défense, la trajectoire de CASA, à l’image du mouvement qui affecte les entreprises du secteur dans une temporalité différente, s’est déportée progressivement vers le commercial. À partir des années 1970, sous l’impulsion d’Airbus et de l’internationalisation des structures et des marchés aéronautiques, les logiques d’action ont évolué d’une industrie marquée par la prégnance des États et du militaire – une logique d’arsenal – vers une industrie dans laquelle la rentabilité et la vente jouent un rôle de plus en plus prépondérant – une logique commerciale6. L’Espagne et CASA sont marquées par une telle évolution sectorielle. Par ailleurs, dans les années 1960, la politique du pays en matière industrielle et aéronautique, a été de réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis, notamment afin de diversifier ses sources d’approvisionnement et de parvenir à intégrer la Communauté économique européenne (CEE).

Dans le cadre de la construction européenne, les trajectoires de l’innovation technique apparaissent souvent complexes, en particulier dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, les transports ou les industries (aérospatiale, automobile, etc.)7. À partir des années 1960, le niveau de technicité toujours croissant des réalisations aéronautiques, l’existence de marchés restreints ou encore la très nette domination des États-Unis, ont imposé aux pays européens de s’engager dans une stratégie de collaboration scientifique, technique, financière et commerciale. Petit à petit, le secteur s’est structuré autour de pays leaders (France, Grande-Bretagne et RFA) qui ont entraîné dans leur sillage des pays de second rang (Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, etc.), notamment afin de partager les risques, de réaliser des économies d’échelles, d’ouvrir de nouveaux débouchés ou encore de mettre en commun les moyens dans le but de développer des programmes ambitieux qui n’auraient pas pu l’être dans le cadre national. La coopération est apparue comme « le seul moyen de garantir la survivance et le développement d’une industrie aéronautique nationale8 ». L’entreprise doit réaliser des apprentissages et acquérir des compétences clés dans les diverses fonctions afin de pouvoir se développer9. Et c’est bien dans ce cadre, semble-t-il, que CASA parvient à grandir et à s’insérer sur les marchés, les contrats de coopération lui permettant peu à peu de monter en compétence. La coopération industrielle peut prendre plusieurs formes et s’inscrit souvent dans le cadre du commerce de compensation10 (offset), de transferts de technologies et de savoir-faire permettant à l’entreprise qui en bénéficie d’accroître son niveau de compétences : sous-traitance, fabrication sous licence, transferts techniques, prises de participation industrielles et co-entreprises (joint venture). Si ces formes de coopération se superposent dans le temps plus qu’elles ne se remplacent, elles témoignent d’une montée en gamme progressive appuyée sur l’étranger.

Si les chercheurs ont porté l’attention sur la construction d’un « espace aéronautique européen11 » dans les années 1960, le cas de l’Espagne est souvent resté à la marge de leurs analyses. En témoigne par exemple le colloque international consacré à l’histoire d’Airbus organisé à Paris en 1994 par l’Institut d’histoire de l’industrie, qui évoque à peine le rôle joué par l’Espagne dans le projet12. Certes, la place du pays apparaît marginale financièrement et industriellement parlant dans la construction d’Airbus au regard de celle de la France ou de la RFA, mais CASA n’en constitue pas moins un partenaire pérenne du projet. Dans cet article exploratoire, il s’agit donc de présenter l’histoire de cette entreprise et de s’interroger sur ses dynamiques de développement afin d’examiner comment elle est parvenue à franchir des étapes et à réaliser des apprentissages qui lui ont permis de s’intégrer puis de se maintenir dans Airbus. Alors qu’en France, le cas de l’Espagne a peu retenu l’attention des historiens, étudier comment CASA parvient à se construire une place au sein du programme en gagnant en compétences apparaît intéressant dans la mesure où le cas dévoile comment se construisent les réseaux de la coopération internationale à l’interface entre les puissances européennes et les États-Unis. Les chercheurs espagnols ont notamment souligné l’importance du militaire dans la croissance du secteur durant la Guerre Froide13. Ils se sont par exemple intéressés aux trajectoires de la coopération, à l’image de l’attention portée à l’assistance militaire étasunienne14 et au rôle joué par la France15, la Grande-Bretagne16 ou la RFA17 dans le développement industriel et militaire de l’Espagne.

Mais la croissance du secteur civil et l’intégration de CASA dans Airbus restent en retrait dans les analyses. À travers une exploration des fonds documentaires conservés par l’Instituto Nacional de Industria (INI)18 (documentation interne à CASA, Conseils d’administration et bilans annuels de l’entreprise, archives relatives à la coopération internationale, etc.19) et en lien avec de précédents travaux sur la coopération aéronautique internationale20, ce travail a pour objet d’interroger les dynamiques de croissance de CASA des années 1940 aux années 1980 en lien avec son insertion progressive dans les réseaux industriels internationaux ; et de comprendre comment elle est parvenue à se hisser au niveau de la concurrence et à être intégrée dans Airbus, alors même qu’elle disposait d’une capacité d’innovation très réduite. Quelles sont les trajectoires de développement de CASA ? Comment parvient-elle à rattraper son retard technique et à s’imposer, à la fin de la période, sur certains segments du marché aéronautique mondial ? Le cas montre qu’en s’appuyant sur une politique de coopération internationale et sur une forme d’apprentissage par la pratique (learning by doing), l’entreprise est parvenue à s’imposer. Le franchissement de seuils technologiques opéré par CASA illustre plus largement les défis rencontrés par le secteur aéronautique au cours d’une période où les marchés s’internationalisent et où la concurrence se fait plus rude. Il révèle aussi que la société a su prendre sa place dans les projets aéronautiques et s’est imposée comme un partenaire important pour les entreprises et les consortiums.

1. Une entreprise en reconstruction : sortir de l’isolement et engager la relance

1. 1. Un redémarrage compliqué après la guerre d’Espagne

À la fin de la guerre civile, dans le but de renforcer l’emprise de l’État sur le secteur, l’armée de l’Air et le ministère de l’Industrie souhaitent créer une société nationale de constructions aéronautiques à partir des usines qui ont survécu au conflit. Mais le fondateur de CASA (1923), José Ortiz Echagüe, ingénieur militaire et pionnier de l’aéronautique rallié au régime, s’y oppose21. Jouissant d’un certain prestige auprès des nationaux en raison de son rôle d’organisateur de l’aéronautique durant le conflit et ayant noué des relations avec les Allemands avant et pendant la guerre – il voyage par exemple en Allemagne en 1937 dans le but de signer des accords et d’acheter des machines –, celui-ci parvient à éviter une nationalisation pleine et entière de son entreprise.

Aussi, en 1941, les pouvoirs publics décident finalement de se limiter à des prises de participation dans les deux grandes entreprises du secteur, entraînant la création de deux sociétés d’économie mixte : 10 % du capital d’Hispano Aviación Sociedad Anónima (HASA)22 et 33 % de celui de CASA23. La gestion des parts est confiée en 1943 à l’Instituto Nacional de Industria (INI), fondé en 1941 avec pour mission d’organiser, de financer et de contrôler l’industrie, de mettre en œuvre la planification et de gérer les sociétés à capitaux d’État24. Les deux sociétés disposent d’une marge de manœuvre limitée car l’essentiel de leurs débouchés dépend des commandes de l’État et du marché intérieur. Elles vont toutefois s’imposer comme les deux principales sociétés du secteur dans les décennies suivantes et contribuer à une relance de l’aéronautique qui se développe en marge de ses homologues européennes et mondiales. Les statuts de 1943 de CASA précisent que la société a pour vocation « la construction et la réparation de toute classe de matériel en relation avec l’aviation et l’automobile [art. 2]25 ».

Par ailleurs, de 1939 à 1942, l’intervention de l’État se manifeste aussi par plusieurs lois et décrets marquant l’organisation de l’aéronautique26. La loi du 8 août 1939, par exemple, créé le ministère de l’Air qui regroupe tout ce qui a trait à l’aviation militaire et civile. L’Instituto Nacional de Técnica Aeronáutica (INTA), chargé de mener des recherches utiles au développement aéronautique, est fondé en 194227. Il s’agit bien de tenter de relancer l’aéronautique alors qu’elle souffre d’un important retard et que le pays apparaît fortement isolé. Celui-ci ne peut compter que sur ses propres forces dans la période, même si plusieurs ingénieurs étrangers rejoignent l’Espagne et y conçoivent des modèles fabriqués dans les usines espagnoles, à l’image du Français Émile Dewoitine ou des Allemands Willy Messerschmitt et Claude Dornier. Le premier a été condamné par la France pour collaboration, tandis que les seconds ne peuvent pas poursuivre leurs activités en Allemagne, le pays n’étant pas autorisé à conserver des activités aéronautiques, situation qui se prolonge jusqu’au milieu de la décennie. À l’image de l’Italie cependant28, le pays ne dispose que d’une très faible marge de manœuvre en matière d’aéronautique : faible niveau de technicité, resserrement des marchés sur le national, etc.

Si la collaboration avec l’Allemagne avait permis d’obtenir des licences de fabrication, l’après-guerre empêche le régime franquiste de se fournir à l’étranger. Il doit donc relancer les activités de conception et mettre en œuvre une politique de prototypes. En 1946, une Oficina de proyectos (Bureau d’études, BE) et un atelier de prototypes sont créés au sein de CASA. L’entreprise conçoit dans les années suivantes plusieurs appareils, les C201 Alcotan (13 exemplaires), C202 Halcon (12 exemplaires) et C207 Azor (22 exemplaires), qui constituent des étapes dans son positionnement sur le marché de l’aviation légère de transport, même s’ils représentent des échecs, les commandes militaires étant trop limités et les approvisionnements à l’étranger (notamment en moteurs) compliqués. Du côté de HASA, plusieurs projets sont menés avec l’aide des ingénieurs étrangers notamment les HA 100, HA 200 Saeta, etc. En novembre 1956, le premier congrès d’ingénierie aéronautique organisé à Madrid se positionne pour la mise en œuvre d’un programme national concentré sur un nombre limité de projets, capables de concurrencer certains modèles étrangers29. La politique de développement de prototypes est abandonnée car le retard à combler est trop important et que progressivement les marchés extérieurs tendent à se rouvrir dans les années 1950. CASA s’oriente désormais principalement vers la maintenance d’appareils et mène d’une diversification de ses activités vers l’automobile qui lui permet d’alimenter ses plans de charges.

1. 2. La signature des Pactos de Madrid avec les États-Unis : une croissance des activités de maintenance

Dans le dernier tiers des années 1940, l’entrée dans la Guerre Froide contribue à une réintégration progressive de l’Espagne dans le jeu politique et diplomatique international. Si le pays est exclu du plan Marshall et de l’OTAN, un rapprochement s’opère malgré tout avec les États-Unis pour des questions stratégiques. Le pays cherche en effet des alliés à la périphérie de l’Europe et, outre l’Italie ou les Pays-Bas, porte son attention sur l’Espagne franquiste :

Le réseau d’assistance technique, entendu comme l’ensemble des programmes officiels, des contrats et des investissements privés qui ont servi à transférer en Espagne les techniques de production et d’organisation associées au modèle américain, a servi à la fois aux entreprises américaines intéressées par le marché espagnol et aux entrepreneurs espagnols à l’avant-garde de la seconde révolution industrielle ou sensibles aux institutions de la société de consommation30.

Comme le souligne Rosa Pardo Sanz, un climat de paix sociale régnerait dans le pays, qui favoriserait la croissance des investissements étrangers31. Cependant, dans les années 1940, l’outil de production est encore archaïque et la croissance industrielle très lente en raison des pénuries (énergie, matières premières, etc.) : en 1951, l’Espagne apparaît économiquement à bout de force32.

Au terme d’un processus de négociation qui aboutit à la signature des « Pactos de Madrid de 195333 », les États-Unis sont autorisés à implanter quatre bases sur le territoire espagnol en échange d’une aide économique et militaire34. Cette décision inaugure de nouveaux rapports entre les deux pays et constitue un moyen pour Franco de gagner en légitimité politique et d’assurer la pérennité de son régime. Le pays sort peu à peu de son isolement et de la période autarcique, mais se trouve dans une situation de dépendance accrue à l’égard de l’étranger, notamment dans le cas de l’aéronautique. L’historien Denis Rodrigues évoque une autarcie protectionniste de 1939 à 1952 à laquelle se substitue une autarcie complétée par l’aide américaine entre 1952 et 195735. Pour l’Espagne, le programme d’assistance militaire se heurte néanmoins à des limites en matière de modernisation et de développement des forces aériennes, ce qui l’incite, quelques années plus tard, alors qu’elle est confrontée à des troubles dans ses possessions en Afrique du Nord, à se tourner vers la France dans le but de diversifier ses programmes de défense36.

1954 représente une année charnière pour l’aéronautique. D’une part, le 9 juin, les constructeurs se fédèrent au sein d’une organisation professionnelle, la Agrupación Tecnica Española de Constructores de Material Aeronautica (ATECMA), dont l’objectif est de définir une politique commune et de faire la promotion du secteur37. D’autre part, comme conséquence des « Pactos », un contrat est signé avec la United States Air Force (USAF) pour l’entretien de ses appareils basés en Europe. Pas moins de 6 851 appareils (F86, F100, C47, etc.) passent par les usines de CASA entre 1954 et 198238. Les activités de maintenance permettent au pays d’alimenter son industrie et de mettre à niveau ses savoir-faire grâce à des transferts organisationnels et techniques : production en série, normes de fabrication, etc. Petit à petit, la gamme des appareils entretenus s’étoffe et les apprentissages se renforcent, traduisant une montée en compétence des usines. En 1971, l’USAF attribue à CASA le Craftmanship Award, plus haute distinction du Industrial Zero Defects Program, en récompense de la qualité des travaux menés. À l’époque, elle est « la seule société européenne à obtenir une telle distinction39 » selon les administrateurs de CASA. Cette coopération ne se limite pas à de la sous-traitance puisque des militaires et des scientifiques sont formés aux États-Unis et rejoignent ensuite le pays pour y transmettre les compétences acquises40.

1. 3. Les premiers contrats de sous-traitance dans le contexte d’une modernisation de l’économie espagnole

Après avoir été admis au sein d’organisations spécialisées à partir du début des années 1950, le pays rejoint l’Organisation des nations unies (ONU) en 1955 puis l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) en 195941. Cette même année, un plan de gestion économique – plus tard qualifié de stabilisation – est mis en œuvre, il marque l’ouverture d’une nouvelle étape dans le développement et l’internationalisation de l’économie42. L’Espagne s’ouvre sur l’extérieur et une reprise économique tend à s’amorcer à partir du début des années 196043. Les investissements étrangers se renforcent tout au long de la décennie. Un nouveau plan est approuvé par la loi du 27 décembre 1963, dont les objectifs principaux sont de moderniser l’économie et de mieux répartir les fruits de la croissance entre les communautés autonomes. De 1964 à 1968, la croissance du PIB atteint 6,4 % par an – plus que la France ou l’Italie. Le plan aide le pays à rattraper peu à peu son retard, notamment en matière industrielle, et est suivi d’autres (1968-1971, 1972-1975)44.

L’armée espagnole se modernise et de nouvelles coopérations se concrétisent45. Le dernier tiers des années 1950 et la première moitié de la décennie suivante marquent les débuts d’une phase de modernisation de la société dans le cadre d’un développement des coopérations avec l’étranger. En 1961 par exemple, Northrop46 lui accorde la licence de fabrication de son avion de chasse F5 (lancé en 195447) et l’accompagne de transferts de technologies. Il permet à CASA d’améliorer sa compétitivité mais cause des difficultés à HASA, dont les appareils militaires ne trouvent plus de débouchés en Espagne et ne parviennent pas à être exportés48 – l’entreprise est traversée par un fort marasme qui se traduit, au début des années 1970, par sa fusion avec CASA. En 1963, la société étasunienne prend une participation de 24 % dans le capital de l’entreprise. CASA se confronte ainsi au défi de l’organisation d’une chaîne de fabrication moderne et bénéficie de l’expérience de Northrop en la matière. Les deux sociétés échangent du personnel qualifié, des machines plus modernes sont installées (calibration optique, presses hydrauliques, fraiseuses, copieuses, etc.) et l’entreprise accroît ses moyens de production.

En 1971, alors que le programme s’achève, les administrateurs soulignent qu’il a constitué une étape importante et a permis de fabriquer des avions performants « moyennant un effort gigantesque […] et en comptant à tout moment sur une magnifique collaboration de Northrop49 ». Il aura donné aux usines de Getafe et de Séville la majorité de leurs charges pendant cinq ans et aura aidé l’entreprise à « énormément augment[er] [ses] connaissances technologiques et [sa] capacité industrielle, pour les programmes […] actuels et futurs50 ». Cette sous-traitance sur le F5 apparaît centrale, car elle permet à CASA d’acquérir des savoir-faire productifs utiles au développement de futurs projets menés dans le cadre national ou en collaboration avec d’autres pays. Un nouveau contrat est signé l’année suivante pour la fabrication du fuselage arrière du F5.

Par ailleurs, alors qu’une croissance importante du transport aérien commercial est en cours depuis la fin de la guerre, CASA coopère à partir de 1962 avec l’entreprise allemande Hamburger Flugzeugbau (HFB)51 pour la réalisation de son biréacteur d’affaires Hansajet 320. La société amorce une diversification de ses activités vers les aérostructures et le civil. Sous-traitante, elle fabrique dans un premier temps la dérive, la partie postérieure du fuselage, le plan fixe horizontal et la partie postérieure de l’aile. Le BE est ensuite associé à la conception et par des transferts techniques et de la formation réalise de nouveaux apprentissages. Ces diverses sous-traitances permettent non seulement d’alimenter les plans de charges et de construire des liens avec des entreprises étrangères, mais aussi d’accéder à des technologies et à des savoir-faire plus récents.

Une montée en compétences s’opère durant les années 1950 et 1960, entre entretien, assemblage puis fabrication et activités de conception. Mais la part des travaux non-aérospatiaux est encore importante dans les activités de la firme – 25 % du CA en 1955, 43 % en 1959, 56 % en 1964 puis 36 % en 1967 et 21 % en 1971 –, tandis que le BE n’est chargé d’aucun nouveau projet d’avion par le ministère de l’Air entre 1955 et 196152. Alors que CASA comptait 1 732 salariés en 1945, leur nombre atteint 3 281 en 1954 et 4 645 en 1965 sous les effets conjugués du développement de la maintenance et de la sous-traitance. Si durant les années 1960, CASA modernise et agrandit ses usines, l’aéronautique espagnole est encore marquée par une dispersion de ses moyens financiers, techniques et industriels. Elle ne constitue pas un ensemble industriel cohérent capable d’affronter la concurrence et de s’insérer sur les marchés internationaux. Cela va évoluer dans le premier tiers de la décennie suivante.

2. Entre insertion croissante dans la division internationale du travail aéronautique et conquête d’une capacité d’innovation

2. 1. La création d’un champion aéronautique espagnol

Dans le dernier tiers des années 1960, les pays européens disposant d’une industrie aéronautique engagent des processus de fusion de leurs entreprises afin de faire émerger des champions nationaux capables de s’insérer sur les marchés internationaux et, pourquoi pas, d’être en mesure de concurrencer les entreprises étasuniennes : création d’Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation (AMD-BA, 1967-1971) et de l’Aérospatiale (SNIAS, 1970) en France, d’Aeritalia (1969) en Italie ou encore de Messerschmitt-Bölkow-Blohm GmbH (MBB, 1969) en RFA. En Espagne aussi, les acteurs, en particulier l’État, l’ATECMA et l’Asociación Nacional de Ingenieros Aeronáuticos (AIA), s’interrogent sur la place à accorder à une aéronautique jugée trop centrée sur l’entretien et les réparations au détriment de la conception et de la fabrication. Le secteur est placé dans une situation difficile, ses structures apparaissent inadaptées au développement d’une industrie compétitive capable de jouer un rôle dans la division internationale du travail. À mesure que les contraintes techniques et financières se développent, il est de plus en plus compliqué de faire émerger un programme aéronautique et spatial national et de participer à des coopérations. Il est donc nécessaire de revoir l’organisation du système productif afin de lui faire atteindre une taille critique. À l’époque, trois sociétés se partagent l’essentiel du marché : CASA, HASA53 et Empresa Nacional de Motores Aeronáuticos Sociedad Anónima (ENMASA)54. Elles s’appuient sur un modeste réseau d’entreprises partenaires et sous-traitantes souvent fondées dans les années 1940 et 1950, parfois à l’initiative de l’INI : Iberavia (1946-195355, instruments de navigation), Empresa Nacional de Hélices para Aeronaves (ENHASA, 1950-196756, hélices et trains d’atterrissage), Bresell SA (fondée en 1940, instruments de précision), etc.

Plusieurs publications posent les bases d’une réforme nécessaire. La réflexion conduit à la parution en plusieurs étapes d’un « Libro Blanco57 » par une équipe de l’AIA. Selon le vice-président de l’association, Enrique Guzmán Ozámiz, qui prend la tête d’HASA en 1969 et la direction générale de CASA en 1971, le fait qu’il existe « un nombre excessif d’entreprises pour un pays de la taille de l’Espagne » constitue une faiblesse sectorielle, d’autant que CASA est la seule à disposer d’une « excellente qualité technique et [de] techniciens très qualifiés tant dans la fabrication qu’en conception58 ». Cette dernière doit donc constituer un point d’appui pour le développement industriel, procurer un effet d’entraînement et permettre un accroissement du niveau de technicité général. Elle doit également représenter une tête de pont pour une insertion du secteur sur les marchés internationaux militaires et civils.

Avalisé par le ministère de l’Air en avril 1971, le projet prévoit la nationalisation de CASA puis sa fusion avec les deux autres entreprises. L’intégration des usines est menée en deux temps et en parallèle de la négociation de plusieurs contrats de coopération (Douglas, Boeing, Airbus, etc.), nous y reviendrons. Le 28 décembre 1971, l’INI devient majoritaire dans le capital de la société – 64 % des parts – et le gouvernement autorise la fusion avec HASA conduite en juillet 1972. En juin 1972, il est également décidé qu’ENMASA soit absorbée par CASA, entraînant la création d’une division Moteurs au sein de la société désormais nationalisée (1973). Les administrateurs soulignent qu’elle se trouve placée au terme de cette restructuration « à la tête de l’industrie aéronautique nationale [ce qui] lui permet de jouer un rôle actif dans le concert international59 ». Parmi les priorités jugées stratégiques, figurent le développement d’une gamme d’appareils et la participation à des coopérations destinées à accroître le niveau de technicité par des transferts de technologies.

Avec la fusion et les développements programmatiques, les effectifs augmentent : 5 030 salariés en 1970, 7 587 à la fin de 1975 et 8 270 en 198060. À partir de 1973, la société fait l’objet d’une restructuration interne visant à améliorer sa productivité et à renforcer ses capacités commerciales. La culture de l’entreprise est fortement impactée par les transformations : de firme sous-traitante et centre de maintenance des appareils militaires étasuniens en Europe, CASA évolue progressivement vers une entreprise capable de mettre en œuvre des programmes complets et de répondre aux attentes de partenaires étrangers en matière de fabrication d’aérostructures. À l’image des autres pays européens, le début des années 1970 est donc un moment clé pour l’aéronautique espagnole. La restructuration du secteur marque le début d’une croissance importante, appuyée sur plusieurs axes principaux : programmes nationaux, collaboration internationale, maintenance d’appareils, etc. La répartition des heures productives entre 1974 et 1985 laisse apparaître le poids déterminant de ces trois champs dans l’activité de l’entreprise, tout autant que la diminution des travaux non-aérospatiaux qui constituaient jusque-là une part non-négligeable de ses activités (graphique 1).

Graphique 1. Répartition des heures productives de CASA (1974-1985)

Graphique 1. Répartition des heures productives de CASA (1974-1985)

(Clair Juilliet, à partir des bilans de CASA)

2. 2. Une diversification des coopérations militaires et civiles en fabrication

Si le Hansajet 320 et le F5 ont marqué une première étape, d’autres coopérations sont engagées à partir de la fin des années 1960, qui permettent à CASA d’acquérir de nouvelles compétences. Grâce à la diversification des contrats, l’activité se développe et l’entreprise renforce ses savoir-faire par des compensations industrielles, autrement dit par des contreparties à l’achat d’avions à des firmes étrangères. Elles peuvent prendre la forme de transferts de technologies, d’association à la production et/ou à la conception, de formation de personnel, etc. La coopération n’est pas seulement aéronautique, CASA s’implique aussi dans le spatial, nouant des collaborations tout au long de la période (inter-entreprises, consortiums, etc.), que ce soit avec les États-Unis ou avec les pays européens61. Pour ne prendre qu’un exemple, CASA et Sud-Aviation signent un accord de coopération de cinq ans en septembre 196562.

Après le retour au pouvoir du général de Gaulle en France à la fin des années 1950, les relations entre les deux pays s’améliorent. La coopération débouche au cours de la seconde moitié des années 1960 sur la signature de contrats d’achats et d’assistance technique (sous-marin Daphné (1966), chars de combat AMX (1970), etc.) et un comité de coopération industrielle franco-espagnol est mis en place. À l’époque, la France est le cinquième investisseur étranger en Espagne après les États-Unis, la Suisse, l’Allemagne et le Royaume-Uni63. Le pays diversifie ses approvisionnements militaires afin de réduire sa dépendance à l’égard des États-Unis et de se rapprocher de l’Europe. La France recherche des débouchés commerciaux pour ses productions militaires64. Un accord de coopération militaire est signé le 22 juin 1969, qui se traduit notamment par l’achat de matériels (avions, chars, missiles, etc.) en échange de cessions de licences, de contrats de sous-traitance, de transferts de technologies, etc. Malgré la concurrence des États-Unis et des Allemands, les gouvernements français et espagnol parviennent à un accord le 10 février 1970 pour l’acquisition de trente Mirage III en échange d’une compensation de 20 % du montant total du contrat – avec les équipements65 – au bénéfice des entreprises espagnoles et accompagné de la formation de personnels (pilotes, mécaniciens, techniciens, etc.)66. Si les Mirage III sont livrés à l’Espagne, des fabrications sont par la suite confiées à CASA et à d’autres entreprises.

Par ailleurs, l’année précédente, en matière d’aéronautique civile, AMD-BA s’était rapprochée de CASA pour l’associer à la réalisation de son avion de transport civil court-courrier Mercure et notamment s’ouvrir des débouchés commerciaux en direction du marché latino-américain. La société française, qui pour cet appareil s’appuie sur un réseau international de partenaires (France, Espagne, Italie, Belgique), lui offre de produire un tronçon du fuselage du prototype. Fabriqué à Séville, il est livré en juin 1970 et assemblé à Bordeaux-Mérignac. Satisfait du travail accompli, AMD-BA lui accorde la fabrication d’un tronçon supplémentaire, la participation passe de 5,8 % à 13,8 % de la structure finale. Commandé à seulement dix exemplaires en janvier 1972, le programme débouche sur un échec commercial et s’achève deux ans plus tard67. Ces deux contrats marquent le début d’une activité de sous-traitance de longue durée pour AMD-BA : jeux d’ailes du Mystère 10 (1970), tronçons de fuselage du Mirage F1 (1972), bords d’attaques du Falcon 20 (1978), etc. En 1981, CASA dédie un peu plus de 10 % de ses heures productives à l’entreprise française (environ 683 000 heures sur un total de 6,4 millions pour l’année). Elle fabrique les aérostructures qui lui sont octroyées et réalise de nouveaux apprentissages, AMD l’aidant à développer ses capacités en matière de Machines-outils à commande numérique (MOCN) en lien avec l’intégration de la conception assistée par ordinateur dans les usines68.

Avec les sociétés étasuniennes aussi la coopération s’étoffe durant les années 1970. En 1972, deux contrats sont signés avec Boeing et Douglas dans le cadre de programmes de compensation d’achats d’exemplaires du 727 et du DC10 destinés à Iberia. D’une part, CASA est chargée de fabriquer les escaliers ventraux et les compensateurs de direction du 727, appareil assemblé de 1960 à 1984 aux États-Unis. Associée au projet à mi-parcours, elle produit 819 jeux de compensateurs de direction et 810 escaliers ventraux sur les 1 831 avions construits par Boeing. D’autre part, elle fabrique des éléments des avions de transport DC10, DC9 et MD80. Pour le premier, elle est chargée des trempes de trains d’atterrissage, des portes des Auxiliary power unit (APU) et des coques des ailes de l’avion. Pour le deuxième, elle produit les portes d’urgence, charge qu’elle assure également pour son successeur, le MD80. En 1981, le total des heures productives dévolues à ces aérostructures atteint 320 000 pour les deux entreprises étasuniennes69, soit environ 5 % de ses activités.

Ces programmes contribuent à alimenter des plans de charges qui restent plutôt stables dans les années 1970 (tableau 1). Ils lui permettent aussi de renforcer ses savoir-faire productifs, l’efficience de son organisation industrielle et d’engager une spécialisation croissante vers les aérostructures. Mais la société ne souhaite plus se cantonner à de la maintenance, de la sous-traitance ou même de la fabrication d’éléments d’avion, elle développe donc une gamme d’appareils à partir de la seconde moitié des années 1960.

Tableau 1. Total annuel des heures productives (1973-1981)

Année

Heures productives (en millions)

1973

6,02

1974

7,15

1975

7,32

1976

6,67

1977

6,39

1978

5,7

1979

5,7

1980

5,9

1981

6,4

(Clair Juilliet à partir des bilans de CASA)

2. 3. Du C212 au CN235 en passant par le C101 : une reprise de la conception aéronautique

À partir de 1964, alors que le BE avait fortement réduit ses activités, les ingénieurs planchent sur un nouvel avant-projet pour lequel ils bénéficient des expériences précédentes (C201, C202, C207) et de l’appui technique de HFB. Lancé officiellement en août 1968, le programme C212 Aviocar marque une relance des activités de conception mises en sommeil depuis l’échec du C207 et occupe une place centrale dans l’activité du BE, marquant une spécialisation de l’entreprise vers l’aviation légère de transport. CASA place de grands espoirs dans cet avion qu’elle entend parvenir à exporter. Il vole pour la première fois le 26 mars 1971 et trois ans plus tard, alors que s’amorce sa fabrication en série, le C212 est vendu au Portugal et à l’Indonésie – puis à d’autres pays dans les années suivantes (Nicaragua, Turquie, États-Unis, Thaïlande, Chili, etc.). Comme le soulignent les administrateurs en mai 1975, l’Aviocar permet de renforcer ses compétences, notamment en matière commerciale, et de s’insérer sur le marché international :

Ce programme est d’une grande importance [] non seulement en raison [] de la charge de production et du chiffre d’affaires qu’il implique, mais aussi parce qu’il entraîne le développement des moyens de gestion commerciale, de l’assistance technique à la production et, en général, de tous les organes de direction de l’entreprise, tout en permettant la présence de notre entreprise sur les marchés internationaux avec un produit développé par elle-même70.

Vingt-sept exemplaires sont livrés en 1975 et le programme compte pour environ 1 930 000 heures productives sur 7 150 000 heures (27 % de l’activité), signe de son importance pour CASA71. Les versions militaires et civiles sont présentées lors du Farnborough Air Show 1976 (5 au 12 septembre) en même temps que l’appareil d’entraînement et d’attaque au sol C101 Aviojet. Lancé en 1975 avec l’appui de Northrop et de MBB, il marque une autre étape importante. Sa conception s’appuie en partie sur l’expérience acquise par le BE de HASA, en particulier sur la commande qui lui a été passée par le ministère de l’Air en 1967 pour la réalisation d’un avion d’attaque au sol, le HA500 Alacrán, projet abandonné après la décision du pays d’acheter des F5. L’Aviojet vole pour la première fois le 27 juin 1977 et il est commandé à 60 exemplaires par le ministère de la Défense le 18 juillet 197872 : 166 exemplaires sont produits de 1979 à 1986, dont une partie est exportée (Jordanie, Honduras, Chili).

En 1973, des discussions s’engagent avec l’Indonésie pour l’achat d’exemplaires du C212, alors que CASA cherche à se positionner sur le marché asiatique et pacifique et que l’Indonésie souhaite renforcer ses capacités industrielles et faire fabriquer des avions par sa société Nurtanio73. Le contrat de vente officialisé en août 1976 s’accompagne d’un programme de collaboration et d’assistance technique impliquant des compensations industrielles pour l’Indonésie. Les premiers appareils sont livrés par CASA, les suivants sont montés par Nurtanio et les derniers fabriqués par la société indonésienne sous le nom de NC212 dans une usine construite à Bandung. Cette fabrication sous licence constitue la première étape d’une coopération de plus grande envergure entre les deux pays. En 1979, il est décidé de coproduire dans le cadre d’une joint venture un dérivé d’une plus grande capacité, l’appareil de transport léger militaire et civil CN235. Il marque un accroissement de la collaboration technique entre les deux pays. Pour mener à bien son développement et sa fabrication, CASA et Industri Pesawat Terbang Nusantara (IPTN) qui prend le relais de Nurtanio, constituent une société mixte de droit espagnol, Airtec, chargée d’assurer la coordination des partenaires74. Deux prototypes et deux lignes d’assemblage sont créés. L’avion trouve des débouchés à l’international durant la seconde moitié des années 1980 : Turquie, Pologne, etc. Cette coopération avec l’entreprise indonésienne démontre que CASA est désormais capable de maîtriser les processus de conception, de production et de vente, et d’opérer des transferts en direction de l’étranger : elle exporte ses savoir-faire. Ses appareils sont fabriqués sous licence au Chili (C101) ou en Turquie (CN235) durant les années 1970 et 1980. Le C212 surtout, mais également le CN235 et son successeur le C295, constituent des programmes majeurs dans le développement de CASA à l’internationale.

Un autre projet de coopération industrielle permet au pays de renforcer sa capacité d’innovation dans le champ de l’aéronautique civile ainsi que ses contacts avec les pays de la CEE. Il renforce également la spécialisation industrielle de l’entreprise vers les aérostructures.

3. Une spécialisation industrielle décisive synonyme de conquête d’une capacité d’innovation : les aérostructures

3. 1. La participation de CASA au projet multilatéral européen Airbus

Le projet Airbus marque une étape importante dans la croissance du secteur aéronautique en Espagne. Collaboration européenne multilatérale non-communautaire en gestation depuis la première moitié des années 1960, il participe d’une mutualisation des capacités techniques, commerciales et financières des pays européens75. Sur le plan industriel, la SNIAS (France), la Deutsche Airbus76 (RFA) et Hawker-Siddeley (Grande-Bretagne77), moteurs du projet, sont rejointes par Fokker (Pays-Bas) le 28 décembre 1970. Afin de coordonner la réalisation et la commercialisation de l’Airbus A300, un Groupement d’intérêt économique (GIE), structure juridique atypique et forme de co-entreprise, est créé le 18 décembre 1970 : autonome, il a pour missions principales d’assurer la coordination des partenaires et la commercialisation des appareils78. Ce mode de fonctionnement permet notamment aux entreprises impliquées de partager les risques, d’accéder à des marchés et/ou à des compétences nouvelles et d’opérer des transferts de technologies. Un système productif internationalisé se met en place, les unités nationales sont de plus en plus spécialisées et interdépendantes : les parties d’appareils assemblées à Toulouse proviennent de sites implantés dans les différents pays partenaires79. À la différence de l’Italie, qui choisit de rester dans le giron étasunien et de ne pas participer au projet80, l’Espagne, dont la stratégie repose sur une multiplication des coopérations, va y prendre une place.

De difficiles négociations sont en cours depuis le début des années 1960 quant à l’intégration du pays au sein du Marché commun81. Elles aboutissent à la signature d’un « accord commercial préférentiel » le 29 juin 1970, autorisant notamment le lancement de discussions sur une participation du pays à Airbus. Le 23 décembre 1971, l’Espagne devient membre de plein droit du GIE. Preuve d’une contribution limitée, le pays apporte 2 % des fonds nécessaires au financement et participe à hauteur de 4,2 % à la fabrication. Au départ, pour l’Espagne, l’opération constitue un « ticket d’entrée82 » pour la CEE, un moyen de développer un peu plus ses capacités, et peut-être un contrepoids dans les négociations en cours avec Boeing et Douglas. Pour le GIE, il s’agit de permettre une commercialisation plus large de l’appareil et une meilleure répartition des coûts. En échange de sa contribution financière et de la promesse de faire acheter huit A300 à Iberia – la compagnie aérienne modernise sa flotte dans la première moitié des années 197083 –, le compromis prévoit la production du stabilisateur horizontal (transférée par la Deutsche Airbus), des trappes des trains d’atterrissage et des portes (transférées par la SNIAS). Si l’INI envisageait de confier ces travaux à HASA, l’entreprise étant en difficultés et CASA déjà engagée dans le programme Mercure, le processus de fusion conduit à la réalisation de cette fabrication par CASA84.

En 1972, l’outillage transmis par les entreprises allemande et française arrive à l’usine de Getafe et les premières aérostructures sont livrées l’année suivante. L’A300B entre en service commercial le 23 mai 1974. Pour la société espagnole, Airbus représente seulement un appoint à ce stade, puisque le nombre d’heures productives générées n’est en moyenne que de 400 000 par an entre 1974 et 1978 (tableau 2), moins de 10 % de l’activité totale. Avec la diversification des programmes Airbus, le projet va cependant prendre de l’importance durant la décennie suivante.

Tableau 2. Fabrication des éléments d’A300 par CASA (1974-1978)

Stabilisateurs horizontaux

Jeux de portes passagers

Jeux de trempes de train d’atterrissage

Total heures productives directes

1974

8

3

4

Pas de données

1975

14

15

14

460 000

1976

20

20

19

490 000

1977

17

15

15

320 000

1978

16

16

16

400 000

(Clair Juilliet, à partir des bilans de CASA)

Tout au long des années 1970, l’A300B est confronté à des difficultés d’insertion sur les marchés, car pour opérer une percée commerciale il est nécessaire de pénétrer le marché étasunien. Au 31 décembre 1976, seulement 33 exemplaires ont été vendus85. Il faut attendre la fin de la décennie pour que cette situation évolue, notamment en raison de la signature d’un contrat avec Eastern Airlines en avril 1978, après le prêt de quatre appareils invendus. La compagnie étasunienne, actrice majeure du transport aérien, achète 23 avions et prend 25 options sur l’A310, dont le lancement est officiellement annoncé en juillet. De 1979 à 1982, le rythme de production des avions s’accélère (tableau 3) et les perspectives s’améliorent. Iberia signe un contrat d’achat de quatre A300B et en fin d’année le nombre total d’avions vendus atteint 256. Il ne faut pas exagérer cette réussite, Boeing est de loin la société la plus puissante, obtenant en 1978-1979 son meilleur bilan commercial depuis 1965 avec 446 commandes enregistrées en douze mois86. La hausse du nombre d’appareils vendus permet à CASA de développer son segment aérostructures et d’améliorer sa productivité.

Tableau 3. Livraisons annuelles d’appareils par le GIE Airbus (1974-1989) et aérostructures livrées par CASA à Airbus

A300B

A310

A320

Total année

Aérostructures CASA

1974

4

4

15

1975

8

8

43

1976

13

13

59

1977

15

15

47

1978

15

15

48

1979

26

26

75

1980

39

39

105

1981

38

38

188

1982

46

46

222

1983

19

17

36

219

1984

19

29

48

173

1985

16

26

42

119

1986

10

19

29

116

1987

11

21

32

130

1988

17

28

16

61

329

1989

24

23

58

105

Pas de données

Total

320

163

74

557

1 888

Aérostructures : Stabilisateurs horizontaux, trempes de trains d’atterrissage principale et auxiliaires, portes passagers, divers.

(Clair Juilliet, à partir de : https://www.airbus.com/aircraft/market/orders-deliveries.html, et des bilans de CASA)

Pour l’A310, CASA est désignée pour fabriquer les mêmes parties, mais elle est aussi associée à leur conception, ce qui marque une reconnaissance de la qualité du travail fourni depuis 1972. L’entreprise devient un partenaire pérenne du programme et obtient le transfert de nouvelles compétences utiles à son développement. En 1981, avec la sortie des premiers éléments de l’appareil, les charges augmentent de près de 30 % par rapport à l’année précédente : l’activité pour Airbus atteint 980 000 heures directes, contre 450 000 cinq ans plus tôt. Le programme A320 est officiellement lancé en mars 1984 et entre en production en 1987. Preuve de l’insertion croissante d’Airbus sur les marchés, le total de commandes dépasse les 1 000 en avril de la même année tous programmes confondus. Dans le cadre de la nouvelle diversification de la gamme opérée avec les A330 et A340 à partir de juin 1987, dont l’objectif est de conquérir des parts de marché sur le segment des long-courriers sur lequel le Boeing 747 détient un monopole, la participation de CASA s’élève à 10 % du développement total. Peu à peu, les entreprises impliquées dans Airbus apprennent à se coordonner, se spécialisent et fonctionnent de plus en plus en réseau87. Avec Airbus, CASA n’est plus seulement sous-traitante, mais elle est associée progressivement à la conception, à la vente et à l’après-vente, ce qui lui permet de réaliser de nouveaux apprentissages.

Ainsi, durant les années 1970 et 1980, CASA développe son savoir-faire en matière d’aérostructures dans le cadre d’Airbus et des travaux menés en sous-traitance pour Boeing et pour Douglas.

3. 2. Un recentrage sur l’aéronautique et une technicisation croissante de l’entreprise

En 1979, les activités de CASA se répartissent dans cinq grands champs : les productions nationales, les collaborations internationales, l’entretien et la maintenance, les activités de diversification technologique (en particulier autour de l’énergie solaire et de l’électronique/avionique) et l’automobile88. De 7 587 salariés en 1975, l’entreprise passe à 8 270 en 1980 et à 10 238 en 1985. Preuve d’une entreprise en cours de technicisation, le nombre d’ingénieurs augmente fortement en proportion dans les années 1970 et 1980 (tableau 4) sous l’effet du renforcement du BE, de la croissance des activités spatiales et des transformations du travail aéronautique.

Tableau 4. Nombre d’ingénieurs au sein de CASA (1968-1989)

Année

Nombre d’ingénieurs

Part dans l’effectif (%)

1968

95

2,02

1970

114

2,27

1975

252

3,32

1980

349

4,22

1985

908

8,87

1989

1083

10,68

(Clair Juilliet, à partir des bilans de CASA)

Si l’Espagne poursuit son expansion, elle est encore loin de constituer un grand pays industriel au début des années 1980. Toutefois, elle est parvenue à opérer un rattrapage qu’illustre notamment le cas de l’aéronautique. Dans les années 1980, des investissements toujours plus importants doivent être consentis pour suivre le rythme du développement industriel international, rester compétitif et construire une stratégie d’innovation technique et de croissance. Le plan quadriennal 1980-1983 fixe comme objectifs de poursuivre la réalisation des programmes nationaux et internationaux, de renforcer le segment spatial, de contribuer à l’enrichissement technologique civil et militaire espagnol, etc.89 Durant la période, l’attention se porte aussi sur l’accroissement des moyens informatiques : un Plan informàtico operacional accompagne la création d’un Centre de calcul technique90. Le plan stratégique de moyen terme (1982-1991) ambitionne d’« augmenter la productivité et la compétitivité que l’entrée dans la CEE impose91 ». Il s’inscrit dans une période de « sévère assainissement conjoncturel et structurel92 » de l’économie espagnole mené de 1982 à 1986 et d’une forte inflation.

CASA traverse une période difficile de 1984 à 1987, qui découle, outre de ses investissements, d’une réduction des marchés pour ses productions nationales. Cette crise semble relever en partie des fluctuations cycliques des marchés de l’aviation et de la récession qui affecte l’économie mondiale à partir de la fin des années 1970. La baisse des heures productives atteint 36,6 % environ de 1983 à 1984 et ne rebondit qu’en 1988 (graphique 2). Malgré tout, et même si les pertes se creusent entre 1984 et 1992, cette situation ne se répercute pas sur un CA qui augmente nettement durant la décennie (tableau 5). Les fabrications Airbus accusent elles aussi le coup : en hausse depuis 1977, elles baissent de près de 21 % entre 1983 et 1984, avant de connaître un redressement spectaculaire, de 150,2 % entre 1987 et 1988.

Graphique 2. Total annuel des heures productives (en millions d’heures, 1973-1988)

Graphique 2. Total annuel des heures productives (en millions d’heures, 1973-1988)

Pour tenir compte de la forte inflation des années 1980 en Espagne, les nombres ont été convertis avec https://www.calcuvio.com/inflacion-espana.

(Clair Juilliet, à partir des bilans de CASA)

Tableau 5. Chiffre d’affaires et bénéfices/pertes annuels de CASA (en pesetas de l’année et en euros de 2021)

Année

CA (Pesetas de l’année)

Euros (2021)

Bénéfices/Pertes
(Pesetas de l’année)

Euros (2021)

1980

16 928 500 000

528 347 366,39

261 380 000

8 157 806,93

1981

24 653 000 000

671 704 494,72

423 900 000

11 549 731,69

1982

34 199 000 000

814 402 156,15

739 060 000

17 599 697,58

1983

40 156 000 000

852 478 547,61

399 950 000

8 490 606,51

1984

42 623 000 000

813 128 046,01

- 270 090 000

- 5 152 564,44

1985

47 836 000 000

838 654 601,07

943 670 000

16 544 301,1

1986

46 939 000 000

756 403 332,7

- 8 709 270 000

- 140 346 425,22

1987

50 631 000 000

775 214 925,11

- 13 792 460 000

- 211 177 358,65

1988

77 250 000 000

1 128 206 122,59

- 6 263 930 000

- 91 482 254,72

1989

79 430 000 000

1 086 270 717,17

- 4 630 310 000

- 63 323 305,61

(Clair Juilliet, à partir des bilans de CASA)

CASA s’engage aussi dans une réorganisation majeure pour se recentrer sur les activités aéronautiques et spatiales qui constituent son cœur de métier. En juin 1982, le secteur automobile est abandonné. En septembre 1984, les divisions spatiale, avionique et systèmes sont regroupées au sein de la division espace et systèmes et le département énergies est fermé93. L’entreprise compte désormais six divisions (Avions militaires, Avions civils, Espace et systèmes, Fabrications et sous-traitance, Projets, Entretiens). Le plan adopté en 1985 souligne les points forts de la société (image, notoriété et prestige intérieur et international, capital humain, etc.), mais également ses points faibles (organisation inappropriée, croissance industrielle confuse, structures de conception sous-dotées, etc.). La restructuration a pour objectifs principaux de faciliter les relations avec les clients, de simplifier l’organisation des divisions et des usines, de renforcer les fonctions commerciales ou encore d’« accroître la sensibilisation et la responsabilité économiques94 ». Autrement dit, il s’agit de rationaliser les structures et de rendre l’entreprise plus compétitive pour accentuer le tournant commercial en cours.

Et en effet, CASA, qui investit de plus en plus le segment des aérostructures, gagne de nouveaux clients et diversifie encore ses coopérations. De plus en plus d’entreprises lui font confiance, à l’image de Canadair pour laquelle elle fabrique le stabilisateur horizontal du bombardier d’eau CL215 (60 exemplaires de 1980 à 1988). Elle travaille également avec d’autres sociétés françaises – SNECMA (moteurs), Messier-Hispano-Bugatti (trempes de trains d’atterrissage de l’Alphajet), SNIAS (hélicoptères), etc. – et étasuniennes – Sikorsky (hélicoptères), etc. – notamment. Dans les années 1980 et surtout 1990, CASA externalise certaines de ses activités, ce qui contribue à renforcer la filière aéronautique et à donner du travail à d’autres entreprises (AISA, CESA, Indra, Sener, EASA, Andalucia Aerospacia, etc.)95. CASA participe aussi à hauteur de 13 % au programme European Fighter Advanced (Eurofighter) mené dans le cadre d’une collaboration européenne (Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne, Italie) à partir de décembre 198396.

Par ailleurs, dans les années 1980, l’utilisation de matériaux composites dans la fabrication des aérostructures se renforce et permet à CASA de développer de nouveaux savoir-faire.

3. 3. L’irruption des matériaux composites dans la fabrication des aérostructures

Les matériaux composites, qui servent à alléger la masse des aéronefs et/ou à renforcer la solidité des structures fabriquées, sont employés de manière croissante dans le domaine aérospatial à partir des années 196097. En produisant des pièces en matériaux légers, en fabriquant des structures de wagons Talgo (1962-1973) en aluminium assez similaires à des fuselages d’avions, ou encore en participant au programme F5, CASA s’initie au traitement des surfaces, au traitement thermique et de liaison des métaux, à la fabrication de plastiques et de nids d’abeilles, etc.98 Avec le F5, elle produit également ses premières pièces en fibres de carbone. À partir des années 1970, elle utilise aussi des composites dans le spatial : structures primaires, panneaux solaires ou antennes des satellites99.

Mais c’est avec le 757 et l’A310 que CASA parvient à des gains techniques importants. Comme le notent Jean-Marc Zuliani, Guy Jalabert et Frédéric Leriche en 2002, les matériaux légers et la fibre de carbone représentent « un axe prépondérant de [R & D] qui singularise le rôle du constructeur espagnol au sein du consortium Airbus100 ». Selon ces géographes, cette compétence s’est construite avec l’appui des pouvoirs publics et du système de recherche (INTA, Polytechnique Madrid, etc.) et repose sur « un processus progressif d’accumulation et de capitalisation des savoirs101 » qui s’est déployé à partir des années 1980 et a permis progressivement de structurer une filière des composites en Espagne. En 1980, l’entreprise signe un contrat avec Boeing pour la fabrication des flaps extérieurs de son 757 (238 exemplaires de 1981 à 1988), produits en partie en fibres de carbone. Dès 1983, avec l’appui technique de MBB, la société fabrique des parties de gouvernes et de trappes de trains d’atterrissage en fibre de carbone pour l’A310. Pour l’Ariane 4, elle produit la caisse d’équipements dans le même matériau.

Si certaines installations de Getafe étaient déjà dédiées aux composites, l’implantation d’un atelier spécialisé et l’acquisition de machines modernes traduisent les investissements importants. CASA crée par exemple un laboratoire de matériaux et d’équipement pour la définition et la certification de matériaux composites en 1984, qui conçoit notamment des aérostructures102. Elle présente la même année un plan de conception et de fabrication d’un stabilisateur horizontal de l’A320 en matériaux composites. Pour la première fois, un avion civil est équipé d’une structure primaire réalisée à 95 % en fibre de carbone, ce qui constitue une avancée majeure : « Pour Airbus, chaque nouveau modèle de stabilisateur est une innovation de produit, tandis que pour CASA, il s’agit fondamentalement d’une innovation de procédé d’une grande importance, puisqu’elle modifie profondément la manière de produire les stabilisateurs103. »

Les apprentissages opérés durant les vingt années précédentes lui permettent donc peu à peu d’innover. L’entreprise introduit des composites dans la confection de son C101 et de son CN235. En 1985, CASA souligne d’ailleurs sa volonté de prendre « une position compétitive au niveau international104 » sur le marché des composites en fibres de carbone. Il en va de sa capacité à se maintenir à la pointe de la conception et de la fabrication d’aérostructures. Après avoir accédé à la technologie dans les années 1960, elle a ainsi su l’assimiler. Le programme A330/A340 marque de nouvelles innovations dans le champ des composites, ce qui bénéficie à Airbus, à Douglas (stabilisateur horizontal du MD-11) ou encore à Saab (parties d’ailes du Saab 2000)105. L’entreprise accumule les expériences et se positionne, dans les années 1990, à la pointe de la technique en matière d’aérostructures fabriquées en matériaux composites.

Conclusion

La croissance de la société CASA entre les années 1940 et les années 1980 repose sur le développement d’appareils conçus par son BE (C212, C101, CN235, etc.) et donc d’une capacité technique (et d’infrastructures, etc.) nationale, ainsi que sur une multiplication des coopérations industrielles (sous-traitance, fabrication sous licence, co-entreprises, etc.) avec des firmes étrangères dans le cadre du commerce de compensation et de transferts de technologies. Le cas témoigne de l’importance prise par les partenariats internationaux, civils et militaires, bilatéraux et multilatéraux, dans la construction d’une industrie nationale de haute-technicité dans un pays périphérique, mais également de la conversion progressive d’une entreprise-arsenal en entreprise-commerciale à partir de la fin des années 1960. Si la société se développe d’abord par le militaire, la croissance du marché civil lui permet de se renforcer, alors même que la logique d’arsenal tend à se résorber au profit d’une logique commerciale.

Alors qu’elle affiche un retard important en matière d’aéronautique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, que les États-Unis l’utilisent dans les années 1950 comme un arsenal et qu’elle se trouve placée dans une situation de dépendance à leur égard, la restructuration du secteur aéronautique espagnol menée à la charnière des années 1960 et 1970 permet à CASA de renforcer sa participation à des coopérations industrielles internationales et de développer des savoir-faire pour s’imposer sur des segments précis du marché mondial dans les années 1970 et 1980. La société se spécialise dans les aérostructures au début des années 1970 sous l’effet de ses sous-traitances pour Boeing, Douglas et Airbus. Avec ce dernier, elle parvient finalement à accroître son niveau de compétences au fur et à mesure des programmes et intègre de nouveaux savoir-faire, notamment en développant les composites. L’entreprise conquiert une capacité d’innovation et une forme de centralité dans des domaines divers : aviation légère de transport, aérostructures, matériaux composites, sous-systèmes et éléments de structure pour le spatial, etc.

CASA réduit peu à peu sa dépendance à l’égard des entreprises étasuniennes en nouant des coopérations industrielles, en développant ses savoir-faire et des programmes nationaux et en s’intégrant dans des projets européens comme Airbus. Sa participation à ce projet, même si elle reste en retrait par rapport à ses homologues, apparaît décisive dans son développement et dans la spécialisation territoriale des compétences européennes autour du projet : alors qu’elle détenait une place marginale dans la conception et la certification et était placée dans une situation de dépendance technologique, elle doit désormais se charger de l’ensemble du processus industriel et donc être capable de se tenir à la pointe de l’innovation, sans quoi tout l’édifice Airbus pourrait être menacé. L’entreprise devient finalement le maillon d’un ensemble industriel plus large et transnational. Elle s’impose comme un partenaire incontournable du projet Airbus et développe la valeur technique de l’outil industriel. En 1997, CASA est leader mondial en matière d’avions de transport militaires légers et réalise près de 80 % de ses ventes à l’exportation106. Elle s’est également hissée au niveau des toutes meilleures entreprises en matière de composites aéronautiques.

À partir des années 1990 et surtout dans les années 2000 et 2010, l’aéronautique s’étend plus encore en Espagne, en particulier en raison du développement d’Airbus et de l’obtention de la chaîne d’assemblage de l’A400M107. Preuve de l’importance que prend le projet Airbus, il est finalement décidé à Madrid, le 2 décembre 1999, de fusionner CASA, l’Aérospatiale et la Deutsche Airbus. Rendue effective le 10 juillet 2000, le groupe EADS intègre CASA sous le nom d’EADS-CASA. Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, l’entreprise a su s’imposer comme une actrice majeure dans la coopération aéronautique internationale.

Notes

1 Avec l’Italie, cette dernière s’était engagée aux côtés des insurgés. Retour au texte

2 Constructions navales et aéronautiques, sidérurgie, etc. Rebok Sandra (coord.), Traspasar fronteras: Un siglo de intercambio científico entre España y Alemania, CSIC, Madrid, 2010, 432 p. Retour au texte

3 Gálvez Muñoz Lina, Comín Francisco, « Entreprises publiques et multinationales sous l’autarcie franquiste », Entreprises et histoire, n° 37, 2004/3, p. 88-103 ; Cavallaro Maria Elena, Los orígenes de la integración de España en Europa. Desde el franquismo hasta los años de la transición, Silex, Madrid, 2009, 327 p. Retour au texte

4 Burigana David, « Interes et impera… la coopération aéronautique et la survivance d’une industrie “nationale” en vue d’un marché global », in Perez-Hilaire Liliane, Zakharova Larissa (coord.), Les Techniques et la globalisation au xxe siècle, PUR, Rennes, 2016, pp. 145-161. Retour au texte

5 Burigana David, Deloge Pascal, « Introduction. Les coopérations aéronautiques en Europe dans les années 1950-1980 : une opportunité pour relire l’histoire de la construction européenne ? », dans « [Dossier] L’Europe des coopérations aéronautiques », Histoire, Économie et société, Vol. 29, 2010/4, 128 p. Retour au texte

6 Se reporter notamment à Muller Pierre, Airbus : l’ambition européenne. Logique d’État, logique de marché, L’Harmattan, Paris, 1989, p. 9 ; Gormand Claude, L’Industrie aéronautique et spatiale. Logique économique, logique de marché, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 9 ; Kechidi Med, Talbot Damien, « Chapitre 4. L’industrie aéronautique et spatiale : d’une logique d’arsenal à une logique commerciale », in Colletis Gabriel, Lung Yannick, La France industrielle en question, analyses sectorielles, La Documentation française, Paris, 2006, p. 75. Retour au texte

7 Bouneau Christophe, Burigana David, Varsori Antonio (dir.), Les Trajectoires de l’innovation technologique et la construction européenne. Des voies de structuration durable ?, PIE-Peter Lang, Bruxelles, 2010, 259 p. Retour au texte

8 Burigana David, « Interes et impera… la coopération aéronautique et la survivance d’une industrie “nationale” en vue d’un marché global », Op. Cit. Retour au texte

9 Seiffert Marc-Daniel, « Compétences et apprentissages dans l’industrie aéronautique : une grille d’analyse des origines de la compétitivité d’Airbus », in Fridenson Patrick, Griset Pascal, Entreprises de haute technologie, État et souveraineté depuis 1945, CHEFF, Paris, 2013, pp. 139-157. Retour au texte

10 Le commerce de compensation est une forme d’échange de biens, de services ou de technologies dans le cadre d’un contrat d’achat, qui se substitue souvent pour tout ou partie à un transfert d’argent. En matière industrielle, un contrat offset entraîne des contreparties pour l’entreprise acheteuse permettant son développement technologique et/ou productif. Voir par exemple Drouvot Hubert, Verna Gérard, Les Politiques de développement technologique. L’exemple brésilien, Éditions de l’IHEAL, Paris, 1994, p. 56. Retour au texte

11 Burigana David, « Du transnational à l’“Espace aérien européen”. Défense territoriale de l’innovation technologique et coopération aéronautique européenne (1967-1977) », in Bouneau Christophe, Lung Yannick, Les Dynamiques des systèmes d’innovation : logiques sectorielles et espaces de l’innovation, op. cit. Retour au texte

12 Chadeau Emmanuel (dir.), Airbus, un succès industriel européen, Institut d’histoire de l’industrie, Rive Droite, Paris, 1995, 184 p. Retour au texte

13 León Aguinaga Pablo, Sánchez Sánchez Esther, « Presentación. Dosier – La ventana al exterior del ejército español en La Guerra Fría », Ayer, n° 116, 2019-4, pp. 13-20. Retour au texte

14 Se reporter notamment à León Aguinaga Pablo, « Los programas de formación para la “Mutua Defensa” entre España y Estados Unidos en los años cincuenta », Ayer, n° 116, 2019-4, p. 49-76 ; León Aguinaga Pablo, Delgado Gómez-Escalonilla Lorenzo, « The Deployment of US Military Assistance to Spain in the 1950s: Limited Modernisation and Strategic Dependence », Cold War History, Vol. 21, 2021, Issue 1, pp. 55-70. Retour au texte

15 Se reporter notamment à Sánchez Sánchez Esther, « French Military Action in Spain from Dictatorship to Democracy: Arms, Technology and Convergence », Journal of Contemporary History, Vol. 50, Issue 2, 2015, p. 376-399 ; Sánchez Sánchez Esther, « Francia, las Fuerzas Armadas españolas y el suministro de aviones Mirage », Ayer, n° 116, 2019-4, pp. 77-104 ; Sánchez Sánchez Esther, Castro Rafael, « French multinationals and Spanish human capital, c. 1950s-1990s », Revue française d’histoire économique, vol. 15, n° 1, 2021, pp. 88-106. Retour au texte

16 Labarta Carolina, « La política británica de venta de armas a España durante el franquismo, 1953-1973 », Historia Contemporánea, n° 30, 2005, pp. 205-216. Retour au texte

17 Sanz Díaz Carlos, « Aliado silencioso: Alemania Occidental y la modernización del sector de la defensa en España, 1945­1986 », Ayer, n° 116, 2019-4, pp. 105-132. Retour au texte

18 Rueda Laruelo Elena, « Aeronautics Companies in the Archive of the Instituto Nacional de Industria », Nacelles. Passé et présent de l’aéronautique et du spatial, n° 8, Juin 2020 [en ligne] ; et https://archivo.sepi.es/default_es.asp. Retour au texte

19 D’autres fonds d’archives sont disponibles à Séville (http://censoarchivos.mcu.es/CensoGuia/archivodetail.htm?id=50912), à l’Archivo Histórico del Ejército del Aire (Villaviciosa de Odón) (https://ejercitodelaire.defensa.gob.es/EA/archivohistorico/fondos.html) ou au sein du Red de Archivos Historicos de Comisiones Obreras (Comité de empresa de CASA, https://archivoshistoricos.ccoo.es/fondos03.htm), mais ils n’ont pu être consultés dans le cadre de cette exploration. Retour au texte

20 Se reporter notamment à Burigana David, Deloge Pascal, « [Dossier] L’Europe des coopérations aéronautiques », Histoire, Économie et société, Vol. 29, 2010/4, 128 p. ; Seiffert Marc-Daniel, Kechidi Med, « [Dossier] L’industrie aéronautique mondiale. Entre ancrage étatique et globalisation », Entreprises et histoire, n° 73, 2010/4, 192 p. Retour au texte

21 Il met à disposition des Allemands et des Italiens les installations de CASA. Cette prise de parti lui permet de jouer un rôle dans la reconstruction du pays, de préserver son entreprise et de gagner une place dans l’élite économique et militaire du franquisme. Se reporter notamment à Erro Gasca Carmen, El empresario fotógrafo. José Ortiz Echagüe (1886-1980), EADS CASA, Madrid, 2012, 342 p. ; San Román López Elena, « José Ortiz Echagüe (1886-1980) », in Torres Eugenio (dir.), Los 100 empresarios españoles del siglo XX, LID, Madrid, 2000, pp. 308-312 ; González Gascón Álvaro, López Santiago M., « José Ortiz Echagüe (1866-1980): la consolidación de la industria aeronaútica », in Quiroga Valle María Gloria (ed.), Trazas y negocios: ingenieros empresarios en la España del siglo XX, Comares, Granada, 2020, pp. 113-132. Retour au texte

22 Héritière de Hispano, l’entreprise est recréée en 1939 à Séville. Viejo Canalejas Marcelino, El taller de Ícaro: historia de la Hispano Aviación (1917-1972), Fundación El Monte, Sevilla, 2001, 322 p. Retour au texte

23 Román Y Arroyo José Maria, Los primeros 75 años (1923-1998), CASA, 2 tomes, SEPI, Lunwerg Editores, Barcelona, 1999, 229 et 213 p. Retour au texte

24 Martín Aceña Pablo, Comín Francisco, INI. 50 años de industrialización en España, Espasa Calpe, Madrid, 1991, 684 p. Se reporter aussi à Rodrigues Denis, L’Espagne sous le régime de Franco, Didact Histoire, PUR, Rennes, 2016, p. 223. Retour au texte

25 Toutes les traductions sont de l’auteur. SEPI 319. CASA, Estatutos de [CASA], Texto definitivo aprobado por el Consejo de administracion, 2 novembre 1943, Madrid, 14 p. Retour au texte

26 Une chronologie de ces lois est disponible dans González Betés Antonio, Rodríguez Carmona Julio, ATECMA: en el origen de la industria aeronáutica española: 1954-2004, ATECMA, Madrid, 2006, p. 75. Retour au texte

27 Sánchez Ron José Manuel, INTA, 50 años de ciencia y técnica aeroespacial, Ministerio de Defensa, Madrid, 1997, 436 p. Retour au texte

28 Burigana David, « 1947 : l’Italie s’envole… de l’occupation technico-militaire à la renaissance “occidentale” de l’industrie aéronautique et du transport aérien italiens », Entreprises et histoire, n° 68, 2012/3, pp. 92-103. Retour au texte

29 Instituto de Historia y Cultura Aérea, Historia de la aviación española, Instituto de Historia y Cultura Aérea, Madrid, 1988, p. 290. Retour au texte

30 Puig Raposo Núria, Alvaro Moya Adoración, « La guerra fría y los empresarios españoles: la articulación de los intereses económicos de Estados Unidos en España, 1950-1975 », Revista de Historia Economica – Journal of Iberian and Latin American Economic History, Vol. 22, Issue 2, 2004, pp. 387-424. Retour au texte

31 Pardo Sanz Rosa, « La política exterior del franquismo: Aislamiento y alienación internacional », in Moreno Fonseret Roque, Sevillano Calero Francisco (eds.), El Franquismo. Visiones y balances, PUA, Alicante, 1999, p. 111. Retour au texte

32 Rodrigues Denis, L’Espagne sous le régime de Franco, Didact Histoire, PUR, Rennes, 2016, p. 243. Retour au texte

33 Le 24 septembre 1953. Renouvelé en 1963 et en 1970 avant de devenir le Tratado de amistad y cooperacion le 1er janvier 1976. Retour au texte

34 Bonin Hubert, De Goey Ferry, American Firms in Europe: Strategy, Identity, Perception and Performance (1880-1980), Droz, Paris, 2008, p. 393 et suivantes. Retour au texte

35 Rodrigues Denis, L’Espagne sous le régime de Franco, op. cit. Retour au texte

36 León Aguinaga Pablo, Delgado Gómez Escalonilla Lorenzo, « The Deployment of US Military Assistance to Spain in the 1950s: Limited Modernisation and Strategic Dependence », op. cit. Se reporter aussi à León Aguinaga Pablo, Sánchez Sánchez Esther, « Presentación. Dosier – La ventana al exterior del ejército español en La Guerra Fría », op. cit. Retour au texte

37 Gonzalez Betes Antonio, Rodriguez Carmona Julio, ATECMA: en el origen de la industria aeronáutica española: 1954-2004, op. cit. Retour au texte

38 Instituto de Historia y Cultura Aérea, Historia de la aviación española, op. cit. Retour au texte

39 SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1971, Madrid, 1972. Retour au texte

40 Sanz Menéndez Luis, Estado, ciencia y tecnologia en Espana (1939-1997), Alianza Editorial, Madrid, 1997, 427 p. ; León Aguinaga Pablo, « Los programas de formación para la “Mutua Defensa” entre España y Estados Unidos en los años cincuenta », op. cit. Retour au texte

41 Sánchez Sánchez Esther, « Franco y De Gaulle. Las relaciones hispano-francesas de 1958 a 1969 », Studia Historica. Historia Contemporánea, n° 22, EUS, Salamanca, 2010, p. 108. Retour au texte

42 « Decreto-ley 10/1959 de 21 de julio, de ordenación económica », BOE, n° 174, 22 juillet 1959, pp. 10 005-10 007. Retour au texte

43 Julía Santos, García Delgado José Luis, Jiménez Juan Carlos, Fusi Juan Pablo, La España del siglo XX, Marcial Pons, 2007 [2003], Madrid, pp. 452-473 ; Rodrigues Denis, L’Espagne sous le régime de Franco, op. cit., p. 255. Retour au texte

44 Ibid., p. 256. Retour au texte

45 Dans l’aviation, le plan 1964-1967 se traduit par exemple par un plan de développement des aéroports destiné à accompagner la croissance du tourisme, par la création d’infrastructures capables d’accueillir les touristes. Alors qu’ils sont 137 779 à transiter par les aéroports espagnols en 1947, ils sont 3 187 015 en 1957 et 14 102 888 en 1964. Instituto de Historia y Cultura Aérea, Historia de la aviación española, op. cit., p. 317. Retour au texte

46 Les premiers contacts sont établis en 1953 à l’occasion d’une visite du P-DG de CASA aux États-Unis dans le cadre d’une mission de productivité. Retour au texte

47 Le F5 est produit à 2 700 exemplaires environ dans le monde jusqu’en 1987, par exemple par Canadair (240 exemplaires). Retour au texte

48 Instituto de Historia y Cultura Aérea, Historia de la aviación española, Op. cit., p. 324. Retour au texte

49 SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1970, Madrid, 1971. Retour au texte

50 SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1971, Madrid, 1972. Retour au texte

51 Les premiers contacts entre les deux entreprises remontent aux années 1950 lorsqu’un groupe d’ingénieurs allemands est invité à travailler chez CASA. Retour au texte

52 Román Y Arroyo José Maria, Los primeros 75 años (1923-1998), CASA, op. cit. Retour au texte

53 En 1959, HASA tente de conquérir des marchés à l’étranger, vendant par exemple la licence de fabrication de son HA 200 Saeta à l’Égypte et prospectant sans succès auprès du Liban, du Portugal, de l’Irak ou de l’Indonésie. Le refus du ministère de l’Air de poursuivre le développement d’une versión E du Saeta la conduit à des difficultés majeures (finances et plans de charges) même si au début des années 1970, elle fabrique des avions d’attaque au sol HA 220 Super Saeta. Viejo Canalejas Marcelino, El taller de Ícaro: historia de la Hispano Aviación (1917-1972), op. cit. Retour au texte

54 Créée en 1951 par l’État pour développer le secteur des moteurs, elle est en difficulté à la fin des années 1960. Retour au texte

55 Elle est rachetée par Aeronáutica Industrial SA (AISA) en 1953. Implantée à Madrid, cette dernière se dédie à la maintenance aéronautique et automobile. Dans les années 1970, elle est aussi sous-traitante de CASA qui la rachète dans les années 1990. Retour au texte

56 L’entreprise disparaît en 1967 ; ses machines sont récupérées par CASA. Retour au texte

57 Asociación de Ingenieros Aeronáuticos, Análisis sistema aeroespacial español, 4 Tomes, Madrid, 1967 à 1971. Retour au texte

58 « Entrevista. Enrique de Guzmán de Ozámiz », Aeronáuticos. Revista del Colegio oficial de ingenieros aeronáuticos de España, n° 221, Madrid, 2010, pp. 10-13. Retour au texte

59 SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1973, Madrid, 1974. Retour au texte

60 SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1970, Madrid, 1971 ; SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1975, Madrid, 1976 ; SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1980, Madrid, 1981. Retour au texte

61 Le 14 juin 1962, l’Espagne participe avec neuf autres pays à la fondation de l’European Space Research Organisation (ESRO), agence chargée notamment de développer des satellites scientifiques (2,66 % de son budget total). En juillet 1963, dans le but de mettre en œuvre un programme spatial national, est fondée la Comisión nacional de investigación del espacio (CONIE) qui doit réaliser l’Intasat, premier satellite espagnol. Par l’intermédiaire de l’ESRO puis, à partir de 1974, de la société Arianespace et de l’European Space Agency (ESA), CASA est impliquée dans des coopérations spatiales bilatérales et multilatérales avec les entreprises européennes : charges utiles, structures de satellites et de fusées, équipements, électronique, énergies renouvelables, etc. Elle renforce ainsi son niveau de technicité général et ses compétences. Se reporter notamment à Juilliet Clair, Radtka Catherine, « Construire une entreprise aérospatiale en marge des grandes puissances : CASA et le développement d’une industrie spatiale en Espagne (années 1960-années 1980) », in Radtka Catherine (coord.), « [Dossier] L’industrie spatiale », Entreprises et Histoire, Avril 2021, n° 102, pp. 19-42. Retour au texte

62 SEPI 319. CASA, Acta de la sesion del consejo celebrada el dia 15 de julio de 1965, Madrid, p. 1-2. Retour au texte

63 Elle fait à peu près jeu égal avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sánchez Sánchez Esther, « Franco y De Gaulle. Las relaciones hispano-francesas de 1958 a 1969 », Studia Historica. Historia Contemporánea, n° 22, Universidad de Salamanca, 2010, p. 128. Retour au texte

64 Se reporter notamment à Sánchez Sánchez Esther, Castro Rafael, « French multinationals and Spanish human capital, c. 1950s-1990s », op. cit. ; Sánchez Sánchez Esther, « French Military Action in Spain from Dictatorship to Democracy: Arms, Technology and Convergence », op. cit. Retour au texte

65 La SNECMA, Thomson CSF ou Matra sont également impliquées dans le contrat. Retour au texte

66 Esther Sanchez a longuement décrit la coopération construite avec AMD-BA et ses implications pour les deux entreprises : Sánchez Sánchez Esther, « Francia, las Fuerzas Armadas españolas y el suministro de aviones Mirage », op. cit. Retour au texte

67 Seiffert Marc-Daniel, « Compétences et apprentissages dans l’industrie aéronautique : une grille d’analyse des origines de la compétitivité d’Airbus », op. cit. Retour au texte

68 Se reporter notamment à Zytnicki Maurice, Kechidi Med, « [Dossier] Conception aéronautique : une transformation digitale à bas bruit (années 1960-2010) », Nacelles, n° 6, Printemps 2019, [en ligne]. Retour au texte

69 SEPI 319. CASA, Plan estrategico 1983-1992, Direccion de la planificacion, Madrid, Abril 1982. Retour au texte

70 SEPI 319. CASA, Memoria 1974, Madrid, 1975. Retour au texte

71 Décliné en plusieurs versions, l’Aviocar est produit jusqu’en 2012, à 372 exemplaires en Espagne et 106 en Indonésie. Retour au texte

72 Il remplace le ministère de l’Air en 1977-1978. Retour au texte

73 Nurtanio Pringgoadisuryo (1923-1966) est considéré comme le fondateur de l’aéronautique indonésienne. Peu de temps après l’indépendance (1945), une entreprise chargée de développer la force aérienne est fondée sous sa direction. Elle fabrique des planeurs et quelques appareils. Nurtanio meurt dans un vol d’essais en 1966. Dix ans plus tard, son entreprise devient IPTN. Retour au texte

74 « España e Indonesia, proyectan la fabricación en serie de un nuevo avión mayor que el Aviocar », El Pais, Madrid, 31 octobre 1979. Retour au texte

75 Olivier Jean-Marc, 1970. Airbus, naissance d’un géant industriel, Éditions Midi-Pyrénéennes, 2020, 50 p. Retour au texte

76 Constituée en 1967 par les cinq principales entreprises aéronautiques : Dornier, Hamburger Flugzeugbau, Messerschmitt-Bölkow, Siebel et VFW, qui en possèdent chacune 20 %. Retour au texte

77 La Grande-Bretagne décide de se retirer du projet en 1969. Le 27 octobre 1978, British Aerospace (BAe), formée l’année précédente par fusion de la BAC, d’Hawker Siddeley et de Scottish Aviation, devient partie prenante du projet, et la Grande-Bretagne prend 20 % de participation dans le GIE. Retour au texte

78 Seiffert Marc-Daniel, « Compétences et apprentissages dans l’industrie aéronautique : une grille d’analyse des origines de la compétitivité d’Airbus », op. cit. Retour au texte

79 Beckouche Pierre, La Nouvelle Géographie de l’industrie aéronautique européenne, op. cit. Retour au texte

80 Burigana David, « 1947 : l’Italie s’envole… de l’occupation technico-militaire à la renaissance “occidentale” de l’industrie aéronautique et du transport aérien italiens », op. cit. Retour au texte

81 En 1962 et 1964, l’Espagne demande sans succès à rentrer dans la CEE. Elle ne la rejoint que le 1er janvier 1986. Voir par exemple : Fernández Soriano Victor, « La CEE face à l’Espagne franquiste. De la mémoire de la guerre civile à la construction politique de l’Europe », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2010/4, n° 108, pp. 85-98 ; Trouvé Matthieu, L’Espagne et l’Europe : de la dictature de Franco à l’Union européenne, Peter Lang, Paris, 2008, 522 p. Retour au texte

82 Burigana David, Deloge Pascal, « Les coopérations aéronautiques en Europe dans les années 1950-1980 : une opportunité pour relire l’histoire de la construction européenne ? », op. cit. Retour au texte

83 Iberia renonce à ses options en novembre 1974, semble-t-il sous la pression de Boeing, pour acheter des 727. Retour au texte

84 Le 25 septembre 1972, CASA prend une participation de 25 % dans Europlane Limited, société britannique créée par la BAC, MBB et Saab-Scania en avril précédent. L’objectif est la réalisation commune d’un appareil commercial à moyen rayon d’action et à décollage court à l’horizon 1980, à partir de savoir-faire britanniques. Mais le projet débouche rapidement sur un échec, le CA de CASA soulignant que les études sont interrompues courant 1973 en raison de « la situation […] du transport aérien, suite à l’impact de la récente crise pétrolière mondiale » [SEPI 319. CASA, Memoria y balance del ejercicio 1973, Madrid, 1974]. Retour au texte

85 Carlier Claude, Sciacco Gaëtan, La Passion de la conquête : d’Aérospatiale à EADS (1970-2000), Éditions du Chêne, Paris, 2001, p. 61. Retour au texte

86 Sparaco Pierre, Airbus : la véritable histoire, Privat, Toulouse, 2005, p. 154. Retour au texte

87 Zuliani Jean-Marc, Jalabert Guy, « L’industrie aéronautique européenne : organisation industrielle et fonctionnement en réseaux », L’Espace géographique, vol. 34, n° 2, 2005, pp. 117-144. Retour au texte

88 À partir du début des années 1950, CASA est sous-traitante pour la Sociedad Española de Automóviles de Turismo (SEAT) fondée en 1950 à la suite d’un accord technique et financier entre Fiat et le gouvernement espagnol, dont José Ortiz Echagüe est le P-DG et fondateur ; puis pour d’autres entreprises (Vespa, Purolator, Moto Ossa, etc.). Retour au texte

89 SEPI 319. CASA, Plan cuatrienal 1980/1983, 11 octobre 1979, Madrid, p. 4. Retour au texte

90 SEPI 319. CASA, Memoria 1982, Madrid, 1983. Retour au texte

91 SEPI 319. CASA, Plan estrategico 1982-1991, Madrid, 24 mars 1981, p. 2. Retour au texte

92 Rodrigues Denis, L’Espagne sous le régime de Franco, op. cit., p. 274. Retour au texte

93 SEPI 319. CASA, Memoria 1984, Madrid, 1985. Retour au texte

94 SEPI 319. CASA, Reorganizacion, Madrid, Avril 1985, p. 5. Retour au texte

95 Zuliani Jean-Marc, Jalabert Guy, Leriche Frédéric, Les Villes européennes de l’aéronautique : système productif, réseaux internationaux de villes et dynamiques urbaines, CNRS, CIEU, UTM, 2002, Toulouse, p. 124. Retour au texte

96 Le projet est officiellement lancé depuis Madrid le 18 septembre 1987. Droit Yohan, « L’European Fighter Aircraft : le rendez-vous manqué de la coopération aéronautique européenne, 1978-1985 », in Burigana David, Deloge Pascal, « [Dossier] L’Europe des coopérations aéronautiques », op. cit., pp. 103-116. Retour au texte

97 Cinquin Jacques, « Les composites en aérospatiale », Techniques de l’ingénieur, AM 5 645, 2002, 14 p. Retour au texte

98 SEPI 319. CASA, Construcciones aeronauticas SA (CASA), 1971, Madrid, p. 3. Retour au texte

99 SEPI 319. CASA, Memoria 1978, Madrid, 1979. Retour au texte

100 Zuliani Jean-Marc, Jalabert Guy, Leriche Frédéric, Les Villes européennes de l’aéronautique : système productif, réseaux internationaux de villes et dynamiques urbaines, op. cit., p. 119. Retour au texte

101 Ibid., p. 120. Retour au texte

102 SEPI 319. CASA, Memoria 1984, Madrid, 1985. Retour au texte

103 Rogado Benito (coord.), Airbus y España. La historia contada por sus protagonistas, Fundación SEPI, Madrid, 2004, p. 124. Retour au texte

104 SEPI 319. CASA, Propuesta de applicacion de fondos para nuevo proyecto « Equipamientos de I+D para nueva Division de Espacio y sistemas de CASA », CASA, Madrid, 20 novembre 1985, p. 9. Retour au texte

105 SEPI 319. CASA, Memoria 1989, Madrid, 1990. Retour au texte

106 Fernández Alberto, « CASA. 75 años de industria aeronáutica en Madrid », Economistas, n° 79, 1998, pp. 276-280. Retour au texte

107 Alors qu’en 2001, le secteur employait 19 500 personnes environ en Espagne, ses effectifs dépassent les 40 000 salariés en 2013. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Clair Juilliet, « Dynamiques et trajectoires de développement d’une entreprise aéronautique espagnole : le cas de Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (années 1940-années 1980) », Nacelles [En ligne], 11 | 2021, mis en ligne le 10 décembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/1523

Auteur

Clair Juilliet

Docteur en histoire de l’université de Toulouse, FRAMESPA (UMR 5136) et Labex SMS
clairjuilliet@gmail.com

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