Venise par elle-même. Voyage à Venise sous la plume de deux écrivains vénitiens du XIXe siècle

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Il Campiello – Études vénitiennes

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« Belle femme qui va s’éteindre avec l’automnei » pour Chateaubriand, « ruine romantiqueii » pour Barrès, « vaste mausoléeiii » pour Henry James : autant d’images qui reflètent la fascination éprouvée par les écrivains européens pour Venise tout au long du XIXe siècle et au début du siècle suivant, en raison de l’exceptionnalité de son patrimoine, mais aussi de l’atmosphère de délabrement qui émanait de la ville. Alors qu’elle subissait encore le contrecoup de la longue période de domination étrangère qui avait fait suite à la chute de la Sérénissime en 1797, le voyage à Venise semblait être devenu un pèlerinage obligatoire. De Byron à Rilke, de Musset à Proust, nombreux sont les écrivains qui s’inspirèrent de leurs séjours vénitiens, qu’il s’agisse de récits de voyages en tant que tel ou d’œuvres de fiction. Si Venise occupe aujourd’hui une place singulière dans le panorama culturel européen, c’est bien parce que son nom est resté attaché à celui de certains des plus grands écrivains du panthéon littéraire mondial. La Venise des Romantiques, celle des Décadentistes, la mort de Venise, la mort à Venise ont d’ailleurs fait l’objet de très nombreuses études, qui ont encore enrichi la vaste bibliographie critique consacrée à la Venise littéraire.

Paradoxalement, pourtant, une catégorie d’auteurs ayant également décrit Venise est restée ignorée : il s’agit des Italiens et, plus encore, des Vénitiens. C’est ce que souligne Giorgio Bassani, dans Le parole preparate, un bref essai consacré à Venise, dans lequel il oppose explicitement le point de vue des étrangers à celui, majoritairement ignoré, des Vénitiens :

« Da Chateaubriand, che vedeva nei gondolieri stazionati sotto le finestre del suo albergo nientemeno che altrettanti “fils de Nérée”, a Gautier, a Dickens (sì, anche Dickens), a Barrès, a Henri de Régnier, a James, a D’Annunzio, a Proust, a Mann: non c’è, davvero, grande scrittore appartenente per molto o per poco al filone dell’Ottocento romantico-decadente europeo, il quale non risulti impegnato in un suo tentativo di coinvolgere Venezia in una più o meno macroscopica operazione mistificatoria. […] Che cosa ha a che fare la Venezia storica, reale, italiana, della fine dell’Ottocento, con quella, squisitamente putrida, che affascina gli eroi di James e di Mann: il mediocre letterato inglese e il celebre romanziere e saggista Gustav von Aschenbach ? »iv

De fait, plusieurs écrivains témoignent à la même époque de l’existence d’un point de vue vénitien, « autochtone », selon l’expression de Bassani : « Le rare eccezioni positive, in prevalenza autoctone, minori, […] interessano quasi esclusivamente l’Ottocentov. » Il est vrai que si l’on associe toujours Carlo Goldoni à la Venise du XVIIIe siècle, rares sont les écrivains vénitiens à être passés à la postérité au siècle suivant. Il s’agit donc ici de faire sortir de l’ombre deux d’entre eux, le dramaturge Giacinto Gallina (1852-1897) et le romancier et auteur de nouvelles Enrico Castelnuovo (1839-1915). Ce sont bien là deux écrivains mineurs, largement méconnus en dehors de Venise, voire oubliés – les œuvres de Castelnuovo n’ont pas été rééditées depuis le début du XXe sièclevi. Parmi leurs œuvres, plusieurs se révèlent intéressantes pour leur description de l’évolution de la société vénitienne du temps. Pour Giacinto Gallina, qui fit renaître le théâtre vénitien à la fin du XIXe siècle, on retiendra trois pièces : Teleri veci (1877), centrée sur la figure d’une aristocrate ruinée – à l’insu de sa famille – Donna Marina Martenigo-Rivanzo ; Serenissima (1891), centrée sur la figure de Piero Grossi, surnommé « Serenissima » parce qu’il était né sous la Sérénissime et fer de lance de la lutte des gondoliers contre les vaporetti, qui est la toile de fond de la pièce ; enfin, La base de tuto (1894), qui en constitue en quelque sorte la suite, qui détaille le destin de ses enfants et petits-enfants après la disparition du vieux gondoliervii. Parmi les nombreux romans et nouvelles publiés tout au long de sa vie par Enrico Castelnuovo, on retiendra le roman Dal primo piano alla soffitta (1883), qui retrace la décadence, financière et morale, d’une famille patricienne obligée de vendre son palais et de se réfugier dans son grenier, épisode qui donne son titre au roman, et Il fallo di una donna onesta (1894), longue nouvelle décrivant le déshonneur subi par une jeune veuve après sa liaison avec le fils de l’une de ses amies. Ces cinq œuvres peuvent être lues ensemble comme un voyage dans la Venise de la fin du XIXe siècle telle que la voyaient les Vénitiens. Lieux décrits, types de personnages récurrents, rapport aux principaux topoï vénitiens de l’époque : la confrontation entre leur vision de celle qui était leur ville d’origineviii et la vision qu’en avaient les étrangers est riche d’enseignements. Ce voyage, tantôt mélancolique, tantôt ironique, dans une Venise déclassée pose la question de la modernité vénitienne, qui se caractérise par la perte de sa singularité.

1. Géographie vénitienne

1.1 Entre la Venise monumentale…

Tout voyage à Venise passe traditionnellement d’abord par la description de cet espace urbain exceptionnel, à commencer par ses principaux monuments, les palais du Grand Canal et la Place Saint-Marc. Pourtant, chez les deux écrivains qui nous occupent, la Venise monumentale apparaît presque absente. C’est en tout cas le cas dans les pièces de Gallina, qui ont essentiellement pour cadre des quartiers périphériques, Cannaregio et Castello. La Venise monumentale est en revanche présente chez Castelnuovo, mais de manière paradoxale. Le roman Dal primo piano alla soffitta s’ouvre en effet dans la somptueuse demeure d’une famille patricienne. Quoique l’édifice soit fictif, Castelnuovo lui donne tous les attributs des plus beaux palais du Grand Canal :

« Era un bel palazzo, davvero, […] uno di quegli edifizi maestosi e leggiadri ad un tempo di cui gli architetti moderni hanno perduto il segreto. Stile del classicismo avviato alla decadenza, lo dicono le Guide, e ne attribuiscono la costruzione al Sansovino o a uno dei suoi discepoli. Dalle travi dello spazioso androne pendevano due grandi fanali che avevano già appartenuto a due galere della Repubblica ; il soffitto della lunga sala era adorno di elegantissimi stucchi che incorniciavano degli affreschi non privi di merito ; sopra gli usci che nella sala stessa s’aprivano a destra e a sinistra c’erano dei ritratti di famiglia, quali col corno ducale in testa, quali in armatura, quali con la zimarra senatoriale, quali col vestito paonazzo a larghe maniche dei procuratori di San Marco. Altri quadri coprivano le pareti, e fra i molti ce n’erano alcuni realmente pregevoli, un Tintoretto, un Palma giovane, un Paris Bordone. […] E qua e là, nell’altre parti del palazzo, erano pure oggetti artistici di pregio, senza contare le argenterie, le maioliche, le porcellane. Si diceva, per esempio, che la collezione di vecchio Sassonia ch’era stata acquistata dal nobil’uomo Cristoforo Bollati durante la sua ambasciata a Vienna fosse la più bella che c’era in Venezia. »ix

Tous les éléments représentatifs de la splendeur de l’aristocratie vénitienne sont ici sciemment accumulés par l’écrivain : le palais lui-même est attribué à l’un des plus grands architectes de la Renaissance vénitienne, Jacopo Tatti, dit Sansovino (1486-1570). Lorsque les tableaux évoqués ne sont pas l’œuvre d’artistes vénitiens parmi les plus fameux, tels Paris Bordone et Tintoret, ce sont des portraits d’ancêtres dont l’habit symbolise les plus éminentes charges de la Sérénissime, des doges aux sénateurs. L’argenterie, le verre de Murano, la porcelaine de Saxe rapportée de Vienne complètent cet inventaire qui symbolise la puissance des Bollati au début du roman. Toutefois, ces richesses ne la sauvent pas de la une ruine, qui contraint ses derniers descendants à vendre leur collection d’œuvres d’art, puis à louer et, enfin, à vendre, le palais lui-même. Une seconde description de celui-ci, juste avant la vente finale, est révélatrice de la chute, réelle et symbolique, de la famille :

« Ormai la fama con le sue cento bocche spargeva dappertutto la notizia della prossima rovina dei Bollati, e sul palazzo pesava la tristezza che pesa sulle cose decrepite. […] Come avrebbero stentato a credere che fossero due Bollati quelle due donne dalla faccia scialba e dall’aria abbattuta che sedevano una di fronte all’altra davanti a un tavolino rischiarato da una lucerna a olio […] mentre il resto della stanza era immerso nelle tenebre e la vecchia lumiera di Murano, riscintillante un tempo per cinquanta fiammelle, pendeva dal soffitto polverosa e dimenticata ! »x

Désormais, la tristesse et la misère, symbolisées par les ténèbres et la poussière, se sont substituées aux fastes qui caractérisaient auparavant la vie de la famille. Le destin des Bollati, comme celui de leur palais, renvoie à celui de Venise elle-même au XIXe siècle, dépossédée de sa souveraineté, ruinée et déclassée. La Venise monumentale est donc bien présente dans Dal primo piano alla soffitta, mais sa présence souligne surtout sa disparition.

C’est la place Saint-Marc qui revient dans plusieurs scènes d’Il fallo di una donna onesta. Toutefois, la beauté du lieu, que Teresa Valdengo est la seule à réellement goûter, est éclipsée par les personnages que l’héroïne y croise, des membres de la bonne société vénitienne qui ne se distinguent que par leur grossièreté, leur hypocrisie et leur esprit cancanier. C’est même sur la place Saint-Marc qu’elle subit une humiliation publique en voyant son oncle l’ignorer, condamnant sa présence en ce lieu en compagnie de son amant.

1.2. ... et la Venise « fora de man »

L’essor du tourisme à Venise a eu pour corollaire l’intérêt croissant, de la part des voyageurs, pour l’humble Venise des calli et des campi, « l’altra Venezia »xi selon Diego Valeri, ou Venise mineure. Pour les voyageurs de l’époque, son humilité est un gage d’authenticité par rapport à une Venise monumentale déjà envahie par les touristes. C’est ainsi qu’une touriste américaine, la Signora Mary, l’un des personnages principaux de Serenissima, la décrit. Désireuse d’acquérir une antique margelle de puits (vera de pozo, en vénitien) que le vieux gondolier garde en souvenir de la famille patricienne qui l’employait, l’Américaine, qui a embauché à son service le fils et le filleul de Serenissima, faisant ainsi renaître la tradition des gondoliers de casadaxii, lui rend visite chez lui : « Mi giro sempre… […] Venezia fora de man, per case de bona zente, in cerca di cosse antighe, e parole vive ; xe mio divertimento istrutivoxiii ». Pour la Signora Mary, cette partie de Venise est donc une source de curiosité et d’amusement («  divertimento istrutivo»).

Serenissima habite avec toute sa famille, dans le quartier populaire de Castello, alors que l’Américaine vit dans le palais des Vidal, les anciens patrons de Serenissima, aujourd’hui ruinés. Comme les trois autres pièces de Gallina qui nous occupent, Serenissima a pour cadre un intérieur, la modeste chambre où vit le vieux gondolier. La pièce regorge pourtant d’allusions à la vie quotidienne des habitants du quartiers, des osterie où les gondoliers se donnent rendez-vous, jusqu’aux églises où les plus âgés se rendent pour prier. Plus qu’une curiosité touristique, la Venise mineure est donc avant tout un lieu de vie, même s’il s’agit d’une vie qui reflète le déclassement de certains Vénitiens.

Dans Teleri veci, la demeure de Donna Marina Martenigo-Rivanzo est située à l’extrémité de Cannaregio, face au cimetière. Si l’intérieur du palais semble envahi par la poussière, ses alentours sont tout aussi sinistres, comme le suggère Brigida, la servante :

« Brigida: Eh ! Mi no vogio passar i più bei ani in mezo a ste alegrie relegada in’t un canton de Venezia, dove che no passa gnanca un can, e no se sente anema nata. Se se va sul balcon no se vede che cielo e acqua ; el cielo che da sta parte el par sempre imusonà e l’acqua color del sangioto. De fassa ghe xe el cimitero che par che el te diga : Te aspeto! Più in la no se vede che el fumo dei camini de Muran e a man zanca el Casin dei spiriti che fa vegnir i sgrìssoli solo a vardarlo. E a zonta de ste alegrie, ghe xe el ogni zorno el passagio de gondole che porta la zente a San Cristoforoxiv. »

Au-delà des images de l’eau couleur du « sanglot » et d’un ciel perpétuellement gris, la référence à l’île de San Cristoforo, qui faisait office de cimetière depuis l’époque napoléonienne, et à laquelle fait écho l’allusion au « Casin degli Spiriti »xv, fonctionne comme un memento mori. Dès lors, le choix d’un tel cadre de la part de Gallina apparaît lourd de sens, comme le souligne Piermario Vescovo :

« L’azione si svolge in una Venezia fora de man, ma non nel senso tradizionale del quartiere popolare e meno toccato dall’invasione del presente, adatto nella sua conservatività al bozzetto : una Venezia in tutti i sensi periferica che si sostanzia nei segni di un passato che si oppone senza possibilità di comprensione a quelli del moderno. »xvi

Significativement, le cadre de La base de tuto a changé : devenus riches après son décès, Daniel et Giudita, le fils et la belle-fille de Serenissima ont déménagé pour s’installer près de Rialto, quartier plus central où se massent les touristes. Daniel ne travaille plus et Giudita a renoncé à sa friperie pour ouvrir une boutique d’activités, dans laquelle elle s’évertue à escroquer des clients naïfs. Comme pour le personnage-clé de Serenissima, qui pèse sur la pièce par son absence, le déménagement de sa famille loin de Castello reflète le crépuscule d’une génération de Vénitiens, avec laquelle disparaissent un ensemble de valeurs. On observera enfin que l’un des attributs de la Venise mineure des Vénitiens, notamment chez Castelnuovo, est la décrépitude, voire la saleté : dans Dal primo piano alla soffitta, Leonardo Bollati passe son temps à jouer dans d’infâmes tavernes ; dans Il fallo di una donna onesta, la chambre où Teresa Valdengo retrouve son amant, Guido Di Reana, est sordide. Tout se passe comme si cette Venise sans charme, antithèse de la Venise alors décrite par les étrangers, reflétait la grossièreté d’une partie de ses habitants.

2. Types et topoï : entre mélancolie et ironie

2.1. La fin d’un monde

L’un des éléments les plus frappants dans l’étude des œuvres de Castelnuovo et de Rovetta est la récurrence de personnages types, en particulier les patriciens ruinés et les nouveaux riches, qui se substituent à eux et forment la nouvelle classe dominante. Avec la chute de la Sérénissime et les difficultés financières que connut ensuite Venise, un grand nombre de familles patriciennes connurent la ruine au XIXe siècle, ce qui occasionna la dispersion de collections d’œuvres d’art parfois exceptionnellesxvii et, souvent, la vente de palais, dont certains des plus imposants du Grand Canal, qui furent nombreux à être rachetés par des étrangers : ainsi la Ca’ Vendramin Calergi fut-elle vendue en 1844 à la duchesse de Berry par le dernier descendant des Vendramin. Quant à la Ca’ Rezzonico, elle devint la propriété du fils du poète anglais Robert Browning, qui y mourut en 1889. Il n’est dès lors pas surprenant de retrouver des patriciens ruinés tant chez Gallina que chez Castelnuovo. Selon les œuvres, on passe d’une représentation ironique, délibérément caricaturale, de ce qui constitue un véritable type de la littérature vénitienne, à une représentation mélancolique, digne, mais également pleine d’amertume.

La charge la plus violente contre les patriciens est celle que dresse Castelnuovo dans Dal primo piano alla soffitta : cette chronique de la ruine des Bollati se double du récit détaillé de leur décadence morale. Alors que la perte de leur fortune fait sombrer ses parents, pour l’un, dans la folie, pour l’autre, dans l’apathie, Leonardo, le dernier descendant de cette lignée illustre, mène une vie de débauché dans des tavernes douteuses, n’hésitant pas à se montrer violent et grossier. C’est lui qui sanctionne l’humiliation définitive de la famille en acceptant l’offre que lui fait le baron anglais qui s’est porté acquéreur du palais :

« La vanità del baronetto era lusingata dall’idea di dar ricovero a un patrizio che aveva avuto due dogi fra i suoi antenati. Leonardo, dal canto suo, accettò con lieto animo l’offerta, e perché gli ripugnava di andar in cerca di un altro alloggio, e forse anche perché seguitando ad abitare nel suo palazzo, gli pareva d’esserne sempre lui il padrone. »xviii

Si l’offre du nouveau propriétaire n’est pas dénuée de mesquinerie puisqu’il s’agit d’abord pour lui de flatter sa propre vanité, l’absence de réaction de Leonardo et l’avilissement qui en résulte sont frappants : jusqu’à la fin du roman, alors qu’il sombre dans une vie de débauche de plus en plus prononcée, le jeune homme rentre toujours dans sa mansarde, persuadé, en son for intérieur, d’y être toujours chez lui.

Sous la plume de Gallina, les patriciens ruinés sont des figures qui oscillent entre le comique et le tragique. Ainsi l’un des personnages les plus plaisants de Serenissima se trouve-t-il être le « nobilomo » Vidal, fils des anciens patrons du vieux gondolier. Ayant perdu toute sa fortune, celui-ci est obligé de travailler : « E el nobilomo [Vidal] ghe toca far el schincapane al muniçipio… per far tàser Sior’Anaxix. » Le terme « schincapenexx » indique clairement qu’il s’agit d’un emploi subalterne, indigne du titre de noblesse que Vidal porte toujours – tous les personnages de la pièce usent d’ailleurs toujours de son titre de nobilomo pour se référer à lui. Il n’a pourtant pas d’alternative, comme en témoigne l’expression « far taser Sior’Anna », qui signifie faire taire sa faim. Cependant, à la différence des Bollati de Castelnuovo, Momi Vidal n’a rien d’un dégénéré : dans Serenissima, il accepte son sort et s’en satisfait ouvertement, s’efforçant toujours d’aider les plus nécessiteux. Il n’en reste pas moins le symbole éclatant du déclin de l’aristocratie vénitienne : la Signora Mary, qui s’est installée dans le palais de ses ancêtres, l’emploie comme secrétaire officieux et ce n’est qu’à travers son intermédiaire à elle qu’il parvient à faire œuvre de charité, lui-même n’étant plus en mesure de donner quoi que ce soit aux pauvres.

Malgré le dénouement heureux qui caractérise les comédies de Gallina, le personnage de Donna Marina dans Teleri veci est proche du tragique. Veuve d’Alvise Rivanzo, un patricien qui avait tenté de faire renaître l’art typiquement vénitien des conterie avant d’être trahi par l’un de ses employés, celle-ci a perdu toute sa fortune en remboursant les dettes de son mari, sans révéler à personne l’état réel de ses finances, pour préserver son honneur. Seul son vieux gondolier, Momolo, connaît sa situation, alors que tous à Venise, y compris les membres de sa famille, la croient avare. La maison de Donna Marina est pleine d’objets qui, comme l’a souligné Piermario Vescovo, sont autant de « reliques » d’une époque et d’un monde voué à disparaître :

« […] l’ossessiva presenza del frusto e del decrepito dell’ambientazione, dal tempo piovoso al notturno e al sinistro, all’evocazione della collezione – dentro alla casa – di “reliquie”, “strighessi”, “antichità egiziane”. Dove, anzi, il riconoscimento di un valore d’uso nullo è condizione necessaria a un controvalore simbolico, garantito proprio dalla non funzionalità. »xxi

La gondole familiale, si usée qu’elle en est inutilisable, est sans doute l’exemple le plus frappant de ces « reliques ». Le fait qu’il s’agisse d’un souvenir de famille, de l’époque où son mari était encore en vie, convainc Donna Marina à renoncer à la vendre, alors même qu’elle-même se trouve cruellement dans le besoin. À côté de la vieille femme et de son gondolier, Momolo, appartenant à la même génération qu’elle, un autre personnage plane sur la pièce, bien que ce soit in absentia, puisqu’il n’apparaît jamais sur scène. Il s’agit du cavaliere Scarponi, entrepreneur de Chioggia qui aimerait marier sa fille à un patricien, le neveu de Donna Marina. Ce personnage suscite des passions contrastées. Au début de la pièce, le mariage apparaît probable, puisque l’absence de titre de noblesse de l’hypothétique fiancée est compensée par une dot qui serait susceptible de sauver son futur mari – lui aussi – de la ruine. Or Donna Marina s’y oppose, Scarponi se trouvant être l’ancien employé de son mari, et donc l’homme dont la trahison a causé sa perte. Cette situation lui donne l’occasion de se confronter à son propre frère sur l’idée qu’il se fait de la noblesse :

« Marina : […] Piero xe l’ultimo che porta el nome di Martenigo, e mi gavarìa volesto che el se gavesse maridà per amor, e co una dona degna del so nome.

Piero : (con amarezza) E po àmia, el nome solo adesso no vol dir più gnente ! […]

Marina : (con alterezza) Ve fasso osservar che se vualtri se’ i nobilomeni Martenigo, mi son la nobildonna Martenigo-Rivanzo, e no me voré insegnar, spero, cossa che conta e che vogia dir saver che sangue se ga nele vene.

Momi : Oh ! el nostro sangue no deventarà acqua anca se el sposarà la fia de Scarponi… che xe po (ironico) el cavalier Scarponi. »xxii

Deux conceptions s’opposent : d’un côté, Donna Marina, qui apparaît surtout attachée à l’honneur du nom et, de l’autre, son frère, Momi Rivanzo, qui ne souhaite ce mariage que pour remédier à sa situation financière désastreuse. Son allusion ironique au titre de « cavalier » de Scarponi montre d’ailleurs qu’il n’a que mépris pour cet homme. La réflexion amère de son fils, Piero, sur le fait que leur nom seul n’a plus aucun poids, montre qu’une nouvelle noblesse, celle de l’argent, est en train de se substituer à celle du sang. Les personnages de nouveaux riches, désignés à Venise sous l’appellation ironique de « zente refada », sont récurrents tant chez Gallinaxxiii que chez Castelnuovo, ce qui n’est bien sûr pas anodin. Il fallo di una donna onesta date de 1894 : la bonne société vénitienne, raillée par Castelnuovo dans la nouvelle pour son hypocrisie et sa mesquinerie, n’a plus rien à voir avec les patriciens qui survivaient encore quelques années plus tôt. Ceux qui tentent de s’opposer à ce mouvement inéluctable, Donna Marina dans Teleri veci et Serenissima dans la comédie éponyme, sont les derniers représentants d’une génération vouée à la disparition et qui, significativement, est absente dans La base de tuto. Leur combat est perdu d’avance, comme celui des gondoliers contre les vaporetti, qui sert de toile de fond, éminemment symbolique, à Serenissima. Entre mélancolie et amertume, cette réplique de Serenissima synthétise l’atmosphère crépusculaire qui pèse sur la Venise des années 1880 : « Za tuto finisse, tuto sparisse ! I palazi più bei del mondo xe nele man de foresti o dei strassaroì refài… le antighe famegie xe andàe squasi tute a Patrassoxxiv… ».

2.2. Les topoï vénitiens détournés

Le portrait que les auteurs dressent de Venise passe également par le traitement, souvent ironique, des principaux topoï vénitiens de l’époque. Parmi de nombreux exemples, on pourra prendre celui de l’intrigue amoureuse qui est au centre d’Il fallo di una donna onesta : Teresa Valdengo, jeune veuve appartenant aux meilleurs cercles de la bonne société vénitienne, est séduite par Guido Di Reana, un officier de marine qui est le fils de l’une de ses amies d’enfance. Connue de tous, leur liaison est condamnée par les amis de Teresa, alors que, après le départ en mer de son amant, elle se rend compte qu’elle est enceinte. La nouvelle se conclut sur le suicide de la jeune femme, incapable de supporter le poids de son déshonneur. Cette issue tragique ne saurait éclipser les nombreux passages comiques que contient la nouvelle, notamment des portraits satiriques de la bourgeoisie vénitienne. En outre, Castelnuovo joue délibérément avec les lieux communs vénitiens, dont, en premier lieu, le topos des amours vénitiennes.

La littérature européenne regorge en effet de couples d’amants de Venise, tels Musset et George Sand, la ville apparaissant comme le lieu idéal des amours illégitimes. L’un des attributs de ce lieu commun est la gondole-alcôve, très présente dans la littérature comme dans la peinture du XIXe siècle. Teresa et Guido ne dérogent pas à la règle mais le traitement de la scène par Castelnuovo renverse complètement le topos amoureux. En effet, fier d’avoir conquis une femme mûre, Di Reana enchaîne les vantardises, sa sottise faisant alors cruellement souffrir Teresa. Alors que la promenade en gondole devait sceller leur amour, elle révèle en réalité le fossé qui sépare le couple. Tandis qu’il jure un amour éternel à sa maîtresse, énième cliché sciemment mis en avant par Castelnuovo, Di Reana s’avoue intérieurement qu’il l’oubliera bien vite, demeurant insensible au déshonneur dans lequel leur liaison l’a plongée. De surcroît, la gondole-alcôve se mue rapidement en un autre topos vénitien, celui de la gondole-cercueil. C’est en effet au cours de cette promenade que Teresa songe pour la première fois au suicide. Ainsi, le seul moment où le couple s’affiche ouvertement comme tel, en public, est aussi celui où sa séparation apparaît inéluctable. On passe des amours vénitiennes à un autre topos, celui de la mort à Venise. Le suicide de Teresa est provoqué par le poids de sa faute, qu’elle ne parvient pas à supporter, mais aussi par les réactions hypocrites de la bourgeoisie vénitienne à son égard. Son oncle, qui défend l’une de leurs amies communes, qui dîne avec son mari et tous ses amants, condamne pourtant la relation de Teresa avec Di Reana, allant jusqu’à l’humilier en l’ignorant alors qu’il la croise devant Saint-Marc. Ces mesquineries sont pour elle tout aussi insupportables que sa faute et la bonne société vénitienne, dont Castelnuovo livre une satire féroce, n’est pas pour rien dans cette issue tragique. Or cette étroitesse d’esprit ambiante à Venise est un autre trait qui rapproche à la fois Castelnuovo et Gallina : leur Venise apparaît en effet peuplée d’individus médiocres.

3. De la médiocrité vénitienne

3.1. La perte des valeurs traditionnelles

La médiocrité est le principal trait de la Venise de Castelnuovo, qu’il s’agisse, on l’a vu, d’Il fallo di una donna onesta, ou de Dal primo piano alla soffitta : le roman, notamment, regorge d’individus peu recommandables, qui gravitent autour des Bollati. Ce délitement des valeurs morales apparaît de manière éclatante lors de l’insurrection de 1848-49, relatée en détail par Castelnuovoxxv. À côté d’authentiques héros venus défendre Venise du siège de l’armée autrichienne, on trouve une multitude de pleutres, d’attentistes et même des individus qui ne recherchent que leur profit personnel. C’est par exemple le cas du Signor Oreste, ancien cuisinier des Bollati devenu aubergiste :

« In quanto a lui, dell’indipendenza non gliene importava né punto né poco ; solo vedeva con piacere per le vicende della guerra la guarnigione crescer ogni giorno, e molti dal di fuori rifugiarsi a Venezia. E per mettersi, come si dice, a livello delle circostanze, il signor Oreste ingrandiva la sua trattoria […]. »xxvi

Il va sans dire que son comportement durant tout le roman ne fait que mettre en lumière le caractère antithétique de la référence au héros antique dont il porte le nom.

La perte des valeurs traditionnelles est également au centre des trois comédies de Gallina, dont les intrigues reposent sur des conflits de générations. Le fossé qui sépare, d’un côté, Donna Marina et Momolo, accrochés à un monde qui n’est plus, et les générations les plus jeunes, apparaît impossible à combler. La pièce, dont le sous-titre est Tempre antiche, doit d’ailleurs son titre à ce décalage. Il provient en effet d’une réplique de Momolo, adressée à Donna Marina : « Semo telèri veci nu. No xe vero, Selenzaxxvii ? ». L’allusion au métier à tisser est ici une métaphore qui illustre le fossé générationnel qui les sépare du reste de leurs familles. Les deux personnages sont au centre de plusieurs conflits et leurs réactions sont généralement incomprises. Momolo, par exemple, ne pardonne pas à son fils d’avoir rompu la tradition familiale du métier de gondolier :

« Momolo : Se’ el primo dela nostra famegia che no se ga degnà de tor el ram in man.

Menego (con importanza comica) : Tuti çerca de farse una posizion.

Momolo : Ostrega ! Arlechin finto prinçipe. Me racomando ala so protezion ! »xxviii

Cinglant, le vieil homme est incapable de comprendre son fils, dont le seul désir est de s’enrichir. Significativement, on retrouve un conflit similaire dans Serenissima et dans La base de tuto, qui en constitue le triste épilogue. L’intrigue, complexe, de Serenissima, repose en effet sur une forte somme d’argent que le vieux gondolier refuse énergiquement, au nom de l’honneur de son nom, alors même que sa famille se trouve dans un grand dénuement. En effet, alors que Serenissima, apprend que l’une de ses petites-filles s’est enfuie avec un homme qui l’a abandonnée mais dont elle est enceinte, un coup de théâtre révèle que ce dernier est déjà marié, et qu’il est le neveu de la Signora Mary, la riche Américaine. Pour réparer la faute de son neveu, celle-ci propose alors au vieux gondolier une forte somme d’argent, sous couvert de lui acheter la précieuse margelle de puits qu’il gardait jalousement. Contre toute attente, Serenissima refuse. La réaction de Giudita, sa belle-fille, est le premier révélateur d’un conflit de valeurs : « El gavarìa stomego […] de rifiutar sta risorsa che ghe manda la Providenza ? Ma questa xe un’imoralità bela e bonaxxix ! » Alors que Serenissima refuse l’offre au nom de ses valeurs morales, Giudita, elle, taxe d’immoralité ce refus lui-même, ce qui montre qu’ils incarnent tous deux des valeurs diamétralement opposées : l’honneur pour l’un, l’argent pour l’autre.

Or, alors que Serenissima s’était conclue sur le refus catégorique du vieil homme, La base de tuto révèle au contraire qu’après son décès, Giudita et Daniel, son mari, ont immédiatement vendu la margelle de puits à l’Américaine, utilisant ensuite l’argent pour ouvrir le magasin d’antiquités douteuses de Giudita. Tout au long de la pièce, leur comportement trahit leur manque de scrupules et leur appât du gain. Tout leur est en effet bon pour gagner de l’argent, si possible en trompant les personnes auxquelles ils ont affaire. Cette centralité nouvelle de l’argent, totalement absente de l’horizon des valeurs qu’incarnait Serenissima dans la pièce précédente, et qui fait écho aux thématiques de Teleri veci, apparaît dans un dialogue capital, qui a donné son titre à la pièce :

« Vidal : La base de tuto, a sto mondo, xe volersi ben.

Giudita : (con uno scatto) Ah ! Caro lu, i soldi xe la base, i soldi xe el capo essenzial ! Altro che storie ! (sempre più infervorata, verso Vidal che nega col capo) I bessi, i bessi, e se pol sigarlo ai quatro venti senza paura che nissun si opona.

Vidal : Mi me opono, mi ; e ve digo che se la fusse come disé vu, el mondo andarìa in tochi, come i meloni marsi. El capo essenzial…

Giudita : (sempre come sopra e con maggior foga) … Xe i soldi, le carte da mile, e per tuti. »xxx 

Cet échange révèle le glissement de valeurs qui affecte la société vénitienne. Désormais, les Vénitiens sont majoritairement mus par l’appât du gain, d’autant que l’essor croissant du tourisme à Venise leur fournit une source facile de profits. La base de tuto, dernière comédie de Gallina, se distingue par sa tonalité particulièrement sombre : la Venise que décrit le dramaturge est marquée par le triomphe d’individus tels que Giudita et Daniel, responsables d’une mesquinerie ambiante que l’on associe pourtant difficilement à Venise.

3.2. Une modernité vénitienne ?

Qu’elle soit ironique, comme sous la plume de Castelnuovo, ou mélancolique, comme sous la plume de Gallina, le portrait que les deux Vénitiens dressent de leur ville ne laisse pas d’être féroce. Ils décrivent la fin d’un monde, celui pour qui la Sérénissime et toutes les traditions qui lui étaient attachées avaient encore un sens, et l’avènement d’un nouveau monde, dont les valeurs sont tout autres. D’une certaine manière, on peut interpréter les œuvres de Castelnuovo et de Gallina comme le récit une mort de Venise. Toutefois, celle-ci n’a rien à voir avec les enfants de Torcello rongés par la fièvre décrits par Barrès dans La mort de Venise, ni même avec la ville envahie par le choléra décrite par Mann dans Mort à Venise (1911). Cette mort de Venise s’actualise essentiellement dans la perte de valeurs et de traditions jusque-là profondément ancrées dans la culture vénitienne – au point qu’un gondolier comme Momolo partage les valeurs d’une patricienne comme Donna Marina dans Teleri veci.

Il faut alors se poser la question de l’image que renvoie cette nouvelle société vénitienne. À côté du déclin de l’aristocratie, les nouveaux riches prolifèrent, qu’il s’agisse des bourgeois hypocrites de Il fallo di una donna onesta, du commerçant cupide qu’est Oreste dans Dal primo piano alla soffitta, de l’industriel malhonnête de Chioggia dans Teleri veci, ou de Giudita elle-même dans La base de tuto. À cet égard, il convient de souligner que ces personnages motivés uniquement par l’appât du gain sont un type récurrent dans la littérature vénitienne de l’époque, comme par exemple dans certaines nouvelles de Camillo Boito, à l’instar de Il maestro di setticlavio (1891), marquée, entre autres, par la figure d’un usurier particulièrement sordide. Pourtant, ces évolutions sont loin d’être typiquement vénitiennes, l’ascension d’une nouvelle classe dominante fondée sur l’argent, au détriment d’une aristocratie désormais ruinée, étant au contraire l’une des constantes des autres grandes villes de l’époque.

Or, les principaux mythes littéraires attachés à la ville au XIXe siècle, les amours vénitiennes et la mort de et à Venise étaient fondés sur la singularité vénitienne. Cette singularité est absente des œuvres des écrivains vénitiens qui nous occupent et, au fond, leur Venise n’est plus que Venise, soit une ville gagnée par les évolutions des sociétés modernes, comme toutes les grandes villes. Dès lors, cela éclaire l’autre grande caractéristique de la Venise de Castelnuovo et de Gallina : son absence totale de charme et sa dimension souvent sinistre.

Conclusion

Il y a bien sûr quelque chose de paradoxal à parler de modernité vénitienne au XIXe siècle, la ville étant, encore aujourd’hui, et en raison d’un décor urbain unique qui apparaît figé dans le temps, considérée comme la ville antimoderne par excellence. Pourtant, derrière les immuables façades de ses palais, Venise est restée une ville active, et bien vivante. Les œuvres de Castelnuovo et de Gallina le montrent sans équivoque et c’est là l’un de leurs mérites. L’un des phénomènes qui se dessinent dans leurs œuvres est l’essor du tourisme et ses conséquences sur l’économie vénitienne. Entre les gondoliers de casada recréés pour une Américaine et les antiquaires qui vendent des reliques de la venezianità, une frange de plus en plus importante de la population vénitienne trouve dans l’afflux croissant de visiteurs fascinés par Venise une source de juteux profits. De ce point de vue, le développement d’une véritable industrie touristique à Venise, qui fut particulièrement forte après le rattachement de la ville au Royaume d’Italie, a donné lieu à une renaissance de celle-ci, surtout si l’on considère la situation économique difficile qui était celle de la ville à l’issue de la longue période de domination autrichienne.

En même temps, il apparaît que ces nouvelles ressources, qui s’inscrivent dans un mouvement parallèle à celui de l’ascension d’une nouvelle bourgeoisie enrichie rapidement, passent par une remise en cause de l’identité vénitienne, comme si la renaissance économique passait par une forme de mort symbolique de la ville. En définitive, Gallina et Castelnuovo montrent qu’à la suite de la perte de sa souveraineté, Venise a aussi perdu son âme. La Venise moderne qu’ils décrivent est marquée par un double phénomène. Alors que les visiteurs se pressent pour admirer la ville qui ne semble avoir jamais changé, la société vénitienne est, elle, marquée par des mutations profondes, semblables à celles que connaissaient les autres grandes villes de l’époque. Sans doute cela peut-il expliquer, au moins en partie, que le point de vue vénitien sur Venise ne soit pas passé à la postérité. En décrivant une Venise devenue semblable aux autres villes, les écrivains vénitiens l’ont reléguée dans une ombre d’où elle il était difficile de la faire sortir.

Note de fin

i Chateaubriand François-René de, Mémoires d’outre-tombe, édition établie et annotée par Maurice Levaillant et Georges Moulinier, “Bibliothèque de la Pléiade”, t. II, Paris, Gallimard, 1951, p. 772.

ii Barrès Maurice, Amori et dolori sacrum. La mort de Venise [1900], Paris, Émile-Paul Frères Éditeurs, 1917, p. 17.

iii James Henry, Heures italiennes [1909], traduit de l’anglais par Jean Pavan, Paris, Éditions de la Différence, 1985, p. 51.

iv Bassani Giorgio, Le parole preparate, in Opere, a cura e con un saggio di Roberto Cotroneo, “I Meridiani”, Milano, Arnoldo Mondadori Editore, 1998, p. 1192-1193.

v Ibid., p. 1195.

vi À l’inverse, on doit à Piermario Vescovo, notamment, plusieurs travaux récents sur le théâtre dialectal de Gallina, dont il a par ailleurs dirigé une édition critique en quatre volumes, parue chez Marsilio entre 2000 et 2002. Néanmoins, le nom de Gallina demeure largement inconnu en dehors du cadre des études théâtrales.

vii Il convient de souligner que malgré le décalage chronologique existant entre les dates de représentation des trois pièces (1877, 1891 et 1894), la didascalie initiale de Serenissima (« a Venezia quindici anni or sono »), ramène l’action à la fin des années 1870, soit à la même période que Teleri veci, ce qui renforce encore le rapprochement entre les deux personnages principaux, Donna Marina et Piero Grossi. Quant à La base de tuto, la didascalie initiale annonce également un décalage temporel, mais moins grand (« a Venezia pochi anni or sono »). Cf. Gallina Giacinto, Serenissima, in Tutto il teatro, vol. IV, a cura di Piermario Vescovo, Venezia, Marsilio – Regione del Veneto, 2002, p. 30 ; Gallina Giacinto, La base de tuto, in Tutto il teatro, vol. IV, cit., p. 166.

viii Bien qu’Enrico Castelnuovo soit né à Florence en 1839, le fait qu’il se soit installé à Venise, en compagnie de sa mère, dès l’âge de dix-huit mois, pour ne plus jamais quitter la ville, nous autorise à le considérer comme un Vénitien.

ix Castelnuovo Enrico, Dal primo piano alla soffitta, Milano, Fratelli Treves Editori, 1883, p. 9-10.

x Ibid., p. 169-170.

xi Valeri Diego, Guida sentimentale di Venezia [1942], “Le Lettere”, Firenze, Passigli Editori, 1994, p. 99.

xii « Le titre prestigieux de gondolier était réservé au gondolier de casada, domestique de luxe au service d’une seule famille, dont il conduisait la barque en portant ses couleurs sur sa livrée. […] Après la chute de Venise et l’expatriation des nobles, les gondoliers de casada disparaissent presque totalement. » (Perez Camille (dir.), Venise au XIXe siècle. Une ville entre deux histoires, Catalogue de l’exposition présentée au Musée Joseph Déchelette, (Roanne, 2013), Milano, Silvana Editoriale, 2013, p. 42). De fait, avec la ruine des plus grandes familles patriciennes, seuls les riches étrangers se pressant à Venise, telle la Signora Mary, étaient en mesure de faire renaître cette tradition. Il s’agissait pourtant pour les gondolier d’un travail précaire, puisque le départ de leur patron étranger mettait immédiatement fin à leur emploi – c’est d’ailleurs ce qui arrive dans Serenissima, lorsque l’Américaine décide de quitter Venise.

xiii Gallina Giacinto, Serenissima, cit., p. 55.

xiv Gallina Giacinto, Teleri veci. Tempre antiche, in Tutto il teatro, vol. II, a cura di Piermario Vescovo, Venezia, Marsilio – Regione del Veneto, 2002, p. 281.

xv Il s’agit du palais Contarini del Zaffo, situé sur la Sacca della Misericordia. Une légende, très populaire au XIXe siècle, voulait que Giorgione y ait séjourné avec le peintre Moro da Feltre avant que ce dernier, repoussé par l’une des modèles de Giorgione, ne se suicide et revienne ensuite hanter les deux amants, d’où le surnom de « Casin degli Spiriti » donné au palais, depuis lors présumé hanté.

xvi Vescovo Piermario, « Giacinto Gallina. Rinascita e morte del teatro veneziano », in Gallina, Giacinto, Tutto il teatro, cit., vol. I, p. XL.

xvii Dans Venezia scomparsa, Alvise Zorzi détaille l’inventaire de la vente, en 1894, des biens de la comtesse Gatterburg-Morosini, descendante du célèbre doge Francesco Morosini (1688-1694) qui avait reçu du Sénat le titre de « Peloponnesiaco » après sa conquête de la Morée. La liste donne une idée de l’immense richesse des grandes familles patriciennes : « Portantini, arazzi, livree, vestiti settecenteschi di velluto e di broccato, tra i quali un manto dogale; ventagli, cammei, oggetti preziosi singolari come un crocefisso secentesco d’oro con i chiodi di brillanti, broches e medaglioni del Settecento, cinquanta anelli, calici, reliquari, scudi d’argento, immensi vassoi d’argento bordati di perle, merletti point de rose; e gioielli […] Tra i quadri, che non costituivano la parte più singolare della raccolta, c’erano, stando sempre al catalogo, opere di Marco Basaiti, della scuola di Cimabue, dei Bassano, del Bissolo, del Tintoretto, di Bonifacio de’ Pitati, del Carpioni, del Ricci, di Giandomenico Tiepolo. » (Zorzi Alvise Venezia scomparsa, “Oscar Varia”, Milano, Arnoldo Mondadori, 2001, p. 154).

xviii Castelnuovo Enrico, Dal primo piano alla soffitta, cit., p. 220.

xix Gallina Giacinto, Serenissima, cit., p. 42.

xx Le terme dialectal schincapene peut se traduire par les mots français « scribouillard », ou « gâte-papier ». Il renvoie en tout cas à une tâche ingrate.

xxi Vescovo Piermario, « L’esperienza del quotidiano nel teatro veneziano tra Goldoni e Gallina », Esperienze letterarie, XXXII-2007, n°3-4, p. 305-306.

xxii Gallina Giacinto, Teleri veci, cit., p. 288.

xxiii C’est d’ailleurs le titre de l’une des comédies de Gallina, légèrement antérieure à Teleri veci. S’inscrivant dans la longue tradition des satires des mœurs des parvenus, représentée pour la première fois en novembre 1875 à Milan, Zente refada est centrée sur un couple d’anciens vendeurs d’allumettes devenus riches et méprisant leur famille restée, elle, dans la misère.

xxiv Gallina Giacinto, Serenissima, cit., p. 66.

xxv Né en 1839, l’écrivain avait neuf ans lorsque Manin proclama la Repubblica di San Marco. Tout laisse donc à penser que ses souvenirs d’enfance ont directement alimenté son roman.

xxvi Castelnuovo Enrico, Dal primo piano alla soffitta, cit., p. 264.

xxvii Gallina Giacinto, Teleri veci, cit., p. 264.

xxviii Ibid., p. 299.

xxix Gallina Giacinto, Serenissima, cit., p. 76.

xxx Gallina Giacinto, La base de tuto, cit., p. 185.

Citer cet article

Référence électronique

Marguerite Bordry, « Venise par elle-même. Voyage à Venise sous la plume de deux écrivains vénitiens du XIXe siècle », Line@editoriale [En ligne], 9 | 2017, mis en ligne le 09 mars 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lineaeditoriale/1687

Auteur

Marguerite Bordry

Université Paris 8