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Patrice Dalle : ses collaborat-eurs-rices et ami-e-s témoignent.

Les parents d’enfants sourds et ami-e-s

Corinne PIERINI

Une anecdote révélatrice : la carte postale.

J’ai rencontré Patrice Dalle alors que nous étions, mon compagnon et moi, dans de grandes interrogations concernant l’éducation en LSF pour notre fille Laure. J’étais impressionnée par son parcours de parent à l’origine des classes bilingues de Toulouse. Intimidée également par le personnage, Patrick me semblait distant allant même jusqu’à ressentir une forme d’arrogance dans sa posture (serait-ce de la timidité ?). Mais au fil du temps , nos relations sont devenues plus cordiales, chaleureuses et spontanées.

Un jour, nous l’avons invité à déjeuner à la maison  et avons parlé de choses diverses, de nos vies, de nos familles, sans lien forcément avec les classes bilingues. Quelques temps plus tard, je reçois une carte postale représentant la ville de Nancy (ville où je suis née), avec quelques mots signifiant sa pensée pour nous et son amitié. Ce clin d’œil adressé par le biais d’une simple carte postale, cette marque d’attention, m’ont beaucoup touchée.

Et bien sûr en tant que parent d’enfant sourd, avoir pu le croiser, discuter et échanger sur l’éducation des enfants sourds, est une chance extraordinaire. Patrice a su nous conforter et nous guider dans nos choix, dans une période où les doutes et les questionnements étaient nombreux.

Patrice est parti bien trop tôt. Nous avions encore tant de choses à nous dire… MERCI

Isabelle CLAUDET

Patrice Dalle est en premier lieu un promoteur de l’éducation des enfants sourds grâce à la Langue des signes. Notre fils est sourd. Après des débuts difficiles, nous avons essayé de communiquer avec lui en Langue des signes et cela a été une révélation pour lui. C’était sa langue. Nous habitions Marseille. Après plusieurs années de recherche pour trouver une structure proposant une éducation en Langue des Signes, nous avons découvert les classes IRIS de Ramonville. En 2000, nous sommes venus visiter la classe élémentaire située à l’école Sajus.

Nous avons été reçus par l’enseignante mais aussi par les parents militants des classes en LSF. La famille Goudenove nous a hébergés et Patrice Dalle nous a invité à manger dans son jardin. Cette première rencontre, nous a réconfortés par l’évidence de la Langue des Signes pour éduquer notre fils. Patrice était un homme accueillant qui a su être à notre écoute et nous faire part de son expérience de papa d’une grande fille sourde et de la vie normale de sa famille grâce à la LSF. Son message, la LSF permet d’avoir une communication fluide avec son enfant. Eduquer en LSF, la surdité n’est plus un handicap mais une particularité langagière.

Aussi après quelques temps de réflexion, nous voilà Ramonvillois. Quelques mois après notre arrivée, les classes risquaient la fermeture et nous avons découvert ce qu’était être parents militants. Nous avons dû nous retrousser les manches. Patrice était là avec son expérience, sa connaissance de l’administration, sa sérénité. Organiser une manifestation nous affolait, Patrice, lui, était posé.

Patrice faisait parti du noyau fondateur des classes, il était porteur de l’Histoire des classes. Lors des différentes étapes marquantes de l’évolution des classes, il a toujours été là. C’était un pilier. Quand il y avait des discussions importantes avec les administrations, il avait sa manière de présenter les classes. C’était un expert de la négociation et toujours avec une confiance imperturbable, au moins en apparence.

Patrice était présent dans les différentes instances : IRIS, APES, ANPES, la recherche avec IRIT… un as de la multifonction.

Il me reste en mémoire des images concernant Patrice :

  • Patrice en Père-Noël lors d’une fête d’APES

  • Patrice, une lumière dans la nuit. Nous habitions la rue à côté de sa maison et à n’importe quelle heure de la nuit, elle était allumée.

  • Patrice me réconfortant, lors de tension en interne à APES

  • Patrice nous invitant à l’impromptu pour manger des grillades dans son jardin.

  • Patrice et sa sacoche d’ordinateur

  • Patrice, le soutien des sourds dans toutes circonstances

  • Patrice secret qui a invité notre fils pour discuter et voir un match de football un mois avant son décès.

En conclusion, je dirai que Patrice était un être généreux, profondément humain, travailleur (il ne dormait pas beaucoup) mais il aura gardé sa part de mystère.

Maryse BONNEFONT

Le hasard de la vie a voulu que Claire et Patrice Dalle apprennent que leur troisième fille, Juliette, était sourde. Tous deux enseignants étaient loin, très loin même, de se satisfaire de ce qui était proposé aux familles, en ce temps là, en terme d’éducation, et d’accompagnement du corps médical. Donc, ils partirent en quête de solution.

Le hasard a voulu qu’au même moment un courant de pensées s’élevait. Leur curiosité les a amené à côtoyer ce mouvement naissant : 2LPE.

Dès lors, puisque rien ou presque n’existait comme choix, tous deux n’ont pas hésité à s’investir et à « inventer ». Il fallait trouver les moyens de s’adapter à la surdité de leur fille et cela devait se passer par la langue des signes.

Leur famille serait bilingue ; la langue des signes faisait son entrée dans leur foyer avec le soutien d’un intervenant à domicile, Claire et Patrice participant à des cours de LSF en parallèle.

Puis vint très vite, Juliette grandissant, la création de leur « petite classe bilingue» se faisait à leur domicile, rue des Pinsons ; puis famille d’accueil aussi puisqu’Emilie venait grossir le modeste effectif d’élèves.

J’ai oublié le détail des intervenants-enseignants à ce moment-là mais je suppose que Claire participait pour beaucoup, avant l’arrivée de Martine Brusque.

D’autres enfants furent scolarisés et l’accueil de la classe se fit dans une école privée, la Prairie … en attendant la fameuse loi de 1991 qui permit à Patrice de passer à la vitesse supérieure pour obtenir l’accueil des classes bilingues, en primaire, au sein d’un l’établissement de l’éducation nationale à Ramonville. Enfin !!! … puis au collège.

Et puis, survint l’épreuve suprême pour Patrice et pour ses filles : Claire ne sera plus là. J’aimais beaucoup Claire, elle portait bien son prénom, elle était simplement lumineuse. J’imagine bien le désarroi et la douleur de son absence si soudaine pour Patrice et ses trois filles.

Dans ce temps très difficile, Patrice n’a rien lâché et c’est avec un courage incroyable qu’il a mené toutes ses activité, tant personnelles, professionnelles, associatives, que celles du militantisme qu’il a mené jusqu’au bout de sa vie.

Pour qualifier son existence, je vois l’image d’un missionnaire. Il n’avait de cesse que de développer ce qui venait d’émerger. Il avait cette faculté d’entrevoir, de structurer davantage et la ténacité pour y parvenir.

Il était patient pour donner un temps fou à la rédaction de très très nombreux courriers destinés entre autre au rectorat ou à l’éducation nationale puisque d’une année à l’autre, des manquements ou des remises en cause dans les classes faisaient leurs apparitions. Il travaillait très tard le soir à la lumière de son écran.

Je me rappelle q’une fois où je m’étonnais à la lecture de l’un d’eux que la liste des doléances soit si longue, il m’a répondu qu’il fallait demander beaucoup pour obtenir un peu.

Il savait accueillir et ne ménageait pas son temps. D’ailleurs, si vous deviez lui téléphoner ou le rencontrer, il fallait prévoir un bon moment de latitude car Patrice était généreux en explications, en échanges.

Il a énormément travaillé, oui … Patrice n’a eu que la vocation de défendre le bilinguisme, la langue des signes, l’accès à la connaissance.

Il a été soulagé par l’arrivée de nouveaux parents prompts à le suppléer, à prendre le relai, et lui permettre de prendre un petit peu de temps pour lui. Lui qui aimait la pêche « à la mouche », s’était fait le plaisir de s’offrir un petit camping-car pour s’évader de temps en temps. Achat fait sur « une impulsion » m’avait il dit !

Pour terminer, j’ai choisi cette phrase car elle correspond bien selon moi à la vie de Patrice :

Poursuivre le sillon que l'on a soi-même creusé, poursuivre la voie que l'on s'est fixée, aller au bout de son projet.

Les enseignantes en LSF

Marie-Paule KELLERHALS

C’est à mon arrivée à Toulouse, en 2000, que j’ai eu l’honneur de faire la connaissance du Grand Patrice Dalle. Jusqu’alors, je ne le connaissais que de nom. Dans l’école où j’exerçais avant de rejoindre Ramonville, on m’avait mise en garde : « personnage redoutable, bougon, entêté, extrémiste, à éviter absolument ! ». J’étais donc très impatiente de vérifier par moi-même si ce monsieur correspondait à cette triste description. J’ai découvert un homme affable, réfléchi et visionnaire, un personnage haut en couleurs et attachant. Le seul adjectif sur lequel je suis d’accord, c’est qu’il était redoutable ! Redoutable dans son argumentation !

Mon bout de chemin avec Patrice a duré 14 ans.

Dans les années 2002-2005, j’ai participé, avec lui et d’autres, à d’interminables et houleuses réunions au rectorat. En toutes circonstances, Patrice gardait un calme absolu : inlassablement, patiemment, il revendiquait le droit à l’éducation bilingue pour les enfants sourds, jamais à bout d’arguments, n’hésitant pas à remettre en question, calmement mais fermement, les principes de l’institution, au grand dam des représentants institutionnels. Il disait toujours qu’il ne fallait rien lâcher. Droit dans ses bottes !

Il venait régulièrement dans les classes bilingues recueillir des éléments de terrain pour ses recherches sur les outils pédagogiques ou pour aller porter ailleurs la « bonne parole ». Il se montrait bienveillant tout en nous aidant par un questionnement soutenu, à nous remettre en question et à trouver en nous-mêmes les réponses aux problématiques pédagogiques. Il disait toujours que c’était nous, pédagogues de terrain, qui avions la solution. Il avait bien raison !

Patrice Dalle l’avait compris bien avant l’heure : la Langue des Signes est primordiale dans le développement de l’enfant sourd. Les PEJS actuels sont l’une des résultantes du combat de Patrice. En posant les premières pierres, Patrice a ouvert la voie d’un enseignement inédit et nous en sommes ses dignes héritiers.

Le développement de ces PEJS reste toutefois le défi majeur des prochaines décennies et nous devons continuer à cimenter l’ouvrage. Neuf années après sa disparition, l’esprit de Patrice Dalle continue à nous accompagner sur ce grand chantier.

Catherine BOUIS

Je me souviens très bien que quand j’étais jeune et étudiante, j’étais à la fête organisée par les Iris.

Une mauvaise nouvelle circulait dans la fête : Mme Dalle Claire était décédée. C’est là que j’ai entendu le nom de la famille Dalle, assez connue dans la communauté des sourds. J’ai vu Mr Dalle de loin et j’ai vu sa fille Juliette qui jouait une pièce de théâtre avec Mme Rigaud Emilie.

J’ai aussi appris la création de la classe bilingue.

J’ai été embauchée chez les Iris en Septembre 1998 sur un poste d’enseignante dans la classe Bilingue. C’est là que j'ai rencontré Me Dalle Patrice en chair et en os. Je me souviens très bien que j’étais à la réunion aux Iris avec l’équipe de l’école primaire et l’équipe du collège pour voir les points à garder ou à améliorer. A l’époque, cela se faisait trois fois par an. Jusqu’en 2003, nous avons été salariées chez les Iris sauf l’équipe du collège. Me Dalle m’a dit que j’apportais ma lumière et mon grand sourire à la réunion. Je ne savais pas ce qu’il s’était passé; j’étais une très grande débutante. Mon gros défaut, c’est que je planais et que je voyais tout positif dans le monde du travail.

Au fil des années, M Dalle était toujours présent pour défendre les classes bilingues et il était président des Iris. Il nous donnait la formation sur les outils adaptés à la langue des Signes. Il ne lâchait pas ses ambitions et savait écouter nos besoins de supports adaptés en langue des Signes. Le plus frappant chez moi, c’est qu’il disait toujours le meilleur outil : c’est le MAC ! et qu’il avait horreur des PC.

Il y a peu, je suis passée à Iris pour préparer le parcours de Patrice Dalle et j’ai été tellement étonnée et surprise qu’il y ait des ordinateurs MAC dans plusieurs services. Comment a-t-il réussi à influencer ? C’était un grand homme pour moi et il savait toujours sourire à tout moment. Il nous retournait toujours les questions posées afin de nous inciter à trouver nous-mêmes un autre moyen de réflexion et d’argumentation. Il ne se lassait jamais et il était présent partout aux réunions professionnelles, aux conférences, aux séminaires…

Le grand déclic, pour moi, c’est quand je suis allée au congrès de l’hommage à l’Abbé de l’Epée vers 2010. Mr Dalle Patrice est un deuxième Abbé de l’Epée et grâce à lui, je peux enseigner aux élèves sourds comme les autres. Il a continué à semer des graines et à tracer des projets non finis jusqu’au bout de son dernier souffle.

Merci Patrice de nous avoir guidé dans le monde professionnel, de nous avoir écouté et de nous avoir donné des outils ….

Vanessa ANDRIEU

Étant la dernière enseignante recrutée par l’association les Iris en septembre 2003, je n’y voyais rarement Patrice, mais sentais sa présence partout. Il avait laissé une forte empreinte dans l’association.

Citer cet article

Référence électronique

Corinne Pierini, Isabelle Claudet, Marie-Paule Kellerhals, Catherine Bouis, Vanessa Andrieu et Maryse Bonnefont, « Souvenirs de Patrice Dalle », La main de Thôt [En ligne], 11 | 2024, mis en ligne le 04 juin 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/1235

Auteurs

Corinne Pierini

Isabelle Claudet

Marie-Paule Kellerhals

Catherine Bouis

Vanessa Andrieu

Maryse Bonnefont