Latin et grec dans les lexiques plurilingues non scolaires du XVIe siècle

Questo testo indaga sulla funzione delle lingue antiche, ossia sul latino e più raramente sul greco, nei glossari poliglotti del Cinquecento incentrati su situazioni della vita quotidiana, destinati ai mercanti e ai viaggiatori che non dovevano a priori esprimersi in nessuna di queste due lingue. Infatti, il latino, soprattutto, è già una lingua studiata sin da quel periodo, e se può a volte fungere da tramite tra le lingue volgari dell’Europa meridionale e settentrionale, sembra piuttosto essere usato qui come un segno sociale e culturale, destinato ad evidenziare il lettorato di quei libri non accademici.

This text deals with the function of ancient languages, Latin and more rarely Greek, in the multilingual lexicons of the sixteenth century which deal with situations of daily life, intended for merchants and travelers who do not have a priori to speak in these two languages. Indeed, Latin in particular is already a language of study from this period, and although it can sometimes serve as a bridge between vernacular languages of Southern and Northern Europe, it seems to be used here as a social and cultural marker, intended to enhance the readership of these non-academic books.

Ce texte s’intéresse à la fonction des langues anciennes, latin et plus rarement grec, dans les lexiques plurilingues du XVIe siècle qui traitent de situations de la vie quotidienne, destinés aux marchands et voyageurs n’ayant pas a priori vocation à s’exprimer dans ces deux langues. En effet, le latin notamment est déjà une langue d’étude dès cette période, et s’il peut quelquefois servir de pont entre des langues vernaculaires du Sud et du Nord de l’Europe, il semble plutôt être utilisé ici comme un marqueur social et culturel, destiné à valoriser le lectorat de ces ouvrages non académiques.

Plan

Texte

1. Introduction : quels lexiques pour quelle polyglossie ?

Le XVIe siècle est l’ère d’expansion et de développement des langues vernaculaires, dont la didactique devient une nécessité portée par le développement des échanges commerciaux et intellectuels entre les nations européennes. Ce mouvement d’intérêt pour les langues, qu’il s’agisse d’étendre la connaissance des langues anciennes ou d’apprendre d’autres langues modernes que sa langue maternelle, suscite en conséquence le développement de la lexicographie. Les dictionnaires de toute sorte se multiplient : la lexicographie savante, pour l’apprentissage et la pratique des langues anciennes et notamment du latin, se développe à tous les niveaux du cadre académique, mais en parallèle naissent aussi des outils lexicographiques permettant de passer d’un vernaculaire à l’autre pour tous ceux qui voyagent, commercent ou communiquent hors du champ universitaire.

Des dictionnaires ou lexiques polyglottes, comprenant plusieurs langues modernes, existent donc dans la sphère de l’apprentissage académique et scolaire des langues anciennes, et dans la sphère du commerce et des voyages entre pays et langues européens. Dans l’univers scolaire, cette polyglossie est partiellement un trompe l’œil : les dictionnaires qui affichent sur leur page de titre Dictionarium hexaglotton, ou septem linguarum, ou octolinguis sont pour l’essentiel dérivés du dictionnaire monolingue latin d’Ambrogio Calepino publié pour la première fois en 1502, et restent fondamentalement des dictionnaires du latin. Celui-ci y est langue d’entrée, mais aussi langue de sortie, parce que le dictionnaire explique le sens des mots en latin, fournit des citations et des formulæ loquendi latines, soit tout le matériel des outils destinés à un apprentissage de la lecture et de l’écriture en latin.

Les langues vernaculaires que l’on trouve dans ces dictionnaires, même lorsqu’elles sont nombreuses, se limitent à une synonymie terme à terme du mot vedette, fournie au début de l’article, et il peut arriver que toutes les langues annoncées ne soient pas toujours présentes dans chaque item. L’essentiel reste la description du latin dans sa forme scolaire, les langues vernaculaires facilitant le repérage et assurant la compréhension : leur multiplicité permet de vendre le livre à un public d’apprenants de diverses langues maternelles, et a aussi un effet publicitaire d’enchérissement sur l’édition précédente ou voisine1.

Je m’intéresserai ici non à ces ouvrages, mais aux très nombreux petits lexiques vernaculaires qui apparaissent dès la fin du XVe siècle et s’adressent à un public non académique, ouvertement déclaré comme tel : « que quelqu’un face marchandise, ou qu’il hante la court, ou qu’il suive la guerre, ou qu’il aille par villes et champs »2, tous pourront apprendre et pratiquer les langues étrangères, cela « sans l’école », sine visitatione scolarum, comme le dit le Quinque linguarum vocabulista imprimé à Lyon en 1542, qui ajoute à son public « les ouvriers et les femmes »3. Ces lexiques visent donc à créer des liens entre langues modernes pour un lectorat non scolaire, et on peut donc se demander pourquoi, assez rapidement à partir du début du siècle, certains d’entre eux ajoutent le latin, langue scolaire, à leur offre. Le grec classique est quasiment inexistant dans ces ouvrages, j’y reviendrai à la fin de ce parcours : langue d’étude purement académique, qui s’apprend par le latin, soutenue par des dictionnaires bilingues grec-latin, elle n’apparaît que fort rarement dans les lexiques de la vie quotidienne, et le grec moderne reste confiné à un ouvrage au public spécifique4. Mais on trouve du latin dans des lexiques de conversation dès 1515 ; par la suite, sa présence n’est pas systématique, mais devient commune à partir du milieu du siècle, même si certaines impressions restent entièrement consacrées aux vernaculaires.

La présence du latin déjà sans usage à cette époque hors des sphères scolaire, ecclésiastique ou juridique, peut interroger dans des ouvrages voués à la communication entre langues modernes. En effet, on ne parle pas latin à l’oral au XVIe siècle dans la vie quotidienne que reflètent ces lexiques. Le latin est une langue seconde pour tous, et apprendre le latin aux enfants n’est pas aisé.

Même s’ils ne l’expriment pas en ces termes, les pédagogues se heurtent à diverses difficultés : absence d’outils conceptuels sur la syntaxe tels que les nôtres et absence chez l’élève d’analyse théorique de sa propre langue qui puisse servir de référent ramènent l’apprentissage à une forme d’empirisme que nous avons parfois du mal à nous représenter. Pour cela, les enseignants les plus motivés, qui sont eux-mêmes passés par une méthode privilégiant la mémorisation sur une conceptualisation encore impossible, ont cherché à inventer d’autres voies, dont celle d’une pratique immersive de la langue, par la lecture des textes anciens et par la pratique orale. Mais cet oral et les ouvrages qui en rendent compte, comme les Colloquia de Mathurin Cordier par exemple, doivent être interprétés pour ce qu’ils sont : un recueil spécifique de situations de classe, et un oral didactique réduit à une obligation scolaire, qui concentre ses efforts et son vocabulaire sur des sujets qui relèvent de cette obligation.

Les Colloquia de Cordier ne sont pas ceux de Berlaimont que je décrirai infra : dans les premiers on parle maîtres, précepteur, leçons à apprendre, absences à excuser, et listes de vocabulaire pour la classe, dans les seconds on discute affaires sur le marché, on boit du vin et mange de la soupe à la taverne, et on insulte ses voisins de paillasse qui ronflent trop fort. Ce petit inventaire montre assez que ces ouvrages n’ont rien à voir entre eux, et qu’il est à mon avis scientifiquement absurde de dire que le latin des Berlaimont ou des Garrone est celui de la langue parlée de la vie quotidienne, précisément parce que celle-ci ne se parle pas en latin5.

2. Le latin, « valeur ajoutée » ?

Les lexiques polyglottes imprimés en France, Italie et Allemagne entre 1500 et 1580 peuvent se répartir en deux grandes familles. La première, et la plus ancienne, est celle des dérivés du Solennissimo Vocabulista, un lexique au départ italien-allemand imprimé en Italie dès 1501, et qui va rapidement connaître de multiples adaptations : selon les lieux d’impression et le besoin du marché local, le lexique s’enrichit de plusieurs langues, dont le latin, mais aussi change l’ordre de leur impression et, au fil des rééditions, en corrige l’état imprimé précédemment.

La révision fondamentale sur laquelle se fondent beaucoup de versions paraît à Venise en 1526, signée par Francesco Garrone, et on nommera ensuite ce lexique par le nom de son réviseur, même s’il n’intervient plus dans le grand nombre des éditions qui suivent. Les « Garrone » présentent tous la même structure : les mots et expressions sont regroupés en chapitres thématiques, reprenant d’abord l’inventaire du monde tel que pouvait le concevoir un Isidore de Séville, et puis se consacrant aux activités du commerce et aux nécessités du voyage. Ces chapitres sont suivis d’appendices divers, traités de prononciation ou quelques règles de grammaire élémentaires, les uns ou les autres variant selon les langues concernées par l’impression6.

La seconde famille, plus tardive, est celle des « Berlaimont » : Noël de Berlaimont, maître d’école et de français en Flandres, fait paraître probablement avant 15277 un manuel d’apprentissage bilingue flamand-français, semble-t-il utilisé par lui en classe, ou du moins pour apprendre le français à des flamingants en âge scolaire8. L’ouvrage comporte des colloques, exemples de possibles situations de communication au marché, chez des hôtes, en ville, des modèles épistolaires, un lexique flamand-français, classé par ordre alphabétique du flamand, les prières et les règles de phonétique française en flamand.

Par la suite, l’ouvrage sera très souvent repris, en ajoutant quelquefois le latin, mais surtout d’autres langues vernaculaires, et des appendices correspondants pour la prononciation ou la grammaire. Cependant, la partie lexicographique restera le plus souvent fondée sur le flamand, et suit l’ordre alphabétique de cette langue. La différence avec les Garrone, dont statistiquement nous avons plus de traces, tient essentiellement à la première partie, qui ne présente pas des listes thématiques de mots, mais des dialogues en situation, même si les champs lexicaux sollicités sont les mêmes.

Les premiers lexiques polyglottes ont été conçus d’abord pour aller d’un vernaculaire à un autre, et le latin n’a donc été ajouté que dans un second temps. Cet ajout, qui arrive assez vite dans les deux familles, ne s’imposera pas dans tous les cas, ni dans toutes les parties du texte : certaines éditions restent entièrement vernaculaires, ou ne comportent du latin que sur certains chapitres9. Ces impressions sont la preuve que le latin n’est pas indispensable, mais qu’il est perçu comme une « valeur ajoutée », à tous les sens du terme, dont j’essaierai de comprendre ce qu’elle apporte.

Qu’il s’agisse d’un ajout est matériellement visible dans certaines impressions, qui ne font pas de grands efforts pour lisser la présence de l’intrus. En effet, ces lexiques gardent pour la plupart une langue d’entrée et une langue de sortie vernaculaires, et ignorent le latin dans cette fonction. Dans les éditions lyonnaise et vénitienne du Quinque linguarum utilissimus vocabulista de 1533 par exemple, la paire langue source-langue cible est toujours la même que celle de la première version bilingue du Vocabulista parue en 1497, et le lexique est toujours bâti sur le passage de l’italien à l’allemand. Les langues qui ont été ajoutées par strates successives se sont en fait coulées dans les interstices, sans que leurs propres nécessités soient toujours prises en compte.

Par exemple, à la fin du chapitre 10 du livre 1, intitulé « del bisavo e di tutti e parentadi / du grand pere et de tous les parens », qui traite des mots sur les rapports de parenté, on trouve la série suivante, dans l’ordre des cinq langues : (f° [B4r] = 8rv, Lyon 1533 et Venezia 1533)

f°8r : Maritus

il marito

le mari

el marido

der eheman

Uxor

la moglie

la femme

la mujer

das eeweyb

Femina

la femina

la femme

la hembra

weyb

Femine

le femine

les femmes

las hembras

dy nueyber

Mulier

la donna

le femme

la mujer

dye franu

Mulier nostra

nostra donna

noustre femme

nuestra mujer

dy frauuuen

f°8v : mulieres

le donne

les femmes

las mujeres

dy frauuuen10

Le sens de cette série est de pouvoir donner en allemand la correspondance de chacun des mots qui désigne la femme dans ses diverses nuances en italien : épouse (moglie/eheweyb), femelle (femina/weyb), et « dame », femme dans sa position sociale (donna/frau). Les langues qui sont ensuite ajoutées à la paire de départ s’adaptent plus ou moins aux différents sens, à la mesure de leur propre finesse linguistique : si le latin s’y prête à peu près (la différence instaurée entre mulier et femina ou mulier et uxor n’est pas complètement pertinente, mulier étant très général), l’espagnol ne parvient pas complètement à discriminer moglie et donna, et le français se montre bien pauvre, avec son unique traduction par « femme ». Le lexique a gardé comme armature ce qui était la série du lexique vernaculaire bilingue dans les premières éditions (el marito/der eeman, la mogliere/das eewib, femina/wib, le femine/die wiber, la donna/die frau, la nostra donna/vnser frau, le donne/die frauen, dans l’édition de Venise 149811), et les langues ajoutées ne viennent que de surcroît : la langue d’entrée du lexique est bien l’italien, et non le latin ou un autre des vernaculaires qui correspondrait au pays d’édition par exemple.

De plus dans les Garrone qui en comportent12, les titres courants qui permettent de distinguer les langues dans les colonnes successives sont en vernaculaire, dans une seule langue en général, qui permet donc de supposer quel est le premier lectorat visé : par exemple si la plupart des autres éditions ont ces titres courants en allemand, et laissent donc penser qu’elles étaient d’abord destinées à des germanophones, l’édition trilingue de Metz en 1515 a des titres courants en français, ce qui en modifie la « cible », pour employer un terme du marketing contemporain. Aucun des imprimeurs cependant n’a eu l’idée de mettre ces titres courants en latin, au motif, par exemple, de l’universalité de la langue.

3. Quel latin ?

Après avoir mesuré que ce latin est une colonne supplémentaire ajoutée au projet initial dans la plupart de ces lexiques, il est nécessaire d’en regarder plus précisément la facture. De quel latin s’agit-il ?

Le latin humaniste tel qu’il est enseigné dans les écoles dès 1520 est un latin classicisant, que les maîtres essaient, avec des réussites diverses, de modéliser sur les auteurs de la fin de la République et du début de l’Empire. Dans nos lexiques, il faut distinguer le cas des Garrone et celui des Berlaimont, puisque la pratique de la langue ne s’exerce pas sur les mêmes objets : listes de mots pour l’un, avec courtes expressions ou phrases très brèves, dialogues plus construits pour l’autre.

Dans les Garrone, les listes de mots varient entre un latin parfaitement acceptable en termes académiques, et un autre qui laisserait un maître d’école plus perplexe. Les curiosités, voire les apories, sont inévitables, puisque les champs sémantiques du monde moderne, explorés dans ces ouvrages, n’ont pas systématiquement leur équivalent antique. Certaines listes peuvent être très conformes à ce que nous pourrions trouver dans un manuel scolaire, de quelque époque qu’il soit : par exemple, le chapitre 6 de la plupart des Garrone comprend la liste des mots désignant les parties du corps, et des termes comme brachium manus pugnus digitus unguis palmus pectus pulmo stomachus uenter intestina umbilicus testiculi vulva dorsum culus renes n’ont rien de particulièrement déroutant, si ce n’est le mélange de sources classiques avec d’autres qui le sont moins13, mais ce latin ne visant pas un public scolaire n’avait pas le souci d’un cicéronianisme très pur, d’ailleurs contesté dans les écoles mêmes. Sans grande surprise cependant, les traductions se compliquent pour rendre les réalités modernes, ou d’un quotidien que les textes classiques n’évoquent pas. Dans le même chapitre 6, le très classique stercus amène cacare, également attesté chez Catulle et Horace, mais ensuite vadas cacare ad cloacam pour « va chier au retrait » est plus difficile à admettre comme du latin scolaire : si uadas peut être considéré comme un subjonctif présent à valeur impérative se substituant à un impératif non attesté, la tournure vadas cacare est, elle, un décalque du vernaculaire, et cloaca n’est pas un équivalent de latrina. On pourrait évidemment multiplier les exemples de ce type : futaine n’est pas fustagnum, bonnet n’est pas biretrum, et volumus facere collationem n’aurait pas permis aux Anciens de manger un morceau. Dans quelques cas, on note cependant un effort pour améliorer ce qu’on pourrait appeler l’acceptabilité scolaire de ce latin : par exemple le lexique trilingue latin-français-allemand imprimé à Metz en 1515 donne vilagium comme équivalent de « village », mais sa reprise peut-être lyonnaise en 1530 a remplacé le calque par pagus, plus classique et exact14.

Le cas des Berlaimont est un peu différent, et les marques d’une latinité régulière ou non ne peuvent être appréciées sur les mêmes critères que dans les Garrone. En effet, l’introduction du latin dans des colloquia supposait une relative maîtrise de la langue, pour en suivre correctement la syntaxe, plus développée que dans les Garrone qui ne comportent que des listes de mots au nominatif. Le latin donné dans le Vocabulaer in vier Spraken imprimé à Louvain en 1551 est tout à fait lisible comme un latin de classe : il est modélisé sur les règles classiques et respecte les éléments clés de la syntaxe, comme l’emploi des subjonctifs dans certaines subordonnées, ou la concordance des temps : par exemple iusseram tibi vt redires hora quarta, dic mihi ubi fueris sont des phrases correctes au regard de la norme classique enseignée dans les collèges.

Mais d’autres détails, et parfois sur la même page, montrent que ce latin est un utilitaire ancré au vernaculaire : l’ordre des mots notamment calque souvent celui du français ou de l’espagnol, comme dans pater tuus venit et David cognatus tuus venit vna, où la répétition de tuus et vna renvoyé après le verbe font écho à Tu padre viene y David tu pariente viene iuntos, ou Votre père vient, et David votre cousin vient avecques luy15. On peut voir là une maladresse de latin, ou au contraire une habileté didactique qui permettra à celui qui lit de se repérer d’une langue à l’autre à partir de l’ordre des mots ; dans tous les cas le substrat de ce latin, et la priorité de son lecteur, étaient de s’orienter dans les vernaculaires plutôt que de remployer les tournures dans la langue de Cicéron.

4. Par qui ?

Ces réflexions nous amènent naturellement à une autre question : qui a la responsabilité de la langue ancienne, de son exactitude et de sa correction, dans ces lexiques ?

Il est très difficile de le savoir dans le cas des Garrone. Nous avons vu que d’une édition à l’autre quelqu’un pouvait intervenir sur le latin, mais nous n’avons aucun nom, et tout relecteur installé dans un atelier d’imprimerie est à même de le faire. Même si nous ne sommes pas ici dans des ateliers d’imprimeurs érudits comme les Froben, Estienne ou Gryphe où passeraient des Erasme, des Budé ou des Dolet, les relecteurs sont au moins un peu savants, ou sont facilement en contact avec des étudiants, plus ou moins avancés, qui peuvent donner leur avis ou modifier quelques mots. Ils ne sont pas nommés cependant, probablement parce que leur nom n’est pas assez prestigieux pour ajouter véritablement quelque chose à la vente du livre ; en effet, l’acheteur dont la préoccupation est principalement vernaculaire n’y prêterait pas véritablement cas.

Pour les Berlaimont, dont la situation est différente puisque l’original bilingue est né d’une nécessité de classe, nous avons une réponse claire, au moins pour les premières éditions avec latin. Bartholomé de Grave, l’imprimeur de Louvain qui reprend le lexique en 1551, a confié la traduction latine à Cornelius Valerius, ou Cornelius Wouters, professeur au Collège Trilingue de Louvain16. Ce nom et la fonction de ce personnage nous permettent de comprendre pourquoi son latin est syntaxiquement correct et normé, et nous confirment dans l’idée que, lorsque dans l’ordre des mots il écrit du « frantin »17, il s’agit bien d’une stratégie didactique. En effet, le but principal de Bartholomé de Grave n’est pas en soi de permettre à ses lecteurs, quels qu’ils soient, d’apprendre le latin pour l’écrire, mais d’élargir sa chalandise à tous les clients potentiels de son marché flamand, désormais trilingue après 1520. En effet, si la première version des Berlaimont, antérieure à 1527, pouvait se contenter de viser le passage du flamand au français, deux langues voisines et répandues dans les Flandres, en 1551 la présence espagnole désormais bien établie dans la région suppose de pouvoir pratiquer cette troisième langue, et le livre s’adapte au marché qui s’élargit. Le latin, logé entre les deux colonnes du français et de l’espagnol, doit ainsi aider le Flamingant à se repérer dans les deux langues qui ne sont pas les siennes, et pour cela il les suit au plus près, notamment dans l’ordre des mots ; par ailleurs, nous savons par d’autres témoignages que cet ordre des mots était justement, dans les collèges, un des éléments les plus malmenés par les enfants qu’on obligeait à parler latin en classe18.

5. Quelle place et quelle fonction ?

Le cas des Colloquia parus à Louvain en 1551, et repris en 1556, où la colonne latine se trouve après le flamand et le français, langues premières du lexique et de ses acheteurs, et avant l’espagnol, est un des rares cas où la langue ancienne semble avoir une fonction de pont réelle entre les vernaculaires. Elle est d’ailleurs l’exact reflet de la situation linguistique de la région : les locuteurs flamingants et francophones, qui sont dans un premier temps confrontés à l’échange interlinguistique, voient se surimposer à ce bilinguisme une troisième langue de communication et d’administration avec l’arrivée des Espagnols. Cette dernière langue, qui est perçue à juste titre comme plus proche du latin que les deux premières, est donc en quelque sorte amenée par celui-ci dans le lexique. Les rédacteurs des Colloquia pensent sûrement que les lecteurs, pour autant qu’ils soient teintés d’un peu de latin, pourront mieux comprendre et retenir le lexique espagnol si son apprentissage est ramené à quelques souvenirs scolaires de latin.

La situation est similaire pour les Colloquia à six langues qui paraissent en 1576 et 1583 à Anvers, et pour leur reprise élargie à sept langues, à Liège en 1589 et ensuite19. Dans les premiers, le latin dans la troisième colonne assure le premier repère pour passer du flamand et de l’anglais à l’ensemble des autres vernaculaires ; la structure du second a dilaté à l’extrême ce qui était les langues d’entrée et de sortie des premiers Colloquia, c’est à dire le flamand et le français, placés dans la première et la septième colonnes, alors que le latin, au milieu dans la quatrième, assure l’articulation entre le flamand, l’anglais et l’allemand d’une part, langues de la même branche indo-européenne, et l’espagnol, l’italien et le français d’autre part, langues latines. Les rédacteurs du manuel n’avaient sans doute pas conscience d’anticiper sur Saussure, mais leur analyse des aires linguistiques était tout à fait pertinente, et il faut conclure également de cette revue que le lectorat visé par les Colloquia était probablement différent de celui des Garrone, peut-être plus aisé et sûrement plus souvent passé par le collège, ce qui s’explique sans doute aussi par la date plus tardive de parution de cet ouvrage. En effet, en fin de XVIe siècle, la pratique d’une base latine comme élément de formation s’est répandue dans la bourgeoisie commerçante plus largement qu’avant 1550. Mais cette structure est aussi adaptée à un bassin de chalandise, car un même Berlaimont à sept langues, paru à Paris en 1542 chez Arnoul et Charles L’Angelier,20 entre le latin dans la première colonne, comme la majorité des autres ouvrages de cette sorte.

En effet, ces Colloquia où le latin articule le passage entre deux aires linguistiques ne représentent qu’une partie, et peut-être la moins importante numériquement21, de ces lexiques polyglottes contenant du latin. Le fait que la très grande majorité des lexiques de type Garrone place le latin dans la première colonne à gauche, au point de départ du sens de lecture, ne fait pas pour autant de cette langue la langue principale, du moins lorsqu’on veut bien s’affranchir du trompe-l’œil que représente la disposition typographique. Il me semble que cette place permet en fait de ne pas lire ou de ne pas utiliser la langue ancienne : à la marge, elle laisse la place aux vernaculaires, et permet de voir le latin comme un élément de valeur marchande et sans s’en servir vraiment.

L’efficience réelle du latin dans la compréhension des langues vernaculaire est effectivement assez réduite dans beaucoup de cas. Je reprendrai ici un raisonnement et des exemples que j’ai déjà utilisés ailleurs, mais qui me semblent éclairants22. Le latin en effet ne sert quasiment à rien dans la plupart des situations de passage d’un vernaculaire à l’autre, puisque le lexique ne comporte pas de définition pour aider à comprendre le mot, mais uniquement des équivalents sémantiques dans les autres langues. Dans les éditions quadrilingues du Garrone qui paraissent dans les années 1530-1540, l’italophone qui sait ce qu’est cavallo trouve sur la même ligne « cheval » et roß sans avoir besoin du latin23, et il en va de même pour tous les passages d’un vernaculaire à l’autre du moment que le locuteur connait une des langues modernes qui sont dans le lexique. Le latin n’a d’utilité que pour un lecteur qui ignore l’ensemble des langues vernaculaires présentes dans son livre : par exemple un anglophone qui ignore l’italien, le français, l’espagnol et l’allemand, et a besoin de traduire horse dans une des ces langues, peut user d’equus comme d’un secours et d’un point de passage. Mais pourquoi un anglophone utiliserait-il et achèterait-il un manuel de conversation dans lequel ne figure pas sa propre langue, alors que par ailleurs il en existe ?

Les exemples les plus frappants de cette inefficience sont ceux où le latin désigne une réalité moderne, avec un néologisme qui est un décalque des vernaculaires, et n’a pas de référent dans le latin scolaire. Dans la séquence « Mostardum / Mostarda / Moustarde / Mostarda / seuff », mostardum ne peut pas permettre de savoir ce qu’est la moutarde pour quelqu’un qui ne sait pas par avance ce qu’est mostarda en italien ou en espagnol, ou moustarde ou seuff (pour Senf) en allemand ou en français. Ici, ou bien le condiment est identifié de toutes les façons par les langues modernes, ou bien il reste une notion sans référent dans le monde pratique, parce que le latin calqué sur les vernaculaires ne peut rien de plus qu’eux24.

De même, ces précieux lexiques nous conservent parfois des expressions dont nous n’avons quasiment pas de trace par ailleurs car il s’agit d’insultes, d’expressions de l’intime ou du quotidien, donc de formes d’oral de communication qui n’ont pas toujours été utilisées dans les textes littéraires. Là encore le latin n’y vaut guère : lorsque nous trouvons des expressions comme la potta di tua madre, traduite en latin par vulva matris tuæ, ou en français « la landie de ta mère », qui est une insulte équivalente à un « nique ta mère » contemporain25, ou la « fleur des dames » qui désigne les règles de la femme26, pour celui qui est insulté ou concerné, le passage vers le latin ne fait sens que si dans sa propre langue l’expression est aussi une insulte ou une métaphore de même sens ; si ce n’est pas le cas, il restera perplexe, et le lexique peut alors ouvrir la porte à bien des quiproquos.

Le latin peut donc avoir une valeur ponctuelle d’aide au repérage entre langues vernaculaires, plus sans doute dans les Berlaimont que dans les Garrone, parce que dans des situations dialogiques celui qui peut lire un latin construit a déjà une relative maîtrise de la langue. Mais je pense comme Maria Colombo Timelli27 que dans ces lexiques pour la vie courante, conçus pour une pratique hors de l’école, le latin a essentiellement une valeur ajoutée sociologique et commerciale.

6. Conclusion

Ces rapides descriptions nous permettent de risquer en conclusion quelques remarques sur la place du latin dans la société du XVIe siècle. Dire que le latin y est fortement lié au monde académique n’est pas neuf ; mais parce que ce monde académique est encore, à cette époque, prestigieux, gage de sérieux et de savoir réel, le latin est donc aussi un marqueur culturel qui peut faire mieux vendre, à un public non académique, nos petits ouvrages visant directement les vernaculaires. Les lecteurs dont la fonction sociale n’est pas liée aux professions « latinisantes » prestigieuses, sont ainsi valorisés par la présence de la langue ancienne.

Avant le XVIIe siècle et la généralisation des études au collège pour la bourgeoisie commerçante, la plupart des marchands reste hors du champ latin, hautain pour des mechanici. Les imprimeurs qui mettent ces textes sous presse sont le miroir de cette situation : dans leur catalogue, ces lexiques vernaculaires ne sont pas isolés dans une production latine, mais au contraire bien insérés dans une forte production en allemand ou en français. Ils y côtoient des livres de prière en vernaculaire dans l’aire réformée, mais aussi des almanachs, quelques textes de jurisprudence locale ou des discours municipaux, de la musique et des chansons, particulièrement les imprimeurs des Garrone. Pour eux aussi, passer du côté des impressions latines est une façon d’entrer dans un autre champ du métier28.

Cependant, pour refléter aussi exactement que possible une réalité sociale qui ne peut être que complexe, il convient de noter que ces textes montrent aussi que le latin imprègne assez de catégories sociales pour que tous s’y retrouvent plus ou moins, et perçoivent justement l’aspect valorisant de la langue ancienne. Les « hommes d’affaires », que les voyages rendent un peu savants, ont en main ces livres où le fond de latin peut « regorger », comme dirait Montaigne, sur leur environnement29. L’enfermement du latin dans les couches sociales les plus éduquées, et la moquerie qu’on peut faire de son usage pédant dans un milieu où cette langue n’est pas commune, viendront plus tard, quand au siècle suivant la structuration des collèges étendra, mais en même temps limitera, la pratique de la langue à une partie de la population sociologiquement plus claire et mieux définie.

Un dernier détour, par le grec, me permettra de préciser encore la place des langues anciennes dans ces lexiques du quotidien.

Le lieu principal du grec dans la lexicographie de cette période se trouve dans les dictionnaires scolaires grec-latin. Il s’agit dans la première moitié du siècle de gros ouvrages savants, pour les doctes qui savent déjà le latin et apprennent le grec ensuite ; un peu plus tard, certains ouvrages s’allègent et se partagent le lectorat, entre savants et apprenants moins avancés30. Dans ce cas, la langue qui est concernée est le grec ancien, et les références de ces dictionnaires ne concernent que la littérature grecque qu’on peut dire classique, fût-elle élargie aux Pères de l’Église et à quelques textes byzantins.

Dans les lexiques polyglottes que j’ai consultés, un seul comporte du grec, le Dictionnaire des huict langages que j’ai lu dans son édition parisienne de 1552, chez la veuve de Guillaume Le Bret31. Le grec s’y trouve dans la première colonne, avant le latin, ce qui, si je puis dire, permet de le rejeter dans une zone de non-lecture encore plus lointaine que l’autre langue ancienne. Conformément à la manière d’apprendre cette langue à cette période, cette colonne grecque a été introduite dans le lexique par retraduction de la colonne latine, ce qui produit, dans les cas de réalités modernes, des formules encore plus étranges que pour le latin, et totalement inefficientes pour la performance didactique, qu’on veuille apprendre le grec ancien ou parler le grec moderne.

Par exemple, au f° b iiiv, le lexique donne de la manière suivante, dans les huit langues, le nom des jours de la semaine :

Ἑλληνικόν

Latinum

Duytsch

Français

Español

Italiano

English

Hochteuth

κυριανή

dominica

sondach

dimenche

domingo

domenica

sundaye

sonntag

Ἡμέρα
σελήνης

Dies
lunæ

Maen

dach

lundy

lunes

lunedi

munday

montag

Ἡμέρα
ἄρεος

Dies
martis

Dinx

dach

mardy

martes

martedi

tewsday

zinfztag

Ἡμέρα
ἑρμῆς

Dies
mercurii

Woens

dach

mercredy

miercoles

mercoledi

Wendnys

day

mittwoch

Ἡμέρα
δίος

Dies
Iouis

Donde

dach

ieudy

iueues

giouedi

thursaday

donstag

Ἡμέρα
ἀφροδίτης

Dies
veneris

vridach

vendredy

viernes

venerdi

friday

freitag

Ἡμέρα
σαββάτο

Dies
sabbati

Sater

dach

samedy

sabbado

sabbato

saterday

samstag

Nous sommes de nouveau ici dans une situation où la traduction terme à terme n’a de sens qu’entre langues vernaculaires. En effet, la désignation des jours de la semaine est moderne et sa transposition en latin nécessite une périphrase étymologisante, de dies lunæ à dies veneris. Sa retraduction supplémentaire en grec en arrive à des expressions aussi charmantes que déroutantes, comme Ἡμέρα ἀφροδίτης pour traduire « vendredi » par l’intermédiaire de dies ueneris, formule qu’aucun marchand hellénophone même au XVIe siècle ne pouvait comprendre spontanément comme l’équivalent de Παρασκευη. De même, un peu plus haut dans le texte32, la transposition de certains jours du calendrier liturgique laisse perplexe : « le grand vendredy » en français, ou viernes sancto en espagnol et venerdi santo en italien, devient une curieuse ueneris sancta en latin, qui semble montrer que le rédacteur ignorait les formes élémentaires de la déclinaison. Si la transposition grecque est morphologiquement plus fiable, elle n’en est pas moins drôle : je ne suis pas sûre que « sainte aphrodite », ἀφροδίτης ἁγία, corresponde très dignement au jour du deuil pascal. Cette expression, autant que celle d’Ἡμέρα ἀφροδίτης, si quelqu’un s’en est jamais servi un jour, n’a pu être employée que dans une situation de Colloquium pédagogique, en classe, où un maître mal armé a transposé au grec le mode opératoire d’apprentissage du latin par pseudo-immersion ; mais ni l’une ni l’autre des deux formules n’ont jamais pu être opératoires dans la « vraie vie », celle du grec moderne parlé.

Celui-ci cependant apparaît dans un autre lexique comprenant du grec, qui semble être le seul de son espèce, du moins en l’état de conservation des collections dans les bibliothèques occidentales. En 1527, Stefano Niccoli da Sabio, ingenioso stampatore di libri greci et latini a Venezia, comme le dit la page de titre, imprime un petit guide qui permet au lecteur « d’apprendre, lire, écrire, parler, et comprendre » le grec moderne et ancien, le latin et l’italien, « très facilement et sans professeur »33. Nous retrouvons dans la préface les éléments publicitaires qui caractérisent tous les lexiques que nous avons vus précédemment, notamment les Garrone, c’est à dire l’utilité du livre, et la possibilité d’un apprentissage hors univers scolaire, mais le texte préfaciel nous donne une définition plus précise du lectorat visé et du mode opératoire :

ho voluto formare et compilare uno breue Introduttorio onde ciascuno Latino per se stesso et sanza praeceptore possi introdursi a sapere legere, scriuere, intendere, et parlare, Greco uolgare, et literale, et che essi Greci possino acquistare la lingua latina, et la Volgare Italiana : in modo che tutta queli che intendeno Latino (come sono Francesi, Tedeschi, Spagnuoli, Inglesi, Fiamenghi, Onghari et Polachi et di qualonche altra natione possino hauere congnitione di tal linguaggi34. (…) Et li saggi mercatanti potranno, con molto lor uantaggio praticare le parti di leuante, et d’el Ponente, et e contra, et sapere parlare et rispondere alle genti di quelle regioni35.

Le lexique divise donc le monde en deux parties, les Latins, c’est à dire les Occidentaux, et les Grecs ; chaque partie pourra apprendre la langue de l’autre, moderne, mais aussi la langue classique, latin et grec « littéraire » se répondant de manière équivalente. Les deux langues anciennes sont supposées pouvoir servir également de pont pour les Occidentaux lettrés de multiples nations qui souhaitent apprendre le grec moderne.

Nous ne savons pas si ces espoirs didactiques se sont révélés fondés, mais ce guide de conversation a été une bonne affaire éditoriale, puisqu’il a été repris au moins cinq fois entre 1543 et 1567, toujours à Venise. L’italien y est clairement la langue d’entrée puisque le classement des mots y est l’ordre alphabétique de cette langue dans la première colonne ; ensuite l’italien et le grec moderne sont translittérés phonétiquement chacun dans leur alphabet. Par exemple, f° Biii r, dans les quatre colonnes successives intitulées italiano volgare, greco volgare, Latino, Greco literale, on peut lire la série: cavallo, alogo, equus, hippos, et sur la ligne suivante καβάλλω, ἄλογο, ἔκουους, ἵππως, c’est à dire la transcription phonétique en caractères grecs de la ligne supérieure.

La disposition typographique nous donne donc les clefs de la lecture. Il s’agit bien d’abord de passer de l’italien au grec moderne ; pour des non italophones ensuite, le latin peut servir de pont vers le grec moderne autant que vers l’italien ; enfin la présence du grec ancien est peut-être une manière de signaler les différences, les faux-amis en quelque sorte, pour l’apprenant un peu lettré. Mais là encore la disposition des colonnes oriente la lecture : le marchand italophone qui ne cherche pas autre chose qu’un guide de conversation pour ses affaires au levant se contentera de lire les deux premières colonnes en laissant hors champ les deux suivantes. La page elle-même montre ce qui se parle (l’italien, le grec moderne) et ce qui est béquille occasionnelle, ou détour de (demi)-savants (les langues anciennes). Les deux premières langues sont véhiculaires, les deux autres ne le sont plus, et ce dernier détour confirme que la polyglossie au XVIe siècle, essentiellement vernaculaire, ne peut placer le latin sur le même plan que les langues modernes. Comme le disent les verbes employés dans la préface de la Corona pretiosa : certains comprennent (intendono), ou savent le latin, mais il n’est dit nulle part que quelqu’un en ait un usage de communication parlée.

Note de fin

1 Sur les dictionnaires de Calepin d’une manière générale, voir Albert Labarre, Bibliographie du Dictionarium d’Ambrogio Calepino (1502-1779), Koerner, Baden-Baden, 1975 ; sur les Calepin polyglottes, voir Martine Furno, « Du commerce et des langues : latin et vernaculaires dans les lexiques et dictionnaires plurilingues au XVIe siècle », Histoire et civilisation du livre, IV, 2008, p. 93-116.

2 Colloquia et dictionarium sex linguarum, Antverpiæ, apud Henricum Henricium, 1576, f° [4r, 5r, 6r], texte français : « ce livre est tant vtile et profitable, et l’usage d’icelluy tant necessaire, que sa valeur voire de gens sçavans n’est asses à priser : car il n’y a personne en France, ny en ces Pais Bas ny en Espaigne ny en Italie ».

3 Quinque linguarum utilissimus vocabulista, Lyon, [J. Moderne], 1542, f° Aiir°, texte latin et texte français : Vtilissimus vocabularius pro his qui desiderant intellegere et scire legere sine uisitatione scolarum sicuti sunt mecanici et mulieres […] vtilis pro versari cupientibus per universum mundum, « Très utile vocabulaire pour ceux qui désirent apprendre sans aller à l’école, comme artisans et femmes […] de grande utilité pour ceux qui vont praticant par le monde ».

4 Cf. infra, p. 000.

5 Sur cette question, pour des exemples et une analyse de cette pratique orale scolaire, voir Martine Furno, « Quod aliquando fuit, potest instaurari : parler latin au XVIe siècle, une restitution en trompe-l’oeil ? », Anabases, 17, 2013, p. 105-118. Une analyse opposée à la mienne, et qui ne me paraît pas valide, a été faite dans Béatrice Charlet-Mesdjian et Jean-Louis Charlet, « Une méthode Assimil pour apprendre le latin à l’époque humaniste : les Colloquia dérivés du Vocabulare de Noël de Berlaimont », Rursus [En ligne], 6 | 2011, mis en ligne le 01 février 2011, consulté le 11 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/rursus/495 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rursus.495.

6 Sur ces ouvrages, voir Martine Furno, « Entre sapience et marchandise : deux éditions lyonnaises du Quinque linguarum… vtilissimus vocabulista de Francesco Garrone », dans Le savoir italien sous les presses lyonnaises à la Renaissance, Études réunies par Silvia d’Amico et Susanna Gambino Longo, Genève, Droz, 2017, p. 433-458, dont la note 2 pour les références bibliographiques antérieures.

7 Il en existe une édition de cette date, à Anvers, chez Jacob van Liesvelt, laquelle sur la page de titre porte la mention « Vocabulaire de nouveau ordonné et derechief recorrigé », ce qui laisse penser qu’il ne s’agit pas là de la première circulation du texte.

8 Voir Maria Colombo Timelli, « Aspetti didattici nei dizionari plurilingui del XVI-XVII secolo: il Berlaimont », Quaderni del CIRSIL (2003), p. 1-11.

9 Le Vocabularius Latinis Gallicis et theutonicis verbis scriptis, Metz, 1515, s. n., perd son latin au f° b ii v° et ne garde plus que le français et l’allemand ; le Dictionarius Latinis Gallicis Germanicis vocabulis conscriptus, Lyon, 1530, s. n., revient également aux deux vernaculaires seuls à partir du f° 27r°.

10 Sic pour l’orthographe et les confusions ou répétitions fautives en allemand. Le texte est exactement identique dans les deux émissions lyonnaise et vénitienne, mais cette version du lexique n’est ni la plus soignée, ni la plus exacte, pour l’allemand notamment.

11 Questo sie uno libro utilissimo..., Venezia, [Gian Battista Sessa], 1498, f° bii v°.

12 Il s’agit des éditions de Metz 1515 (trilingue), Augsburg 1531 et suivantes (pentaglottes), Nuremberg 1527 et suivantes (pentaglottes), Venezia 1549 (hexaglottes), Zurich 1533 et suivantes (hexaglottes).

13 Umbilicus et palmus au sens de « paume de la main » sont attestés dans la langue impériale. Les autres termes relèvent de la langue classique.

14 Vocabularius Latinis Gallicis et Teuthonicis uerbis scriptus, Metz, 1515, s. n., f° diii r ; Dictionarius Latinis Gallicis et Germanicis uerbis conscriptus, Lyon, 1530, s. n., f° d i r.

15 Vocabulaer in vier Spraken, Louvain, Bartholomé de Grave, 1551, f° B ii v. Tous les exemples se trouvent dans le même passage.

16 Cornelius Valerius, ou Wouters, ou Valerius Cornelius ab Auwater, né en 1512 et mort en 1578, est un orateur, poète, mais surtout enseignant au collège trilingue de Louvain. Il a été le professeur de Juste Lipse, a rédigé divers manuels, dont une grammaire (Institutionum Grammaticarum Libri quatuor, parus en 1550 à Paris chez Vascosan et réimprimés de nombreuses fois ensuite dans divers pays d’Europe du Nord). Voir aussi Henrich de Vocht, Cornelii Valerii ab Auwater epistolæ et carmina, published from the original drafts, with introduction and notes, Louvain, 1957.

17 Pour reprendre l’heureuse expression de Monique Bouquet à propos de Lhomond (Monique Bouquet, « Le De viris illustribus de Lhomond : un monument de frantin », Tous vos gens à latin. Le latin langue savante, langue mondaine (XIVe-XVIIe siècles), éd. Emmanuel Bury, Genève, Droz, 2005, p. 203-222).

18 On en trouve des exemples quelquefois très drôles pour le lecteur moderne dans l’ouvrage de Mathurin Cordier, De corrupti sermonis emendatione, Paris, Robert Estienne, 1536, qui enregistre encore les fautes commises par les élèves, avant qu’elles ne soient ôtées dans les versions ultérieures de ce manuel à partir de 1543.

19 Colloquia et dictionariolum sex linguarum, Antwerpiæ, apud H. Henricium, 1576 et 1583 ; Colloquia et dictionariolum septem linguarum, Leodii, apud H. Houium, 1589.

20 Septem linguarum, Latinæ, Teutonicæ, Gallicæ, Hispanicæ, Italicæ, Anglicæ, Almanicæ, dilucidissimus dictionarius, mirum quâm vtilis, nec dicam necessarius, omnibus linguarum studiosis…, [Paris] : On les vend a Paris en la grand salle du Palais, aux premier & deuxiesme pilliers, deuant la chappelle de messieurs les presidens, par Arnoul & Charles les Angeliers, freres, 1542.

21 Il est difficile de fournir des chiffres assurés, compte tenu de la marge d’erreur sur les exemplaires perdus, mais le nombre d’éditions actuellement répertoriées de lexiques de type Garrone est supérieur à celui des Berlaimont.

22 Voir Martine Furno, « Du commerce et des langues : latin et vernaculaires dans les lexiques et dictionnaires plurilingues au XVIe siècle », Histoire et civilisation du livre, IV, 2008, p. 93-116.

23 Quinque linguarum utilissimus vocabulista, Lyon, 1533, livre 2 ch. 6, f° 27 r° : « equus il cavallo le cheval cavallo das ross ».

24 Quinque linguarum utilissimus vocabulista, Lyon, 1533, livre 1 chapitre 21, f° D [1r]. Un autre exemple du même type, un peu plus loin dans le même chapitre, concerne la mozarella : caseus buffulinus / formaggio di buffala / queso de buffalo / der kesz von eynem buffel.

25 Voir sur cette expression Martine Furno, « Entre sapience et marchandise : deux éditions lyonnaises du Quinque linguarum… vtilissimus vocabulista de Francesco Garrone », dans Le savoir italien sous les presses lyonnaises à la Renaissance, Études réunies par Silvia d’Amico et Susanna Gambino Longo, Genève, Droz, 2017, p. 451.

26 Le Vocabularius Latinis Gallicis et Teuthonicis uerbis scriptus, Metz, 1515, s. n., f° bii r porte : « menstruum maladie de dames frauenblum » ; le Dictionarius Latinis Gallicis et Germanicis uerbis conscriptus (Lyon, 1530, s. n., f° 5v) retranscrit l’expression à partir de l’allemand : « menstruum fleur de dames frawen blaum ». Dans les ouvrages lexicographiques, l’expression est attestée dans le Dictionnaire de Richelet (1680 : « Fleurs. Sang dont les femmes se purgent tous les mois. Le mot de fleurs en ce sens n’est pas bien usité, on dit plutot, mois, ordinaires, purgations »), puis dans les dictionnaires de l’Académie dès l’avant-première édition de 1687 (« [Fleur] veut dire aussi les ordinaires des femmes »). La formule reste la même ensuite dans les éditions de 1694 et 1718, mais à partir de celle de 1740 l’entrée porte la remarque « vieillit » ou « a vieilli ». L’expression ne sort du dictionnaire que lors de la 8e édition de 1932-1935. La base Frantext ne l’atteste plus dans les textes littéraires à partir de la période classique, mais on en trouve plusieurs exemples en français préclassique, chez des physiologistes notamment, comme Pierre Antoine ou Pierre Bailly.

27 Voir Maria Colombo Timelli, « Aspetti didattici nei dizionari plurilingui del XVI-XVII secolo: il Berlaimont », Quaderni del CIRSIL (2003), p. 1-11.

28 Parmi les imprimeurs des premiers Garrone, on trouve Erhard Oeglin à Augsburg dont la production est très majoritairement en allemand, de même que Philip Ulhart ensuite dans la même ville. À Nuremberg, Friedrich Peypus imprime de manière plus mêlée en latin et en vernaculaire, mais les impressions latines sont essentiellement des textes de piété populaire ou quelques textes scolaires pour les premiers niveaux. En France, Jacques Moderne, imprimeur en 1542 à Lyon d’un Quinque linguarum… vocabulista, est par ailleurs spécialiste d’impression musicale et de chansons.

29 Voir Michel de Montaigne, Essais, Livre I, chapitre XXV, De l’Institution des enfants, Paris, La Pochothèque, 2001, pp. 267-270. L’éducation latine du jeune Montaigne, telle qu’elle est décrite dans ce passage, tient sans doute en partie du roman d’apprentissage et de la reconstruction idéalisée d’un adulte se penchant sur son enfance, mais elle correspond également au mouvement pédagogique, à cette période, qui essaie de faciliter l’apprentissage par l’immersion et la pratique orale de la langue. De telles expériences restent cependant confinées à des milieux très particuliers : à peu près similaire et contemporain est l’apprentissage des fils Estienne dans l’atelier d’imprimerie de leur père Robert.

30 Pour un rapide panorama de ces publications, voir Martine Furno, « How did they use dictionaries?: an Overview on Greek-Latin Dictionaries during the Sixteenth Century (1478-1595) », Mediterranean Chronicles, « Investigating the translation Process in Humanistic Translation of Greek Texts », 7, 2017, p. 139-158.

31 Après la mort de son mari en 1550, la veuve Le Bret ne publie que peu de temps, surtout des ouvrages de piété populaire en latin, et quelques livres en français. Mais l’atelier Le Bret a auparavant publié des classiques latins notamment, ce qui explique peut-être le choix de donner un lexique polyglotte comprenant les deux langues anciennes.

32 F° B ii v-b iii r : dans l’ordre des huit colonnes, on trouve ἀφροδίτης ἁγία / ueneris sancta / den goeden vrijdach / le grand vendredy / viernes sancto / venerdi santo / good friday / Karfreitag.

33 Stefano da Sabio, Introduttorio nuovo intitolato Corona preciosa, per imparare, legere, scrivere, parlare et intendere la lingua greca volgare et literale, et la lingua latina, et il volgare italico con molta facilita e prestezza sanza precettore (cosa molto utile ad ogni conditione di persone o literate o non literate)…, Venezia, 1527.

34 F° Aiir. Suite du texte : « Gl’ingeni di chi leggera, …, con molta facilita procederanno alla combinatione di diuersi nomi posti per ordine d’Alphabeto nel presente libretto, et poscia potranno perseuerare in tal professione facendo ottimo profitto, la qual cosa non solo sera utile agli illiterati et inesperti nella lingua latina, ma anchora a quelle che hanno sufficiente congnitione di lettere et che habinno volonta di intendere la lingua Greca ».

35 F° Aii v.

Citer cet article

Référence électronique

Martine Furno, « Latin et grec dans les lexiques plurilingues non scolaires du XVIe siècle », Line@editoriale [En ligne], 12 | 2020, mis en ligne le 06 février 2024, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lineaeditoriale/1374

Auteur

Martine Furno

IHRIM ENS Lyon, Université Grenoble Alpes (Centre de Valence)

martine.furno@ens-lyon.fr