Interview de l'équipe de médiation culturelle et de traduction du Projet Ransmayr. Propos recueillis par le grand reporter Thôt LePasseur.

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Thôt, on vous passe la main !

Thôt LePasseur – Toulouse, mois de juin, 3° au soleil. Aujourd'hui, l'équipe de médiation culturelle du CeTIM m'a donné rendez-vous pour une interview exclusive autour du Projet Ransmayr. Je retrouve les traductrices dans un bistrot de quartier aux murs de briques rouges, convivial et feutré, pour connaisseurs assurément. Les traductrices arrivent, valises sous les yeux, cheveux ébouriffés mais souriantes. Pas de vestes Dior, pas d'agent. Les traductrices, ça fait dans la simplicité. Ça commande des cafés et je les imite, l'interview peut commencer.

Thôt LePasseur : Bonjour à toute l'équipe ! Merci de nous accorder cette interview exclusive. Commençons par le commencement : qui êtes-vous et qu'est-ce donc que ce mystérieux Projet Ransmayr qui fait l'objet de toutes les spéculations dans les médias ?

L'équipe CeTIM: Bonjour ! Notre équipe est constituée par cinq étudiantes francophones et germanophones, deux en Master 1 et trois en Master 2, supervisées par notre coach en médiation culturelle, maître de conférences et traductrice, Hilda Inderwildi. Quant au Projet Ransmayr, il s'agit de la traduction et de la recherche d'éditeurs pour la version française de l'ouvrage allemand Der Ungeborene oder Die Himmelsareale des Anselm Kiefer, de l'auteur autrichien Christoph Ransmayr. Dans ce livre très poétique, Ransmayr évoque l'œuvre du célèbre artiste-plasiticien allemand Anselm Kiefer, qui était à l'honneur à la galerie d'exposition Le Bourget à Paris cette année.

Thôt LePasseur : Je vois ! Ça a dû être passionnant ! On vous découvrira donc dans un nouveau registre. Diriez-vous qu'il s'agit d'un travail de composition ? De quelle façon exactement s'est déroulée la traduction de l’œuvre ?

L'équipe CeTIM: Le livre a été traduit de façon collaborative, par différents groupes de participants : Hilda Inderwildi, un groupe d'étudiants en licence LLCE d'allemand à l'Université du Mirail et notre petit groupe de médiation culturelle du CeTIM. Mme Inderwildi avait effectué un premier travail de préparation et a ensuite supervisé les traductions produites par les deux groupes étudiants. Les membres de l'équipe LLCE ont amorcé la traduction de plusieurs passages, de niveaux de difficulté variés, sous forme de travail personnel. Ils ont ensuite retravaillé ces extraits en cours avec Mme Inderwildi. Telle a également été la démarche adoptée par notre groupe de médiation culturelle, sauf que nous avons également révisé et peaufiné les passages précédemment traduits par l'équipe LLCE. Vous nous suivez toujours ? (Grand sourire)

Thôt LePasseur : Tant bien que mal ! Je m'accroche ! Était-ce difficile de travailler à partir des traductions d'un autre groupe ?

L'équipe CeTIM: Nous allons devoir vous donner cette fameuse réponse empreinte de tant de clarté : « oui et non ». Il est bien sûr commode de partir d'une traduction de quelqu'un d'autre, qui a donc effectué le premier gros travail de « débroussaillage », pour ensuite faire les fines bouches et n’avoir qu’à décortiquer tous les détails et nuances. Blague à part, nous avons trouvé que cela multipliait de façon très positive le « champ des possibles » : traduire à plusieurs nous a permis de nous détacher de notre propre compréhension du texte, forcément subjective et limitée. Corriger le premier jet d'un autre groupe nous a donc fait découvrir des solutions astucieuses et originales, que nous aurions sans doute trouvées plus difficilement seules, en tâtonnant plus. Ce processus de révision est également un très bon révélateur des difficultés du texte : en tant que « réviseurs », il est aisé de repérer les passages délicats. Nous pouvions à la fois identifier les causes de ces difficultés et comprendre les solutions ou les stratagèmes de contournement mis en place par les traducteurs. L'avantage : ce faisant, l'on conserve tout de même la « fraîcheur » et le recul d'une première approche, ce qui aide à trouver des tournures plus percutantes par exemple. Cela permet également de faire des choix plus tranchés : lorsque plusieurs d'entre nous trouvaient qu'une formulation était étrange, et que nous proposions toutes la même alternative, nous pouvions nous dire que ce choix apparaîtrait sans doute également plus idiomatique à la majorité des lecteurs.

Thôt LePasseur : Je ne comprends pas très bien comment cela s'est organisé concrètement. Pourriez-vous me donner des détails ? (Et de m’avancer, fébrile, sur le bord de ma chaise)

L'équipe CeTIM (la décontraction incarnée) : Avec plaisir ! Nous avons commencé par travailler sur la préface de l'ouvrage 16 Geschichten für Anselm Kiefer (16 histoires pour Anselm Kiefer) d'Alexander Kluge, des textes dans lesquels ce dernier évoque les tableaux de la série « Die Ungeborenen » d'Anselm Kiefer. Cela nous a permis de nous familiariser avec l'univers artistique et les œuvres très variés de l’artiste, à la fois peintre et plasticien. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le texte de Christoph Ransmayr, nous avons fait de nombreuses recherches sur les tableaux exposés au Bourget, notamment – on l'avoue – en consultant internet, afin de pouvoir mieux traduire les descriptions poétiques qu'en donne Ransmayr. Nous avons par ailleurs eu l'immense chance que Mme Inderwildi ait traduit pour le catalogue de l’exposition d'Anselm Kiefer à Pantin dont elle a aimablement apporté un exemplaire en cours, afin que nous puissions découvrir d'un peu plus près la « Kiefer touch ». Nous avons été sincèrement impressionnées par les travaux de l'artiste, qui sont très expressifs, de couleurs sobres et composés de nombreux matériaux naturels ou recyclés. Par la suite, pour finaliser la traduction des extraits traités par l'équipe LLCE, nous lisions chacune un paragraphe à l'oral et apportions des suggestions d'améliorations en groupe. Nous avons également joué le rôle de « relectrices » dans les maisons d’édition et proposé aux étudiants LLCE des « corrections » écrites de certains passages, que Mme Inderwidli nous avait attribués individuellement. En parallèle, nous avons peaufiné ensemble l'extrait de traduction envoyé aux maisons d'édition pour accompagner la demande de publication de l'ouvrage. Enfin, chacune d’entre nous a traduit un passage de deux pages dans le cadre du dossier d'évaluation de fin de projet. Nous avons pu choisir ces pages librement, avec pour seule consigne que celles-ci se situent dans la dernière partie du livre (entre les pages 20 et 31 ; oui c'est un ouvrage plutôt court, lisez-le !) afin que notre travail puisse servir de base de traduction à Mme Inderwildi.

Thôt LePasseur : D'accord, voilà qui est plus clair ! D'ailleurs, puisqu'on évoque le cœur du travail de traduction : quelles particularités présente le texte de Christoph Ransmayr ?

L'équipe CeTIM: L'ouvrage est très atypique ! Il s'agit d'un texte hybride, qui mêle narration, descriptions explicatives et poésie, embarquant le lecteur dans une bal(l)ade sur les traces de l'artiste Anselm Kiefer. Cette balade est à la fois géographique, car l'auteur relate une randonnée nocturne effectuée avec Anselm Kiefer et un groupe de ses « disciples » sur le domaine du plasticien – La Ribaute, en Provence – et également une balade à travers le temps. Ransmayr digresse en effet au fur et à mesure, et de façon astucieuse, sur différentes époques de la vie de Kiefer et de son parcours artistique. C'est donc loin d'être un texte linéaire ! Ransmayr traduit cela par une ponctuation particulière, très déstructurée : souvent, une phrase constitue un paragraphe entier et les propositions subordonnées s'enchaînent, bifurquant par moments au beau milieu d'une phrase sur une nouvelle idée ou une image poétique. Les rapports logiques entre les différents éléments d'une même « phrase-paragraphe » (que nous appellerions tout aussi volontiers « phrase mammouth ») sont donc parfois laissés à la libre interprétation du lecteur, ce qui confère au texte sa grâce si particulière. À cela s'ajoute un véritable travail d'orfèvre sur les sonorités des mots allemands, les sensations et les images évoquées à travers de nombreuses allitérations, oxymores et accumulations. L'écriture de Ransmayr donne parfois une sensation de vertige, comme si le lecteur était entraîné dans un tourbillon de mots, un chaos structuré de voyelles et de consonnes qui s'entre-choquent pour mieux exprimer toute la complexité et la beauté brute des tableaux d'Anselm Kiefer :

[Et voilà que la fine équipe fait entendre à mes oreilles peu rompues une coulée de mots allemands…]

« Friedlich ! Als ob die über Lichtjahre und Lichtjahre hinweg tobenden Gasorkane und atomaren Feuersäulen dort oben, dort unten, dort draußen !, diese elektromagnetischen Strahlenfluten und rotierenden Höllenöfen aus einer namenlosen, milliardenjährigen Vergangenheit und in alle Himmelsrichtungen davonjagenden, von Kernfusionen durchpulste Wolkenfäuste aus sich verdichtender und wieder zerstäubender Materie..., als ob dieser ungeheuerliche Raum, durch den Spiralnebel und Sternhaufen wirbeln als kaum aufglänzende und schon wieder erlöschende Staubpartikel in einem eisigen Abgrund..., als ob dieses ganze rasende Schauspiel von der illusorischen Größe und Dauer einer Ewigkeit irgend etwas mit Geborgenheit, mit Frieden und Stille zu tun haben könnte ! Abendfriede ! »

Cela ne nous a pas paru facile à traduire, mais c'est un travail enthousiasmant, que l'on prend vite à cœur et par lequel il est facile de se laisser emporter dans des discussions sans fin pour choisir LE mot parfait, idéal, absolu, celui qui traduira toute la gamme de nuances du mot source allemand et fera l'unanimité ! Les débats étaient animés et passionnés !

Thôt LePasseur : J'imagine ! Ce style particulier a donc été épineux à rendre en français ?

L'équipe CeTIM : Oh que oui ! Nous avons bien sûr été confrontées aux difficultés classiques de la traduction poétique : rendre le sens des mots tout en conservant l'harmonie sonore et esthétique de ceux-ci. Le challenge principal était de trouver des mots dont le champ sémantique recoupait au plus près celui des mots allemands, sans perdre en français le rythme et la musicalité créés par les allitérations en allemand. Toutes les langues semblent exprimer dans une certaine mesure le sens abstrait d'un mot par les sons physiques qui servent à le produire. Nous avons trouvé que cet aspect est particulièrement présent dans la langue allemande :

« Aus der Schwärze diese Weltraums sahen wir dann aber doch wieder etwas Vertrautes durchschlagen : weiße Linien zwischen den Funken der Sterne, Fluchtlinien, wie mit einer Richtschnur oder dem Lineal gezogen und verbunden zu den Umrisssen von Sternbildern – Perseus, Bootes, Skorpion, Schlange, Großer Hund... Himmelsareale, die draußen im Raum ebenso wie hier, in der großen Halle, immer nur Entwürfe, Träume aus unseren Köpfen waren, Projektionen aus den Tiefen unseres Bewußtseins und en Abgründen des Himmels auf eine zweidimensionale, nachtschwarze Fläche, Sternbilder, Wunschbilder, Trugbilder. »

Tout comme en anglais, il semble exister davantage de mots pour exprimer les différents sons, variations de la lumière et sensations du toucher des matières. Comme le français dispose parfois de moins de mots pour décrire ces « dégradés de sens », il relevait parfois du défi de traduire ces subtilités tout en évitant les répétitions ou formules redondantes.

Thôt LePasseur : Ah attention, on ne critique pas le français, hein ! Je me fais défenseur de toutes les langues, moi !

L'équipe CeTIM (en éclatant de rire) : Mais nooon, ne vous inquiétez pas, Thôt ! On adore le français aussi ! Vivent les relations franco-allemandes et interculturelles en général !

Thôt LePasseur : Aaah, je lève mon café à ça ! Quel magnifique mot de la fin, totalement exempt de clichés douçâtres ! J'adhère !

Mais à ma plus grande surprise, l'équipe CeTIM ne semble pas avoir dit son dernier mot, bien au contraire!

L'équipe CeTIM : Pas si vite, cher ami, nous souhaiterions ajouter quelques précisions. Vous savez, le métier de traducteur recèle des secrets bien cachés et ne se limite certainement pas qu'à la traduction....

Thôt LePasseur : Non ? (J'attends avec impatience la suite, plus que jamais intrigué par cette équipe de choc, qui ne semble pas avoir la langue dans sa poche. J'aurais peut-être dû me commander quelque chose à manger, je sens que cette interview va durer plus longtemps que prévu...)

L'équipe CeTIM : Cher ami, êtes-vous un familier du concept de « médiation culturelle » ? (Comme je reste sans réponse, elles continuent, un sourire énigmatique flottant sur leurs lèvres). Croyiez-vous que nous allions laisser cette si belle traduction moisir au fond d'un vieux tiroir? Nous sommes plus ambitieuses que cela. Et notre chère professeure a plus d'une corde à son arc. Elle nous a proposé de nous lancer dans les démarches pour faire publier ce travail.

Thôt LePasseur : Publier ?

L'équipe CeTIM : Publier. Bien sûr, en commençant cette UE, nous n'avions aucune idée des démarches à suivre.... Mais après tout, un peu de mystère et d'aventure n'a jamais fait de mal à personne!

(Je suis de plus en plus intéressé. Maintenant, je ne pense plus à me commander à manger. Oh non ! Je suis trop impatient de découvrir la suite de l'histoire. Comment est-ce que ces petites étudiantes, à peine sorties du berceau familial, du cocon universitaire bien douillet, ont-elles pu s'embarquer dans une telle galère éditoriale... Je suis suspendu à leurs lèvres.)

L'équipe CeTIM : Nous ne connaissions absolument pas le monde de l'édition. Nous ne savions pas, par exemple, qu'il fallait d'abord demander les droits de traduction à la maison d'édition allemande S. Fischer Verlag Les droits d'auteur sont vraiment d'un compliqué!

Thôt LePasseur : Ah, ne m'en parlez pas ! Après tout, je suis journaliste. Alors comment avez-vous procédé?

L'équipe CeTIM : Nous avons contacté Fischer Verlag. Ce n'était pas mince affaire... Il faut savoir se vendre : cela aussi, nous avons dû l'apprendre. Même dans les milieux les plus intellectuels, le business va bon train... Cela a été l’une des premières leçons pour nous : la culture a un prix. Il nous a fallu rédiger un mail d'approche, réfléchir aux meilleures tournures pour exposer notre projet. Nous présenter, faire preuve de sérieux et de professionnalisme, d'inventivité et de belles lettres. Et tout cela, dans un allemand des plus parfaits et des plus concis. Nous n'y serions jamais arrivées sans ce bel effort de groupe. Les germanophones, comme vous vous en doutez, ont été d'un grand secours, mais c'est également la finesse et l'expérience de notre professeur qui nous a permis de ne pas nous perdre en route.

Thôt LePasseur : Et alors? Vous a-t-on répondu? Vous a-t-on accordé les droits? Que s'est-il passé? (Le suspense est intolérable.... Mes jeunes interlocutrices me sourient avec indulgence, amusées)

L'équipe CeTIM : Oui, Kerstin Schuster, responsable des droits d'auteur étrangers chez S. Fischer Verlag, nous a répondu avec beaucoup d'amabilité en nous annonçant, pour notre plus grand soulagement, que les droits n'avaient pas encore été cédés. Si nous trouvions en France une maison d'édition qui serait potentiellement intéressée de publier cette œuvre, la traduction pourrait alors se faire.

Thôt LePasseur : Ah, super ! Alors votre traduction va être publiée, c'est fantastique!

L'équipe CeTIM : Attendez, malheureux! Rien n'était joué encore... Il nous restait à trouver une maison d'édition en France... Et comme nous vous l'avons dit, nous n'avions que très peu d'expérience dans ce domaine! La partie ne faisait que commencer. Il nous a fallu nous lancer dans un démarchage acharné auprès des grandes et moins grandes maisons d'éditions : Éditions Diaphanes, Éditions Allia, Éditions de l'Arche, Éditions Gallimard... Bien sûr, nous avions défini un solide plan d'attaque : il nous fallait une maison d'édition susceptible d'être intéressée par ce beau livre mêlant poésie et art. Nous avons donc consulté plus d'un site d'éditeur, croyez-nous, pour mieux cibler notre démarche. Ensuite nous avons dû rédiger les mails d'approche. Même procédure que pour la maison d'édition allemande, mais cette fois-ci : en français. Astuce, formulation, concision, belles lettres et un zeste de culot. Et nous avons fini par trouver preneur : les éditions de l'Arche !

Thôt LePasseur : Félicitations ! Vous êtes tout à fait surprenantes, je n'aurais jamais pensé que cela soit du domaine des compétences de traducteurs ! Ce métier a de nombreuses facettes. Pourriez-vous me révéler le secret de cette réussite ?

(Silence. Mes interlocutrices se consultent du regard, hésitantes mais le sourire en coin. De véritables conspiratrices! Elles ont plus d'un tour dans leurs sac, il faut que je me méfie, qui sait quel genre d'aventures il peut m'arriver en leur présence)

L'équipe CeTIM : Le secret est un bon travail de groupe. Attention, cela n'a pas toujours été facile. Les séances de rédaction de mails ont été longues et intenses, certaines aimaient telles formulations, d'autres trouvaient que cela n'était pas clair, pas concis, trop « racoleur », pas assez élégant. Nous frôlions la crise de nerfs par moment (rires). Il nous semblait parfois qu'il était finalement plus facile de traduire de la poésie que de rédiger un simple mail ! Et puis, au bout d'un moment, nous étions perdues : qui avait écrit quoi, à qui, que restait-il à faire, quelle était la formulation à changer ? Un autre élément essentiel à ne jamais perdre de vue dans ces instants de dur labeur : l'organisation. Garder trace de ce que l'on fait, procéder par étapes, rester concis, demander conseils et surtout... se renseigner avant de se lancer dans la rédaction. Savoir de quelle maison d'édition il s'agit, consulter son site, ses dernières parutions, les genres littéraires qui l'intéressent.

Thôt LePasseur : D'après ce que vous me dites, une bonne médiation culturelle exige de nombreuses qualités....

L'équipe CeTIM : Il faut surtout avoir de la ressource, ne pas avoir peur de se lancer dans l'inconnu. Après tout, nous nous sommes même essayées à Photoshop, alors que beaucoup d'entre nous n'avions jamais utilisé ce logiciel. Il faut avoir l'esprit d'aventure.

Thôt LePasseur : Un peu comme Indiana Jones ou James Bond?

L'équipe CeTIM (moues dubitatives) : Hmm..., avec un peu plus d'élégance, de précision et de belle subtilité, quelques gadgets et explosions de moins, et un bien meilleur sens de la communication ! (Rires). La médiation culturelle a été pour nous une très belle expérience. Cela n'a pas été de tout repos, nous étions en terre inconnue et quelques fois, encore un peu trop naïves quant à savoir se vendre. Le travail de groupe non plus n'était pas toujours évident. Mais, que de bons souvenirs, et surtout... Mission accomplie !

Thôt LePasseur : Quels enrichissements en tirez-vous?

L'équipe CeTIM : Déjà, la concrétisation de notre projet de traduction. Le travail de médiation culturelle est le parfait prolongement au travail de traduction, son aboutissement. Pour faire honneur au contexte sportif toulousain : c'est la transformation de l'essai. Pour nous, la médiation culturelle est en fait un autre outil indispensable dans le kit du traducteur. Ou, pour filer la métaphore, c'est le fouet d'Indiana Jones, la Batmobile de Batman ou la toile d'araignée de Spiderman !

(Nous rions. Elles ne manquent pas de métaphores, ces traductrices en herbe! Le serveur arrive avec la note. Je me lève bien sûr galamment pour aller payer, un sourire complice aux lèvres. J'ai encore des milliers de questions à leur poser, mais, lorsque je me retourne, ô surprise, leur place est tout à coup vide ! Elles ont disparu... sans doute appelées en urgence sur une autre mission de traduction, ou de médiation culturelle... Qui sait ?)

Bientôt dans toutes les bonnes librairies près de chez vous : Le non-né ou les territoires célestes d'Anselm Kiefer, de Christop Ransmayr. Traduction par vous savez désormais qui.

Les miss du Cetim ont eu la générosité, cher lecteur, de m’autoriser à te faire découvrir en avant-première un extrait de l’œuvre de Ransmayr. Lis et délecte-toi ! Et que le ciel te tienne en joie.

Traduction de Der Ungeborene oder die Himmelsareale des Anselm Kiefer (Christoph Ransmayr, 2001), par Marie-Alice Bourde, Sophie Chadelle, Agathe Charlon, Maeva Desne, Lisa Engel, Alexandre Evrard, Clélia Gauthier, Kristin Heinecke, Carmen Lemoigne, Sybille Magues, Airelle Pinel, Mélanie Raharinosy, Jana Tafankaji, Lucie Thomas, Silke Wöckel, sous la direction de Hilda Inderwildi.

Ici… c’est la brousse. Sur la mousse, sur l'herbe et les feuilles noires, le bruit des pas devient imperceptible. Et là, c'est la route, la nouvelle, la route de terre ouverte ce printemps à travers les fourrés où gisent encore pêle-mêle glaise friable, pierres et sable, qui crissent sous nos pieds comme de la glace pilée. On entend même courir les chiens. Castor! Pollux! Ici!

Comme il fait nuit. Nouvelle lune. Par-dessus les olives, les acacias et les mûriers, l'obscurité bruissante d'un début d'été. Pollux! Ces palissades noires dont les lignes se découpent là-bas, ce doit être les rangées de peupliers derrière les étangs. Et les lances et les lames là-haut, juste en dessous de la constellation de la Grande Ourse, c'est l'allée de cyprès. Nulle fenêtre éclairée alentour. Aucune lumière d'aucune ville. Juste de faibles lueurs éparses venant de Barjac, le village le plus proche.

Même de près, Anselm Kiefer, l'hôte qui nous précède sur son domaine enténébré du Sud de la France, est à peine reconnaissable. Par moments, nous ne suivons plus qu'une voix, le bruit de pas qui s'éloignent, une ombre frêle. Peu d'entre nous connaissent ce chemin, et presque personne ne l'a emprunté à la nouvelle lune. Nous, promeneurs de l'obscurité, cherchons à rester proches de Kiefer ou pour le moins à portée de voix, nous, invités à La Ribaute, cette usine de soie désaffectée, qui au cours de la dernière décennie est devenue pour notre hôte davantage bastion et refuge que lieu de résidence. Pollux! Castor! – Nous trébuchons derrière ses rottweilers. En d’autres circonstances, on nous a vus sur ses talons comme collectionneurs et marchands de couleurs, comme galeristes ou commentateurs et interprètes de son art. Nous sommes l'équipage d’un maître venu d’Allemagne.

Sur le chemin menant des étangs noirs et d'un noir champ de pavots, aux ondulations désormais invisibles, jusqu'à cette tour de verre où à la lumière du jour dansaient sous nos regards des tournesols mammouths de cinq à six mètres de haut, en manteaux de plâtre, leurs racines blanches tournées vers les nuages, telles des griffes, et leurs têtes embarbouillées tout près du sol en ciment… au cours de cette expédition nocturne à travers cette colonie créée pour l'art en verre, longeant des serres et des halles vitrées où de jour reposaient bien préparées dans une broussaille de fils barbelés et d'épines, des piles de livres aux pages de plomb, pesant plusieurs tonnes, et des crinolines coulées dans le plâtre et le bronze, baptisées du nom de reines de France, se ratatinaient tels des coquillages éviscérés... sur notre chemin, toute la lumière provient désormais des étoiles. La nuit de mai, sans vent, sans nuages. Paisible ?

Paisible! Comme si les ouragans gazeux et les colonnes de feu nucléaire fulminant des années-lumière et des années-lumière durant, là-haut, là-bas, là-dehors !, ces flots d'ondes électromagnétiques et ce tournoiement de feux infernaux surgis d’un passé sans nom, vieux de milliards d'années, ces nuées prenant le large aux quatre coins du ciel, traversées par des atomes en fusion, faites de matière s’agrégeant et aussitôt réduite en poussière..., comme si ce monstrueux espace tourbillonnant dans de nébuleuses spirales et des amas d'étoiles, telles des particules s'éteignant dans un gouffre glacé aussitôt illuminées... comme si tout ce frénétique simulacre de grandeur et de durée éternelles avait quelque chose à voir avec un havre, avec la paix et le silence ! Paix nocturne !

Citer cet article

Référence électronique

Sophie Chadelle et Carmen Lemoigne, « Interview de l'équipe de médiation culturelle et de traduction du Projet Ransmayr. Propos recueillis par le grand reporter Thôt LePasseur. », La main de Thôt [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 19 décembre 2023, consulté le 04 octobre 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/172

Auteurs

Sophie Chadelle

Université de Toulouse II – Le Mirail

Etudiante de Master 2 – CeTIM

sopchad@yahoo.fr

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Carmen Lemoigne

Université de Toulouse II – Le Mirail

Etudiante de Master 2 – CeTIM

carmenlemoigne@yahoo.fr