« Fantasmâlgories de Klaus Theweleit : entre ‘roman d’aventure théorique’ et épopée ghost-moderne », version originale en français

Traduction(s) :
« Klaus Theweleits Männerphantasien zwischen ‘Theorieabenteuerroman’ und ghost-modernem Epos », autotraduction de l’auteur en allemand et révision par Hilda Inderwildi

Plan

Texte

Ouverture

En relisant l’intitulé de mon intervention, je m’aperçois que j’ai été un peu léger en parlant d’« épopée ». Pour ce qui est du « roman d’aventure théorique », je maintiens et y reviendrai plus tard.

Pourquoi le terme d’« épopée » est-il problématique ? Et j’entre là dans le vif du sujet avec un texte que je vais d’ailleurs beaucoup citer par la suite : le « Nachwort », autrement dit la postface (non traduite) à la réédition allemande des Männerphantasien de 20191.

Mais avant, un petit Disclaimer : Je vais beaucoup citer au fil de cet article. Plutôt que de paraphraser, je préfère vous donner un avant-goût par des textes de première main. Pour citer Bruno Tackels à propos de l’art de la citation chez Walter Benjamin, un des nombreux fantômes qui hantent l’écriture de Theweleit :

Les citations entrent dans un royaume qui n’a plus d’auteurs, mais seulement des lecteurs2.

Et pour l’occasion, je vais essayer de sampler des bribes de textes de, autour de & inspirés par Theweleit. D’ailleurs, Theweleit lui-même ne fait pas autre chose.

Revenons à l’épopée : le travail ou plutôt la « production artistique » de Theweleit – comme lui-même la qualifie – est aux antipodes de l’épopée. Tout le contraire de la célébration des hauts faits et des héros. Plutôt son démontage – ou sa déconstruction – (et avec elle, la déconstruction du mythe, de la légende et de l’histoire des vainqueurs). Encore une citation de Benjamin que ne démentirait pas Theweleit :

Ceux qui règnent à un moment donné sont les héritiers de tous les vainqueurs du passé. […] Tous ceux qui à ce jour ont obtenu la victoire, participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps de ceux qui d’aujourd’hui gisent à terre. Le butin, selon l’usage de toujours, est porté dans le cortège. Ce qu’on appelle les biens culturels. […] Il n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie. Cette barbarie inhérente aux biens culturels affecte également le processus par lequel ils ont été transmis de main en main3.

Histoire des vainqueurs donc, l’épopée l’est en vers et en rimes. Dans les mots de Theweleit cette fois :

Au commencement, « notre culture » […] est couplée à l’usage de la violence armée ; la littérature aussi ; pour ne pas dire imbriquée. Emboîtées l'une dans l'autre. Au commencement il y a l'Iliade d'Homère. À ce commencement-là.
L'objet de l'affrontement entre deux grands héros est le corps d'une femme capturée au cours d'une bataille et appartenant à un peuple sous le joug des Grecs – le corps d'une "barbare", particulièrement belle. Les seigneurs-vainqueurs Agamemnon et Achille se disputent pour savoir lequel des deux a le plus haut droit de coucher exclusivement avec le beau corps de Briséis. Cette dispute – qui entrave de manière décisive la conquête de Troie – coûte la vie à plusieurs milliers de personnes ; voilà la matière du plus important de tous les livres de bagarre antiques. Combat de coqs entre deux soldats de haut rang, deux types en rut qui préfèrent mettre et faire mettre le monde en pièces et eux avec, plutôt que de renoncer au droit de baiser le corps d'une femme conquise à une population soumise par la guerre. Exercer le pouvoir érigé en but existentiel ; mesuré à l’aune du membre aristocratique masculin – (en plein priapisme ?).
Ce sont des histoires de guerre et de colonisation – passant en grande partie par le corps de femmes – qui sont d'abord retranscrites avec la nouvelle technologie de l'alphabet vocalique grec : exploits héroïques d'hommes, vantardises, fanfaronnades, auto-justifications, dénonciations, rivalités, conquêtes, flibusteries – avec l'incorporation (particulièrement raffinée) de la participation des dieux dans le commerce des hommes. Avec toujours, à la fin, du boudin sur les tables ployantes des premiers temps de notre culture : littérature des corps francs de nos aurores. Juste plus joliment chantée que ces saletés de textes indigents des hordes braillantes de soldats allemands post-1re Guerre mondiale. Mais les textes homériques peuvent être considérés comme des textes d'après-guerre de la Guerre mondiale zéro. Qu’est-ce qui conviendrait mieux comme banderole à l'Iliade d’« Homère » » que « fantasmes masculins » [ou « fantasmâlgories »] ?
Au commencement étaient les fantasmâlgories. Au commencement de "notre" écriture4.
Une contre-épopée alors, dont le spectre des vaincu•e•s ne cesse de nous hanter, en Europe & ailleurs.

Elfriede Jelinek a qualifié le livre de « monolithe » « inégalé ». On peut s’aventurer à le qualifier d’inégalé. Pour « monolithe », je suis moins certain : Fantasmâlgories est tout sauf monolithique, c’est même plutôt l’inverse. C’est un livre multiple et fluide. Littell est plus dans le vrai quand il dit en 2008 dans Le Sec et l’humide qu’il est « impossible de résumer ici ce livre brillant, polymorphe, insaisissable5 ». Mais faut-il forcément chercher à le résumer ? Plutôt que de relever la gageure d’en faire la synthèse en 1 heure top-chrono’6, je vais essayer de montrer la positivité de cette insaisissabilité, de faire de cette insaisissabilité un élément consubstantiel du livre : autrement dit, faire ressortir non pas le système qui se cacherait derrière mais, comme aime à le rappeler Klaus Theweleit, le Kunstprodukt, le « produit artistique » savamment mijoté à base de texte, d’images (et de sons).

Je ne chercherai donc pas à en faire une fiche de lecture ou un compte rendu mais une sorte de translator’s cut, de « montage du traducteur », qui en montre moins le contour que les lignes par lesquelles le livre nous échappe toujours. Le livre ne s’explique pas, il faut en faire l’expérience. « Have you ever been experienced ? Well, I have. »

Métamorphoses du « moi »

Alors, Fantasmâlgories, c’est quoi ? Ou plutôt c’est qui ? « C’est qui » parce qu’on ne peut pas dissocier l’œuvre de l’homme. Dès la « Vorbemerkung », autrement dit l’« avant-propos » des Männerphantasien (que je n’ai malheureusement pas gardé dans l’édition française, mais c’est une autre histoire), Klaus Theweleit raconte :

Les trains qui font l’aller-retour entre l’île de Sylt et la terre ferme de Schleswig-Holstein passent par la digue d’Hindenburg (qu’on ne voit pas sur l’image de couverture7).
La carte postale avec la photo du train sur la digue à marée haute, je l’ai trouvée en début d’année en feuilletant un album photo de ma mère. Elle avait perdu conscience après une attaque et avait déjà entamé le voyage qui n’en est pas un. Quand quelqu’un meurt, on regarde ses albums photo et entend les voix qui accompagnent les images.
Käte, née Minuth, onzième enfant d’un tailleur de Cranz, ville balnéaire au bord de la Baltique où se rendaient les gens de Königsberg, 1901-1977, aurait bien voulu vivre le dénouement de ce travail (de thèse) et réaliser son souhait de devenir centenaire, souhait toutefois qu’elle exprimait de moins en moins ces dernières années.
La carte postale se baladait dans l’album photos des parents proches. Hindenburg, un des héros de ma prime jeunesse, était accroché au-dessus du bureau de mon père, le cheminot, avec une signature en fac-similé que j’avais longtemps tenue pour vraie. Paul von Hindenburg, le Generalfeldmarschall, a signé une photo pour mon père, ça me plaisait. À part Hindenburg (lui-même digue, soldat-digue d’un empire l’autre surnageant sur les flots rouges de la « République » de Weimar), Bismarck et Frédéric le Grand étaient aussi accrochés là (où avait dû se trouver la photo du Führer).
C’était en 1955, mon père nous montrait fièrement à ma sœur Helga et à moi la digue d’Hindenburg. Non pas comme si c’était à lui, mais comme s’il était lui-même la VOIE FERRÉE, sur laquelle nous nous trouvions et dont la digue dessous faisait partie. J’avais treize ans et à ce que je me souvienne, ce fut la seule fois que fus à la mer avec mon père. Il ne se baignait jamais à Sylt. La mer était trop agitée à son goût et il n’était pas « un grand fan de ça ».
Fils illégitime d’un fermier de Prusse orientale élevé par une tante, mon père en tant que père a toujours été pour une famille comme il faut. Mais il était cheminot avant tout, corps et âme, comme il disait, et après seulement un être humain. C’était une bonne âme avec ça et un assez bon facho. Les coups qu’il distribuait copieusement et brutalement dans le cadre quotidien et pour mon bien me sont un jour apparus comme les premières leçons sur le fascisme. L’ambivalence de ma mère, qui trouvait qu’il fallait en passer par là tout en l’atténuant, les secondes.
Lui, l’honnête fonctionnaire, ne trichait pas même aux cartes […] et se ruina la santé, fonctionnaire miné […] « par l’alcool » et l’histoire allemande. Bruno, 1901-1966.
[…]
Mes frères et sœurs aînés sont nés pour le Reich à venir qui n’est jamais vraiment venu. Reinhold – Siegfried – Brunnhilde – Günter - - - - Nibelungen, 1929-1935. Les deux derniers rejetons reçurent les noms de la défaite : Klaus et Helga, 1942 et 1944 - - - - enfants de Stalingrad.
Et de Stalingrad vinrent Elvis, le cinéma et tout ce que l’Amérique projetait sur grand écran et crachait des haut-parleurs par-delà la mare aux harengs.
À l’autre bout de la digue qu’on ne peut voir sur la photo, Monika Kubale mit pied à terre, quand, quittant l’île où elle avait passé les dix-huit premières années de sa vie, elle s’installa dans la ville où l’université m’avait aussi attiré : Kiel, « quille » en allemand, comme ce qu’ont les bateaux en bas8.

Pur exemple de « condensé » theweleitien, au sens de « Verdichtung » freudienne – de « condensation » – et un peu aussi de « Dichtung », de composition littéraire. Tout y est, ou presque. L’histoire personnelle, familiale, allemande ; la topologie sec vs. humide, terre vs. mer, flots vs. digue, fluide vs. solide ; le télescopage temps/espace, fiction/réalité : Stalingrad & Elvis, Nibelungen & fratrie pour le Reich à venir ; l’influence de la musique & du cinéma (le passage précède les deux citations en exergue de Frida Grafe – à laquelle fait directement écho cette évocation familiale dans une constellation entre psychanalyse, train et cinéma – & Jimi Hendrix). Bon, il faut avoir lu les 1000 pages qui suivent pour en prendre la pleine mesure, mais quand même…

C’est un livre de rêve, un Traumbuch comme Freud appelait son Interprétation du rêve, où le moi affleure peut-être moins que l’inconscient, que la production désirante que Klaus Theweleit cherche à mettre au centre de son écriture. Sur ce point, son programme s’oppose à celui de Freud :

En ce sens peut-on lire la formule du vieux Freud « là où était du ça, du moi doit advenir » comme un programme visant à éliminer machinique comme fluidique de la production inconsciente : fermeture et assèchement. Il emploie même expressément ce dernier terme en comparant le processus de la formation du moi, le travail culturel, à l’assèchement du Zuyderzee. De fait, l’individu à qui l’on assignerait les instances du moi/ça/surmoi serait envisagé comme la fosse septique des flux et machines désirantes. Embranchons ici sur une hypothèse que nous soutiendrons plus loin : savoir que la lutte contre la force de production fluidique-machinique de l’inconscient a été menée (et continue de l’être) sous la forme concrète de la lutte contre les femmes, de la lutte contre la sexualité féminine9.

Nous reviendrons sur cette question de la « lutte contre la sexualité féminine ». Klaus Theweleit poursuit un peu plus loin :

Jamais le désir ne veut s’attacher à un moi relevant de certaines propriétés, faisant partie d’une certaine totalité ; il ne veut pas non plus juste s’identifier à un processus portant le nom de « Révolution russe », il veut plus : être « vague perdue », déferlante, fleuve, élément dans lequel se meut la vie.
Si on pouvait en tirer quelque chose comme un programme, ce pourrait être dans le renversement de l’exigence freudienne : « là où était du moi, du ça doit advenir », ou « là où étaient des digues, des flux doivent advenir »10.

Soit tout l’inverse de la construction père-VOIE-FERRÉE-digue d’Hindenburg : devenir-mer, devenir-flots, lâcher prise et laisser son moi et sa prétendue identité se faire emporter par le courant de l’écriture. C’est aussi le programme des Fantasmâlgories : montrer que les rives qui enserrent le fleuve sont violence, et les déborder. Et le livre est l’aventure des métamorphoses de ce moi, individuel & collectif.

« Roman d’aventure théorique »

L’expression « roman d’aventure théorique » vient de Sigrid Löffler, la célèbre critique littéraire allemande qui a prononcé le laudatio pour la remise du prix Adorno à Theweleit en septembre dernier. Voilà comment elle conclut son éloge :

En d'autres termes, c'est une œuvre imposante, difficile à étiqueter, que l’on met aujourd’hui à l'honneur. Qu’avons-nous là ? Une épopée psycho-mytho-historique ? Un roman d'aventure théorique ? En tout cas, une œuvre sans égale, un projet diluvien11, excédent ses propres limites et potentiellement inachevable, un work in progress sur la violence masculine et le corps des femmes, les mythes de l'art et les mythes du pouvoir.

« Roman d’aventure théorique » : ce n’est pas qu’un mot en l’air. Klaus Theweleit, en fin connaisseur de Freud, sait ce que la psychanalyse doit à l’art. Il l’a d’ailleurs écrit dans un essai en 2006 sur la naissance de la psychanalyse au tournant du xxe siècle :

En lieu et place de procédés médicaux, la littérature fait effectivement son entrée dans l’interprétation du rêve avec l’invention de la psychanalyse ; le cabinet de consultation se transforme en scène de théâtre(s) où le patient se produit, s’expose, tente des trucs en off, peut tout dire et essayer, parce qu’il a le champ libre du théâtre, de la répétition. C’est le fin mot de Freud : il a épuisé les voies pures et dures de la médecine […] ; l’exploration ne poussait pas assez loin, l’expérimentation était trop limitée. Il a essayé avec les drogues : trop dangereux, difficilement contrôlable. Ça cause des morts. Il a essayé avec l’histoire aussi véridique que possible : viols partout. […] Il a essayé avec la précision des chiffres – cycles psychiques (comme cycles menstruels). Nib […]. Hypnose : tentatives d’entrer réellement dans l’individu par le magnétisme. Nib de nib : on se jette plus d’une fois à son cou. […] On remanie la mise en scène – non plus de face, mais assis derrière les patients – une trouvaille qui remonte à cette époque. Éviter le contact visuel qui induit de la séduction. S’asseoir derrière, regard dans la même direction ; sur scène, sur l’écran de l’imaginaire où ancienne vie et nouvelle vie défileront, si tant est que quelque chose défile. Le secret : avoir volontairement substitué un procédé artistique, un procédé théâtral, à l’insuffisance du procédé médical, sachant que l’exactitude des procédés médicaux ne donne pas les résultats escomptés. Seul l’art peut d’une certaine manière « guérir »12.

Le livre, chez Theweleit, est cette scène où le moi va d’aventure en aventure dans le long processus de civilisation (Norbert Elias n’est jamais très loin).

Freud, à propos d’Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci parle d’un « roman psychanalytique » en admettant avoir

succombé comme d’autres à l’attraction qui émane de ce grand homme énigmatique, dans l’être duquel on croit détecter de puissantes passions d’ordre pulsionnel13.

Et, pour citer Edmundo Gómez Mango, dans un article sur « Freud & la fiction », loin de rejeter

comme un obstacle pour la recherche intellectuelle l’intense émotion que l’objet d’étude soulève en lui, il la transforme au contraire en un moteur puissant de l’enquête elle-même14.

Dans la même veine, Freud qualifiera un temps son livre L’Homme Moïse et la religion monothéiste de « roman historique », livre où Freud est toujours sur la crête entre légende et histoire – ce qui n’est pas si éloigné de Klaus Theweleit.

Theweleit est quant à lui fils de son temps et du « long été de la théorie » (pour reprendre le titre d’un superbe ouvrage de Philip Felsch sur l’influence, pour faire vite, de la French Theory en RFA).

Retour 18 ans en arrière. Klaus Theweleit prononce un discours pour le prix Johann Merck de l’« essai et de la critique littéraire » que vient de lui décerner la ville de Darmstadt en 2003 et pointe la difficulté à classer sa « production artistique » :

Je me retrouve un peu dans le même cas avec ce Preis, en ce qui concerne l'idée de redistribuer le Preis15. Il existe bien des recueils d'essais de moi, mais je ne sais pas si Fantasmâlgories, Buch der Könige16 ou Pocahontas sont des "essais". Je ne pourrais pas non plus dire exactement ce qu'ils sont sinon. Je ne peux pas proposer de figure d'auteur claire, comme le poète-Rühmkorf, au titre de lauréat alternatif. Est-ce que j'écris des études historiques ? Oui, mais au sens strict : non. Elles sont trop narratives. Est-ce que j'écris des sortes de romans ? D’aucuns diraient plutôt oui ; mais au sens strict : non. Ils ne sont pas construits autour d'actions ; et ils sont trop scientifiques. Mais scientifiquement, ils sont difficilement situables. Jusqu'à aujourd'hui, les libraires ne savent pas où placer Fantasmâlgories, en théorie du fascisme, en théorie du genre, en psychanalyse, ou ailleurs. Un critique de Die Zeit a un jour qualifié mes œuvres les plus volumineuses de romans théoriques. C'est peut-être plus proche de leur constitution. Mais ce sont aussi des livres qui parlent avec de longs fils d'images. Certains lecteurs voient plutôt dans ce que je fais une sorte de film écrit. D'autres mettent l'accent sur les sons, la sonorité et le flux de la langue. Une sorte de chant critique en prose ; et c'est bien ce que sont aussi mes textes. Ce dilemme de classification a trouvé une expression significative dans la réaction de la critique à Buch der Könige 2x + 2y en 199517. On l’a classé en même temps sur les listes des meilleures ventes de non-fiction et de fiction ; une partie des critiques l'avait lu comme des "belles-lettres" ; une autre comme une étude théorique sur l'art et le pouvoir.
Les critiques ne savent donc pas non plus quel genre d'auteur ils doivent voir en moi. J'aimerais que l'on considère cela comme une indication de l'obsolescence des classifications d'auteurs qui ont fait leur temps. Johann Heinrich Merck a, selon Rühmkorf, "constamment évolué dans le champ de forces contraires entre théorie de l'art et production artistique" ; dans le champ des "accrochages dialectiques secrets entre la production et la programmatique, l'explication et l'expression, la théorie et la représentation". Exactement ce que Goethe lui reprochait : de ne s’être pas clairement décidé pour la production artistique. Alors que pour moi, l'un des plaisirs de l'écriture est de rendre caduques les couples antagoniques de ces champs de forces opposées et leurs dialectiques sous-jacentes, de faire disparaître les délimitations telles que celles entre essai et fiction. Cela fait longtemps que la critique, la science, les belles-lettres s'entremêlent chez les auteurs plus avancés. Les travaux d'Alexander Kluge en livrent bien sûr un bon exemple ; et il a en plus le mérite de ne pas seulement écrire des films, mais aussi d'en réaliser.
Comme je ne sais définitivement pas comment nommer la ou les parties de moi auxquelles je pourrais réattribuer le prix, il ne me reste que la voie inverse pour le recevoir au nom de toutes mes partialités auctoriales. J'exprime donc ma joie multiple. […] Après tout, je ne me définis pas dans la vie de tous les jours comme un conglomérat de divers types d'auteurs, mais comme un être humain inséré dans des relations familiales et amicales. Ma femme lit et critique tout ce que je fais avant d’être publié. Cela signifie qu'elle les modifie, mais pas en les tapant. Elle a sa propre voie professionnelle. En revanche, notre façon de vivre ensemble entre dans l'écriture des textes. La dissolution des formes d'écriture bien établies implique une dissolution des modèles de relations sociales ; c'est en tout cas le sentiment que j’ai toujours eu. Cela implique aussi le changement des relations habituelles entre l'auteur et l'éditeur18.

– Et j’ai envie de rajouter : l’éditeur & le traducteur…

« Je est plein d’autres » si on veut…

On refait un saut de 18 ans, en avant cette fois, au 11 septembre 2021. Dans le discours qu’il prononce à l’occasion de la remise du prix Adorno décerné par la ville de Francfort, Klaus Theweleit, dans un éloge paradoxal et assez inattendu d’Adorno, revient sur les classifications et les catégories binaires :

Moi/non-moi, conscient/inconscient, femme/homme, adulte/enfant, barbare/non-barbare – langage dans le champ des oppositions binaires qui structurent notre culture depuis environ 12 000 ans ; binarités tendues entre Dieu et le diable, deux pôles qui en vrai n’existent pas ; mauvaises règles d’un jeu de pouvoir. Ce serait l’une des dernières réalisations souhaitables de la pensée dialectique, que rien n’a autant menacé l’équilibre paisible de la vie humaine que les constructions inventées par des fantômes qui n’existent pas, Dieu n’existe pas, le diable n’existe pas, la patrie n’existe pas, la nation n’existe pas. Tous aussi peu réels que les constructions de la « féminité destructrice » – dont même la Dialectique de la raison n’est pas entièrement exempte.
Je vois la pensée dialectique elle-même toucher ses limites par des déplacements massifs dans le champ de réalité des corps humains. Quand, aujourd’hui, il n’y a plus juste le choix entre deux identités de genre pour le passeport demandé ; mais plus d’une centaine, quand il faut « définir » le « genre » par une plate-forme réticulaire, il ne s’agit dès lors plus ni d’une possibilité d’autodéfinition essentiellement sexuelle ; ni de la simple dissolution des structures familiales occidentales, qu’elle est aussi bien sûr ; mais surtout de la possibilité principale de dissoudre des structures de pensée binaires qui contraignent – pour ne pas dire emprisonnent – l’ensemble de notre pensée et de nos sentiments. Je parle aujourd’hui d’un « moi-segment » en nous […].
Dissolution de la pensée binaire : qui continue à différencier le monde en vrai/faux, autrement dit à violenter le monde ; qui le divise en blanc/de couleur, phallique/vaginal ou toute autre division binaire, outrage (pour reprendre un autre mot au goût d’Adorno) la matérialité altérée de l’état du monde et produit ainsi : son oppression continue et les idéologies qui vont avec19.

Ni dialectique donc, ni système. Pour faire ressortir ce point, il nous faut nous replonger un peu dans les archives de l’année 1977, soit l’année de publication de Männerphantasien en Allemagne : Rudolph Augstein, alors rédacteur en chef du célèbre hebdomadaire Der Spiegel, qui rédigea une recension de 7 pages et rendit célèbre outre-Rhin l’auteur des Männerphantasien du jour au lendemain, disait à propos du livre :

L’on passerait à côté des fantaisies de Theweleit, presque toujours instructives, jamais ennuyeuses, bien que rarement concluantes, si l'on n'y voyait qu’un divertissement intellectuel. Il y a un système derrière tout ça20.

« Dahinter steckt System » en allemand. Quand on sait l’importance du « System » en philosophie, et a fortiori en philosophie allemande, ça n’a rien d’innocent.

Or, c’est justement ce que lui conteste la même année le Prof. Dr. Gerhard Kaiser, pour justifier son vote du 16 septembre 1977 en défaveur de Theweleit pour un demi-poste à l’université de Fribourg. Il parle de la thèse de Theweleit qui a donné la matière à Männerphantasien :

Sa thèse, dont le volume a quelque chose de monstrueux, manque de rigueur méthodologique et de contrôle de soi face à une capacité d'association proliférante qui entend tout relier à tout et s'écarte de son sujet principal pour se lancer dans une histoire socio-psychologique de l'Europe – par quoi le « principal » de ce sujet se trouve déjà être une pelote associative21.

Là où le premier croit voir un système derrière cette pelote, le second lui dénie un tel système. Alors, système ou pas système ?

À mon sens, c’est une fausse question. L’un comme l’autre passe à côté de l’essentiel.

Theweleit parle justement dans « Les nouvelles pages » de l’édition de poche allemande de 2000 d’une facture du livre pas seulement « non-académique » mais « explicitement aphilosophique, pour ne pas dire anti-philosophique22 ». Dans la nouvelle postface à la réédition de 2019, il complète :

L'écriture du livre cherche un langage qui ne coupe pas le lien avec les corps vivants, le sien et celui des autres […]. Ce que le livre voulait développer en premier lieu, c'était un autre ton, même et surtout face à la domination de la monnaie-je-sais-tout adornitique émise par la banque-centrale-sur-le-Main23.

Ce à côté de quoi sont passés autant Augstein que Kaiser, mais pas une femme : Gisela Stelly Augstein, la femme du premier, à qui par ailleurs M. Augstein doit d’être tombé sur Männerphantasien. Dans un récent entretien à Merkur, une célèbre revue allemande d’idées, Gisela Stelly Augstein raconte cette anecdote (Rudolph Augstein aurait écrit l’article dans le Spiegel pour rivaliser avec celui qu’avait rédigé sa femme pour Die Zeit) et met le doigt sur ce que ces hommes ne veulent pas voir. À propos de l’écriture des Männerphantasien :

Il s'agissait de développer une pensée ramifiée. Cela a permis de prendre conscience d'une toute autre forme de perception, à savoir l'entrelacement, le tressage, et la connexion. Cela recoupe aussi les réflexions sur la pensée féminine, plus associative, décrite par les théoriciennes du mouvement féministe qui prenait alors son essor. Le tressage, le tissage, les liens et ainsi de suite ont toujours été des formes féminines de production. […] C'était perçu comme une menace ! Dans un chapitre, Theweleit analyse la peur que les digues rompent, la peur des flux, bref la peur de l'homme soldat de se perdre dans une masse chaotique. Contre cela, la culture bourgeoise a développé pendant des siècles une cuirasse corporelle qui promet la stabilité, une cuirasse corporelle contre tout ce qui est associé au féminin. […] je pense que Theweleit se détourne des formes de représentation abstraites et coercitives, car il voulait se démarquer de la manière décrite d'exercer le pouvoir. Et cela a fait peur à certains24.

Quant à Adorno, comme je le disais, Theweleit a mis de l’eau dans son vin. Dans son discours pour le prix Adorno, il raconte tout ce qu’il doit à ce dernier, à commencer par sa critique du « jargon de l’authenticité » de Heidegger et l’écriture fragmentaire des Minima moralia, le tout sous l’égide du retournement de la formule hégélienne : « Le tout est la non-vérité ».

Moi-même, quand je me présente comme « philosophe repenti », c’est en ce sens : ma lecture des Fantasmâlgories m’a fait sortir du fourré des « formes de représentation abstraites et coercitives », une sorte de coming out théorique. Mais il m’aura fallu du temps pour le faire, puisque, dans ma première lecture du livre, j’ai d’abord cherché le « System dahinter » avant d’en accepter la prolifération associative.

Sûrement le temps que ça perlabore… Depuis, je suis un peu plus « experienced ».

Retour à Adorno & Theweleit. Il n’aura pas fallu attendre 2021 pour que celui-ci paie son tribut à celui-là. Aussi critique qu’il soit vis-à-vis du représentant de l’école de Francfort, il s’inscrit dans cette assertion du tout comme la non-vérité. À la toute toute fin de Fantasmâlgories, dans les dernières phrases de la conclusion :

Le tout est la violence qui ne laisse rien vivre à demi ou éparpillé – (un truc pour les hommes, les vrais, les entiers) – ; mais le demi et l’éparpillé sont les humains.
[…] ; non pas le « tout », pas l’« un », mais le multiple, le demi, l’éparpillé, le dédoublé, le dérouté, la microanarchie peut, doit, va…
Oui, et quoi donc alors ?!
… en tout cas pas être élevé à la hauteur d’une théorie ni enfoui dans une profonde vérité à la dernière phrase. Ou bien ?25

* * *

Pourquoi je raconte ça ? Parce qu’il ne faut pas « comprendre » l'écriture de Fantasmâlgories, si souvent saluée comme « décontractée » et « non académique », comme si elle sortait simplement « du chapeau ». Elle est le résultat d'une vie d'écriture à travers les strates des décennies concernées, liée aux moments de la vie actuelle et aux relations les plus importantes. […] C’est le noyau politique du livre, le plus solide. Ceci et cela peut être « dépassé » dans le détail. Les véritables produits artistiques ne s’altèrent pas26.

Voilà, on approche de cette fameuse expression de « production artistique ». Encore Klaus Theweleit un peu plus loin dans le même « Nachwort » :

Il y a quelques jours, après la mort de Claude Lanzmann en juillet 2018, Rainer Höltschl m'a rappelé la déclaration de Lanzmann selon laquelle il avait travaillé 11 ans sur son film Shoah. C'est-à-dire qu'il aurait commencé en 1974/75 – l'année où l'écriture des Fantasmâlgories est entrée dans sa phase intensive. 1975 : l'année où Surveiller et punir de Michel Foucault a été publié en France. L'année où Pier Paolo Pasolini a tourné son film Salò ou les 120 journées de Sodome. Le film de Pasolini est sorti dans les cinémas allemands en 1977 ; alors que ce livre quittait tout juste la maison d’édition. […] Tous les auteurs se réfèrent à 1968, même si c'est de manière différente. Cela signifie qu'au milieu des années 70, certaines nouvelles formes de réflexion sur l'histoire européenne des années 30 et 40 ont commencé, avec en toile de fond un traitement spécifique de 68 en cours. Aucun de ces auteurs n'était historien, deux d'entre eux étaient cinéastes. Mais de quel type ?
Claude Lanzmann s'est battu toute sa vie contre la classification de son film comme « documentaire ». Shoah est une œuvre d'art. Malgré son sujet : la mort dans les chambres à gaz. […] Pasolini est un artiste, mais les aspects de son film qui visent à documenter le plaisir fasciste de la violence sont évidents. Et Foucault : il est clair, du moins pour ses partisans, qu'il n'est pas simplement un philosophe, un sociologue ou un scientifique particulier, mais une sorte d'artiste. Les œuvres de ces personnes (et de celles qui leur ressemblent) sont hermaphrodites. Elles oscillent entre la science, le reportage, la fiction, le documentaire, l'art. Au milieu des années 1960, Jean-Luc Godard a commencé à nier la différence entre le documentaire et la fiction dans ses films. Ses films sont les deux (et bien plus encore). En d'autres termes, la notion courante de réalité a commencé à changer, et ce de manière durable. Plus personne ne parle aujourd'hui (sérieusement) de « réalité objective ». Mais il s'agit toujours de résultats pertinents, d'idées et de points de vue avec lesquels on peut travailler.
Ce n'est pas seulement la relation entre les « sexes » qui a changé, c’est aussi la relation entre les formes de réalité, ainsi que la relation entre les formes de représentation. Les frontières ont disparu. Les réactionnaires de toutes sortes sont aujourd'hui en train de les reconstruire27.

Fond et forme = la « fo(nd)rme » ?

C’est bien beau tout ça, me direz-vous. La forme, l’esthétique, tout ça, mais de quoi parle le livre ?

Patience. C’est qu’on ne peut pas séparer ce qui est dit de la manière de le dire. L’un procède de l’autre, c’est – je vais essayer de le prononcer – ce que j’appellerais la « fo(nd)rme » (plus facile à l’écrit)…

J’arrive au fond. Mais je m’excuse d’avance parce qu’il va falloir un peu attacher vos ceintures, on va passer à 140 à la noire.

Alors, de quoi parlent les Fantasmâlgories ?

Le noyau historique du livre est un type d’homme qu’on retrouve chez les corps francs allemands entre 1918 et 1923, en gros entre l’abdication de l’empereur et la fondation de la république de Weimar – période pour le moins houleuse où, au lendemain de la défaite, les socio-démocrates s’assurent le pouvoir en s’appuyant sur les corps francs, des milices nationalistes, pour mater les républiques des conseils qui fleurissent dans tout le pays (jusqu’en Alsace !) et les communistes (Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par des corps francs début 1919).

L’originalité historiographie du livre tient au fait que Theweleit se penche sur le corpus des proto-fascistes allemands eux-mêmes en les prenant au mot.

Premier déplacement : c’est à la source du mâle que Theweleit va puiser.

Deuxième déplacement : il ne faut pas tant comprendre le terme de « fasciste » au sens de doctrine politique ou d’idéologie, mais comme une forme de « production de réalité » :

La production de ces hommes28 procède à contresens [de la production désirante]. Elle prend notamment en temps de guerre aux produits sociaux, hommes comme objets, la vie qui leur a été attribuée. Leur mode de production consiste en la transformation du vivant en l’inerte, en la destruction de la vie. […] Elle édifie son nouvel ordre à partir de la réalité dévitalisée29.

Cette « transformation du vivant en l’inerte » n’est pas tant l’expression d’un Todestrieb, d’une « pulsion de mort », sorte d’universel négatif de la libido, que d’une forme d’« antiproduction ».

J’ouvre ici une parenthèse – à défaut de pouvoir faire une longue note de fin comme Klaus Theweleit en a le secret – sur la question du désir, et notamment sa définition dans L’Anti-Œdipe de Deleuze/Guattari : le désir n’est jamais manque mais production, et le manque est

contre-produit par l’instance d’antiproduction qui se rabat sur les forces productives et se les approprie. […] [Le manque] n’est jamais premier ; la production n’est jamais organisée en fonction d’un manque antérieur, c’est le manque qui vient se loger, se vacuoliser, se propager d’après l’organisation d’une production préalable30.

Je ne fais qu’effleurer cette question. Pour une mise au point théorique de Klaus Theweleit, je vous renvoie au chapitre « Bilan provisoire31 » de Fantasmâlgories.

La question du fascisme n’est plus dès lors : quel est le fondement doctrinal d’une conception autoritaire du pouvoir, mais comment, dans certaines conditions, en vient-on à désirer la mort (d’autrui). Et ce désir, en plus d’être le produit d’une organisation pulsionnelle du corps (sous la forme, dans le cas du fascisme, d’une « cuirasse corporelle »), forge aussi des images de la femme.

Ainsi, chez les corps francs, quand la femme ne reste pas anonyme, elle est soit « blanche » soit « rouge ». Dans le premier cas, elle correspond à la femme pure, asexuelle, désincarnée et issue de la haute société ; dans le second, elle est dangereuse, castratrice, érotomane et de basse extraction. Mais ce clivage de la femme, dans la représentation de l’« homme soldat », renferme en fait une peur panique de la sexualité qui est, dans le premier cas, exorcisée par la désincarnation de la femme et, dans le second, combattue armes à la main ; actions qui, pour différentes qu’elles soient, tendent toutes deux à « maintenir » au sec le corps de l’homme soldat à l’intérieur comme à l’extérieur de sa cuirasse.

Les représentations de la femme chez l’homme soldat donnent à voir toute une imagerie propre non seulement à un certain type d’homme wilhelminien, mais, à des degrés divers, à l’homme européen : c’est ici que la théorie du fascisme allemand s’oriente vers une critique plus large du patriarcat.

La question est dès lors : pourquoi la sexualité est-elle codée par et dans la femme ? Pourquoi la femme en vient-elle à représenter le désir ? Pourquoi le désir a-t-il été associé au manque ? Et comment ce manque est-il aménagé ? Arrivé à ce stade (qui correspond à peu près à la fin du chapitre I ?), Klaus Theweleit va explorer l’histoire de la représentation féminine (chapitre II : « Flux corps histoire ») depuis la fin du Moyen-Âge pour, d’une part, remonter à la source de la dichotomie entre femme haute et femme basse et, de l’autre, détricoter le processus de civilisation dont est issu le sujet bourgeois, processus qui a présidé à la « négativisation » des flux et à la « reterritorialissation » des corps, « négativisation » et « reterritorialisation » culminant dans la formation de la « cuirasse musculaire » de l’homme soldat.

Voilà ce que dit Klaus Theweleit sur le codage du désir par la femme et la dichotomie femme haute/basse, à travers, notamment, la littérature européenne :

Je pense que les femmes n’ont pas juste été exploitées et opprimées de manière directe ; elles ont été employées à des fins bien plus graves, soit comme facteur d’absorption, comme un facteur d’absorption de la force de production des hommes de chaque nouvelle classe dominée au profit de la classe dominante. […] Dans toute la littérature européenne ou d’influence européenne coule le désir, pour autant qu’il coule, en un certain sens à travers la femme, coule d’une certaine manière en lien avec l’image de la femme.
[…] Sous sa fonction [de force absorbante], elle est une des principales matières, peut-être même la matière première de cette littérature. On parle à raison d’une histoire de l’image de la femme dans la littérature européenne, et d’une histoire des hommes qui l’ont écrite. Cette image vit d’une certaine manière dans l’eau ; allons voir comment l’encre y coule32.

Vous voyez on reste dans l’élément de l’eau, du Sec et de l’humide, pour reprendre le titre de l’étude de Jonathan Littell sur le fasciste belge Léon Degrelle.

Mais reprenons : l’image de la femme est synonyme de manque qui, suivant un autre paradoxe, maintient debout tout l’édifice de la domination patriarcale :

Les dominants n’auront rien à craindre aussi longtemps que flottera l’image d’une autre, d’une femme “supérieure”, derrière la maîtresse de l’homme dominé, derrière toutes les femmes qui lui sont accessibles ; aussi longtemps que la femme craindra d’être trompée avec elle parce qu’elle a moins de valeur que l’autre. Tout cela ne fait qu’injecter de l’huile dans l’appareil répressif qu’alimente un manque instauré entre des êtres potentiellement égaux. Et ce manque, sur lequel repose tout le système, il faut perpétuellement le produire pour que les égaux ne puissent pas se considérer en égaux33.

Beau morceau de relecture de la littérature européenne (rien que ça !) sous l’angle du genre. À la fin des années 1970. Il aura fallu attendre près de 40 ans avant que le livre ne soit traduit en France. Soupçon de cancel culture avant la lettre au pays de la galanterie et de la « liberté d’importuner » ?…

Coda : une œuvre ghost-moderne

Alors certes, cet homme soldat n’est pas la norme. Il n’en est pas pour autant l’exception : il en devient la norme sous certaines conditions. La preuve, puisque ce type d’homme n’est pas de l’histoire ancienne, il hante bel et bien notre présent, c’est lui le fantôme, le spectre, le das de la « bête immonde » dont notre modernité est encore féconde.

Et si épopée il doit y avoir, alors il en est le héros ghost-moderne.

Dans un livre sorti en 2015 et traduit en 2019 sous le titre Le rire des bourreaux, où Klaus Theweleit étend son analyse de l’homme soldat aux combattants de DAESH, aux soldats allemands de la Seconde Guerre mondiale, aux tortionnaires américains d’Abou Ghraib, aux tueurs de communistes dans l’Indonésie de Sohearto (filmés par Joshua Oppenheimer dans The Act of Killing), à la machine de mort khmer rouge décrite par Rithy Panh, aux enfants soldats en Afrique, mais aussi et surtout au soi-disant « loup solitaire » dont Anders Behring Breivik est la parfaite incarnation. Bref, l’entreprise mortifère de l’homme soldat ne connaît pas la crise. Je cite une longue note de fin du Rire des bourreaux :

En 1977-1978 déjà, dans son film Saló ou les 120 journées de Sodome, Pier Paolo Pasolini reliait dans un méridien du tortur(i)eur l’antédiluvienne Sodome au clergé, à la noblesse et à la justice féodales de l’Ancien Régime, tels que décrits par le Marquis de Sade dans ses 120 journées de Sodome, en passant par les « cercles de l’Enfer » de Dante. Une ligne s’étirant aux colonialismes européens du xixe siècle, au Mussolini de Saló et aux camps de concentration allemands ; et par-delà aux pratiques coloniales des démocraties néocapitalistes modernes. […]
[Ces sociétés] ont réussi à fabriquer un type d’humain, principalement masculin (à force de maltraitance, de dressage, de coups, de menaces d’anéantissement de toutes sortes, parallèlement à l’assurance d’appartenir à « la race, la religion ou au genre supérieur »), un type de corps masculin donc qui ne parvient pas à séparer ses processus de plaisir physiques des formes de violence destructrice. Ses « plaisirs » proviennent du renversement des jouissances sexuelles en processus de violence ; de l’incapacité à éprouver la sexualité autrement que comme violence, et cela de préférence dans les formes du meurtre sexualisé, ritualisé, mis en scène.
L’insecte, c’est l’autre34.

Ouf… [pause]

Bon, ça commençait fort, guilleret, plein de vie ; et là, on finit sur l’Internationale des bourreaux… C’est que la production de Klaus Theweleit se situe entre ces deux pôles. Il est peut-être cet historien qu’appelle Walter Benjamin et dont le regard « voit encore de la beauté dans les pires altérations », celui qui ne se limite pas à « connaître ce que l’on veut anéantir, il faut, pour aller jusqu’au bout du travail, l’avoir senti35 ».

En guise de conclusion – ou plutôt de coda – un passage de l’« Avant-propos 2020 » du premier tome de PO CA HON TAS que je suis en train de traduire. Il dresse le plan de cette tétralogie hors norme et résonne aussi avec tout ce que je viens de dire, en l’étendant au colonialisme et à nos mythes fondateurs. La fameuse « épopée psycho-mytho-historique » dont parlait Sigrid Löffler qui a pris sa source en 1977 avec Männerphantasien n’est pas prête de s’achever36.

Voici un extrait de l’avant-propos (j’en connais qui vont crier à la cancel culture si ce n’est pas à l’« islamo-gauchisme ») :

[…]
« Au commencement était l’immigration » pourrait figurer au-dessus de nombreux commencements ; de celui, par exemple, de notre (récente) culture : l’invasion des hordes de migrants indo-germaniques vers 2000 avant notre ère dans les régions qui portent aujourd’hui le nom de Grèce sur les cartes. C’est de là, en se mélangeant à celles et ceux déjà sur les terres, qu’émergèrent au fil du temps les « Grecs antiques », que d’aucuns aiment tant célébrer comme « nos » ancêtres culturels.
[…]
Au commencement était l’immigration est donc aussi l’énoncé central de toute colonisation : certains viennent là où d’autres sont déjà. Ces autres, qu’on appelle les autochtones – pour la plupart d’anciens immigrés –, ne veulent pas, la place venant à manquer, s’en aller ; du moins pas volontairement. Les chicayas commencent.
Immigration n’est plus alors le mot qui convient. Les nouveaux arrivants sont parfois les plus forts. La plupart du temps grâce à un attirail technologique supérieur, que ce soient les charrettes à chevaux, les navires ou la mitrailleuse Maxim ; ou bien ils se répandent et leur nombre surpasse de loin celui des habitants. Ou bien ils savent lire, et ce n’est pas le cas de ceux qui sont là. C’est alors ça la technologie supérieure.
Alors, le brassage qui suit l’immigration – la conquête dans ces cas – nécessite aussi un autre nom. En règle générale, les femmes des peuples nouvellement conquis ne se mettent pas de leur plein gré à la disposition des corps des nouveaux maîtres-seigneurs. Historiquement, les nouveaux brassages de populations sont souvent issus de viols. Le procédé de conquête de Ceux qui veulent rester.
Au commencement était #MeToo.
[…]
Au commencement de tout acte de rapporter des événements réels devrait donc se trouver : #MeToo. Mais ne s’y trouve pas.
Nous connaissons toute une variété de présentations des événements historiques. Aucune d’entre elles ne commence par #MeToo. Dans la culture des conquérants qui colonisent les Amériques après 1492, par exemple, se trouve une immense boucle sans fin de récits de rescousse et d’amour : la jeune peau-rouge Pocahontas sauve la vie du chef des colons ; elle tombe amoureuse de la blanchité des Anglais. Pour en épouser un, elle se fait baptiser à la mode chrétienne anglicane, du nom biblique de Rebecca. Elle met au monde un fils, baptisé du nom biblique de Thomas ; se rend à Londres, mais malheureusement y meurt, à en croire les voies impénétrables des Lords, de la variole ou d’une autre maladie (divine) incompatible avec les peaux-rouges. De tout cela, il résultera plus tard la Bible Belt états-unienne (sans peaux rouges ni autres communistes).
Vous gobez ça ? – En tout cas, c’est comme ça qu’on a majoritairement tendance à le raconter jusqu’à nos jours dans une série de variations sur toutes sortes de supports, jusqu’à Neil Young et les studios Disney37.
[…]
Vol. II, CA, Le Livre des filles de roi, étudie les processus correspondants aux alentours de l’an 2000 avant notre ère. Une infinité de variations de ce qui, aujourd’hui, se retrouve labélisé « mythologie grecque » dans les encyclopédies littéraires et philosophiques, dans les livrets de théâtre et d’opéra, dans les livres d’art de statuaire grecque, d’architecture des colonnes et de peinture de la Renaissance, chante un #MeToo réprimé. Dans cette « mythologie », une trentaine de filles de rois des territoires préhelléniques, parmi de nombreuses autres femmes, sont violées par les conquérants à cheval. Le récit grec qui s’ensuit transforme les violeurs de princesses en dieux concupiscents. Ce sont Zeus, Poséidon et Apollon (un peu Dionysos aussi) qui mettent en cloque les filles de rois ; avec les résultats qu’on connaît : tous ces héros demi-dieux de la Grèce antique, de Thésée à Héraclès en passant par Persée & Co., sont le fruit de ces unions ; les premiers rôles donc de ladite mythologie grecque ; qui se révèle être une forme particulièrement raffinée d’historiographie déformante.
Qu’y avait-il donc au commencement de « notre culture » ? Aux commencements de nos colonialismes ?
Se pose entre autres la question de savoir comment il faut considérer la fille du chef, Pocahontas, qui épouse le planteur (de tabac) blanc ; la fille du roi de Colchide, Médée, qui aide le grec Jason à récupérer la Toison d’or ; la mexicaine Malinche, devenue l’espagnole Dona Marina, qui sert d’interprète à Hernan Cortéz durant sa campagne militaire ; comment considérer les nombreuses autres femmes qui sympathisèrent ou durent sympathiser avec le colonisateur : des collaboratrices ? (Comme on n’a pas manqué de les accuser). Au Mexique, par exemple, malinchismo sert encore d’insulte pour désigner celles et ceux qui « trahissent leur propre culture ». Plus facile que d’écrire : #MeToo. Les hommes de toutes les cultures conquérantes clament leur innocence, jusqu’à nos jours, par Jupiter ou n’importe quel autre dieu du tonnerre.
[…]
Le volume 3, HON, Pourquoi Cortéz a vraiment gagné, étudie les procédés grâce auxquels une peuplade particulière, l’Eurasien – s’étendant après 1500 à l’Eurasiaméricain – s’est assujetti le globe sillonné par bateau. Il s’agit de procédés techniques, à partir de 12 000 avant J.-C., de la domestication d’animaux à l’alphabet phonétique en passant par la fusion des métaux, l’exploitation minière, la construction navale, la géométrisation et la mathématisation du monde géographique, son quadrillage cartographique en longitudes et latitudes, la perspective centrale, le microscope et la physique atomique, la segmentation chimique du monde en éléments et en système périodique, la segmentation et le séquençage des étapes du travail industriel par Taylor, la bactériologie, les techniques d’enregistrement du cinéma et du gramophone qui décomposent la réalité, jusqu’à l’ordinateur, les séquences sans fin du numérique ; techniques culturelles qui poussent toujours plus loin ses procédés de base que sont la segmentation, le séquençage et la conceptualisation dans les processus de miniaturisation […] et d’accélération […] ainsi que l’application pratique de ses chaînes de segments s’allongeant de plus en plus et confinant à l’impensable. C’est l’homo technologicus, l’humain technicisé et pas juste le « mieux armé » qui, avec ses procédés, intègre le monde dans des raccordements synaptiques toujours renouvelés et le reconfigure – le « colonise » – sans arrêt. C’est nous, avec notre « moi-segment » basé sur la technologie, qui portons ces procédés. HON examine ce qui distingue ce « moi-segment » de l’« ego » freudien et de la construction philosophique du « sujet ».
Volume 4, TAS, You Give Me Fever. Paysage lacustre avec Pocahontas d’Arno Schmidt. Écrire la sexualité après la Seconde Guerre mondiale, revisite le tout d’une autre façon. Le livre est un voyage littéraire en eaux vives sur les lacs de l’Allemagne du Nord et dans les rayons de bibliothèques, reliant les eaux américaines du lac Otsego au lac intérieur Dümmer de Basse-Saxe, où se jette un cours d’eau nommé Hunte ; un mot dans lequel Schmidt l’« arpenteur », en vadrouille lacustre à l’affût de femmes avec son compagnon Erich, flaire le nom de Pocahuntas […]. Au bord, sur et dans ce lac, les escapades sexuelles des deux sex-trappeurs avec deux Indiennes d’usine des plaines nord-allemandes, dont une baptisée « Pocahontas ». L’histoire déborde à gros bouillons de rescousses – dont celle d’un bourdon des eaux du lac Dümmer. Mais ce qu’il faut sauver, avant tout, c’est la bifurcation ludique de la combinatoire littéraire et le désir d’une sexualité sans violence ; soit le plaisir physique de toutes les parties prenantes.
Là, « tout » tourne autour d’un petit « a » que Schmidt insère dans le nom de Pocahuntas : Pocahauntas = Poca haunt us ; Schmidt donc comme co-fondateur de la Hauntology (= conjuration artistico-littéraire de fantômes) ; connaisseur de ces choses qui ne cessent de nous titiller/poursuivre/déranger dans leur irréfutable fantômalité en perpétuelle expansion. Surprise à chaque paragraphe.
[…]
En 1957, à l’occasion du 350e anniversaire de la fondation de Jamestown, Peggy Lee ajoutait à la chanson Fever de Little Willie John un couplet sur la very mad affair que le « Captain Smith and Pocahontas » sont censés y avoir eu. En mettant l’accent sur le mad, elle n’avait pas tout à fait tort.
Mensonge, trahison, vol de terres via les filles de roi, meurtres – plutôt que love affair.
[La love affair] se trouve chez [Arno] Schmidt. Et aussi dans le couplet de Peggy Lee, qui ne le dément pas :
Fever till you sizzle
What a lovely way
To burn
38.

Note de fin

1 Klaus Theweleit, « Nachwort », Männerphantasien, Berlin, Matthes & Seitz, 2019, p. 1209-1278.

2 Bruno Tackels, « Walter Benjamin, lecteur absolu », Revue de la BnF, n° 41, 2012/2, p. 5-10.

3 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », Œuvres, III, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000, p. 432-433.

4 Klaus Theweleit, Männerphantasien, op. cit., « Nachwort », p. 1276-1277.

5 Jonathan Littell, Le Sec et l’humide, Paris, L’Arbalète, 2008, p. 25.

6 Cette contribution était à l’origine une conférence transmise à l’oral pour le séminaire « genre et sexualité ». C’est aussi dans cette optique qu’il a été écrit. Il opère ainsi un juste retour des choses en revenant à l’écrit et sur la surface de la feuille (et sa géographie, avec ses marges, ses bas de page et ses appels de note) [N.d.A-T. = note de l’auteur-traducteur, auto-traducteur].

7 Il s’agit de l’image de couverture du livre en question, sur laquelle on peut voir un train rouler sur la digue de Hindenburg reliant Sylt à la « terre ferme » allemande à marée haute [N.d.A].

8 Klaus Theweleit, Männerphantasien, op. cit., « Vorbemerkung », p. 9-10.

9 Fantasmâlgories., op. cit., « Ce qui coule… », p. 139-140.

10 Ibid., p. 147.

11 « Uferlos », clin d’œil à Brecht en exergue du chapitre « Die rote Flut » ? [N.d.A.].

12 Klaus Theweleit, Freud & la pop, Paris, L’Arche, 2020, p. 30-31.

13 Sigmund Freud, Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, GW VIII, p. 207.

14 Edmundo Gómez Mango, « Freud et la fiction », Annuel de l’APF, 2011/1, p. 109-118.

15 Contexte : Klaus Theweleit vient d’évoquer le lauréat de 1976, Peter Rühmkorf, poète de son état qui se voyait récompensé pour son travail de critique et qui disait vouloir reverser la dotation à sa partie-poète [N.d.A.].

16 Une autre série de livres restée inachevée à ce jour sur le mythe d’Orphée, l’artiste, les femmes et le pouvoir [N.d.A.].

17 2e volume de la série Buch der Könige, non traduit en français (pas encore du moins), lui-même subdivisé en 2 livres… [N.d.A.].

18 Klaus Theweleit, Friendly fire, Francfort-sur-le-Main, Stroemfeld Verlag, 2005, p. 382-384.

19 Klaus Theweleit, « Über Exile. Dankrede zur Verleihung des Theodor W. Adorno-Preises der Stadt Frankfurt am 11. September 2021 », https://literaturkritik.de/klaus-theweleit-ueber-exile-dankrede-zur-verleihung-theodor-w-adorno-preises-stadt-frankfurt-am-11-september-2021,28256.html (consulté la dernière fois le 25 août 2022).

20 Rudolf Augstein, « Frauen fließen, Männer schießen », Der Spiegel, Nr. 52/1977, p. 132-141.

21 Une partie de l’avis du Prof. Dr. Gerhard Kaiser est retranscrite (en vis-à-vis d’un extrait de l’article d’Augstein) dans Klaus Theweleit, « Alles muß man so machen, daß jeder, der es sieht, ausrufen kann, das kann ich auch. Alles muß man so machen, daß jeder, der es sieht, ausrufen kann, das nicht », Die Republik, Nr 18-26, 30. April 1978, p. 464-603, p. 466 et suiv.

22 Klaus Theweleit, Männerphantasien 1+2, Munich/Zürich, Piper, 2000, II, p. 483.

23 Klaus Theweleit, Männerphantasien, op. cit., 2019, p. 1216.

24 Entretien de Gisela Stelly Augstein par Philipp Goll, « Das Buch heisst Männerphantasien und es ruft ja geradezu danach, dass eine Frau darüber schreibt », merkur-zeitschrift.de, 7 février 2022.

25 Klaus Theweleit, Männerphantasien, op. cit., 2019, p. 1002.

26 Ibid., « Nachwort », p. 1216-1217.

27 Ibid., p. 1227-1228.

28 Des fascistes ou « hommes soldats » comme les appelle Klaus Theweleit, cf. Fantasmâlgories, p. 30 [N.d.A.].

29 Ibid., p. 108.

30 L’Anti-Œdipe, p. 35 et suiv.

31 Klaus Theweleit, Fantasmâlgories, op. cit., p. 97-118.

32 Ibid., p. 149 et suiv.

33 Ibid., p. 227.

34 Le Rire des bourreaux, p. 255-256.

35 Je traduis ici Walter Benjamin, « Ein Jakobiner von heute », Gesammelte Schriften, vol. III, Francfort, Suhrkamp, 1991, p. 265.

36 Klaus Theweleit travaille en ce moment à un livre sur l’invention de l’alphabet vocalique grec en mer, et je peux vous dire, pour en avoir lu une première version, qu’il fait un sort aux origines soi-disant grecques de notre civilisation occidentale réellement existante et égratigne au passage Heidegger et le Kittler tardif [N.d.A.].

37 Ça c’est pour le vol. I, Pocahontas in Wonderland. Shakespeare on Tour, qui devrait paraître, si tout va bien fin 2023 [N.d.A.].

38 Klaus Theweleit, Pocahontas I. Pocahontas in Wonderland. Shakespeare on Tour. Indian Song, Berlin, Matthes & Seitz, 2020 [2000], p. 5 et suiv.

Citer cet article

Référence électronique

Christophe Lucchese, « « Fantasmâlgories de Klaus Theweleit : entre ‘roman d’aventure théorique’ et épopée ghost-moderne », version originale en français », La main de Thôt [En ligne], 10 | 2022, mis en ligne le 12 janvier 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/1124

Auteur

Christophe Lucchese