Francesco, mon fils, tu m’as demandé il y a quelques jours, de te raconter et t’expliquer, quand il me plairait de le faire, le motif qui m’amena à quitter, il y a de nombreuses années, notre ville et notre demeure de Gênes et me contraignit à habiter à Milan1.
Dès l’incipit du Discours de Domenico Sauli à son fils Francesco dans lequel certains événements singuliers de sa vie sont narrés2, puis tout au long de celui-ci3, Domenico Sauli indique sa volonté d’exposer à son fils aîné les raisons de son départ de la République de Gênes, dont il est originaire, pour le duché de Milan, présentant ainsi l’une de ses motivations d’écriture.
Ce Génois, digne d’intérêt à bien des égards et néanmoins peu connu, décida en effet, et ce malgré son implication dans les activités marchandes, administratives et politiques de sa patrie, de s’établir à Milan, d’abord auprès du duc Francesco II Sforza puis, pour un temps seulement, auprès de l’empereur Charles Quint. Poussé par le gouverneur de Milan, Alfonso III d’Ávalos, marquis del Vasto, pour qui Domenico Sauli représentait un frein, puis un obstacle incontournable à ses ambitions tant économiques que politiques, l’empereur accepta d’ouvrir une enquête sur les activités de Sauli puis, décida, le 13 octobre de la même année, de le suspendre de la présidence du Magistrato delle Entrate Ordinarie4. Malgré les démarches entreprises pour répondre aux accusations qui lui furent faites et retrouver sa position à Milan ou, tout au moins, obtenir réparation du préjudice que constitua la perte de cette fonction, Sauli fut par la suite accusé d’avoir détourné de l’argent dans le cadre d’un contrat qui lui permettait de commercer le sel dans le duché de Milan entre 1527 et 1530 et dut payer une compensation de trente-trois mille écus.
À travers l’étude de ce discours que nous pouvons rapprocher du genre des Mémoires et dans lequel il laisse une trace de ses activités, privées et publiques, retraçant par conséquent les événements qui marquèrent l’histoire de l’Italie entre 1524 et 1546, sous forme de récit, puis entre 1546 et 1561, à travers la copie de dix lettres, ainsi qu’à travers l’étude de nombreux autres documents manuscrits pour la plupart inédits et imprimés, nous chercherons à évaluer le caractère emblématique du parcours de Domenico Sauli et son ascension au sein du duché de Milan. Comprendre le départ de la cité de Gênes et l’installation à Milan permet de mieux cerner cette période décisive pour cet homme, au centre des affaires, de la culture et des événements politiques de son temps mais aussi pour l’ensemble des Italiens, contraints de s’adapter aux nombreuses et fréquentes fluctuations politiques que connaissent Gênes et Milan, et plus généralement l’Italie, objets des prétentions hégémoniques de la France et du Saint-Empire romain germanique.
L’étude de cette installation à Milan définira précisément tout d’abord la place qu’occupent Domenico Sauli et sa famille à Gênes et évaluera l’impact des turbulences politiques qui agitent leur patrie au XVIe siècle. Cette étude se penchera ensuite sur les raisons qui poussèrent Domenico Sauli à choisir Milan plutôt qu’un autre des lieux où sa famille ou lui-même commerçaient et examinera enfin les différentes stratégies mises en œuvre en de vue de cette installation ainsi que les liens que Domenico Sauli conservera avec sa patrie d’origine après son installation dans le Milanais.
Dès lors, l’ascension de Domenico Sauli au sein du duché de Milan apparaîtra tout au long de cette réflexion comme le fruit de ses activités marchandes, bancaires et diplomatiques qui revêtent toutes un caractère profondément politique.
1. Domenico Sauli à Gênes
Domenico Sauli naît à Gênes le 24 mars 14905 d’Antonio Sauli et de Geronima Salvago.
Il est issu de deux grandes familles marchandes dont les premières traces à Gênes remontent à la fin du XIIIe siècle et en pleine ascension économique et politique dans cette cité entre le XVe et le XVIe siècle6. Preuve en est notamment donnée en 1481 lorsque Bendinelli I Sauli indique dans son testament sa volonté de faire ériger la basilique de Santa Maria di Carignano immédiatement visible de tous ceux qui arrivent à Gênes7 ou encore en 1528 lorsque ces deux familles prennent la tête de deux des vingt-huit « alberghi »8 de la jeune République oligarchique de Gênes instaurée par Andrea Doria rassemblant ainsi autour d’elles respectivement onze et vingt-six autres anciennes familles génoises.
Domenico Sauli bénéficia inévitablement de la situation florissante dont jouissait sa famille. Dès 1500, alors âgé de dix ans, il est cité dans une liste de personnes destinées à siéger, dans l’avenir, dans les organes politiques de sa cité comme représentant de sa famille et de la faction à laquelle elle appartenait9. En 1505, 1513, 1524 et 1528, il occupa au sein du gouvernement génois les fonctions de conseiller10. En 151811 et/ou en 151912, il fut cette fois nommé ufficiale di mare. Peu après, il présida les organes politiques de la bourse, de la santé et des dépenses publiques13. Enfin, en 1523, il fit partie des Padri del Comune14, une puissante magistrature, créée au XIIIe siècle, dont le rôle était initialement la gestion, la manutention et le développement du port, capital pour l’économie génoise, et dont le champ d’action s’est, au fil des siècles, notablement élargi15.
Par ailleurs, Domenico Sauli s’investit tout naturellement dans des activités commerciales. Dès 1505, nous savons qu’il commerçait à Lyon avec l’accord de son père16. Sa présence, sur cette place, aux côtés de sa famille, est attestée jusqu’en 153117. Entre le 29 septembre 1517 et le 15 novembre 1521, il géra, avec son frère Nicola, son cousin Francesco et d’autres cousins qui ne sont pas nommés, une mine de fer aux alentours de Gênes18. En 1520, mais probablement avant également, Domenico Sauli s’adonna à des activités bancaires, d’abord à Gênes avec son frère Nicola19, puis sur la place lyonnaise20 et probablement ailleurs, notamment à Bruges comme le suggère un acte notarié du 21 janvier 152121.
Enfin, en 1524, Domenico Sauli épousa Tommasina Spinola issue d’une autre importante famille génoise très impliquée dans la vie économique et politique de la cité et qui, en 1528, tout comme les Sauli et les Salvago, prend la tête d’un des vingt-huit « alberghi » de la République de Gênes22 qui apporta en dot dix mille ducats23.
Cette situation politique, économique et sociale florissante pèsera peu de poids au regard des turbulences de la vie politique génoise et n’empêchera pas Domenico Sauli de quitter Gênes.
L’instabilité qui existe depuis fort longtemps dans Gênes, s’aggrave incontestablement pendant les guerres d’Italie à un moment où cette cité est considérée comme la porte, la clé même, de la péninsule24 et était ainsi surveillée avec une grande attention par la Papauté et par les nombreux États de la péninsule italienne, inquiets pour leur intégrité respective. Antoine-Marie Graziani indique en effet que :
[…] la politique génoise au cours des trois premières décennies du XVIe siècle est extrêmement complexe du fait de la pluralité des forces internes et externes en lutte pour le pouvoir25.
Lorsque la République de Gênes ne fait pas appel à un seigneur étranger, soit des ducs de Milan soit des rois de France, les familles Adorno et Fregoso exercent « un monopole de fait »26 sur la charge de doge. Naturellement, lorsque l’un des partis l’emporte, il monopolise les charges, confisque les biens de l’adversaire et le contraint à quitter la cité.
Plus que l’arrivée au pouvoir de la faction adverse des Fregoso entre 1513 et 1522, plus que le contrôle de Gênes par la France entre 1499 et 1513 puis en 1527, et malgré l’arrivée au pouvoir des Adorno entre 1522 et 1527 auxquels les Sauli sont alliés, c’est surtout l’instabilité politique de sa cité, où l’ascension d’un Génois semble ardue, qui explique en partie le départ opportun de Domenico Sauli. Nous observons d’ailleurs que Sauli continue à occuper des charges politiques à Gênes y compris lorsque cette cité est dirigée par la faction adverse ou par la France27.
Comme de nombreux autres Génois à cette époque28 – pensons notamment aux frères Marino qui, dans la première moitié du XVIe siècle, s’installèrent dans cette cité pour développer leurs affaires, notamment celles liées au sel, et se firent ensuite une place dans l’administration du duché29 –, Domenico Sauli choisit de s’installer à Milan malgré sa présence à Rome – où, il possède déjà une demeure en 152230 – et la position que sa famille avait obtenue auprès des papes.
Ce choix n’était pas inéluctable. Sauli aurait également pu choisir de rejoindre les membres de sa famille avec qui il est en contact et qui se sont installés en Corse (où ils furent par exemple envoyés en qualité d’ambassadeurs31, de commissaires32 et de gouverneurs33), dans le Piémont, à Venise, à Famagouste, en Toscane, à Lyon, à Genève, en Espagne, notamment à Málaga et à Séville, en Angleterre, notamment à Londres, à Anvers, dans les Pays-Bas, en Turquie, dans le royaume de Naples, à Rome et au sein des États Pontificaux34 .
Nous observons en effet dans de nombreux registres de lettres inédits conservés à Gênes, aux Archives Privées des Sauli, que Domenico Sauli – souvent aux côtés de ses frères Nicola et Ottaviano et/ou de son cousin Francesco – échange, entre 1515 et 1527 avec de nombreux membres de sa famille établis en Occident et en Orient mais également avec des membres des familles Adorno et Giustiniani35.
Domenico Sauli aurait également pu choisir, à l’instar d’autres Génois, de s’installer à Lyon, où il est particulièrement actif dès 1505 et au moins jusqu’en 1531, ou plus généralement en France, pour échapper aux représailles des rois de France ou aux conséquences des changements politiques internes de Gênes.
Son père, Antonio36, ainsi que d’autres membres de sa famille firent notamment partie des Gênois qui décidèrent de soutenir financièrement l’expédition de Charles VIII en Italie – les trois-quarts de cette aide, soit très exactement cent vingt mille ducats, provenaient directement des Sauli37. Domenico Gioffrè indique à ce propos :
Quand les événements politiques les contraignirent à abandonner les foires, beaucoup de Génois se firent naturaliser et continuèrent à résider en France, échappant ainsi aux conséquences du passage de leur République dans le camp de Charles Quint. D’ailleurs, plusieurs citoyens de la République avaient élu depuis longtemps domicile en France où ils s’étaient réfugiés à la suite des luttes internes de leur patrie dont les péripéties faisaient alterner sur le trône du doge, tantôt les Adorno, tantôt les Fregoso [...]38.
C’est d’ailleurs ce que fit son cousin Francesco39.
Domenico Sauli fit un autre choix, peut-être par rapport à l’instabilité politique de sa patrie, mais bien plus certainement par rapport à des perspectives politiques et économiques plus intéressantes dans le duché de Milan, qui était depuis longtemps une place économique privilégiée, « […] particulièrement commode, sûre et appétissante […] »40 pour les patriciens génois qui voulaient investir.
Et c’est d’ailleurs principalement par ce biais que Domenico Sauli – qui fait le choix, dans son discours, de mettre en avant la voie diplomatique41 – s’installera à Milan où sa famille tenait à développer ses affaires après s’être particulièrement bien implantée à Rome et au sein des États Pontificaux.
Avec les Giustiniani, la famille Sauli est l’une des plus importantes familles de Gênes à soutenir les Adorno, chefs des Popolari gibelins ou Blancs, – ainsi que leur politique filosforzesca42 – et à s’opposer à leurs adversaires, les Fregoso, chefs des guelfes ou Noirs43. Le positionnement des Sauli et les liens qui les unissent au Milanais apparaissent notamment dans la diplomatie. Marco Bologna remarque en effet qu’entre 1495 et 1515, quatre des dix-huit ambassadeurs envoyés par la République de Gênes auprès des ducs de Milan appartiennent à cette famille44. Entre 1448 et 1516, comme nous l’apprennent de nombreux manuscrits inédits des XVIIe et XVIIIe siècles retrouvés à Gênes, ce sont au total treize ambassades auprès des successifs ducs de Milan qui sont confiées aux Sauli45. Comme le rappelle Bologna, l’importance des ambassades des Sauli est significative dans la mesure où
Les rapports avec les dirigeants des États étrangers étaient gérés par les membres de la famille qui avaient été envoyés exprès et qu’on avait placés dans les situations potentiellement les plus favorables et les plus utiles46.
Cette affirmation n’est d’ailleurs pas sans annoncer la place que Domenico Sauli obtint par la suite au sein du duché de Milan.
2. L’installation de Domenico Sauli à Milan
Au début de l’année 1522, Domenico Sauli réussit à signer un important contrat avec Francesco II Sforza dans lequel il s’engageait, en qualité d’administrateur général, à approvisionner le duché de Milan en sel pour une durée de quatre ans et demi, soit du premier juillet 1522 au début de l’année 152747. Pour approvisionner le duché, il achetait le sel à Ibiza48 et assurait son acheminement jusqu’à Milan en passant par Gênes49.
Domenico Sauli ne fut pas le premier de sa famille à commercer le sel. Outre l’implication des Sauli dans le commerce du sel au sein des États Pontificaux, les Sauli auraient également obtenu à cette époque le monopole de la vente de cette précieuse denrée en Lombardie50, en Vénétie51 et en Émilie52 mais Pietro Moiraghi, Orazio Maria Premoli et Francesco Tranquillino Moltedo ne précisent cependant jamais les Sauli qui sont impliqués, les périodes et les sources d’où ils tirent leurs informations. Bologna indique pour sa part que les Sauli furent chargés de la gestion de la taxe du sel dans le duché de Milan au cours des trois premières décennies du XVIe siècle53. Nous savons cependant par une lettre de Francesco II Sforza datée du 17 mai 1464 qu’Accellino Salvago, le grand-père maternel de Domenico Sauli, avait également été chargé de ce commerce dans le duché de Milan dans les années Soixante du XVe siècle54.
Andrea Terreni qui a étudié avec attention la gestion du sel de Domenico Sauli au sein du duché de Milan indique qu’un avenant au premier contrat fut signé le 26 décembre 1522. Cet avenant permit à Domenico Sauli de commercer le sel en provenance de Chypre55 et qui transitait par Venise pour rejoindre Milan56. À moins d’un an de la signature du contrat initial, Domenico Sauli obtenait ainsi l’entière gestion du commerce du sel dans le Milanais. Terreni écrit à ce propos :
L’obtention du monopole du commerce du sel dans le duché de Milan au début des années Vingt représenta indubitablement une formidable conquête économique pour Domenico Sauli et plus généralement pour la famille Sauli57.
Domenico Sauli choisit d’ailleurs de faire intervenir dans ce commerce son frère Medialuce58 et, de façon moins fréquente, ses autres frères Ottaviano59 et Nicola60.
L’attribution de la gestion du commerce du sel fut confirmée par Francesco II Sforza, le 2 décembre 1527, pour une durée indéterminée, après que Domenico Sauli eut négocié à Venise un important accord sur le commerce du sel pour le compte du duc61.
Moins de trois ans après, Domenico Sauli dut cependant renoncer à sa charge d’administrateur général du sel du duché de Milan62. En effet, Ansaldo Grimaldi avait exigé cette charge, des plus lucratives, en contrepartie d’un prêt de cinquante mille écus en faveur du duc de Milan63. Domenico Sauli écrit à Francesco II Sforza le 6 septembre 1530 et lui indique qu’il accède à son souhait de renoncer à la totale gestion du commerce du sel qu’il détenait depuis 152264. Malgré cette apparente volonté de satisfaire son maître, Sauli tenta cependant au début de l’année 1531 de conserver la gestion du commerce du sel en provenance de Venise65. Cette demande fut traitée dans la demeure d’Alessandro Bentivoglio et Domenico Sauli finit par renoncer à sa requête66 laissant ainsi à Ansaldo Grimaldi le monopole du commerce du sel qu’il avait obtenu au début de l’année67.
En 1531, Gerolamo Marinoni68, le président du Magistrato delle Entrate Ordinarie, ordonna la révision des comptes de la gestion du commerce du sel de Domenico Sauli et chargea le maître des entrées Marco Antonio Cagnola69 qui avait une très bonne connaissance de l’administration financière du duché de Milan pour « […] voir et refaire les comptes des entrées et des sorties […] » (« […] vedere et refer li conti del debito et credito […] ») de Domenico et Meliaduce Sauli70. Lorsque Marco Antonio Cagnola eut fini de contrôler les comptes de l’administration du commerce du sel dans le duché de Milan entre 1522 et 1530, il écrivit au président du Magistrato delle Entrate Ordinarie le 12 septembre 1531 et indiqua que la Chambre ducale devait aux frères Sauli une importante somme de cent quatre-vingt-huit mille cinq cent cinquante et une livres, deux sous et six deniers impériaux71. Cette information est de toute importance puisqu’elle prouve l’innocence de Domenico Sauli.
Au-delà du prestigieux et lucratif commerce du sel, Domenico Sauli était également présent économiquement à Milan pour des activités de change. Moiraghi signale, sans préciser ses sources, que Sauli prête de l’argent à Francesco II Sforza lorsque le duché de Milan lui fut rendu en 152172. Il indique ensuite que Sauli « […] secourut financièrement […] » le duc après la bataille de Pavie qui eut lieu dans la nuit du 23 au 24 février 152573. Moltedo fait également état des importantes sommes prêtées par Sauli au duc de Milan sans préciser cependant quand ces prêts furent concédés74. Dans son discours, Domenico Sauli indique à quatre reprises avoir prêté de l’argent au duc de Milan mais n’est jamais totalement précis sur les sommes engagées et les périodes concernées75.
Les compétences financières de Domenico Sauli sont toutefois reconnues par Francesco II Sforza qui accorde une grande confiance à ce Génois76. L’ambassadeur vénitien à Milan, Giovanni Basadonna rapporte d’ailleurs au Sénat de la République de Venise que Domenico Sauli est « […] l’inventore dei denari […] » du duc de Milan dans la mesure où il négocie les meilleurs prêts pour son maître77.
En l’état, il apparaît donc que Domenico Sauli prêta de l’argent au duc de Milan au moins dès 1521 et obtint ensuite, probablement en récompense de ses services financiers, la gestion totale du commerce du sel entre 1522 et 1530.
D’autres intérêts économiques nécessitaient par ailleurs la présence de Domenico Sauli dans le Milanais. Un document inédit, daté du 4 avril 1517, établi à Rome dans la demeure de son cousin Bendinelli II et aujourd’hui conservé aux Archives d’État de Gênes, nous informe que Domenico Sauli, ici associé à Carlo De Fornari, obtint, la gestion de deux abbayes milanaises, à savoir Santa Maria di Ferreto et San Simpliciano78. Nous avons découvert que la gestion de cette dernière abbaye, après avoir été confiée par Bendinelli II Sauli à son frère Stefano79, avait été confiée à Vincenzo et Sebastiano, respectivement le frère et le cousin de Domenico Sauli80.
À ce stade, il apparaît que c’est bien pour des raisons économiques, principalement le commerce du sel et les prêts octroyés à Francesco II Sforza, que Domenico Sauli décida de développer ses affaires au sein du duché de Milan. Son choix, qui ne constituait ni une rupture avec les membres de sa famille ni une rupture avec sa patrie d’origine, lui permit toutefois d’affronter plus sereinement les fluctuations politiques que connaît depuis longtemps et connaîtra au moins jusqu’en 1528 la cité de Gênes81.
3. L’ascension de Domenico Sauli à Milan
Cinq événements significatifs éclairent l’installation progressive et définitive de Domenico Sauli à Milan : chronologiquement, l’acquisition, en 1527, d’un premier fief dans le Milanais ; puis, entre 1530 et 1531, l’acquisition d’une maison à Milan et la venue dans celle-ci de sa famille ; la charge administrative de senatore milite en 1531 ; l’obtention, en 1533, de la citoyenneté milanaise ; un an plus tard, la charge de président du Magistrato delle Entrate Ordinarie et, enfin, l’acquisition d’une chapelle à l’intérieur de l’église dominicaine Santa Maria delle Grazie de Milan.
Le 17 octobre 1527, Francesco II Sforza décida de lui vendre, pour trente-deux mille écus impériaux, le fief de Pozzolo Formigaro, malgré de nombreuses réticences, probablement financières, de la part de la Chambre ducale82. Avec l’obtention de ce premier fief dans le duché de Milan qui restera à ses descendants pendant deux siècles et auquel viendra s’ajouter le 3 septembre 1538 le fief voisin de Cassine83 fiefs aujourd’hui dans la province piémontaise d’Alexandrie et le 22 avril 1531 des terres d’une grande valeur situées à San Martino Pizzolano dans la province de Lodi84, Domenico Sauli acquit le prestigieux titre de marquis et entre ainsi dans la noblesse milanaise. Il étendit de façon notable les terres de son premier fief, s’employa à rendre plus efficace les « cassine »85 forme septentrionale de « cascina » qui s’y trouvaient86 et entreprit des travaux dans le but d’améliorer le château87.
C’est également en 1527 que Domenico Sauli situe dans son discours son entrée officielle au service du duc de Milan. Il explique en effet que Francesco II Sforza, à qui il continuait d’apporter son aide depuis Venise, où il se trouvait depuis l’arrestation de Girolamo Morone, lui propose de le prendre officiellement à son service88. Sauli relate la manière dont il fut approché et les personnalités que Sforza avait mandatées pour lui « [offrir] [l]es conditions utiles et honnêtes […] » et lui « […] donner les plus hautes fonctions qu’il était en mesure de [lui] donner dans l’État de Milan […] » – il se réfère ici à l’obtention du fief de Pozzolo Formigaro et à sa future nomination à la tête du Magistrato delle Entrate Ordinarie. Il fut d’abord approché à deux reprises par Benedetto da Corte que le duc de Milan avait envoyé en ambassade à Venise de 1526 à 1529. Originaire de Padoue, il fut l’un des secrétaires du duc de Milan et le maître de maison de son épouse Christine de Danemark. Sauli fut ensuite approché par Giovanni Battista Speciano. Originaire de Crémone, il fut l’un des secrétaires de Morone puis fut nommé par le duc de Milan capitaine de justice et senatore togato en 153189 et devint enfin seigneur de Bra en 1543. Domenico Sauli indique accepter la proposition du duc pour deux motifs – le premier est qu’il n’est pas en mesure de retourner à Gênes (« Ayant alors des difficultés à retourner à Gênes à cause du gouvernement que j’ai déjà présenté […] ») et le deuxième est qu’il avait « […] également de grands intérêts économiques dans l’État de Milan et, en particulier, avec la Chambre » – et partir le rejoindre à Lodi (« […] le duc me demanda dans ses lettres de le rejoindre à Lodi […] »).
Domenico Sauli, qui avait déjà – si l’on se fie aux affirmations de Bandello90 – une demeure milanaise91, acheta le 3 octobre 153092, la maison de Gerolamo Rabia, située immédiatement à gauche en sortant de l’église Saint-Sépulcre, et y fit venir l’année suivante sa famille93. Cet événement représente souvent un élément essentiel pour obtenir la citoyenneté.
Très certainement favorisé pour sa fidélité au duc ainsi que pour la « familiarité », que nous entendrons dans le sens d’une grande intimité née de rapports constants, qu’il entretenait avec lui, mais aussi grâce à son influence à la cour milanaise, Domenico Sauli devint, le premier mars 1531, l’un des neuf senatori militi94. Cette charge perpétuelle, qui ne donnait pas droit à une rémunération mais la possibilité de voter au Sénat, avait une grande valeur honorifique puisque réservée aux évêques du diocèse et aux membres des principales familles de l’aristocratie du duché de Milan95. Cette nomination, exceptionnelle puisque Domenico Sauli n’appartenait à aucune de ces catégories, doit être envisagée comme le couronnement de l’ascension de ce Génois à Milan96.
Le 30 août 1534, Domenico Sauli fut nommé président du Magistrato delle Entrate Ordinarie, également appelé Magistrato Ordinario, accédant ainsi à l’une des fonctions les plus importantes de l’administration civile du duché de Milan97. Depuis 1392, l’administration des finances du duché de Milan était confiée à deux organes : le Magistrato delle Entrate Ordinarie qui s’occupait des recettes fiscales, des dépenses de l’état et des taxes et le Magistrato delle Entrate Straordinarie qui s’occupait des possessions du duc, des fiefs, des régalia, des condamnations pécuniaires et des droits de l’eau98.
Domenico Sauli obtint ensuite, le 6 octobre 1533, pour lui et pour sa descendance, la citoyenneté milanaise, qui sera entérinée par le Sénat de Milan le 30 janvier 153499. La concession de la citoyenneté, qui était dans le duché de Milan une prérogative étatique100, découlait très certainement de l’intervention directe et explicite du duc, preuve de sa bonne disposition à l’égard de Sauli et en compensation des importants services prêtés à la couronne, tant économiques que diplomatiques. Uberto Foglietta déclarera même en 1564 que le duc de Milan ne savait rien faire sans le conseil de Domenico Sauli101.
L’installation de Domenico Sauli à Milan apparaît également dans son implication dans la vie culturelle de la cité. En 1541, Domenico Sauli fit l’acquisition de la cinquième chapelle à droite en entrant à l’intérieur de l’église dominicaine Santa Maria delle Grazie de Milan102. Il veillait ainsi à établir à Milan un tombeau familial qui figurait par ailleurs auprès des autres grandes familles de la ville. Domenico Sauli choisit également de dédier cette chapelle à saint Dominique103 – la chapelle était effectivement dédiée à saint Thomas104 par ses précédents propriétaires, Giovanni Rusca et son fils Pietro105 ; elle ne sera cédée par les Sauli qu’en 1756 à la famille Borri106. Le choix de l’église Santa Maria delle Grazie n’est pas anodin comme le suggère Séverin Duc :
Les ducheschi [c’est-à-dire « […] les loyalistes sforzesques et/ou tenants d’un régime ducal autochtone […] »107] sont soutenus par les dominicains de Santa Maria delle Grazie qui bénéficient de l’immunité et qui font de leur monastère un isolat de résistance sforzesque au cœur de Milan108.
Signe de son enracinement social et culturel à Milan, cette chapelle se trouvait à côté de celle de la confrérie de la Santa Corona créée en 1497 et dont la première demeure fut, jusqu’en 1581, l’église milanaise Saint-Sépulcre. L’immédiate proximité du domicile de Sauli avec celui de cette confrérie et la contiguïté de sa chapelle, à l’intérieur du Panthéon des Sforza, avec celle de cette même confrérie ne sont nullement des coïncidences et dénotent la volonté de Domenico Sauli de s’insérer dans la société milanaise109. En 1577, cette confrérie fera également l’acquisition de la maison de Domenico Sauli qui avait été entre temps vendue par celui-ci.
Très rapidement, après l’achat de cette chapelle, Domenico Sauli veilla à la faire décorer avec faste. Rossana Sacchi, qui remarque par ailleurs que les paiements réguliers que Domenico Sauli effectuait aux Dominicains cessèrent en 1545110, estime en l’occurrence qu’il s’agissait pour lui de justifier publiquement sa présence à Milan111.
Les grands moments qui scandent la vie familiale de Domenico Sauli montrent également l’insertion de celui-ci dans le Milanais.
Dans son discours, le récit de la naissance et du baptême de son fils aîné lui permet de signaler les personnes importantes du duché de Milan qui prennent part aux festivités qui sont organisées112 et que le duc de Milan est le parrain de son fils113 ou pour le moins l’un des parrains de son fils. Ce choix est en effet loin d’être anodin et semble dénoter le désir de l’auteur de rapprocher sa famille de la haute noblesse milanaise dont il fait partie depuis 1527. Ces événements de la sphère privée lui donnent même un prétexte pour indiquer à ses lecteurs qu’il fait preuve d’une grande hospitalité fortement appréciée par ses invités114.
De même, Domenico Sauli choisit avec le plus grand soin les époux de ses deux premières filles : Lucia qui épouse en 1538 Annibale Visconti, comte de Saliceto, un descendant de la branche principale de la famille Visconti et Cornelia qui épouse entre le 6 mars 1556 et l’année 1560, Alessandro Brivio, un noble milanais.
Si dans le cas précis de la naissance de son fils aîné l’auteur signalait seulement la présence du duc de Milan et du cardinal Marino Ascanio Caracciolo, les personnes qu’il évoque lors du mariage de sa fille, cinq ans plus tard, sont bien plus nombreuses115, comme si en l’espace de peu de temps sa position sociale s’était encore améliorée.
L’évocation de ces événements familiaux permet à l’auteur de rappeler l’importance de ses activités professionnelles qui font de lui une personnalité de premier ordre et souligne de fait l’ascension sociale et l’enracinement de l’auteur au sein du duché de Milan. Ces événements ne semblent jamais totalement dissociés de la vie politique puisque, lors du mariage de Lucia, le marquis del Vasto propose au nouveau gendre de l’auteur de se joindre à lui dans la guerre qui oppose le Saint-Empire romain germanique au royaume de France. Sauli présente d’ailleurs cette proposition comme un honneur octroyé grâce à lui116.
Enfin, le fait que la dernière fille de Domenico Sauli, Paola, entre, probablement entre le 12 février 1556 et l’année 1561, au couvent dominicain de San Lazzaro117 de Milan118 parfois situé, de façon erronée, à Gênes119 où elle prononcera ses vœux et recevra le nom de Sœur Paola Antonia, n’est-il pas, là encore, à prendre en considération ?
Ainsi, après avoir servi le duc de Milan de façon secrète et privée, Domenico Sauli choisit, tant pour des raisons économiques que politiques, de se mettre à son service officiellement en 1527. De ce point de vue, l’acquisition d’un premier fief dans le Milanais et l’obtention du titre de marquis marque l’installation définitive de Domenico Sauli à Milan et une importante étapes de son ascension progressive et, comme nous le savons, temporaire dans le duché de Milan.
4. Les liens de Domenico Sauli avec sa patrie d’origine après son installation à Milan
L’installation et l’ascension de Domenico Sauli à Milan ne l’éloignèrent nullement des membres de sa famille qui étendit à partir de Gênes son rayon d’action, diversifia ses activités mais conserva son unité et développa une stratégie politique et économique commune, ce qui permit à ses membres d’accéder à des charges prestigieuses mais également lucratives et utiles à l’ensemble du système et de ses acteurs.
Une lettre du 27 octobre 1526 que Domenico Sauli adresse depuis Venise au cardinal Giovanni Battista Sanga nous informe par exemple que Sauli est toujours en contact avec ses parents restés à Gênes et avec qui il continue à négocier il est ici impliqué dans un négoce avec son frère Geronimo et d’autres Génois alliés à sa famille, en l’occurrence Stefano Giustiniano et les enfants de celui-ci120.
Les activités commerciales que Domenico Sauli assume à Lyon, aux côtés de sa famille et d’autres Génois, sont attestées, comme nous l’avons vu précédemment, jusqu’en 1531, soit quatre années après son installation officielle à Milan121.
Par ailleurs, nous retrouvons, dans les registres de lettres de la branche génoise de sa famille aujourd’hui conservés à Gênes, dans Archives Privées des Sauli, un nombre important de lettres envoyées en 1527 à Domenico Sauli, parfois aussi à son frère Ottaviano, par leur cousin Sebastiano, sans compter les associés qui appartenaient sans nul doute à la branche génoise des Sauli et aux familles avec lesquelles ils étaient alliés122.
Alors que les affaires familiales perdurent irrémédiablement malgré l’installation de Domenico Sauli à Milan, celui-ci renforce sa position à Gênes grâce au mariage de son fils aîné, Francesco, qu’il marie, peu de temps avant le 27 juin 1567, avec Bianca Invrea, dont la famille est alliée aux Doria123. Cette politique matrimoniale va d’ailleurs se poursuivre au cours des générations successives puisqu’en 1600 est célébrée l’union de Tommasina Sauli, la fille de Francesco, avec son cousin, Paolo Sauli124.
En outre, Domenico Sauli a en 1528 la possibilité de rendre à Gênes, sa patrie, un éminent service : craignant que le conte de Saint-Pol, au service de la France, réussisse, avec l’appui militaire de Milan, à reprendre Gênes dont a été chassé Théodore Trivulce, Andrea Doria envoie à Milan Ottaviano Sauli, le frère de Domenico, afin qu’ils persuadent ensemble le duc de Milan de ne pas aider les Français125. Cette mission qui est attestée historiquement126 – Giuseppe Oreste indique en effet qu’Ottaviano fut envoyé à Milan, le 21 septembre 1528, auprès de Francesco II Sforza, du provéditeur de l’armée vénitienne et de son frère Domenico127 ; il ajoute que le choix de l’agent est très certainement une conséquence de la position qu’occupait alors à Milan Domenico Sauli128 – est un succès. Dans son discours, Domenico Sauli raconte par ailleurs, à l’occasion de ce récit centré sur Gênes et sur l’instauration de sa nouvelle République – une présentation dans laquelle l’auteur met en avant le rôle central qu’il assuma (« […] per mano mia […] al duca fu facil cosa il persuader […] »)129 mais également le dévouement et l’inquiétude qu’il manifesta toujours envers sa patrie d’origine130 –, que son frère Ottaviano fut arrêté par les Français alors qu’il retournait à Gênes et qu’il fut ensuite libéré grâce aux importants réseaux de son frère Domenico131, un épisode qui n’est signalé dans aucune autre source. L’ambassade d’Ottaviano Sauli montre donc bien que l’installation définitive à Milan de Domenico Sauli ne correspond ni à une rupture avec la branche génoise de sa famille ni à une rupture avec sa patrie d’origine.
L’intérêt que Domenico Sauli porte à Gênes apparaît par ailleurs nettement dans les lettres qu’il adresse au gouvernement génois, avec qui il reste en contact, au moins jusqu’en 1531132.
De la même façon, Gênes et ses membres les plus influents continuèrent à estimer leur concitoyen installé à Milan. Si un écrit anonyme composé en 1536-1537 nous apprend notamment que Domenico Sauli et son cousin Francesco faisaient partie des Génois – et des Sauli – sur lesquels les Adorno pouvaient compter133, les nombreuses intercessions qu’Andrea Doria adresse à Charles Quint et à l’un de ses plus importants secrétaires, en faveur de Domenico Sauli, établissent irrémédiablement la preuve que les liens entre celui-ci et Gênes restent intacts après son installation à Milan. En 1542, les 10 mars134 et 8 juin135, Andrea Doria écrivit au secrétaire de Charles Quint, Francisco de Los Cobos y Molina pour prendre la défense de Sauli qui avait récemment perdu la présidence du Magistrato delle Entrate Ordinarie. Entre 1546 et 1547, Andrea Doria écrivit directement à l’empereur à trois reprises pour appuyer son concitoyen qui demandait alors la révision de son procès : les deux premières lettres sont datées du 8 mai136 et 28 août137 et lui sont entièrement consacrées ; la troisième est datée du 27 novembre138. En 1547, c’est au tour de Ceva Doria, ambassadeur de la République de Gênes auprès de Charles Quint, d’intervenir pour prendre la défense de Sauli139. Il adresse de Gênes, le 15 janvier, une lettre à Nicolas Perrenot de Granvelle dans laquelle nous apprenons que le gendre de Domenico Sauli, Annibale Visconti, a décidé de rejoindre l’empereur pour prendre la défense de son beau-père140. Nous apprenons par ailleurs que les parents et les proches de Domenico Sauli sollicitent l’intervention de cet ambassadeur et l’aide de Charles Quint141. Le 14 février142, cet ambassadeur écrit aux seigneurs de la République de Gênes, d’Ulm, en Allemagne et leur indique que Nicolas Perrenot de Granvelle veut un exemplaire du mémoire dans lequel Domenico Sauli présente sa défense afin de déterminer ce qu’il est en mesure de faire pour lui143. Les intercessions d’Andrea et Ceva Doria ont probablement permis à Sauli d’être entendu par Charles Quint qui rappelle à Ferdinand Ier de Gonzague, le 7 octobre 1547, d’accéder à la demande de Domenico Sauli de payer la compensation qui lui est réclamée en biens immobiliers estimés à leur juste valeur.
En somme, l’installation de Domenico Sauli à Milan au service du duc Francesco II Sforza et son maintien dans ce duché après son annexion à l’Espagne en 1535 ne constituent ni une rupture avec les membres de sa famille, ni une rupture avec sa patrie d’origine mais reflètent au contraire la volonté des Sauli, unis autour d’un groupe familial, d’étendre leur empire dans la péninsule italienne et de s’associer lorsque cela s’avère utile.
5. Conclusion
En définitive, le parcours de Domenico Sauli de Gênes à Milan est doublement emblématique, premièrement, par le caractère ordinaire de son départ de Gênes pour un ailleurs, dans son cas Milan, puis, par le caractère singulier de son ascension au sein de ce duché où il s’installe durablement au cours de la deuxième décennie du XVIe siècle.
En effet, après s’être mis au service de Francesco II Sforza, principalement grâce à la banque et au commerce du sel, Sauli franchit très rapidement les marches du pouvoir à Milan acquérant, en 1527, fief et titre de noblesse, établissant ensuite entre 1530 et 1531 sa demeure à proximité du Château des Sforza, devenant en 1531 senatore milite, obtenant en 1533, pour lui et ses descendants, la citoyenneté milanaise et accédant enfin en 1534 à la présidence de l’une des plus importantes administrations civiles du duché.
Homme public, socialement et politiquement investi dans les milieux qu’il fréquente, économiquement actif à très grande échelle, Sauli était incontestablement un homme de réseaux. Tout au long de la période prise en considération dans cette étude, il s’appuie largement sur ses relations économiques, politiques et culturelles tant pour permettre son ascension à Milan (nous pensons ici à la présence commerciale de sa famille à Milan, à son mécénat, au choix du parrain de son fils aîné, ainsi qu’aux stratégies matrimoniales qu’il négocie pour ses enfants) que pour conserver sa place à Gênes et s’assurer, en ces temps particulièrement instables, le soutien de ses concitoyens.
Fin lettré, Domenico Sauli connaissait parfaitement l’absolue nécessité de s’adapter aux fluctuations politiques, à l’arrivée d’un nouveau maître (c’est ce qu’il fera avec brio avec l’annexion du duché de Milan par Charles Quint en 1535), et plus généralement aux événements, comme Paolo da Certaldo, notaire opérant pour le compte des grandes compagnies florentines et ami de Boccace le rappelait déjà au XIVe siècle dans le Libro dei buoni costumi :
Prendre des mesures avant l’événement est une excellente chose, les prendre après ne présente que peu d’intérêt. Sois toujours avisé, examine le passé et le présent et les circonstances qui peuvent raisonnablement se présenter à toi [...]144.