La rhétorique fasciste du sacrifice et la commémoration des aviateurs

  • Fascist rhetoric of sacrifice and commemoration of pilots

Résumés

La solitude aristocratique de l’aviateur et l’imaginaire chevaleresque qui l’accompagne sont au cœur du récit de la guerre aérienne à l’usage du grand public diffusé pendant la Première Guerre mondiale dans tous les pays belligérants. En Italie au lendemain du conflit, le fascisme s’inspire de ce paradigme pour élaborer un rituel du sacrifice et de la commémoration qui s’inscrit dans le projet de création d’un homme nouveau. Ce culte funèbre a une double origine : la propagande nationaliste bâtie par la presse française autour de la figure héroïque de Georges Guynemer ; les oraisons funèbres composées par le poète-soldat Gabriele D’Annunzio en l’honneur de pilotes militaires italiens, en particulier de l’as transalpin Francesco Baracca. Sur ce substrat idéologique et rhétorique, le régime fasciste fonde une triple liturgie. Sous la houlette du hiérarque aviateur Italo Balbo, sous-secrétaire d’État puis ministre de l’Aéronautique (1926-1933), il s’attache d’abord à célébrer le mépris du risque de pilotes morts dans des raids aériens, auxquels il fait de grandioses funérailles publiques. La guerre d’agression contre l’Éthiopie déclenchée en 1935 est ensuite l’occasion de diffuser une véritable mystique de l’imitation et de la vengeance des quelques aviateurs péris en opérations. Parallèlement, à partir de 1931 se développe une pédagogie du deuil qui prête au Duce Mussolini le don thaumaturgique d’effacer la souffrance des parents d’aviateurs défunts, dans le cadre de manifestations spectaculaires de force collective de l’armée de l’air italienne où le sacrifice individuel est présenté comme la condition de la perpétuation de la communauté nationale.

The aristocratic loneliness of the aviator and its brave imaginary were at the heart of the story of air warfare for the broad public during the First World War in all belligerent countries. In the aftermath of the conflict, this paradigm inspired fascism in Italy and contributed to develop a ritual of sacrifice and commemoration that was part of the project to create a “new man”. This funeral cult had a dual origin: the nationalist propaganda built by the French press around the heroic figure of Georges Guynemer; the funeral orations composed by the poet-soldier Gabriele D'Annunzio in honor of Italian military pilots, especially the transalpine flying ace Francesco Baracca. With this ideological and rhetorical background, the fascist regime founded a triple liturgy. Under the leadership of Aviator Hiero Balbo, Under-Secretary of State and Minister of Aeronautics (1926-1933), it first began to celebrate fallen pilots’ contempt for death in air raids, and made for them great public funerals. The war of aggression against Ethiopia (1935) became an opportunity to spread a genuine mysticism of imitation and revenge of the few airmen who perished in these operations. From 1931 onwards, a mourning pedagogy was thereby developed, which gave to Mussolini an almost thaumaturgical gift of erasing the deceased airmen parents’ suffering, in the context of spectacular demonstrations enhancing the collective force of the Italian Air Force, where individual sacrifice was presented as the condition of the perpetuation of the national community.

Plan

Texte

La commémoration des aviateurs morts au combat, péris dans la tentative de battre un record ou victimes d’un accident au cours d’un raid transocéanique, trouve naturellement sa place dans le projet fasciste de création d’un homme nouveau, sorte de « ‘citoyen-soldat’ qui croit en la nature sacrée de l’État fasciste, et s’y dédie corps et âme jusqu’au sacrifice de la vie »1. Cette « expérience totalitaire de révolution anthropologique »2 qui célèbre la hardiesse et exige le mépris des périls, glorifie aussi le dévouement individuel du combattant pour que vive la communauté nationale et se réalise le destin grandiose que la propagande lui assigne.

Ce culte funèbre dérivé de la violence sans précédent déchaînée durant la Première Guerre mondiale3, que les fascistes considèrent comme source providentielle de régénération spirituelle et physique du peuple italien, constitue un puissant vecteur de mobilisation des masses conditionnées par la rhétorique du deuil qui fait du sacrifice une vertu, de la souffrance du combattant une glorieuse épreuve de dépassement de soi, de la mort de l’individu, enfin, la condition même de la perpétuation et du triomphe de la communauté nationale.

Très tôt, la propagande fasciste célèbre l’héroïsme des as de l’aviation italienne tombés durant la Première Guerre mondiale. Cette orientation précoce paraît dictée par deux raisons. En premier lieu, les noms et les visages des pilotes les plus célèbres étaient déjà familiers à l’opinion publique grâce aux reportages que la presse du temps de guerre leur consacrait fréquemment. En second lieu, la fragilité des appareils et les dangers du vol qui en résultent, la solitude aristocratique de l’aviateur arraché à la masse anonyme des tranchées, l’imaginaire chevaleresque qui accompagne le duel dans les airs, ces topoï du récit de la guerre aérienne, constituent, avant même la naissance du fascisme (qui les reprend à son compte en les réélaborant dans un puissant rituel du sacrifice et de la commémoration), les fondements d’une rhétorique éprouvée capable de fasciner les foules promptes à admirer l’héroïsme des chevaliers du ciel qui recherchent l’aventure au péril de leur vie.

Cette rhétorique fasciste du sacrifice et de la commémoration a une double origine : d’une part, la propagande nationaliste bâtie durant la guerre par la presse française autour de la figure héroïque de Georges Guynemer, encouragée par les autorités qui le couvrirent de récompenses (pas moins de vingt-six citations, outre les promotions et les décorations) et prolongée par la littérature hagiographique qui lui est consacrée4 ; d’autre part, les oraisons funèbres composées par le poète-soldat Gabriele D’Annunzio en l’honneur de pilotes militaires italiens, en particulier de l’as transalpin Francesco Baracca.

1. Les origines : le modèle hagiographique français

1.1. L’exemple de Guynemer

De cette double ascendance témoignent en premier lieu des références directes au modèle français chez les biographes de Francesco Baracca. Appelé à retracer les étapes de la carrière de l’aviateur italien à l’occasion de la deuxième édition de la course aérienne dédiée à sa mémoire, le député Carlo Montù, président de l’Aéro-club d’Italie, déclare explicitement vouloir s’inspirer du style hagiographique adopté par l’académicien français Henry Bordeaux pour célébrer Guynemer5: « Et sa vraie vie, celle que, paraphrasant le panégyriste français de Guynemer, je voudrais intituler la Vie héroïque de Francesco Baracca, commence seulement quand celui-ci, élève de l’école d’aviation de Reims, devient chevalier du ciel »6.

Mussolini lui-même contribue à la diffusion de cette littérature de la commémoration. En juin 1918, dans le quotidien fasciste Il Popolo d’Italia, il signale la parution de la Vie héroïque de Guynemer, dans un article élogieux où il fait de la guerre une suprême épreuve de vérité capable de stimuler, en les amalgamant, les plus antiques vertus et les jeunes énergies anxieuses de se déployer :

Au fil des pages apparaissent, en une vision rapide et presque vertigineuse, les vingt-trois années de vie de Guynemer. Les origines de ce jeune prodige sont d’antique race. C’est à travers une lente élaboration et un raffinement séculaire d’une vingtaine de générations que les qualités les plus rares se sont accumulées en lui et ont « éclaté » en une splendide révélation durant la guerre7.

C’est la lecture de cet ouvrage qui aurait suggéré à Mussolini, désormais parvenu au pouvoir, l’idée de faire rédiger un ouvrage similaire à la gloire du plus célèbre des as italiens. Le 7 octobre 1924, à Milan, au cours d’un banquet en l’honneur des concurrents de la Coupe Baracca auquel participe la mère du héros, le Duce se montre en effet décidé à encourager la rédaction, la publication et la diffusion dans les établissements scolaires d’une biographie de Baracca sur le modèle de la Vie héroïque de Guynemer :

J’ai pensé faire en Italie ce qui a été fait en France pour Guynemer ; l’as des as français a été raconté d’une manière très poétique, très émouvante, très passionnée et ce livre, qui est peut-être plus intéressant qu’un roman, est diffusé dans toutes les écoles de la République ; je trouverai un auteur qui écrira la vie de Baracca. Je suis certain que le Ministre de l’Instruction Publique n’aura pas de difficulté à faire connaître ce livre aux âmes des enfants du Peuple8.

Déclaration de circonstance ou résolution sincère ? Nos recherches ne nous ont permis de découvrir la moindre trace ni d’une directive d’un quelconque organe du régime, ni d’une commande personnelle de Mussolini qui répondît directement au vœu exprimé par celui-ci en 1924. Cependant, la biographie du chevalier du ciel publiée en 1933 par le capitaine pilote Luigi Contini9 nous paraît conforme au dessein mussolinien d’ériger Baracca en figure exemplaire du sacrifice patriotique aux yeux de la jeunesse italienne. Les indices de cette conformité ne manquent pas. La personnalité même de l’auteur, ancien pilote de guerre, collaborateur de premier plan de plusieurs périodiques aéronautiques, membre fondateur des Gruppi aviatori fascisti ; la structure et le style de l’ouvrage, composé de soixante-quatre très courts chapitres, écrits dans une langue simple, directe, descriptive pour illustrer de façon linéaire, donc accessible aux plus jeunes lecteurs, les étapes de la carrière militaire du héros ; la diffusion de l’ouvrage, enfin, rapidement et maintes fois réédité10, ce qui n’est pas le cas des autres biographies de Baracca (neuf à notre connaissance, parues entre 1918 et 1939).

1.2. La célébration des chevaliers du ciel. Mythe et réalité

L’analyse comparée des textes commémoratifs de Guynemer d’une part, de Baracca d’autre part, révèle quant à elle d’étonnantes similitudes, aussi bien dans la substance thématique du récit que dans le choix des figures rhétoriques qu’utilisent les auteurs français et italiens pour célébrer chacun des deux héros. Tous évoquent d’abord leur commune religion du devoir, leur authentique vocation patriotique, leur aspiration précoce à l’héroïsme guerrier. « Pas une seule fois, depuis le jour de la mobilisation, Georges Guynemer n’a eu d’autre pensée que celle-ci : servir»11. Carlo Montù montre d’abord Baracca en 1911, jeune officier de cavalerie, dépité de ne pas participer à la guerre italo-turque en Libye12 ; puis en 1915, anxieux de se jeter dans la grande mêlée du conflit mondial, attendant le grand jour dans une tension prodigieuse de tout son être13.

Les auteurs parent aussi les deux héros des mêmes vertus chevaleresques empruntées à l’imaginaire médiéval du romantisme. Henry Bordeaux fait de Guynemer la quintessence de la chevalerie française14. Luigi Contini et Carlo Montù voient en Baracca l’incarnation parfaite de l’idéal de loyauté et de magnanimité, « l’aimable chevalier des légendes italiques, preux et courtois, généreux et affable »15, le modèle de « l’ennemi loyal, humain et chevaleresque »16. Évoquant une photographie de Baracca, immobile devant un appareil ennemi, auprès du corps sans vie de l’adversaire qu’il vient d’abattre, le président de l’Aéro-club d’Italie, dans l’élan lyrique de son éloge du héros, croit voir sur le visage de celui-ci une expression douloureuse empreinte de « toute la gentillesse du sang latin, dans lequel la colère s’efface devant la mort »17.

Les deux chevaliers du ciel sont également présentés comme des champions de modestie, d’humilité, voire de timidité. Henry Bordeaux brosse le portrait d’un Guynemer insoucieux de sa popularité, qui cherche à se soustraire à la curiosité du public lorsqu’il est en permission à Paris, en évitant de se montrer sur les boulevards18. Selon Luigi Contini, Baracca refusa à plusieurs reprises de se rendre dans sa ville natale, Lugo, pour y recevoir une épée d’honneur que la municipalité avait délibéré de lui décerner.

Les biographes de chacun des deux aviateurs attribuent unanimement leur succès dans les combats aériens à une double supériorité : supériorité morale du chasseur racé, instinctif et farouche, sûr de son coup d’œil et de son flair infaillibles, qui recherche sa proie, la choisit, la défie et lui impose la lutte ; supériorité technique du froid calculateur qui par des manœuvres simples et géométriques, par les évolutions les plus élémentaires, qui sont aussi, souvent, les plus audacieuses et les plus efficaces, parvient à se placer dans la meilleure position pour déclencher le tir de sa mitrailleuse.

Tous les auteurs, enfin, en soulignant la jeunesse des deux héros morts l’un à vingt-trois ans, l’autre à vingt-neuf ans, leur prêtent une allure et un tempérament d’adolescents. Selon Henry Bordeaux, rien d’essentiel ne sépare le chevalier du ciel des années 1915-1917 du jeune Guynemer qui achève ses études secondaires au collège Stanislas à la veille du conflit19. Carlo Montù et Luigi Contini font eux aussi le portrait d’un Baracca éternel adolescent, toujours sensible aux sentiments les plus délicats :

Une vieille photographie nous le montre au milieu d’un groupe d’enfants et l’expression affectueuse sur son visage suffit à nous prouver combien ce guerrier était capable de se faire enfant avec les enfants : on a presque la sensation […] de retrouver, sur son visage fier et durci par le danger et la fatigue, ce voile de douce mélancolie qui caractérise les portraits de Baracca enfant et adolescent20.

L’emphase avec laquelle les biographes soulignent la jeunesse physique et morale de leur sujet s’apparente au topos rhétorique de la commémoration des jeunes guerriers de l’Antiquité tombés au combat au sortir de l’éphébie. Les deux aviateurs élus représentants des plus nobles vertus nationales sont ainsi égalés aux héros légendaires. Le qualificatif revient à de multiples reprises sous la plume des deux auteurs et ouvre la fameuse vingt-sixième et ultime citation décernée à Guynemer (« Héros légendaire tombé en plein ciel de gloire, après trois années de lutte ardente, restera le plus pur symbole des qualités de la race : ténacité indomptable, énergie féroce, courage sublime »21), laquelle présente de fortes similitudes avec le texte de la motivation accompagnant la médaille d’or à la valeur militaire décernée à Baracca en décembre 1917 (« Premier pilote de chasse en Italie, champion indiscuté d’habileté et de courage, sublime affirmation des vertus italiennes d’élan et d’audace »22).

Mais l’appareil rhétorique déployé pour célébrer la jeunesse des deux aviateurs a aussi une autre fonction, dont seuls les contemporains les mieux informés sur leurs vies privées pouvaient déceler le caractère mensonger : il s’agit de prêter aux deux jeunes gens une nature virginale, presque dénuée de caractérisation sexuelle, pour faire d’eux des créatures d’exception, sortes de demi-dieux détachés des contingences et des souillures terrestres, immortels athlètes au visage d’anges et au corps d’éphèbes. Dans l’article qu’il consacre au livre d’Henry Bordeaux, Mussolini, en bon viveur, s’étonne d’ailleurs, sans cependant mettre en doute la validité du travail du biographe, qu’aucune figure féminine (hormis celle de sa mère) ne paraisse dans le récit de la vie de Guynemer. Quant à Baracca, tous ses panégyristes le présentent comme un modèle de piété filiale, doué d’une fervente affection pour sa mère qui n’aurait eu d’égal que son amour illimité de la patrie, sans révéler son goût prononcé pour les aventures féminines et pour l’équitation.

C’est que les héros ailés doivent demeurer immaculés aux yeux du public, prétendument inaccessibles aux passions plus prosaïques que le patriotisme et l’amour filial qui animent le commun des mortels23. Dans des sociétés profondément bouleversées par la boucherie des tranchées et par le deuil de masse, ils doivent constituer des parangons de sacralité, des figures quasi christiques, gages d’une rédemption patriotique que seule la guerre aérienne, que ses chantres ornent des plus belles vertus chevaleresques, serait en mesure d’offrir.

2. Les origines : les oraisons funèbres de Gabriele D’Annunzio

En Italie, cette littérature à la fois exaltante et morbide possédait son chantre en la personne de Gabriele D’Annunzio, grâce à l’immense retentissement d’entreprises hasardeuses dont il conçut les plans et auxquelles il tint à participer personnellement, telles que les bombardements de Pola (21 août 1918) et de Cattaro (5 octobre 1918) ou le survol de Vienne le 9 août 1918.

Comme l’observe justement l’historien italien Mario Isnenghi, D’Annunzio peut être considéré comme l’initiateur des thèmes de « l’amitié guerrière » et de « la mort au combat » dans la littérature et dans la mémoire nationales italiennes24. Isnenghi fonde cette affirmation sur l’étude de Notturno, œuvre poétique composée principalement de février à mai 1916 pendant la convalescence de D’Annunzio consécutive à un accident d’atterrissage à cause duquel il perdit l’usage de l’œil droit, mais publiée seulement en 1921, où « le thème funèbre se greffe […] sur le thème de la camaraderie héroïque, du défi énergique lancé dans le petit groupe d’égaux »25.

2.1. Le paradigme littéraire de la déploration

La même thématique anime, de façon plus immédiate mais non moins efficace, les oraisons funèbres rédigées et prononcées pendant la guerre par D’Annunzio en hommage à des camarades d’escadrille tombés au combat. Qu’il s’agisse des premiers jets conservés dans ses carnets26 ou bien des versions définitives publiées par la presse de l’époque27, on y trouve tous les éléments caractéristiques du sacrifice et de la commémoration déployée en l’honneur des camarades « qui montèrent dans la carlingue non pour une partie de plaisir, mais pour une épreuve qu’ils savaient être des plus sévères »28, véritable source d’inspiration à laquelle le fascisme a puisé pour construire ses propres rituels funèbres.

C’est d’abord la déploration de l’ami perdu, du compagnon d’armes brusquement et irrémédiablement arraché à l’affection de ses camarades, tel le lieutenant de vaisseau Giuseppe Miraglia, pilote de D’Annunzio lors des vols sur Trieste du 7 et du 28 août 1915, précipité en mer le 21 décembre 1915 aux commandes de son hydravion. Quelques jours plus tard, au cours d’une promenade nocturne dans Venise, l’écrivain passe devant la demeure de Miraglia :

La maison de mon ami défunt est là. Je vais passer devant la ruelle sombre. Je m’arrête, je regarde, transi de froid. « Ami, mon ami, où es-tu ? Pourquoi ne reviens-tu pas ? Pourquoi ne me consoles-tu pas ? Pourquoi ne m’emmènes-tu pas ? Pourquoi ne m’enlèves-tu pas une fois encore sur tes ailes ? Pourquoi ne m’arraches-tu pas à cette misère ? » Voici deux semaines qu’il est mort. Il est enterré. Qu’est devenu son corps ? Déjà chose informe et sans nom ? Sa chair et les roses blanches font-elles une unique pourriture entre les bandages de ses pauvres pieds brisés ?29

Puis viennent le désespoir et la déréliction du survivant frappé de stupeur par la disparition de son frère d’armes, nouvel Achille d’un moderne Patrocle :

Le couple viril, le couple de bataille, resurgit de la création de l’aile humaine, qui tout à la fois emporte et inflige les blessures, arme d’altitude, arme céleste, manœuvrée par une unique volonté, comme la double lance du jeune grec.

Le compagnon, c’est le compagnon. Il n’est pas aujourd’hui au monde de lien plus noble que ce pacte tacite qui de deux vies et de deux ailes fait une seule rapidité, une seule promesse, une seule mort. Le frisson le plus secret de l’amour inexprimé n’est rien en comparaison de certains regards qui, durant les heures légères, reconfirment entre les deux la fidélité à l’idée, la gravité de la résolution, le sacrifice taciturne de demain. Mais la mort qui devait prendre les deux, n’en prit qu’un, un seul, contre le pacte, contre l’offre, contre la justice, contre la gloire30.

Au désespoir succède l’éloge du défunt qu’accompagne l’incitation à poursuivre jusqu’à la victoire l’entreprise guerrière dans l’accomplissement de laquelle il est tombé, tout à la fois pour le venger et pour que le triomphe de la cause au nom de laquelle il combattait confère un sens à son sacrifice :

En silence, en secret plutôt, il faisait chaque jour l’offre de sa vie à la Patrie. C’est cet entier don de soi dans la plus authentique simplicité qu’il laisse comme enseignement aux marins d’Italie, aux soldats d’Italie. Tel est son exemple, que nous recueillons et relevons en cette heure douloureuse, sur cette mer déserte. Oh frère, frère généreux et malheureux, qu’au moins nous soit concédée la gloire de te rejoindre avec tes propres ailes […]. Non pas adieu, compagnon, non pas adieu. Nous sommes avec toi, tu demeures avec nous. Avec nous tu vaincras et pour toi nous accomplirons notre vœu et le vœu de tous nos morts31.

Vient enfin l’heure de la transfiguration du héros, auquel la victoire ouvre les portes de l’immortalité : absorpta est mors in victoria [la victoire annule la mort], tel est le sous-titre de l’oraison funèbre rédigée en juin 1918 par D’Annunzio en hommage au pilote de chasse Francesco Baracca32. Et le 19 juin 1921, pour la commémoration du troisième anniversaire de la mort de l’as des as italien, le poète écrit encore : « les morts sont immortellement jeunes. Immortellement jeune est Francesco Baracca »33.

2.2. L’imitation à l’usage du grand public

Elevés au rang d’incarnation des plus belles vertus héroïques, figures exemplaires d’abnégation et d’esprit de sacrifice, les aviateurs défunts font ainsi l’objet d’un véritable culte patriotique de matrice littéraire, que la presse se plaît à diffuser et à populariser dans des articles à caractère commémoratif inspirés du modèle dannunzien. Par exemple, sous le titre « N’oublions pas nos morts ! », l’hebdomadaire La Gazzetta dell’aviazione célèbre la mémoire du lieutenant Pittaluga, pilote de bombardier décoré de deux médailles à la valeur militaire, tombé dans le ciel du Trentin en février 1918. L’article n’égale pas le lyrisme pompeux, flamboyant et morbide des oraisons funèbres composées par D’Annunzio, mais sa thématique et sa composition l’apparentent bien à la rhétorique commémorative inaugurée par le poète-soldat durant la guerre : déploration et désespoir, éloge hyperbolique du défunt, exhortation à poursuivre la lutte en son nom, tels sont les éléments du rituel littéraire que l’auteur de l’article emprunte, de toute évidence, à son illustre devancier :

Qui ne le connaissait pas ? Qui, parmi les vieux combattants du ciel, ne se souvient pas de lui ? Qui ne se rappelle ce rire joyeux jailli d’une jeunesse exubérante […] qui le rendait sympathique à tous ceux qui l’approchaient ? C’était un preux du ciel. Il fit la guerre avec audace – infatigable – et avec l’enthousiasme qui lui venait de sa passion innée pour le vol, de sa virtuosité de pilote, de la sérénité, du courage et la fermeté avec lesquels il savait affronter tous les risques et toutes les entreprises […]. Ceux dont, jusqu’à la fin, il fut le compagnon, l’ami et le frère – inséparable et dévoué – et qui, en larmes, le recueillirent un jour parmi les débris de ses deux grandes ailes blessées durant la bataille, aujourd’hui, au troisième anniversaire de sa fin glorieuse et tragique, veulent évoquer sa figure héroïque dans les colonnes hospitalières de ce journal grâce auquel un petit groupe de jeunes gens – armés de courage, de foi et de volonté – avec une ardeur immuable et une ténacité admirable livrent de nouvelles batailles pour l’affirmation et le triomphe des ailes italiennes!34

3. La réélaboration du rituel commémoratif par le régime fasciste

Dans les deux décennies suivantes, le régime fasciste prolonge et réélabore le rituel hérité de la Grande Guerre en organisant de grandioses cérémonies funèbres en l’honneur des aviateurs qui périssent à son service, conçues comme des rites de participation populaire où le deuil collectif se transforme en glorification des vertus nationales que le fascisme prétend avoir fait renaître.

3.1. La glorification du risque

La commémoration du major Carlo Del Prete, décédé à Rio de Janeiro le 16 août 1928, est à cet égard exemplaire. Sous-marinier pendant la Première Guerre mondiale, breveté pilote en octobre 1922, Del Prete jouissait d’une notoriété internationale grâce à deux exploits accomplis en compagnie du commandant Arturo Ferrarin, ancien pilote de chasse et auteur, avec Guido Masiero, du fameux raid aérien Sesto Calende-Melbourne-Tokyo au mois de mars 1920. Le 2 juin 1928, les deux aviateurs battent les record mondiaux de durée de vol et de distance en circuit fermé en parcourant 7666 kilomètres en 58 heures et 37 minutes dans le ciel du Latium à bord d’un appareil SIAI Marchetti S.6435. Le mois suivant, ils conquièrent le record de distance en ligne droite sans escale, que détenaient depuis 1927 les américains Levine et Chamberlin, auteurs d’un vol de 6294 kilomètres de New-York à Eisleben, en Saxe. Partis de l’aérodrome de Montecelio, près de Rome, dans la soirée du 3 juillet 1928, Ferrarin et Del Prete traversent la Méditerranée, longent le littoral nord-africain jusqu’à Cap Juby avant de s’élancer au-dessus de l’Atlantique en direction de l’extrémité nord-orientale du Brésil, où ils atterrissent non loin de Porto Natal. Ils ont ainsi parcouru 7163 kilomètres en 49 heures et 19 minutes.

Mais le 9 août, à Rio de Janeiro, à la suite d’une avarie, l’hydravion SIAI Marchetti S.62 qu’ils pilotent s’écrase en mer peu après le décollage. Grièvement blessé et atteint de gangrène, Del Prete meurt le 16 août 1928, après avoir subi l’amputation de la jambe droite. Sa dépouille, qu’accompagne Ferrarin, parvient à Gênes le 30 août à bord du navire transatlantique Conte Rosso36. C’est là que se déroule le rite solennel que les autorités ont minutieusement préparé, comme en témoignent les articles parus dans les quotidiens dont les envoyés spéciaux ont embarqué sur le paquebot à l’escale de Barcelone, le reportage cinématographique tourné par les opérateurs de l’Istituto Luce et le dossier relatif à l’événement conservé à l’Archivio Centrale dello Stato (ACS) à Rome37.

Dès l’entrée du paquebot dans les eaux territoriales italiennes, peu avant dix heures du matin, au large de Vintimille, celui-ci est rejoint et escorté par deux bâtiments de la marine royale italienne dont les équipages, assemblés au garde-à-vous sur le pont de chacun des deux navires, forment une sorte de garde d’honneur à la dépouille de Del Prete. Puis vient l’hommage de l’armée de l’Air, porté par quatre hydravions venus spécialement de la base de Vigna di Valle, non loin de Rome. Balbo en personne et le général de brigade aérienne Francesco De Pinedo sont aux commandes de deux des quatre aéroplanes. La patrouille évolue au-dessus du paquebot, sur le pont duquel les aviateurs lancent dix couronnes de laurier, sept desquelles sont un don personnel de Mussolini. Ernesto Quadrone, envoyé spécial du quotidien La Stampa à bord du Conte Rosso, raconte ainsi la scène dans un style grandiloquent :

Tout à coup, quatre appareils ont troué le ciel ; ce furent d’abord comme quatre grains noirs enfilés sur un rayon de soleil ; puis, petit à petit, les belles ailes d’Italie se sont déployées en vibrant dans l’air. Les voici pour toi, Del Prete, les couleurs de la patrie que tu as portées au cœur des nuées et dans l’air serein des horizons les plus lointains ; et voici pour toi le Santa Maria duquel De Pinedo te salue dans ton cercueil ! Tu ne peux entendre leur voix pleine et métallique, que l’hélice diffuse dans l’espace ; mais ta grande âme plane maintenant plus haut que les appareils, à une hauteur que seules les prières de ta mère et du peuple d’Italie peuvent atteindre38.

Vers une heure de l’après-midi, alors que le transatlantique est en vue de la rade de Gênes, la foule se masse aux abords du port ainsi que sur les balcons et sur les toits de la ville. Le sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique Italo Balbo et le chef d’État-major de l’armée de l’Air Francesco De Pinedo, conduits par une vedette de la capitainerie du port, montent à bord du navire quelques minutes avant que les remorqueurs ne le pilotent jusqu’au quai. Là sont rangés la famille de Del Prete (ses deux frères, sa sœur et son oncle ; le père et la mère n’ont pas fait, quant à eux, le voyage), les autorités (le préfet, l’ambassadeur du Brésil, le secrétaire de la fédération fasciste génoise, le podestat de la ville et ses collègues de Lucques et de Thiene39, le vicaire général du diocèse de Gênes) et plusieurs détachements militaires (un bataillon d’aviateurs venus des bases aériennes de Mirafiori, près de Turin, et de Malpensa, près de Milan, un peloton de carabiniers en grand uniforme, des artilleurs, des hommes de la Guardia di Finanza et de la Milice). À ce cérémonial savamment orchestré participent aussi les passagers du Conte Rosso et les équipages des navires ancrés dans le port, alignés debout, tête nue, sur le pont. Dans un silence interrompu seulement par les sirènes des remorqueurs en train d’achever la manœuvre, s’avance un affût de canon (une pièce de 105 millimètres) que tire un attelage de six chevaux. Puis apparaissent deux escadrilles d’hydravions partis des bases navales de La Spezia et de Livourne, qui poursuivent leurs évolutions au-dessus de la ville durant toute la cérémonie.

Ferrarin est le premier à descendre à terre, en compagnie de Balbo et de De Pinedo. Ni les passagers, ni même les officiers de bord du transatlantique, qui auraient souhaité porter le cercueil de Del Prete jusqu’à l’affût, ne sont autorisés à débarquer. Balbo, grand ordonnateur de la cérémonie, a voulu frapper l’imagination de la foule réunie le long des quais et aux fenêtres des immeubles qui bordent la rade par une mise en scène à effets. C’est donc un palan qui enlève le cercueil du pont du paquebot et, à l’instant même où il apparaît suspendu dans le vide, une fanfare de la milice entonne l’air de la chanson fasciste Giovinezza, avant de jouer l’hymne du Piave, symbole musical de la Grande Guerre. Le bataillon d’aviateurs tire trois salves d’honneur en hommage à Balbo tandis que les passagers du Conte Rosso et les autorités alignées sur le quai s’immobilisent dans le salut fasciste. Le cercueil enfin descendu est recouvert des couleurs nationales italiennes et brésiliennes et orné de deux couronnes de laurier offertes par Mussolini.

Après la bénédiction, le cortège funèbre s’ébranle sous une pluie battante : en tête, la fanfare et les détachements militaires, puis le cercueil que suivent les membres de la famille du défunt et, à quelques mètres de distance, Balbo flanqué de Ferrarin et de De Pinedo ; viennent ensuite les autorités civiles et militaires. Cette première partie du cortège, que ferme un peloton d’aviateurs, précède un long défilé d’associations et de groupes divers : sonneurs de trompe en costume médiéval venus de Lucques, police municipale et pompiers génois en uniforme de parade, anciens combattants, veuves de guerre, marins de l’équipage du Conte Rosso40.

Dans le télégramme qu’il adresse le soir même à Mussolini pour lui rendre compte du déroulement de la manifestation, Balbo la décrit avec une grande efficacité :

À 14h30 sous une pluie diluvienne se sont déroulées des obsèques des plus imposantes. Gênes tout entière absolument entière a rendu un hommage inoubliable au héros défunt. Deux escadrilles d’hydravions venus de La Spezia et de Livourne ont exécuté des évolutions sur l’interminable cortège qui défilait entre deux rangées de foule dense. Après la cérémonie, la foule a improvisé de délirantes acclamations à l’adresse de Ferrarin.

Le journaliste de La Stampa évoque lui aussi une participation populaire incroyablement nombreuse (une foule compacte massée dans les rues, sur les balcons et jusque sur les toits de la ville) et pleine d’une ferveur que Balbo s’attache à exploiter par deux gestes théâtraux. Tout d’abord, lorsque le cortège parvient à la gare ferroviaire, où le cercueil de Del Prete doit être déposé dans une salle d’attente transformée en chapelle ardente ouverte au public jusqu’à minuit, le sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique lance l’appel aux morts typique du rituel funèbre fasciste (« Camarade Carlo Del Prete ! ») auquel la foule répond à l’unisson : « Présent ! ».

Quelques minutes plus tard, sortant de la chapelle ardente, Balbo commande aux détachements alignés sur la place qui jouxte la gare de rendre les honneurs militaires à Ferrarin, geste chevaleresque qui a pour effet de déclencher une salve d’acclamations à l’adresse de celui-ci. Le triomphe fait à l’aviateur se poursuit encore sous le balcon de sa chambre d’hôtel, où il est contraint d’apparaître à plusieurs reprises pour répondre aux manifestations de sympathie de la foule. Ces deux gestes montrent la solidarité et la continuité symboliques entre les vivants et les morts, notions cruciales du rituel funèbre fasciste. Le décès de Del Prete, témoignage tragique du caractère éminemment périlleux de l’entreprise menée par les deux aviateurs, grandit l’héroïsme de son compagnon, en même temps que le triomphe du survivant, parce qu’il montre que le défunt n’est pas mort en vain, confère un sens au sacrifice de ce dernier.

Le même esprit préside aux manifestations organisées en mémoire des aviateurs morts durant le premier grand raid transatlantique en formation mené à bien par Balbo en 1930-1931. Partie d’Orbetello, en Toscane, le 17 décembre 1930, la Squadra aerea dell’Atlantico est formée de douze hydravions SIAI Marchetti S.55 répartis en quatre escadrilles et de deux appareils de réserve chargés d’outillage et de pièces de rechange. Chaque équipage se compose de quatre hommes : deux pilotes, un mécanicien et un opérateur radio.

Le 25 décembre, au terme des quatre premières étapes, la formation se pose dans la baie de Bolama, sur la côte occidentale de l’Afrique, en Guinée portugaise. Après dix jours de préparatifs dans l’attente de conditions atmosphériques favorables, le 5 janvier 1931, Balbo donne le signal de départ pour l’étape la plus difficile : la traversée de l’océan atlantique, trois mille kilomètres de Bolama à Porto Natal, au Brésil, où dix des quatorze appareils se posent au bout de dix-huit heures de vol. Deux hydravions que des avaries ont contraint d’amerrir au cours de la traversée sont remorqués par les navires d’escorte. Quant aux deux derniers appareils, ils se sont écrasés au décollage dans la rade de Bolama, provoquant la mort de cinq hommes : deux pilotes, le capitaine Luigi Boer et le lieutenant Danilo Barbicinti, deux mécaniciens, les sergents Felice Nensi et Luigi Fois, et l’opérateur radio Ercole Imbastari.

Conformément au programme établi par Balbo, la formation accomplit cependant encore deux étapes en territoire brésilien : le 11 janvier 1931, les appareils se posent dans la rade de Salvador de Bahia et quatre jours plus tard, ils touchent au but ultime du raid, Rio de Janeiro41. Dans le télégramme de félicitations qu’il adresse le soir-même à Balbo, Mussolini ouvre le rituel de commémoration des cinq aviateurs qui ont trouvé la mort pendant la traversée :

Je pense avant tout aux cinq camarades tombés à Bolama. L’Italie les honore comme morts au combat. Leur sacrifice a montré, contre le scepticisme facile des sédentaires, que le vol transocéanique comportait une quantité de risques mortels. Les noms du capitaine Boer, du lieutenant Barbicinti, des sous-officiers Nensi, Imbastari, Fois, resteront dans la mémoire du peuple italien42.

Le lendemain, à Rio de Janeiro, conformément à la volonté exprimée par le Duce dans un autre passage de son message (« Rassemble les équipages et lis-leur cet ordre du jour »), Balbo procède à l’appel des aviateurs disparus, avant de présider une cérémonie commémorative sur l’esplanade dédiée à Carlo Del Prete, devant l’ambassade d’Italie. Accompagné des officiers de la Squadra Atlantica, le ministre dépose deux couronnes, l’une au pied du monument érigé là en l’honneur du pilote mort à Rio le 16 août 1928, l’autre sur une plaque où ont été gravés (auprès de ceux des Italiens du Brésil morts pendant la Grande Guerre) les noms des cinq aviateurs décédés au cours du raid Italie-Brésil43.

Mais c’est en Italie même, quelques mois plus tard, que culmine le rituel commémoratif. Le 19 avril 1931, sur l’aérodrome militaire de Centocelle, au nord de Rome, l’archevêque militaire célèbre une messe en mémoire des cinq morts de Bolama et de deux de leurs camarades victimes d’un accident mortel au cours d’un vol d’entraînement pendant la préparation du raid transatlantique. Bien que religieuse, la cérémonie revêt un caractère éminemment politique ; d’abord par le lieu-même où elle se déroule ; en raison, ensuite, de sa mise en scène. Au centre du terrain d’aviation et entouré d’une garde d’honneur se trouve un tumulus recouvert d’une grosse couronne funéraire, face auquel se recueillent Mussolini et Balbo, divers ministres, plusieurs officiers généraux des trois armes, les équipages du raid Italie-Brésil et les parents des aviateurs défunts. Autour, formant un vaste demi-cercle, sont disposés un alignement d’avions et six détachements militaires (cinq bataillons d’aviateurs avec musique et un bataillon composé de fantassins et de marins) ; plus loin sont massés les invités et les curieux venus des environs44.

L’hommage du régime aux victimes du raid prend fin le 28 avril 1931 à la Chambre des députés, lorsque Balbo prononce leur éloge dans un discours qui nous paraît tout à la fois résumer de façon exemplaire la doctrine fasciste du sacrifice patriotique des aviateurs, et éclairer le sens de la rhétorique qui l’accompagne :

La mort est la norme dans la guerre combattue : elle y est même l’éventualité permanente. L’Aéronautique vit dans l’esprit de la guerre. Nous, les aviateurs, nous pouvons être frappés d’affliction quand un de nos camarades, du ciel inondé de soleil et de gloire, est précipité dans l’ombre éternelle de la mort. Mais après une minute de pause, nous reprenons notre chemin. Nous savons que notre métier est difficile et nous affrontons sereinement le risque.

Certes, le public est trop accoutumé aux audaces des aviateurs et oublie trop souvent que chaque soldat qui vole offre généreusement sa propre vie à la Patrie. Telle est la réalité, ô camarades. Et loin de le regretter, les aviateurs italiens s’en enorgueillissent et s’en exaltent. Mais nous exigeons que l’on ne nous inflige pas d’inutiles pleurnicheries et que l’on nous laisse travailler, voler et prendre des risques en paix45.

C’est dire que pour Balbo, non seulement le temps de la déploration et du deuil doit être bref, mais qu’il convient aussi de le circonscrire au cercle des seuls initiés, afin d’éviter que les passions et les comportements prosaïques de la multitude, en dévalorisant le sacrifice des aviateurs tombés dans l’exercice d’un métier que le risque ennoblit, ne dénaturent le sens profondément politique de la religion de l’aéronautique.

La rhétorique de la commémoration et du sacrifice qui la caractérise n’a pas pour but, en effet, de susciter la pitié pour les morts, sentiment étranger à la sensibilité fasciste ; elle doit d’abord renforcer la solidarité entre les personnels de l’armée de l’Air, redevable de son indépendance à Mussolini, lequel s’attache à forger au sein de cette nouvelle arme un véritable esprit de corps pénétré des valeurs propres au fascisme, en premier lieu le dépassement de soi et l’abnégation de l’individu au profit de la collectivité. Elle doit aussi, en attribuant à tous les aviateurs vivants les qualités réelles ou supposées de leurs camarades disparus, diffuser dans le public un esprit de don de soi et un sentiment d’émulation en vertu desquels les morts ne doivent pas être pleurés, parce qu’il importe avant tout de suivre leur exemple en continuant à voler et, s’ils sont tombés au combat, de les venger.

3.2. La mystique de l’imitation et de la vengeance

Cette mystique de l’imitation et de la vengeance, déjà présente au cœur de la rhétorique funèbre développée par Gabriele D’Annunzio pendant la Grande Guerre, la propagande fasciste la cultive à son tour durant la guerre d’Éthiopie. Cette guerre de conquête constitue en effet la première véritable occasion d’engager les aviateurs dans une campagne de grande ampleur propice à l’établissement d’un martyrologe guerrier qui faisait encore défaut à l’armée de l’Air créée par Mussolini en mars 1923, sans courir le risque d’entamer la réputation de modernité, de puissance et d’efficacité que lui avaient acquis les multiples records et les grands raids transocéaniques du temps de paix, puisque ses bombardiers ont beau jeu d’imposer leur écrasante domination à un adversaire pratiquement dépourvu de défense antiaérienne.

Des unités aériennes ont bien participé à la répression de la rébellion anti-italienne en Tripolitaine, puis en Cyrénaïque46, mais il s’agit d’une guerre que le régime refuse d’appeler par son nom, la Libye étant officiellement considérée comme intégralement acquise à l’Italie depuis son annexion formelle le 5 novembre 1912. Les Italiens ignorent donc à peu près tout de ces pénibles et peu glorieuses opérations dont la presse se garde de rendre compte et Mussolini se montre particulièrement parcimonieux dans la distribution des récompenses aux militaires qui y participent. En effet, seuls quatre aviateurs y ont obtenu la médaille d’or à la valeur militaire, alors qu’ils furent vingt-deux à la recevoir pendant la Première Guerre mondiale et que dix-neuf médailles sont décernées pendant la campagne d’Ethiopie, qui est pourtant le plus bref de ces trois conflits.

Il est également significatif qu’aucun des quatre aviateurs décorés pour leur action en Cyrénaïque ne bénéficie, sinon de la célébrité des as de la Grande Guerre, du moins de l’auréole de prestige dont la propagande entoure ceux qui opèrent et, parfois, perdent la vie dans le ciel d’Éthiopie. D’ailleurs, la seule cérémonie jamais organisée par les autorités à la gloire des forces aériennes de la Cyrénaïque est conçue avant tout comme l’occasion de combler une lacune : en décernant au drapeau de la jeune armée de l’Air, jusque-là vierge de distinction, la médaille de bronze à la valeur militaire, Mussolini ne célèbre pas le sacrifice de tel ou tel aviateur, il témoigne de l’attachement du fascisme à l’égard de l’arme qu’il considère comme sa créature de prédilection47.

La guerre d’Éthiopie bénéficie en revanche d’une ample couverture médiatique méticuleusement orchestrée par le Ministère de la presse et de la propagande sous la houlette du sous-secrétaire d’État Dino Alfieri48. Le titulaire du portefeuille ministériel, Galeazzo Ciano, gendre du Duce, profite quant à lui de ce conflit pour renforcer son prestige personnel, en prenant le commandement d’une escadrille de bombardiers surnommée Disperata, qui compte également dans ses rangs les fils du Duce, Bruno et Vittorio Mussolini, et le journaliste Alessandro Pavolini, envoyé spécial du quotidien Il Corriere della Sera 49.

Le théâtre d’opérations éthiopien, contrairement à la guerre obscure et bien plus dangereuse menée en Libye quelques années auparavant, attire en effet de nombreux dignitaires du régime désireux d’apparaître, à peu de risques, comme des modèles de courage et d’abnégation patriotique. Les missions les plus délicates sont naturellement confiées à des aviateurs plus experts qui ne sont à l’abri ni des aléas du combat, ni des intempéries, ni des incidents mécaniques.

La première victime dans les rangs de l’armée de l’Air est le sergent Dalmazio Birago. Engagé volontaire en janvier 1927, à l’âge de dix-huit ans, mécanicien à l’escadrille Disperata que commande Ciano, il est grièvement blessé à la cuisse le 18 novembre 1935 en participant à une action de mitraillage à basse altitude. Amputé de la jambe gauche au retour de la mission, il meurt le jour même.

Très vite, la propagande fait de lui le symbole du dévouement patriotique des aviateurs engagés en Éthiopie, principalement pour trois raisons. D’abord parce qu’il est le tout premier mort d’une arme qui ne dispose pas encore de martyrs dignes d’être associés aux figures légendaires des as de la Grande Guerre ; ensuite, parce que sa mort isolée, en montrant que les risques encourus par les combattants du ciel ne sont pas nuls (sans cependant entamer le mythe d’invulnérabilité de l’aviation italienne) rend crédible et grandit la réputation de courage que le régime s’attache à bâtir autour de l’escadrille à laquelle il appartenait, singulièrement au profit de ses membres les plus célèbres. Enfin, les circonstances du décès de Birago, qui selon la version officielle aurait eu la cuisse fracassée par une balle explosive dum-dum dont l’usage est interdit par les conventions internationales, donnent aux autorités italiennes un argument qui conforte leur tentative de présenter leur pays comme le champion de la civilisation en lutte contre un ennemi déloyal, féroce et barbare50.

C’est encore ce motif qui détermine l’écho donné par les médias à la mort du sous-lieutenant Tito Minniti en décembre 1935. Élève pilote à l’Académie aéronautique de Caserte pendant son service militaire, puis engagé volontaire dans l’armée de l’Air, en 1935 il est affecté à une escadrille de bombardement sur le front somalien dans la région de Harrar. Le 26 décembre, contraint d’atterrir en territoire adverse avec son compagnon de vol, le sergent mécanicien Silvio Zannoni, il refuse de se rendre. Tous deux succombent dans la tentative de se soustraire à la capture.

Quelques jours plus tard, le 3 janvier 1936, la presse quotidienne accuse l’adversaire d’avoir décapité Minniti. Un titre en gros caractères barrant toute la première page de La Stampa annonce « Un bombardement de représailles effectué par l’aviation de Somalie pour venger notre pilote prisonnier décapité par les Abyssiniens »51. Sous ce titre, la rédaction précise que pendant le bombardement ont été lancés des tracts portant le texte suivant : « Vous avez tué un de nos aviateurs prisonniers en lui coupant la tête contre toutes les lois humaines et internationales en vertu desquelles les prisonniers sont sacrés et doivent être respectés. Vous aurez en retour ce que vous avez mérité ». Le lendemain, le quotidien titre encore en première page : « La vague de mépris dans toute l’Italie pour le sauvage assassinat du pilote Minniti »52.

En quelques semaines, Birago et Minniti deviennent les symboles de l’engagement héroïque de l’armée de l’Air en Afrique orientale. Ils accèdent ainsi à l’Olympe des aviateurs dignes d’être célébrés dans la liturgie du sacrifice et de la commémoration où ils occupent une place singulière que détermine la nature coloniale et expansionniste de la campagne éthiopienne. En effet, si les pilotes de la Première Guerre mondiale affrontaient en combat aérien des adversaires qu’ils respectaient parce qu’ils appartenaient eux aussi à l’élite des chevaliers du ciel, les aviateurs engagés en Ethiopie professent quant à eux un mépris teinté de racisme vis-à-vis d’un ennemi organisé sur une base tribale et dépourvu de moyens de combat aériens.

Une lettre de Minniti citée par La Stampa nous paraît à cet égard particulièrement significative :

Nous avons tous le regard fixé sur le but. Nous n’attendons que le signal du Duce pour fondre sur la position cruciale de l’ennemi : Harrar, et l’anéantir […]. Nous faisons confiance au Duce qui saura, au moment opportun, faire payer le prix fort aux responsables du sacrifice de 43 millions d’Italiens qui ont besoin d’air et de terre53.

Ce mépris pour un adversaire réputé inférieur et étranger à la civilisation (« en lançant des bombes nous imposerons la civilisation », écrit Alessandro Pavolini dans l’hymne qu’à la demande de Ciano il compose pour l’escadrille Disperata54) conduit les autorités italiennes à accuser les Éthiopiens des pires turpitudes, afin de justifier l’invasion par des motifs nobles, mais aussi pour distraire l’opinion publique des revers subis par les troupes italiennes entre novembre 1935 et la fin du mois de janvier 1936.

Aussi la propagande présente-t-elle Birago et Minniti comme des martyrs victimes d’atrocités commises par un ennemi aussi sauvage que perfide. « Les victimes de la barbarie éthiopienne » : c’est sous ce titre éloquent que le bimensuel Auto Moto Avio, dans son numéro du 15 janvier 1936, publie deux photographies accompagnées d’une brève légende. Ce sont les portraits de Minniti, « sous-lieutenant pilote, prisonnier décapité » et de Birago, « sergent mitrailleur : décédé d’une blessure infligée par des balles dum-dum »55.

La déploration des aviateurs défunts, topos de la rhétorique du sacrifice et de la commémoration développée pendant la Grande Guerre et adoptée par le fascisme, se double ici de la dénonciation de la prétendue sauvagerie de l’adversaire, laquelle permet de justifier les appels à la vengeance les plus furibonds et les représailles les plus sanglantes. En annonçant que des bombardements massifs ont frappé les localités de la zone où Minniti est mort, le chroniqueur de La Stampa ajoute, dans un crescendo de colère nationaliste :

Mais les représailles étaient à peine à la mesure de la violence barbare, inhumaine et horrible dont l’armée éthiopienne s’est rendue coupable en tuant et en décapitant Tito Minniti. Quand un ennemi parvient à un tel excès de férocité, toute pitié serait un crime. Et le peuple italien, ému au plus profond de ses sentiments par l’épisode de sauvage atrocité dont fut victime l’un de ses fils, exige du gouvernement et des autorités militaires qu’ils conduisent la guerre sans hésitation ni indulgence. Les esclavagistes d’Addis Abeba, les cruels bourreaux des blessés, ceux qui font usage des balles dum-dum et décapitent les prisonniers de guerre ne méritent aucun respect et la loi qu’énonçaient les tracts lancés sur le camp du front somalien, la dure et inexorable loi des représailles, doit être dans l’avenir la seule qui dicte notre comportement à leur égard56.

Si la propagande transforme Minniti et Birago en martyrs dont la mort tragique doit être suivie d’une implacable vengeance, elle en fait aussi des figures exemplaires de jeunes fascistes, des modèles de passion et de devoir patriotiques, d’obéissance aux directives du régime et d’attachement et d’identification aux valeurs dont celui-ci est porteur. Rien d’étonnant alors si, comme celle de Baracca, la vie de Birago fait l’objet d’une biographie principalement destinée aux enfants et aux adolescents57. Cet opuscule d’une centaine de pages, publié probablement dans le courant de l’année 1936, décrit l’admiration du jeune Dalmazio pour les exploits de l’aviation italienne, qui le pousse à s’enrôler dans l’armée de l’Air en 1927, à l’âge de dix-huit ans :

La famille Birago partage l’enthousiasme du fils […]. Le bon papa, la « chère petite maman », les sœurs ne parlent plus que de l’aiglon si vite envolé du nid. Ce sont les années où les ailes italiennes, avec le Savoia de Francesco De Pinedo et des autres valeureux pilotes atlantiques, volent victorieuses de continent en continent pour faire connaître ce qu’est la nouvelle Italie. Dans le cœur de Dalmazio et de ses parents vibrent les paroles de $Mussolini : « l’aviation est l’âme de demain ».

Et il vit, le jeune Birago, dans la sévère discipline formative de l’École de Capoue58 où il est reçu le 26 janvier 1927. En lui grandit et se consolide l’esprit de corps. Voler est nécessaire ! L’arme du ciel, que la volonté du chef a tirée de la grisaille de la décadence, a besoin d’hommes à la forte trempe, au cœur solide, au poignet ferme : et prêts, surtout, à faire du service de l’armée de l’Air une mission59.

Ailleurs, l’auteur de l’ouvrage rappelle qu’une place au premier rang d’une classe du collège de Desenzano sul Garda a été dédiée au défunt, en souvenir de son passage à la base d’hydravions où il fit une partie de sa carrière de mécanicien60. Ce passage nous livre de précieux renseignements sur le déroulement du rituel commémoratif en milieu scolaire, en particulier sur les modalités de participation des jeunes élèves au culte des aviateurs défunts. La biographie de Birago reproduit en effet une photographie de la classe quelques instants avant que ne débute la cérémonie. On y voit une place laissée libre sur laquelle on a posé le portrait de Birago. Surtout, on peut lire sur le tableau noir l’ordre du jour que nous transcrivons ici :

Cérémonie en l’honneur de la médaille d’or

DALMAZIO BIRAGO

PROGRAMME

1) Chant : Giovinezza

2) Discours de circonstance

3) Inauguration de la place [attribuée à Birago]

4) Appel du défunt

5) Lecture de la citation accompagnant la médaille d’or

6) Chant : La Canzone di Adua

7) Offre à la Patrie: poésie

8) Attribution du nom [de Birago] à la classe61

Sont ici réunis les éléments constitutifs de la liturgie fasciste du sacrifice et de la commémoration célébrée à l’occasion de la guerre d’Éthiopie : l’exaltation de la nouvelle Italie, jeune, talentueuse et dynamique dont le régime se prétend le créateur et que symbolise la chanson Giovinezza ; la solidarité entre les vivants et les morts de la communauté nationale, exprimée par l’appel rituel (« camarade un tel »), auquel les participants à la cérémonie répondent en chœur (« présent ! ») ; l’admiration des vertus héroïques du mort, l’incitation à en imiter la conduite exemplaire et le désir de vengeance que suscite la lecture de la citation accompagnant la décoration qui lui fut décernée à titre posthume :

Mécanicien mitrailleur à bord d’un trimoteur lors d’une action de bombardement et de mitraillage à basse altitude sur un gros parti d’Abyssiniens, il avait la cuisse gauche fracassée par une balle explosive. Malgré cela, il refusait d’abandonner la mitrailleuse, continuant à tirer des rafales bien ajustées sur l’ennemi. Il ne consentait à se laisser transporter au fond de la carlingue et à se faire bander le membre blessé que sur le chemin du retour, pendant lequel il poursuivait sa tâche de mécanicien, écrivant les dispositions à suivre pour le bon fonctionnement des moteurs, glorifiant la Patrie et se félicitant de la réussite de la mission. Aux félicitations, il répondait qu’il n’avait fait qu’accomplir son devoir. Soumis à une opération d’amputation, il demeurait fermement conscient et faisait preuve de courage viril jusqu’aux ultimes instants, invoquant le Roi, le Duce et la Patrie62.

L’ultime élément de cette liturgie est la proclamation de la revanche historique de l’Italie, qui par la campagne victorieuse de 1935-1936 efface la honte de la défaite essuyée à Adoua quarante ans plus tôt63, défaite que rappelle, pour souligner le contraste entre les faiblesses de l’Italie libérale et la puissance de l’Italie fasciste, la chanson patriotique dédiée aux victimes de la bataille livrée en mars 1896. De la sorte, le sacrifice des aviateurs tombés en Éthiopie non seulement renouvelle celui de leurs grands-parents morts à Adoua, mais il le dépasse à la fois par son issue victorieuse et grâce à l’efficacité de l’armée de l’Air, arme moderne par excellence et créature militaire préférée du régime fasciste, qui s’enorgueillit d’en être le fondateur.

Nul doute, dans ces conditions, que la rhétorique du sacrifice et de la commémoration propre au culte des aviateurs défunts ait une fonction symbolique de premier ordre dans le projet de fascisation de la nation, qu’à la faveur du conflit éthiopien Mussolini entend « opérer dans la chair des Italiennes et des Italiens pour les transformer en fascistes intégraux »64.

3.3. La pédagogie du deuil

Cette rhétorique ne contribue pas seulement à la diffusion d’une véritable mystique de l’imitation et de la vengeance des morts par les vivants, elle a aussi pour but d’éduquer les Italiens à l’idée et au spectacle du deuil, dans le cadre du processus de militarisation de la nation que le régime fasciste conduit inlassablement depuis ses origines. La distribution des récompenses décernées à titre posthume aux aviateurs défunts a un rôle fondamental dans cette pédagogie du deuil qui s’exerce régulièrement le 28 mars de chaque année, jour anniversaire de la fondation de l’armée de l’Air.

Les chroniques de presse et les reportages cinématographiques65 qui en illustrent le déroulement permettent d’en reconstituer avec certitude la somptueuse mise en scène. Jusqu’en 1931, la célébration de l’Annuale dell’Aeronautica a lieu dans la vaste cour intérieure de la caserne Cavour, en plein cœur de Rome. De grands drapeaux tricolores, mais aussi rouges, jaunes66 et surtout bleu ciel flottent sur de hauts pennons et le pourtour de la cour est tout entier orné de festons de lauriers en alternance avec de grands médaillons sur lesquels sont représentés des aigles aux ailes déployées, des aéroplanes ou bien encore le blason de la dynastie royale italienne. Un détachement d’aviateurs alignés sur une moitié de l’esplanade encadre la garde d’honneur qui escorte le drapeau de l’armée de l’Air. En face se trouvent les tribunes réservées aux autorités et aux invités, flanquées d’estrades sur lesquelles prennent place les représentants de l’armée de Terre et de la Marine, les membres des associations patriotiques ainsi que les attachés militaires étrangers.

À partir de 1932, la cérémonie se déroule dans un espace plus vaste, sur l’aérodrome du Littorio, à la périphérie de Rome67. Le décor y est encore plus imposant et fastueux que lors des éditions précédentes. Les tribunes disposées en un large demi-cercle au milieu de la piste sont drapées de velours orné de franges dorées. La tribune centrale réservée aux plus hautes autorités, gardée par un cordon de carabiniers en grand uniforme, est flanquée, à droite, de celle où prennent place les officiers des trois armes, à gauche, de celle qui accueille les familles des aviateurs qui doivent être décorés. Aux deux extrémités du demi-cercle se trouvent la tribune de la presse et celle des associations patriotiques. Face à elles sont disposées d’autres tribunes destinées au public. Entre ces deux rangées de tribunes se tiennent des détachements militaires et de jeunes fascistes, au milieu desquels flotte le drapeau de l’armée de l’Air accompagné de sa garde d’honneur. Plus loin, dernière les tribunes réservées au public, mais face à celle des autorités, des aviateurs en combinaison de vol sont alignés auprès de leurs appareils.

C’est donc dans un décor à la fois martial et festif que se déploie la pédagogie du deuil, dont l’envoyé spécial de La Stampa Ernesto Quadrone offre un exemple saisissant dans le récit qu’il fait de la cérémonie du 28 mars 1931 :

La tribune […] où étaient réunis des hommes et des femmes en vêtements de deuil était pleine à craquer. C’étaient les parents des défunts. Ils devaient recevoir des mains du Duce les insignes des décorations conquises par leurs chers disparus au prix du sacrifice suprême de la vie. Ce groupe de gens recueillis dans une attitude de douleur virile, tous les invités le saluent en signe de la plus vive déférence68.

Plus loin, Quadrone a recours à une rhétorique encore plus émotionnelle pour évoquer les instants de la remise des récompenses à titre posthume :

La liste s’ouvre sur un nom dont les syllabes sonores provoquent un frisson : Maddalena

Maddalena

69. Mais nous ne verrons pas l’inoubliable silhouette haute et longiligne du commandant monter, d’un air simple et modeste, les quelques marches tapissées de rouge.

Celui qui s’avance est un petit vieillard décharné que nous avons vu arriver quelques instants auparavant […] et qui semblait s’efforcer de dominer son intime commotion. Maintenant, le vieux et fort père de Maddalena, qui par certains traits du visage rappelle le grand fils disparu, a un aspect différent, comme s’il était illuminé par une expression presque orgueilleuse. Mussolini s’avance vers lui, applique sur sa poitrine la médaille d’or à la valeur aéronautique, le sert contre lui, lui donne l’accolade et l’embrasse avec effusion70.

Le chroniqueur évoque encore sur le même ton la remise des décorations aux proches d’une vingtaine d’autres aviateurs. Au total, les passages dédiés à la description du spectacle du deuil forment un ensemble d’environ une colonne, soit 40 % de l’espace réservé à l’article, qui s’étale sur un peu moins de deux colonnes et demie à cheval sur la première et la deuxième page du journal. En outre, le récit de la cérémonie est précédé d’un autre article disposé sur une colonne intitulé « Tous présents », qui confirme que le thème funèbre et la pédagogie du deuil occupent bien une place centrale dans la propagande relative à l’Annuale dell’Aeronautica :

Il suffit d’observer combien les citations sont diverses et l’extrême variété des actes de courage qui les motivent pour mesurer la complexité du courage dont un pilote doit faire preuve.

Il ne suffit pas de voler. Il ne suffit pas de vaincre l’égarement que provoque le fait de voler au-dessus d’une couche de nuages sans savoir ni où ni comment on pourra descendre ; il ne suffit pas d’improviser une acrobatie téméraire devant une paroi montagneuse qui se dresse à l’improviste face au nez de l’appareil ; il ne suffit pas d’atterrir avec un hydravion dans un champ de blé, il ne suffit pas d’amerrir en plein océan et de ne pas lancer de S.O.S. pour ne déranger personne, il ne suffit pas de sauter deux ou trois fois en parachute […].

Pour qu’un aviateur soit décoré il faut bien autre chose. Fait prisonnier, il tente de fuir bien qu’il soit blessé et les rebelles le tuent sauvagement ; il tombe en plein désert et se défend jusqu’à la mort ; il atterrit près d’un autre appareil et pour ne pas le heurter, il vire, glisse, tombe et meurt. C’est cela qu’il faut faire pour avoir droit à une belle médaille. Ou bien aussi survivre à son propre héroïsme mais non sans avoir accompli quelque chose d’épique : des centaines d’heures de vol au-dessus des colonnes ennemies, ravitailler nos troupes en plein combat, traverser l’Atlantique […]. Ce n’était pas pour rien si pendant la lecture des citations, le Duce avait les yeux brillants et Italo Balbo deux rides profondes aux coins de la bouche […]. Ce matin à la caserne Cavour, c’était comme si la voix qui lisait les citations avait appelé une volée de héros à descendre du ciel. Beaucoup n’ont pas répondu. Sans un mot et sans pleurs, les veuves, les pères et les enfants se sont approchés du Duce pour la plus affectueuse des accolades71.

Nous touchons ici à l’essence même de la liturgie du sacrifice et de la commémoration, qui nous paraît caractérisée par quatre éléments : premièrement, le courage n’est rien s’il n’est pas complété, prolongé et dépassé par un sens absolu du devoir en vertu duquel le risque mortel n’est pas seulement accepté, mais est en quelque sorte recherché comme le plus précieux des trophées ; deuxièmement, la plus belle médaille n’est pas celle qui récompense, de son vivant, l’auteur d’un authentique exploit, mais bien plutôt celle que l’on décerne à la mémoire d’un aviateur que l’issue fatale de sa mission ennoblit et transcende ; troisièmement, les parents du défunt se doivent de porter leur deuil avec dignité, sans s’abandonner à des pleurnicheries qui ne s’accorderaient pas avec la valeur du sacrifice consenti par le cher disparu ; enfin, l’accolade du Duce, véritable geste thaumaturgique censé effacer la mort (absorpta est mors in hoc complexo, pourrait-on écrire en paraphrasant la maxime dannunzienne relative à Baracca), prétend aussi annuler la douleur qui poigne les proches du défunt en leur attribuant, en guise de compensation au chagrin qui les afflige, une petite part de la gloire que celui-ci a su conquérir par son mérite personnel.

Le rôle de Mussolini au cœur de cette liturgie tout à la fois funèbre et festive est crucial. C’est en effet en vertu de la puissance non seulement symbolique mais également physique de sa présence (le rite thaumaturgique comportant par définition un contact direct entre celui qui le célèbre et les fidèles) que le deuil individuel et la souffrance qui en dérive sont éludés au profit d’une représentation spectaculaire de force collective : d’une part, parce que le sacrifice de chaque aviateur défunt doit apparaître comme un trophée qui contribue à la gloire croissante de l’armée de l’Air ; d’autre part, parce que le chagrin personnel des parents des disparus doit céder le pas à la fierté qu’ils éprouvent à l’instant où l’accolade paternelle et consolatrice du Duce leur ouvre les portes de la communauté aéronautique italienne.

Car ce sont bien les membres d’une communauté, tout à la fois concrète et mystique, qui se pressent dans les tribunes réservées aux veuves, aux enfants et aux parents auxquels Mussolini en personne remet chaque année les récompenses décernées à la mémoire des aviateurs victimes de leur devoir. Ce sont la reconnaissance publique de l’existence de cette communauté, la représentation des liens de solidarité qui unissent ses membres, l’image, enfin, des femmes, des enfants et des hommes vêtus de noir au contact physique du Duce, qui donnent au deuil toute sa valeur pédagogique : il importe en effet qu’aux yeux des Italiens, le deuil des aviateurs (spécialement celui des victimes tombées dans les conflits dans lesquels Mussolini entraîne le pays pour grandir le fascisme et mener à bien son projet de militarisation de la nation) puisse acquérir une valeur suffisamment positive pour donner l’impression, d’une part qu’il n’y a pas de plus beau destin que de servir le régime au péril de sa vie, d’autre part que l’appartenance au groupe solidaire des veuves, des orphelins et des parents endeuillés constitue une incomparable distinction.

Cette mystique de la communauté typique de l’idéologie fasciste est naturellement un thème d’élection de la propagande relative à l’Annuale dell’Aeronautica, comme en témoigne ce qu’écrit l’envoyé spécial de La Stampa à l’occasion de la cérémonie romaine du 28 mars 1933 :

À côté de l’estrade [sur laquelle sont réunis Mussolini et les plus hautes autorités] se tiennent les parents des défunts […] mais parmi eux il y a quelques personnes dont la présence en cet instant revêt une signification idéale et non point actuelle. Le ministre [Balbo] a en effet voulu que les parents des Héros de la guerre72 et ceux des glorieuses victimes des plus grandes aventures aéronautiques participassent à cette célébration solennelle. Nous voyons le père de Francesco Baracca, ceux de Natale Palli73, d’Umberto Maddalena, de Fausto Cecconi, de Novelli, d’Ambrosino ; dans la grande Famille aéronautique – qui n’oublie aucun de ses morts et qui tire sa raison d’être de l’enseignement des compagnons défunts –, la place d’honneur leur revient74.

C’est le même idéal que transmettent les photographies qui, à partir de 1936, illustrent les articles que La Stampa consacre à l’anniversaire de l’armée de l’air. On y voit en première page la veuve ou la mère d’un aviateur recevoir des mains de Mussolini la médaille décernée à titre posthume à son mari ou à son fils. L’impact de ces images doit renforcer dans le public celui que peuvent exercer le récit détaillé des gestes de bienveillance du Duce vis-à-vis des proches des défunts et la narration des manifestations de dévotion de ces derniers à son égard. Un article de La Stampa du 29 mars 1939 offre un excellent exemple de cette lancinante pédagogie du deuil que domine le magnétisme thaumaturgique que la propagande se plaît à attribuer à Mussolini :

Le Duce épingle la médaille d’or décernée à titre posthume au capitaine pilote Lamberto Fruttini sur la poitrine du jeune fils du héros qui se présente fièrement devant le Fondateur de l’Empire […]. Le Duce écoute attentivement la lecture des citations […] et a un mot de réconfort serein pour tous les décorés […]. Une maman s’incline pour baiser la main du Duce ; une autre s’éloigne en effleurant des lèvres la médaille d’or de son fils disparu […]. Une veuve se présente avec ses trois enfants, un Fils de la Louve et deux Petites Italiennes ; une autre avec son fils de deux ans, que le Duce soulève et embrasse75.

Cette propagande bien rôdée contribue à l’enrégimentement de la population, sans distinction d’âge ni de sexe, en diffusant l’idée que le fasciste accompli n’est pas seulement le jeune et valeureux aviateur qui ne recule pas face à l’éventualité de sa propre mort afin que se réalise le destin de puissance de l’Italie, mais que c’est aussi, d’une autre manière, moins glorieuse mais non moins digne de reconnaissance officielle, celle ou celui (femme, enfant, vieillard), qui trouve dans la fierté que suscite en lui le sacrifice de son cher disparu et dans l’accolade consolatrice du Duce la force de surmonter son chagrin et de porter son deuil comme on porte une rare distinction destinée à quelques élus.

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Notes

1 Gentile Emilio, La grande Italia. Ascesa e declino della nazione nel ventesimo secolo, Mondadori, Milan, 1997, p. 173. Retour au texte

2 Gentile Emilio, Fascismo. Storia e interpretazione, Laterza, Rome-Bari, 2002, p. 235. Trad. É. Lehmann. Retour au texte

3 Pour une réflexion d’ensemble sur les formes d’élaboration, privées et publiques, du deuil et de la diffusion du culte des morts au combat, nous renvoyons aux travaux désormais classiques de Mosse George L. (De la grande guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, Hachette, Paris, 1999) et de Winter Jay M. (Sites of memory, sites of mourning : the Great War in european cultural history, Cambridge University Press, Cambridge, 1995). Retour au texte

4 Dix biographies de Guynemer paraissent de 1918 à 1939. Retour au texte

5 Bordeaux Henry, Le chevalier du ciel. Vie héroïque de Guynemer, Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1930. Retour au texte

6 Éloge de Baracca prononcé à l’occasion de la Coupe Baracca en juin 1922. Le texte intégral du discours de Carlo Montù est reproduit dans Negro Piero, Nidi d’Aquila, Tipografia Cesare Valentino & C., Turin, 1927, pp. 90-94. La première édition de la Coupe, course aérienne d’un jour, eut lieu en 1921. Le vainqueur de l’épreuve reçoit une coupe d’argent massif ornée d’une statuette représentant une jeune femme ailée, allégorie de la Victoire. Retour au texte

7 « Guynemer », Il Popolo d’Italia, 21 juin 1918, p. 1. Retour au texte

8 « Agli aviatori italiani », Scritti e discorsi di Benito $Mussolini, Hoepli, Milan, 1934, vol. IV, Il 1924, p. 310. Repris dans L’aviazione negli scritti e nella parola del Duce, Ministero dell’aeronautica, Arti grafiche Navarra, Rome, 1937, pp. 71-72. Retour au texte

9 Contini Luigi, Francesco Baracca: l’asso italiano, Omero Marangoni, Milan, 1933. Retour au texte

10 Nous avons compté pas moins de trois rééditions dans les deux années qui suivent la première parution de l’ouvrage. Retour au texte

11 Bordeaux Henry, Le chevalier du ciel… op. cit., pp. 68-69. Retour au texte

12 « Éloge de Baracca », in Negro Piero, Nidi d’Aquila... op. cit., p. 90. Retour au texte

13 Ibid., pp. 91-92. Retour au texte

14 Bordeaux Henry, Le chevalier du ciel… op. cit., p 34. Retour au texte

15 « Éloge de Baracca », in Negro Piero, Nidi d’Aquila... op. cit., p. 92. Retour au texte

16 Contini Luigi, Francesco Baracca: l’asso italiano... op. cit., p. 329. Retour au texte

17 « Éloge de Baracca », in Negro Piero, Nidi d’Aquila... op. cit., p. 94. Retour au texte

18 Bordeaux Henry, Le chevalier du cielop. cit., p. 216. Retour au texte

19 Ibid., p 151. Retour au texte

20 « Éloge de Baracca », in Negro Piero, Nidi d’Aquila... op. cit., p. 93. Retour au texte

21 Bordeaux Henry, Le chevalier du ciel…op. cit., p. 305. Guynemer meurt le 11 septembre 1917. Retour au texte

22 Negro Piero, Nidi d’Aquila…op. cit., p. 103. Baracca est abattu le 19 juin 1918. Retour au texte

23 Pluviano Marco et Guerrini Irene (Baracca, una vita al volo. Guerra e privato di un mito, Gaspari, Udine, 2000, 184 p.) montrent que la correspondance de l’aviateur a été manipulée et édulcorée (les traces de ses passions pour les femmes et pour les chevaux ont notamment été gommées). En France, jusqu’à la parution du livre de Roy Jules (Guynemer. L’ange de la mort, Librairie générale française, Paris, 1990, 470 p.), l’image publique de Guynemer a longtemps subi le même type de censure pudibonde. Retour au texte

24 Isnenghi Mario, « Lo spettacolo eroico », L’Italia del Fascio, Giunti, Florence, 1996, p. 85. Retour au texte

25 Ibid., p. 87. Retour au texte

26 D’Annunzio Gabriele, Diari di guerra, 1914-1918, Mondadori, Milan, 2002. Retour au texte

27 La plupart ont paru dans le quotidien milanais Il Corriere della Sera. Ces textes ont été réunis par Laredo Di Mendoza Saverio, Gabriele D’Annunzio aviatore di guerra : documenti e testimonianze, Impresa editoriale italiana, Milan, 1931, pp. 347-394. Retour au texte

28 Extrait d’une déclaration de D’Annunzio au quotidien Il Popolo d’Italia, cité par Saverio Laredo di Mendoza, Gabriele D’Annunzio aviatore di guerra... op. cit., p. 451. Retour au texte

29 D’Annunzio Gabriele, Diari di guerra... op. cit., fragment n°40, p. 264. Retour au texte

30 D’Annunzio Gabriele, Notturno, extrait cité par Saverio Laredo di Mendoza, Gabriele D’Annunzio... op. cit., p. 125. Retour au texte

31 D’Annunzio Gabriele, « Parole dette davanti al feretro di Giuseppe Miraglia », 24 décembre 1916, ibid., p. 350. Retour au texte

32 D’Annunzio Gabriele, « Sul feretro di Francesco Baracca », 26 juin 1918, ibid., p. 387. Retour au texte

33 D’Annunzio Gabriele, « Saluto a Francesco Baracca », ibid., p. 461. Retour au texte

34 « Non dimentichiamo i nostri morti », La Gazzetta dell’aviazione, 1er mars 1921, p. 2. Retour au texte

35 Le quotidien turinois La Stampa consacre à l’événement l’intégralité de sa première page et une colonne de la deuxième dans son édition du 3 juin 1928. Voir aussi « La superba prova di Ferrarin Retour au texte

Ferrarin

e Del Prete », Aeronautica, juin 1928, pp. 506-507.

36 Nous avons puisé ces renseignements dans les colonnes de La Stampa, qui publie une quinzaine d’articles sur le sujet entre le 4 juillet et le 31 août 1928, et sur les pages de la revue Aeronautica (« Ferrarin e Del Prete volano dall’Urbe all’America latina », juillet 1928, pp. 570-572). Retour au texte

37 Voir par exemple les deux articles à la une de La Stampa : « L’ultima veglia sul mare » ; « Apoteosi nazionale nel cuore di Genova », 31 août 1928, p. 1. Retour au texte

« I funerali di Carlo Del Prete a Lucca », Giornale Luce A0165, septembre 1928 [en ligne] http://www.archivioluce.com [consulté le 9/01/2018].

ACS, Presidenza del Consiglio dei ministri (1928-1930), 3/2-4/4835, b. 1205.

38 « L’ultima veglia sul mare », La Stampa, 31 août 1928, p. 1. Retour au texte

39 Lucques, en Toscane, et Thiene, en Vénétie, cités natales de Del Prete et de Ferrarin. Retour au texte

40 Nous fondons cette description sur quatre sources: le reportage que La Stampa publie en première page le 31 août 1928 sous le titre « Apoteosi nazionale nel cuore di Genova » ; le télégramme envoyé par le préfet de Gênes au ministère de l’intérieur le 30 août 1928 en fin d’après-midi et celui que Balbo expédie à Mussolini en début de soirée, tous deux conservés dans le dossier cité de l’Archivio Centrale dello Stato et le reportage cinématographique de l’Institut Luce, qui pour moitié montre la cérémonie génoise. Retour au texte

41 Nos sources sont ici La Stampa (quinze articles du 18 décembre 1930 au 15 janvier 1931) ; « La trasvolata atlantica Roma-Brasile », Aeronautica, janvier 1931, pp. 5-10 ; « Le fasi del raid nei commenti di SE. Balbo », ibid., pp 11-18 ; « I piloti della Squadra atlantica », L’Ala d’Italia, mai 1932, pp. 15-25. Retour au texte

42 « Il messaggio del Duce agli eroi dell’Atlantico », La Stampa, 16 janvier, p. 1. Retour au texte

43 « Balbo legge il messaggio del Duce e abbraccia uno ad uno i suoi eroici compagni », La Stampa, 17 janvier 1931, p. 1. Retour au texte

44 « Alla memoria dei caduti “atlantici” », Aeronautica, mai 1931, pp. 308-310. Retour au texte

45 Ibid., p. 310. Retour au texte

46 La Tripolitaine est pacifiée entre 1924 et 1928, la Cyrénaïque n’est définitivement contrôlée qu’à partir de 1931. Retour au texte

47 Cette cérémonie se déroule à Rome, à la caserne Cavour, le 25 mai 1928, jour anniversaire de l’intervention de l’Italie dans la Première Guerre mondiale. La presse la mentionne brièvement. Voir par exemple « Mussolini fregia la bandiera dell’Aeronautica », La Stampa, 25 mai 1928, p. 1 ; « La Bandiera dell’Aviazione Coloniale decorata », L’Ala d’Italia, juin 1928, p. 544. Retour au texte

48 Sur le fonctionnement des bureaux de presse institués à Asmara (Erythrée) et à Mogadiscio (Somalie) et sur les modalités de confection et de contrôle de l’information, nous renvoyons à l’étude d’Enrica Bricchetto, La verità della propaganda, Unicopli, Milan, 2004. Voir en particulier le chapitre II,  La macchina dell’informazione, pp. 67-95. Retour au texte

49 Ancien secrétaire fédéral du Parti national fasciste à Florence, il est député et président de la Confédération nationale des syndicats fascistes des professions libérales et des artistes. Retour au texte

50 Nous puisons ici nos renseignements dans la presse: « La medaglia d’oro del sergente motorista Birago », La Stampa, 22 novembre 1935, p .1 ; « Motorista Birago », Il Bianco e Rosso, giornale mensile del Dopolavoro FIAT, 30 novembre 1935, p. 1. Voir aussi l’opuscule de propagande : Gaggero Rosetta, L’eroe azzurro. Dalmazio Birago, S.I.T., Rome-Turin, 1935. Retour au texte

51 La Stampa, 3 janvier 1936, p. 1. Retour au texte

52 « L’ondata di sdegno in tutta Italia per il selvaggio assassinio del pilota Minniti », La Stampa, 4 janvier 1936, p. 1. Retour au texte

53 Ibid., p. 1. Retour au texte

54 On en trouve le texte intégral dans le livre où Alessandro Pavolini raconte son expérience du conflit éthiopien: Disperata, Vallecchi, Florence, 1937, pp. 58-59. Retour au texte

55 « Le vittime della barbarie etiopica », Auto Moto Avio, 15 janvier 1936, p. 65. Retour au texte

56 « L’Etiopia nemico fuori legge », La Stampa, 3 janvier 1936, p. 1. Retour au texte

57 Gaggero Rosetta, L’eroe azzurro. Dalmazio Biragoop. cit. Retour au texte

58 Il s’agit de l’Académie aéronautique de Caserte, dont les élèves s’entraînent au pilotage sur le terrain d’aviation de Capoue. Retour au texte

59 Gaggero Rosetta, L’eroe azzurro... op. cit., p. 48. Retour au texte

60 Cette base fut choisie au début de 1928 pour accueillir la Scuola alta velocità destinée à l’entraînement de pilotes spécialisés dans le vol à grande vitesse sur des hydravions conçus et équipés pour participer à la fameuse Coupe Schneider. Le premier vol expérimental eut lieu en avril 1928. Après l’attribution définitive de la Coupe au Royaume-Uni en 1931, l’école est transformée en Reparto alta velocità, lequel poursuit son activité jusqu’en 1954. Voir l’ouvrage collectif: Il Reparto alta velocità, S.A.N., Turin, 1954. Retour au texte

61 Gaggero Rosetta, L’eroe azzurro... op. cit., p. 35. Retour au texte

62 « La medaglia d’oro… », La Stampa… op. cit., 22 novembre 1935, p. 1. Retour au texte

63 La tentative italienne de pénétration en Afrique nord-orientale commence en juillet 1882, lorsqu’une colonie est établie sur la côte africaine de la mer Rouge, dans la baie d’Assab. Huit ans plus tard, l’Italie contrôle l’Érythrée, étend son influence sur la côte des Somalis et prétend imposer son protectorat à l’Éthiopie. C’est pour faire plier le gouvernement éthiopien qu’une colonne de vingt mille hommes pénètre dans ce pays au début de l’année 1896. Mais le 1er mars, à Adoua, elle est sérieusement battue par une force quatre fois supérieure en nombre. C’est le fameux désastre d’Adoua, qui brise les ambitions italiennes de mainmise sur l’Éthiopie. Retour au texte

64 Gentile Emilio, La grande Italia. Ascesa e declino della nazione... op. cit., p. 173. Retour au texte

65 L’Istituto Luce y consacre une vingtaine de reportages entre 1929 et 1940. Retour au texte

66 Le rouge et le jaune sont les couleurs de Rome. Retour au texte

67 À trois exceptions près : en 1933, pour le dixième anniversaire de l’armée de l’Air, les aviateurs défilent sur la Via dell’Impero et la remise des décorations se déroule devant la basilique de Maxence ; en 1934, la cérémonie a pour cadre l’aéroport de Centocelle, au nord de Rome ; en 1939, enfin, le rite s’accomplit place de Venise, sur l’autel de la patrie. Retour au texte

68 « Gli eroici aviatori d’Italia decorati dal Duce - La cerimonia », La Stampa, 29 mars 1931, p. 1. Retour au texte

69 Umberto Maddalena s’était rendu célèbre notamment par un raid aérien de douze mille kilomètres à travers l’Europe en 1927, par la conquête du record du monde de distance et de durée en vol en 1930 et, enfin, par sa participation à la première croisière atlantique conduite par Balbo, où il fut commandant en second. Il s’abîme en mer au large de Marina di Pisa le 19 mars 1931, en compagnie de ses équipiers, le lieutenant Fausto Cecconi et le sous-lieutenant Giuseppe Damonte. Retour au texte

70 « Gli eroici aviatori d’Italia... », La Stampa… op. cit., 29 mars 1931, p .1-2. Retour au texte

71 « Tutti presenti », La Stampa, 29 mars 1931, p. 1. Retour au texte

72 La Première Guerre mondiale. Retour au texte

73 Pilote de D’Annunzio lors du survol de Vienne le 9 août 1918. Retour au texte

74 « Sulla via dell’Impero », La Stampa, 29 mars 1933, p. 1. Retour au texte

75 « L’imponente rito guerriero di Roma per la celebrazione dell’annuale dell’Aeronautica », La Stampa, 29 mars 1939, p. 1. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Éric Lehmann, « La rhétorique fasciste du sacrifice et la commémoration des aviateurs », Nacelles [En ligne], 4 | 2018, mis en ligne le 20 juin 2018, consulté le 02 mai 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/456

Auteur

Éric Lehmann

Enseignant au Lycée français de Turin

Docteur en Histoire (Université de Paris X-Nanterre)

lehmann.eric@lgturin.it

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