Traduire et retraduire Maeterlinck : un exemple en langue allemande

Rencontre avec Stefan Gross

Résumés

In this paper, we focus on the work of Stefan Gross, German translator and expert on Nobel Prize-winning Belgian author (1911), Maurice Maeterlinck (1862-1949). Why did Gross retranslate the symbolist author's “first period” when Maeterlinck was so satisfied with the work of his official German-speaking translator, Friedrich von Oppeln-Bronikowski? How did Gross’ background, both personal and academic influence his work? We had the opportunity to ask Stefan Gross directly, as he welcomed us to his home in Aachen, a town located in the so-called Dreiländereck he cherishes.

Dans cet article, nous nous intéressons à la figure de Stefan Gross, traducteur et spécialiste allemand du lauréat belge du prix Nobel de littérature (1911) Maurice Maeterlinck (1862-1949). Pourquoi avoir retraduit le « premier théâtre » de l’auteur symboliste alors que ce dernier était très satisfait du travail de son traducteur officiel pour l’allemand, Friedrich von Oppeln-Bronikowski  ? En quoi les origines de Gross, mais également son parcours académique ont-ils exercé une influence sur son travail  ? Ces questions, nous avons pu les poser à Stefan Gross qui nous a reçue chez lui, à Aix-la-Chapelle, ville située dans ce Dreiländereck si cher au traducteur.

Plan

Texte

Introduction

La fin du XIXe siècle correspond à l’«  âge d’or  » de la littérature belge, et l’on doit l’essor de celle-ci à des auteurs symbolistes d’expression française tels Émile Verhaeren, Georges Rodenbach ou encore Maurice Maeterlinck, ainsi qu’à des représentants du naturalisme comme Camille Lemonnier et Georges Eekhoud. Affranchie dès 1830 de l’autorité néerlandaise, la nation belge voit le jour «  sur ce territoire spécial, sur ce triangle géographique formant carrefour entre trois nations typiques parmi toutes : la France, l’Allemagne, l’Angleterre » (PICARD, 1897, 595). Pour l’écrivain et avocat Edmond Picard qui introduit le motif de l’«  âme belge  », c’est de cette caractéristique géographique que les lettres belges tirent leur spécificité, car «  l’âme belge, multiple par les facteurs qui l’ont engendrée et influencée […] semble désormais unique en son essence, procédant de l’âme germanique et de l’âme latine […]  » (PICARD, 1897, 595). Cette ambivalence va servir la production littéraire, alors francophone, de la jeune nation. La scène littéraire belge, considérée comme périphérique par rapport à la scène hexagonale entièrement dominée par Paris (comme l’écrivait François Villon, « Il n’est bon bec que de Paris »), n’aura de cesse de se démarquer, de résister au centre, à « l’oligopole culturel parisien », en adoptant une approche qualifiée par Jean-Marie Klinkenberg de «  centrifuge  » qui vise à marquer sa différence (DENIS, KLINKENBERG, 2014, 91 et KLINKENBERG, 1981, 41). Cette singularisation repose sur le «  rejet symbolique de la culture française et la survalorisation symbolique de la nordicité  » (DENIS, KLINKENBERG, 2014, 106), ce qui, paradoxalement, permettra à la littérature francophone de Belgique1 de se faire une place à Paris.

Cette image d’Épinal de la Belgique comme carrefour de langues et de cultures germaniques et latines occulte le fait que le français représentait alors la langue des élites et que le flamand était une langue minorisée. Avec l’émergence du mouvement flamand, certains auteurs préféreront d’ailleurs parler de «  cultures belges  » au pluriel. Celles-ci n’auront de cesse de s’autonomiser avec les différentes phases de fédéralisation de l’État belge initiées dès les années 1970, à tel point que la production littéraire de chaque communauté connaîtra bien des difficultés à traverser la frontière linguistique. Dans un ouvrage bilingue intitulé Littératures en Belgique/Literaturen in België (nous soulignons ici l’usage du pluriel), il est dressé le constat suivant (CETRA, 2004, 108) :

La Belgique des spécialistes de la littérature serait-elle appelée un jour à se rendre compte que son objet d’étude n’a jamais été vraiment monolingue  ? Nous disposons d’une riche bibliographie – principalement francophone dans sa conception et due à deux Allemands (Gross et Thomas, 1989) – au sujet des rapports culturels à l’intérieur des cultures belges […]

Il faut donc attendre le travail de médiation – entreprise qui appelle à dépasser les résistances – de deux Allemands pour commencer à faire dialoguer les deux plus importantes communautés linguistiques du pays2. Les travaux de Stefan Gross et Johannes Thomas connaîtront une postérité lorsque sort en 2014 une Historiographie de la littérature belge qui «  entend ainsi s’inscrire dans la continuité du travail de Gross et Thomas […]  », deux auteurs qui ont eu le mérite «  d’avoir mis à la disposition des chercheurs une importante documentation sur “les concepts nationaux de la littérature” en Belgique.  » (DOZO, PROVENZANO, 2014, 9) Ce rôle de passeur intrabelge se double dans le chef de Gross de celui de médiateur «  extrabelge  », lui qui endosse les atours du traducteur en traduisant vers l’allemand, parfois avec le concours de sa sœur Susanne Gross (Stefan Gross traduit également sous le pseudonyme féminin de Claudia Klostermann), des œuvres de Franz Hellens, Maurice Maeterlinck ou encore Paul Willems. C’est surtout l’œuvre de Maeterlinck qui occupe Gross, lui qui s’attelle à la retraduction de la quasi-entièreté de ce que la critique a coutume d’appeler le «  premier théâtre3 » de l’auteur belge. Tout au long de son travail traductif, Gross se heurte à une double résistance. En effet, il fait publier ses traductions à un moment pourtant où les drames symbolistes de Maeterlinck seraient, depuis un certain temps déjà, passés de mode (TODOROV, 1978, 83-84), de même que ses traductions paraissent près de quatre-vingt-cinq ans après les premières traductions réalisées par le traducteur officiel de Maeterlinck, Friedrich von Oppeln-Bronikowski. Décrites par certains critiques comme « d’excellentes traductions » (WARMOES, 1961, 34), Gross juge pourtant celles-ci ratées et opère un véritable travail de « traduction-réaction » à leur encontre.

Stefan Gross, passeur de l’«  âme belge  » de Maeterlinck en Allemagne 

Parcours académique et influences

Les liens qui unissent Stefan Gross à Maeterlinck et par extension à la Belgique sont bien entendu d’ordre académique et professionnel, mais revêtent avant tout une dimension affective liée aux racines mêmes de Gross. Celui-ci naît en octobre 1954 à Aix-la-Chapelle (Aachen), dans une région que l’on nomme en allemand Dreiländereck (tripoint frontalier entre la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas). Rappelant le cas de la Belgique, « triangle géographique » (PICARD, 1897, 595), ce Dreiländereck, à la croisée de différents mondes, langues et cultures, ne sera pas sans influence sur Gross. Le traducteur se décrit lui-même comme un frontalier et même s’il ne parle pas le néerlandais, il considère bien entendu l’Allemagne, mais aussi la Belgique et les Pays-Bas comme sa Heimat, terme allemand réputé «  intraduisible  » qui évoque tout à la fois le foyer et la patrie. Petit déjà, il a l’habitude de traverser la frontière, ne fût-ce que pour acheter des cigarettes bon marché dans la ville belge germanophone de La Calamine (Kelmis). Le français, Gross l’apprend en primaire. Pour ainsi dire bilingue à la fin du collège, il lit dès ses 14 ans «  dans le texte  » des auteurs belges comme De Coster, Hellens ou Maeterlinck. À cet âge, rien de plus normal pour un frontalier comme Gross que de se tourner vers des écrivains du plat pays pour découvrir la littérature de langue française. Gross entame ses études supérieures dans sa ville natale, à la RWTH Aachen où il suit un cursus de philologie romane (français, espagnol) et de littérature générale et comparée (Romanistik und Allgemeine und vergleichende Literaturwissenschaft). La rencontre avec le professeur belge Hugo Dyserinck, alors directeur du département de littérature comparée (Komparatistik) sera déterminante. Gross salue les grandes aptitudes pédagogiques du maître qui ne manquera pas de l’influencer dans ses travaux consacrés aux rapports culturels belgo-belges (GROSS, THOMAS, 1989). Son intérêt pour les lettres du plat pays, Gross l’approfondit en assistant durant son cursus universitaire un enseignant en littérature francophone de Belgique. C’est à ce moment qu’il redécouvre Hellens, De Coster, ou encore Maeterlinck à qui il consacre sa thèse de doctorat (Dissertation), défendue en 1984 et intitulée Maurice Maeterlinck oder der symbolische Sadismus des Humors : Studie zum Frühwerk mit angehängten Materialen4 (GROSS, 1985). Afin d’approfondir ses recherches sur l’auteur symboliste, Stefan Gross reçoit une bourse postdoctorale du DAAD, l’office allemand d’échanges universitaires. Il a alors pour mission de dépouiller les Carnets de travail de Maeterlinck au sein du centre d’archives des AML (Archives et Musée de la Littérature), hébergé dans la Bibliothèque Royale de Belgique (KBR). Ses activités de recherche, Gross les mène en parallèle à une carrière de collaborateur scientifique (wissenschaftlicher Angestellter) puis de maître de conférences (Dozent) en langues française et espagnole qu’il entame dès 1980 à l’Université de Paderborn. Il y fera une grande partie de sa carrière dans le département de philologie romane (Institut für Romanistik), où il enseignera en qualité de professeur des universités (Professor Doktor) la langue et la culture françaises et espagnoles après avoir rédigé son habilitation consacrée à l’œuvre du réalisateur espagnol Buñuel (GROSS, 1998), jetant ainsi des ponts entre symbolisme et surréalisme. Gross a toujours su garder des liens étroits avec la Belgique, en travaillant notamment sur de nombreux projets en collaboration avec l’université de Liège  ; ou encore au sein de l’université de Paderborn qui abrite le seul centre consacré à la littérature et la culture belges en Allemagne (Belgienzentrum, BELZ, Universität Paderborn). Aujourd’hui, Stefan Gross vit toujours à Aix-la-Chapelle, sa ville natale située dans le Dreiländereck, cet espace frontalier qui se joue des frontières (ou qui résiste à celles-ci  ?), et nous l’avons rencontré afin qu’il nous parle de sa fascination pour l’œuvre de Maeterlinck, seul récipiendaire belge du prix Nobel de littérature (1911), ainsi que de son travail de traducteur, de passeur de l’âme belge en Allemagne.

Maeterlinck en Allemagne

Quand Stefan Gross fait publier dans deux ouvrages ses retraductions d’œuvres appartenant au «  premier théâtre  » de Maeterlinck (MAETERLINCK, 1983) – il s’est également essayé à la traduction du recueil symboliste Serres chaudes (MAETERLINCK, 1889), avant d’abandonner le projet – Maeterlinck est loin d’être un inconnu dans les pays germanophones. En Allemagne, mais en Autriche surtout, l’auteur a joui d’une «  fortune exceptionnelle  » (GORCEIX, 1978, 44) qui doit beaucoup à la publication en 1891 d’un manifeste intitulé Die Überwindung des Naturalismus (BAHR, 1891) – Le Dépassement du naturalisme pour la traduction française5 (BAHR, 2006, 129) –, que l’on doit à l’écrivain, critique littéraire et intellectuel autrichien Hermann Bahr, alors en quête de nouveautés capables de renouveler la littérature de langue allemande «  enlisée dans le naturalisme  » (GORCEIX, 2005, 33). Bahr voit dans la personne de Maeterlinck celle d’un «  nouveau maître  » (GORCEIX, 1978, 43) dont la modernité offre une résistance au naturalisme et qui va influencer toute une génération «  immédiatement cadette  » de jeunes auteurs d’expression allemande tels Hugo von Hofmannsthal, Thomas Mann, Hermann Hesse, Rainer Maria Rilke, etc., qui «  sont clairement en quête de certains modèles littéraires et humains, pour les soutenir dans leur apprentissage de la littérature, et recherchent le contact avec la personne et surtout avec l’œuvre incarnant pour eux une pensée novatrice  » (ROLAND, 2012, 168). La présence et l’influence de Maeterlinck dans l’œuvre de ces auteurs ont d’ailleurs été étudiées par Gross (GROSS, 1985) qui a compilé dans un ouvrage des écrits que ceux-ci ont consacrés au Nobel belge6. Digne représentant de la Weltliteratur théorisée par Goethe (et dont l’œuvre a été distinguée par un prix Nobel, indice d’internationalisation s’il en est, JURT, 2018, 5), Maeterlinck inspire et est par conséquent rapidement traduit vers l’allemand. La fin du XIXe siècle voit en effet un accroissement sans précédent des échanges interculturels, ainsi que la création d’un espace littéraire transnational (CASANOVA, 1999) au sein duquel les traductaires «  constituent autant de vecteurs de transferts  » (ESPAGNE, 2013, 2) dont le rôle de médiateurs culturels est prépondérant. Comme l’écrit Antoine Berman, la traduction devient «  l’acte sui generis qui incarne, illustre et aussi permet ces échanges [interculturels et internationaux] sans en avoir bien entendu le monopole  » (BERMAN, 1995, 89). Grâce aux travaux de Dirk Strohmann qui a analysé dans les moindres détails la réception de Maeterlinck dans les pays de langue allemande entre 1891 et 1914 (STROHMANN, 2006), nous avons un aperçu quasi exhaustif de tous les traductaires qui ont travaillé à partir des textes maeterlinckiens. Celui dont le nom revient le plus grand nombre de fois est Friedrich von Oppeln-Bronikowski (ci-après VOB), qui deviendra le traducteur officiel de Maeterlinck et avec lequel celui-ci entretiendra une importante correspondance qui ne connaîtra d’interruption que pendant la Première Guerre mondiale. La question qui se pose dès lors est la suivante : pourquoi avoir retraduit l’œuvre de Maeterlinck, alors que ce dernier disposait déjà d’un traducteur officiel dont le travail le satisfaisait pleinement  ? En effet, dans les échanges épistolaires entre Maeterlinck et VOB (ceux-ci s’échelonnent du 28 février 1898 au 8 mars 1935 et ne comptent pas moins de 253 lettres, WARMOES, 1961, 34), Maeterlinck loue le travail de son traducteur et ami qui devient le seul traducteur autorisé de ses œuvres, à tel point que tout ouvrage qui ne serait pas traduit par ses soins ne pourrait paraître en allemand : «  en aucun cas, je ne donnerais à quelque autre l’autorisation de le traduire  » (lettre du 14 novembre 1900, WARMOES, 1961, 50). Maeterlinck écrit : «  Je me félicite chaque jour davantage d’avoir trouvé en Allemagne un ami et un collaborateur aussi dévoué et aussi loyal » (Lettre du 10 août 1901, WARMOES, 1961, 53). Mais la qualité des traductions n’est pas ce qui préoccupe le plus le Nobel belge. Par exemple, même si Maeterlinck juge la traduction allemande de la pièce Monna Vanna «  très belle et très fidèle  » (lettre du 1er octobre 1902, WARMOES, 1961, 56), il concède toutefois ne pas connaître «  la langue allemande assez à fond pour pouvoir faire à la traduction des corrections ou des améliorations  » (WARMOES, 1961, 39). Bien qu’il traduise Novalis, Maeterlinck n’aurait qu’une connaissance incomplète de l’allemand, ce que confirment les recherches de Raymond Pouilliart (POUILLIART, 1962) ainsi que celles de Hubert Roland (ROLAND, 2013), qui se sont tous deux intéressés au travail de traducteur de Maeterlinck. Le constat de Gross est identique : même si chez les Maeterlinck, «  on avait décidé que nous apprendrions l’anglais et l’allemand outre le français qui était notre langue maternelle, sans parler du flamand réservé pour les rapports avec les domestiques  » ​(MAETERLINCK, 1948, 36), l’allemand était une langue que Maeterlinck ne maîtrisait pas complètement. C’est donc dans leur version anglaise que le Belge découvre les contes des frères Grimm dont il s’inspire pour écrire, entre autres, La Princesse Maleine (Princess Maleen dans la version anglaise du conte allemand). De l’avis de Gross, Maeterlinck était un auteur tellement prolifique entre les années 1889 et 1896 (parution des œuvres de son «  premier théâtre  », des traductions de Novalis et de Ruysbroeck l’Admirable, des recueils Serres chaudes et Douze Chansons ainsi que de l’essai mystique du Trésor des Humbles), qu’il n’a pas de temps de corriger les épreuves des traductions qui lui sont soumises  ; et même si dans ses échanges avec VOB Maeterlinck évoque la question de la fidélité comme l’une des exigences inhérentes à l’activité traductive, l’on se rend vite compte que ce n’est pas la seule : le traducteur doit travailler rapidement – il demande en effet si la traduction de L’Oiseau bleu peut se faire en un mois (lettre du 14 décembre 1905, WARMOES, 1961, 64) – de même que l’impératif de fidélité est peu à peu remplacé par des exigences qui relèvent davantage de l’activité publicitaire quand l’auteur belge laisse à son traducteur le choix d’un titre «  qui lui semble faire le meilleur effet en allemand  » (lettre du 10 septembre 1906, WARMOES, 1961, 68). Cette lettre dénote plusieurs choses : tout d’abord, la confiance totale qu’il accordait à son traducteur, mais également, le peu de contrôle qu’il exerçait sur ses traductions. En parcourant les échanges entre Maeterlinck et VOB, l’on constate rapidement que ce qui préoccupe le plus le dramaturge a trait à la cession des droits d’auteur et de traduction et à le lire, le partenariat avec VOB tiendrait plus à la probité de ce dernier qu’à ses talents d’écriture :

Rien ne sortira de ma plume que je ne vous l’offre d’abord, car je dois le reconnaître  ; avant votre heureuse rencontre j’avais à me louer si peu de la délicatesse de mes traducteurs allemands (qui, à l’exception de Mme Marie Lang, laquelle a été parfaitement honnête, ne m’ont jamais payé un centime) que dis-je, j’avais résolu de ne plus autoriser aucune traduction allemande. (Lettre du 10 septembre 1899, WARMOES, 1961, 34)

La prééminence donnée par Maeterlinck à des considérations principalement pécuniaires rappelle que la traduction littéraire est un «  art  » qui s’insère, au sein de cet espace littéraire international, dans un marché de biens symboliques qui répond à ses propres critères économiques (HEILBRON, SAPIRO, 2002, 3), car en ce début de XXe siècle,

[…] les échanges littéraires dépendent aussi d’un ensemble d’agents spécifiques du champ littéraire, auteurs, traducteurs, critiques auxquels le travail fondé sur des ressources linguistiques et sociales propres procure des profits matériels et symboliques. (HEILBRON, SAPIRO, 2002, 5)

Le fait donc que Maeterlinck ait déjà eu un traducteur «  officiel  » ne décourage en rien l’entreprise de Gross, car la relation qu’entretenaient à ses yeux les deux protagonistes était certes d’ordre amical, mais également pragmatique et liée à des impératifs éditoriaux ainsi qu’à des questions de royalties. Et s’il décide de retraduire Maeterlinck, c’est surtout parce qu’il considère que les traductions de VOB ne rendent pas justice à l’œuvre du Nobel belge.

Gross et Maeterlinck : la «  traduction-réaction  »

Le travail de retraduction qu’opère donc Stefan Gross sur les œuvres de jeunesse est motivé par un impératif de résistance, la nécessité d’une opposition sous la forme d’une traduction-réaction. Celle-ci est une illustration parfaite du modèle téléologique de la retraduction d’Antoine Berman (BERMAN, 1990) qui postule que chaque retraduction se veut «  meilleure  » que la précédente. Pour Berman, influencé par Goethe7, toute première traduction est frappée de défaillance, «  c’est-à-dire simultanément l’incapacité de traduire et la résistance au traduire  », et la retraduction « surgit de la nécessité non certes de supprimer, mais au moins de réduire la défaillance originelle » (BERMAN, 1990, 5). Même si Gross ne remet pas en doute les talents d’auteur (Aus dem Sattel geplaudert und Anderes, Der Rebell, etc.), d’historien et d’opposant à l’antisémitisme (Antisemitismus ? Eine unparteiische Prüfung, Die Blaue Blume. Eine Anthologie Romantischer Lyrik, etc.), ainsi que de traducteur de VOB (Balzac, Rodenbach, De Coster, Stendhal, pour ne citer qu’eux), il estime toutefois que ce dernier n’a pas compris la poétique maeterlinckienne des débuts et oppose de nombreux griefs aux traductions des pièces qui relèvent du «  premier théâtre  » de Maeterlinck. De l’avis du spécialiste, la plus grosse erreur de VOB est de ne pas avoir tenu compte du fait que l’extrême sobriété de cette langue, qualifiée par la critique de presque «  indigente  », est l’un des grands traits stylistiques qui fondent la poétique de Maeterlinck. Le traducteur ne serait pas parvenu à rendre la nudité, le dépouillement des œuvres maeterlinckiennes. La simplicité de surface des dialogues est là pour rappeler que ce n’est pas tant dans ce que se disent les protagonistes que le drame se joue, mais davantage dans ce qu’ils taisent, faisant ainsi du silence «  le véritable lieu où le sens se construit  » (LAOUREUX, 2000, 109).

Voici quelques exemples représentatifs8 :

VANOX
On dit que ces étoiles à longue chevelure annoncent la mort des princesses.

VOB

Gross

VANOX:

Man sagt, dass Sterne mit so langem Haarschweif den Tod von Fürstentöchtern künden.

«  Fürstentöchtern  » (litt. «  fille de prince  ») est ici utilisé comme synonyme de «  princesse  ».

VANOX:

Man sagt, solche Sterne mit langem Schweif kündigen den Tod der Prinzessinnen an.

LA NOURRICE
[…] Il y a du soleil entre le mortier  ! Venez voir  ! Il y en a sur ma robe  ! Il y en a sur mes mains  ! Il y en a sur votre visage  ! […]

VOB

Gross

DIE AMME :

[…] Die Sonne scheint durch den Mörtel ! Kommt, seht doch ! Sie scheint auf meinen Rock ! Sie scheint auf meine Hände ! Sie scheint auf Euer Antlitz ! […]

«  Antlitz  » est un terme considéré par le Duden, le dictionnaire de référence en allemand, comme «  poétique  ». VOB opère ici un saut de registre assez marqué.

DIE AMME :

[…] Es ist Sonne zwischen dem Mörtel ! Kommt es Euch ansehen ! Sie ist auf meinem Kleid ! Sie ist auf meinen Händen ! Sie ist auf Eurem Gesicht  ! […]

Véritablement érigé en poétique du silence (DESSONS, 2016, 63), le «  premier théâtre  » de Maeterlinck se caractérise également par une ponctuation omniprésente qui fait la part belle aux points de suspension comme manifestation visible de ce silence diffus.

Le dialogue, avec lui [Maeterlinck], quitte la surface, descend et se développe au niveau des mouvements intérieurs. Les personnages s’excusent presque de parler, l’essentiel est plus dans les silences, les soupirs, les points de suspension, la ponctuation. (BEAUNESNES, 2001)

Le critère du respect des points de suspension est intéressant, car il illustre bien la démarche philologique qui anime l’entreprise de Gross. De son propre aveu, l’Allemand se présente comme un traducteur sourcier et privilégie la fidélité littéraire. Par exemple, pour sa traduction du premier drame de Maeterlinck, La Princesse Maleine, il travaille à partir du texte de la première édition collective qui paraît chez Lacomblez en 1901 (MAETERLINCK, 1901), mais en ce qui concerne la ponctuation, il semble suivre celle de l’édition publiée chez Fasquelle en 1918 (MAETERLINCK, 1918)  ; à savoir la dernière version à être retravaillée par l’auteur. Comment l’expliquer  ? Maeterlinck disait de sa Princesse qu’elle était une «  œuvre un peu barbare des débuts  » (lettre du 19 février 1900, WARMOES, 1961, 45), mais pour Gross, l’œuvre n’est en rien un balbutiement, tout ce qui fera la poétique de Maeterlinck est déjà là, dans le texte. Il rajoutera cependant dans sa traduction des points de suspension  ; signes de ponctuation qui atteindront leur «  valeur pleine  » (DESSONS, 2016, 165) avec Pelléas et Mélisande9 et que l’on retrouve en plus grand nombre dans l’édition Fasquelle de 1918. C’est comme si Gross voulait créer une œuvre qui correspondrait en tout point aux critères stylistiques que le chercheur connaît bien, mais ce faisant, il compose une œuvre que l’on pourrait considérer comme artificielle : en palliant les supposées lacunes de l’original, il recrée un texte qui n’a plus d’équivalent en langue source. Pourquoi s’être alors basé sur l’édition de 1901 et non sur celle de 1918, qui correspondrait davantage aux dernières volontés de Maeterlinck  ?

Exemples :

LE ROI
Moi  ? — Je ne suis pas triste mais je deviens très vieux. (Édition Lacomblez, 1901)
Moi  ? — Je ne suis pas triste mais je deviens très vieux… (Édition Fasquelle, 1918)

Gross

DER KÖNIG:

Ich ? – Ich bin nicht traurig, aber ich werde sehr alt…

LE ROI.
Tout le monde est malade en venant ici. (Édition Lacomblez, 1901)
Tout le monde est malade en venant ici… (Édition Fasquelle, 1918)

Gross

DER KÖNIG :

Jeder, der hier ankommt, ist krank…

Pour Gross, la «  résistance au traduire  » s’illustre également chez VOB par la suppression des répétitions, un des artifices auxquels Maeterlinck recourt pour créer ce qu’il appelle un théâtre de «  fantoche  » qui voit se produire des personnages désincarnés et livrés à un destin funeste. La conception maeterlinckienne du dialogue, cette «  succession alogique des tirades, [ces] répétitions de mots, points de suspension et formes impersonnelles font progressivement de la langue un véhicule indépendant de son organe d’énonciation. Cette conception du langage […] réduit en cendres l’autonomie du sujet » (LAOUREUX, 2000, 109). Intrinsèquement liées à la poétique de l’auteur, les répétitions chez Maeterlinck seraient, de l’avis de Gross, chaque fois porteuses d’une signification nouvelle, dont il importe de laisser l’interprétation ouverte, tout comme pour les questions sans réponse présentes dans de nombreux «  échanges  » entre les personnages. Dans notre examen comparatiste, nous n’avons pas constaté de suppression de réplique de la part de VOB, mais les répétitions qu’il tente d’éviter se situent davantage à l’échelle du lexique, le traducteur ayant par habitude de travailler par synonymie (cf. les exemples de «  Fürstentöchtern  » ou «  Antlitz  »). Le tableau suivant qui reprend deux des symboles de mort chers à Maeterlinck en est l’illustration parfaite :

Maeterlinck

VOB

Gross

Orage

Das Unwetter, das Wetter, das Gewitter, der Sturm

Das Gewitter

Éclair

Der Blitz, das Wetterleuchten

Der Blitz

De l’avis de Gross, Maeterlinck est l’un des auteurs les plus importants du XIXe siècle et son oubli durant la seconde moitié du XXe siècle10, tiendrait au fait que de tout temps, Maeterlinck a été «  falsch gelesen  » («  compris de travers  », traduction personnelle) et ce, aussi bien de la part de ses traductaires, que du public ou de la critique. Par exemple, l’un des reproches qu’il fait aux représentations des pièces Intérieur et Intruse (qu’il a lui-même traduites11) de la Schaubühne à Berlin concerne leur mise en scène qu’il juge comme trop conventionnelle, voire ratée, les œuvres ayant été uniquement interprétées comme des drames, alors que Gross y voit un côté plus absurde que dramatique. Dans sa thèse de doctorat publiée en 1985 chez Peter Lang (GROSS, 1985), Gross analyse sous l’angle de la question de l’humour, mais de l’humour noir, voire du grotesque (GROSS, 1986), les œuvres dites «  symbolistes  » de Maeterlinck. Pour le chercheur allemand, celui que l’on considère comme l’un des chantres du symbolisme est un des précurseurs, un Vordenker du théâtre de l’absurde et surréaliste dont seraient redevables Michel de Ghelderode, Eugène Ionesco et Samuel Beckett. Gross ira même jusqu’à affirmer que Maeterlinck, bien qu’il ait recours aux artifices du symbolisme, serait en réalité plus proche des surréalistes que des symbolistes, le titre d’un de ses articles étant à cet égard assez évocateur : «  Maeterlinck père prodigue du surréalisme  » (GROSS, 1980). Toujours selon Gross, le grotesque, l’humour noir presque macabre – dans le sens où l’entend André Breton dans son Anthologie de l’humour noir (Breton, 1940) – doit beaucoup dans le « premier théâtre » de Maeterlinck aux primitifs flamands  ; ses paysages et ses personnages étant directement inspirés des toiles des maîtres12. Bien que, contrairement à La Princesse Maleine (dont l’intrigue se déroule aux Pays-Bas), les autres drames symbolistes du Belge n’aient ni temporalité, ni spatialité précises, on retrouve tout de même ce caractère de «  nordicité  » dans l’onomastique, mais aussi dans les phénomènes météorologiques et dans certaines realia typiques des régions septentrionales :

LA NOURRICE
Vous ne voyez pas le beffroi  ?

VOB

Gross

DIE AMME:

Seht Ihr nicht den Wartturm?

Ici le beffroi se voit transformer en «  simple  » tour de guet.

DIE AMME:

Ihr seht den Belfried nicht?

Quand il traduisait, Gross avait toujours en tête les œuvres de Hieronymus Bosch, Pieter Brueghel l’Ancien, mais aussi Félicien Rops, Antoine Wiertz ou encore James Ensor (qui annonce le surréalisme de Magritte). La modernité de Maeterlinck tient dans des thématiques antinomiques, voire absurdes comme celles du «  tragique quotidien  » ou d’un «  théâtre de fantoche  ». Pour Gross, qui n’aime pas parler de symbolisme quand il est question de Maeterlinck13, le symbole inconscient est à interpréter dans le sens freudien de la notion :

And yet the parallels between Freud’s and Maeterlinck’s projects are just as striking : both envisage the theatre in terms of its therapeutic potential ; both consider dreams a royal road towards elliptical or subconscious truths ; both employ a theory of the symbol which rhetorically suggests by drawing on the concrete resources of the particular14. (Earlie, 2017, 426)

Un des tout premiers textes de l’auteur, Onirologie, témoigne d’ailleurs d’un intérêt du Nobel belge pour la psychanalyse et l’étude des rêves. Publié dans La Revue générale en 1889 – un an avant l’article dithyrambique d’Octave Mirbeau consacré à La Princesse Maleine dans Le Figaro (MIRBEAU, 1890) – ce «  conte fantastique  » (GRUTMAN, 2014) offre une clé de lecture intéressante pour appréhender les œuvres du «  premier théâtre  » de Maeterlinck sous un angle autre que celui du drame symboliste  ; une piste négligée par la critique et les traductaires de Maeterlinck.

Conclusion

Avec ses traductions, l’ambition de Stefan Gross était de rendre justice à l’œuvre de Maurice Maeterlinck, et cette visée passe par l’idéal de fidélité. Mis à part les traductions de Friedrich von Oppeln-Bronikowski et celles de George Stockhausen15 dont Gross avait connaissance, le travail des autres traductaires ne l’intéressait pas, car, de son propre aveu, il savait ce qu’il voulait faire de l’œuvre de Maeterlinck et n’avait cure de ce que d’autres en avaient déjà fait. Pour Gross, traduire, c’est avant tout opérer des choix, «  eine Entscheidung treffen  »  ; la traduction est un acte qui «  se fait avec son ventre  », avec ses tripes. De son avis, qu’il soit spécialiste et admirateur d’un auteur ou non, tout traductaire doit accepter que son activité soit vouée à être répliquée, car la traduction parfaite n’existe pas, elle est affaire de compromis et peut être constamment améliorée. Digne héritier de l’approche sourcière et herméneutique de Berman, Gross défend une vision assez radicale de la traduction qui s’accorde mal avec d’autres approches, comme celle, rythmique, héritée des travaux du poéticien Henri Meschonnic dont s’inspire largement Gérard Dessons dans un ouvrage, Maeterlinck, le théâtre du poème, qui a renouvelé les études sur Maeterlinck. C’est peut-être la raison pour laquelle, si c’était à refaire, Gross, «  der bedeutendste deutsche Maeterlinckforscher der Gegenwart » (« le plus grand spécialiste allemand contemporain de Maeterlinck », traduction personnelle, STROHMANN, 2006, 29) retraduirait le «  premier théâtre  » de Maeterlinck, quarante ans après la publication de ses premières traductions16, car retraduire ce n’est pas seulement protester, c’est avant tout, perpétuer.

Bibliographie

BAHR, Hermann, 1891, Die Überwindung des Naturalismus, Zweites Buch, Dresden, E. Pirson Verlag.

BAHR, Hermann, 2006, Ce monsieur de Linz qui inventa Vienne. Textes de Hermann Bahr, Karl Kraus, Hugo von Hofmannstahl (traduits et présentés par Jean Launay), Monaco, Éditions du Rocher.

BEAUNESNE, Yves, « “ Maleine ” à l’Aula Magna », in La Libre Belgique, 29-X-2001.

BERMAN, Antoine, [1984] 1995, L’épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique. Herder, Goethe, Schlegel, Novalis, Humboldt, Schleiermacher, Hölderlin, Paris, Gallimard.

BERMAN, Antoine, « La retraduction comme espace de la traduction  », in Palimpsestes, 1990, Paris, n° 4, p. 1-7.

BRETON, André, 1940, Anthologie de l’humour noir, Paris, Gallimard.

CASANOVA, Pascale, 1999, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil.

CETRA, « La traduction littéraire comme problème belge ou la littérature comme traduction », in De Geest, Dirk, Meylaerts, Reine (éd.), Littératures en Belgique/Literaturen in België. Diversités culturelles et dynamiques littéraires/Culturele diversiteit en literaire dynamiek, 2004, Bruxelles/Brussel, Peter Lang, p. 105-136.

DENIS, Benoît, KLINKENBERG, Jean-Marie, [2005] 2014, La littérature belge. Précis d’histoire sociale, Charleroi, Éditions Labor.

DESSONS, Gérard, [2005] 2016, Maeterlinck, le théâtre du poème, Paris, Classiques Garnier.

DOZO, Björn-Olav, PROVENZANO, François (éd.), « Introduction », in Historiographie de la littérature belge : Une anthologie, 2014, Lyon, ENS Éditions, p. 7-31.

DYSERINCK, Hugo, 1977, Komparatistik : Eine Einführung (Aachener Beiträge zur Komparatistik), Bd. 1, Bonn, Bouvier Verlag Herbert Grundmann.

EARLIE, Paul, « The Rhetoric of Theatre: Maeterlinck with Freud », in Revue internationale de philosophie, Bruxelles, 2017, 44, n° 282, p. 415-430.

ESPAGNE, Michel, « La notion de transfert culturel », in Revue Sciences/Lettres, Paris, 2013, n° 1, p. 1-9.

GORCEIX, Paul, [1975] 2005, Les Affinités allemandes de l’œuvre de Maurice Maeterlinck. Contribution à l’étude des relations du Symbolisme français et du Romantisme allemand, Paris, PUF.

GORCEIX, Paul, « Maurice Maeterlinck et l’Allemagne », in Annales de la Fondation Maurice Maeterlinck, 1978, Gand, T. xxiv, p. 35-56.

GORCEIX, Paul, 2010, Maurice Maeterlinck, Œuvres (édition établie et présentée par Paul Gorceix), Bruxelles, André Versaille éditeur.

GRIMM, Jacob and Wilhelm, 1868, Grimm’s Fairy Tales. A New Translation by Mrs. H. B. Paull. Specially Adapted and Arranged for Young People. With Original Illustrations by W. J. Weigand, Londres, New-York, Frederic Warne and Co.

GROSS, Stefan, 1980, Ernst Robert Curtius und die deutsche Romanistik der zwanziger Jahre. Zum Problem nationaler Images in der Literaturwissenschaft, Bonn, Bouvier Verlag Herbert Grundmann.

GROSS, Stefan, « Maeterlinck père prodigue du surréalisme. (Un retour). Quelques réflexions sur les conceptions d’art et de vie dans l’œuvre d’Antonin Artaud, d’André Breton et de Maurice Maeterlinck », in Annales de la Fondation Maurice Maeterlinck, 1980, Gand, T. xxvi, p. 119-146.

GROSS, Stefan, 1985, Maurice Maeterlinck oder der symbolische Sadismus des Humors: Studie zum Frühwerk mit angehängten Materialen, New York, Bern, Frankfurt, Peter Lang.

GROSS, Stefan, 1985, Maurice Maeterlinck und die deutschsprachige Literatur : Eine Dokumentation, Mindelheim, Sachon.

GROSS, Stefan, « Maeterlinck et l’humour au second degré », in Les Lettres romanes, Louvain-la-Neuve, 1986, 40, n° 3-4, p. 275-283.

GROSS, Stefan, THOMAS, Johannes, 1989, Les concepts nationaux de la littérature : l’exemple de la Belgique francophone  ; une documentation en deux tomes, Aachen, Alano Rader Publikationen.

GROSS, Stefan, 1998, Paradoxe Säulen - Athletik der Askese : Luis Buñuels 'Simón del Desierto' und die Realität des Surrealismus, Frankfurt a. M., Madrid, Vervuert Verlagsgesellschaft.

GRUTMAN, Rainier, « Maeterlinck et le “ palympseste ” flamand », in Fabula-LhT, Paris, [2009] 2014, n° 12.

HANSE, Joseph, « Littérature, nation et langue », in Bulletin de l’Académie royale de langue et littérature française, Bruxelles, 1964, p. 93-144.

HEILBRON, Johan, SAPIRO, Gisèle, « La traduction littéraire, un objet sociologique », in Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, 2002, 4, n° 144, p. 3-5.

JURT, Joseph, « Une voix s’est tue. Hommage à Pascale Casanova (1959-2018) », in Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, 2018, 5, n° 225, p. 4-7.

KLINKENBERG, Jean-Marie, « La production littéraire en Belgique francophone. Esquisse d’une sociologie historique », in Littérature, Paris, 1981, n° 44, p. 33-50.

LAOUREUX, Denis, « Maurice Maeterlinck et les arts plastiques : filiations et concomitances », in Textyles, Bruxelles, 2000, 17-18, p. 100-112.

MAETERLINCK, Maurice, 1889, Serres chaudes, Paris, Léon Vanier éditeur.

MAETERLINCK, Maurice, 1901, Théâtre I. La Princesse Maleine (1890), L’Intruse (1891), Les Aveugles (1891), Bruxelles, Lacomblez.

MAETERLINCK, Maurice, 1918, Théâtre. La Princesse Maleine, L’Intruse, Les Aveugles, Paris, Fasquelle.

MAETERLINCK, Maurice, 1948, Bulles bleues, Monaco-Paris, Plon.

MAETERLINCK, Maurice, 1983, Die frühen Stücke, Bd.1 (trad. GROSS, Stefan), München, Text und Kritik.

MAETERLINCK, Maurice, 1983, Die frühen Stücke, Bd.2 (trad. GROSS, Stefan), München, Text und Kritik.

MAETERLINCK, Maurice, [1889] 2021, La Princesse Maleine, Bruxelles, Espace Nord.

MIRBEAU, Octave, « Maurice Maeterlinck » in Le Figaro, 24-VIII-1890.

PALLESKE, Sigwart. O., 1938, Maurice Maeterlinck en Allemagne, Strasbourg, Université de Strasbourg.

PICARD, Edmond, « L’âme belge », in Revue Encyclopédique, Paris, 24-VII-1897, p. 595-599, cité par ROLAND, Hubert, « Âme belge, “ entre-deux ” et microcosme : d’une fin de siècle à l’autre », in Textyles, Bruxelles, 2004, n° 24, p. 7-15.​

POUILLIART, Raymond, « Le Traducteur », in Hanse, Joseph et Vivier, Robert (éd.), Maurice Maeterlinck 1862-1962, 1962, Bruxelles, La Renaissance du livre, p. 431-460.

ROLAND, Hubert, « Maeterlinck et les pays de langue allemande », in Textyles, Bruxelles, 2012, n° 42, p. 163-171.

ROLAND, Hubert, « Maurice Maeterlinck : traducteur, médiateur et poète », in Gravet, Catherine (éd.), Traductrices et traducteurs belges, 2013, Mons, Université de Mons, p. 237-263.

STROHMANN, Dirk, 2006, Die Rezeption Maurice Maeterlinck in den deutschsprachigen Ländern (1891-1914), New York, Bern, Frankfurt, Peter Lang.

TODOROV, Tzvetan, 1978, Symbolisme et interprétation, Paris, Seuil.

WARMOES, Jean, « Lettres de Maeterlinck à son traducteur allemand Friedrich von Oppeln-Bronikowski », in Annales de la Fondation Maurice Maeterlinck, Gand, 1961, T. vii, p. 33-82.

Notes

1 À l’instar de Denis et Klinkenberg (DENIS, KLINKENBERG, 2014, 108), nous utilisons le syntagme « littérature francophone de Belgique », car c’est aussi celui que préfère Stefan Gross pour parler de la production littéraire belge écrite en français. Parler de « littérature belge » ou de « belgitude » serait abusif, car cela ne tiendrait pas compte de la langue d’écriture. Alors que Klinkenberg distingue la « littérature belge de langue française » (celle-ci est caractéristique de la phase dite « centrifuge » qui englobe la production littéraire de 1830 à 1920) et la « littérature française de Belgique » (caractéristique quant à elle de la phase dite « centripète » qui tend à attirer la littérature périphérique vers le centre et qui court de 1920 à 1960), Gross défend la vision de Joseph Hanse (HANSE, 1964, 93) qui fait le choix de « littérature française de Belgique », rappelant à quel point la production nationale belge est intrinsèquement liée à la production française, voulant tantôt s’en autonomiser, tantôt s’en rapprocher. Quoi qu’il en soit, une dénomination commune fait encore débat, mais de l’avis de Gross, c’est une tempête dans un verre d’eau, ce thème n’étant plus d’actualité dans un monde globalisé. Retour au texte

2 Rappelons que la Belgique compte également l’allemand comme langue administrative et judiciaire. Contrairement à la Constitution française qui dès son article 2 stipule que « La langue de la République est le français​ », la Constitution belge quant à elle ne consacre pas de langue nationale mais précise en son article 30 que « L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires.​ » L’emploi des langues usitées en Belgique est donc réglé par la loi fédérale. Retour au texte

3 Pour Paul Gorceix, le « premier théâtre » de Maeterlinck, à savoir son théâtre dit « symboliste » englobe les pièces suivantes :La Princesse Maleine, L’Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses, Pelléas et Mélisande, Alladine et Palomides, Intérieurainsi que La Mort de Tintagiles. La pièce Aglavaine et Sélysette fait la jonction avec le « second théâtre » de l’auteur qui abandonne peu à peu les codes du théâtre symboliste. La pièce L’Oiseau bleu appartient à cette dernière catégorie (GORCEIX, 2010). La classification qu’en fera Gross est différente : il sépare les « œuvres de jeunesse » de Maeterlinck en deux périodes, la première, dite « gantoise », reprend La Princesse Maleine, L’Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses ainsi que Pelléas et Mélisande. La seconde reprend Alladine et Palomides, Intérieur, La Mort de Tintagiles ainsi qu’Aglavaine et Sélysette (GROSS, 1985, 94). Ce découpage correspond pratiquement aux deux recueils de traductions intitulés Die frühen Stücke Bd. 1,2 que Gross a fait publier (GROSS, 1983), à la différence que le second tome comprend également la traduction allemande de la pièce Ariane et Barbe bleue, pièce qui relève pourtant du « second théâtre » de l’auteur. Comme nous l’a confié Gross, l’appellation « Die frühen Stücke » n’est pas un terme scientifique, et la composition des deux recueils s’est faite de manière subjective en fonction des affinités du traducteur pour telle ou telle œuvre. Retour au texte

4 Pour la traduction française (traduction personnelle) : Maurice Maeterlinck ou le sadisme symbolique de l’humour : étude avec annexes du «théâtre de jeunesse» de l’auteur. Son mémoire de fin d’études, Gross le consacre à Ernst Robert Curtius und die Deutsche Romanistik der zwanziger Jahre (Ernst Robert Curtius et les études romanes en Allemagne dans les années 1920, traduction personnelle) (GROSS, 1980). Retour au texte

5 Dans ce manifeste traduit partiellement par Jean Launay, Bahr écrit à propos de ce qu’il appelle « les décadents » (BAHR, 2006, 122) : « Où est l’idéalisme nouveau ? Mais ses prémices sont là : abondantes, sûres, très reconnaissables. Il y a là Puvis de Chavannes, il y a Degas, il y a Bizet, il y a Maurice Maeterlinck. Que l’espérance ne tremble pas. » (BAHR, 2006, 134).  Retour au texte

6 Pour ce qui est des influences allemandes dans l’œuvre de Maeterlinck, nous renvoyons à la thèse de doctorat de Paul Gorceix, devenue une véritable référence, Les Affinités allemandes de l’œuvre de Maurice Maeterlinck. Contribution à l’étude des relations du Symbolisme français et du Romantisme allemand (1975), ainsi qu’au mémoire de S.O. Palleske intitulé Maurice Maeterlinck en Allemagne (1938). Retour au texte

7 Dans son œuvre le Divan oriental-occidental (1819), Goethe «présente trois modes de traductions [sic.] qui sont autant d’époques de celles-ci. Le premier mode, ou la première époque, est la traduction intra ou juxtalinéaire (mot à mot) visant tout au plus à donner une idée grossière (Goethe dixit) de l’original. Le second mode est la traduction libre, qui adapte l’original à la langue, à la littérature, à la culture du traducteur. Le troisième mode est la traduction littérale, au sens de Goethe, c’est-à-dire celle qui reproduit les “particularités” culturelles, textuelles, etc. de l’original. Chaque fois qu’une culture se lance dans l’aventure de la Traduction, selon Goethe, elle parcourt nécessairement ce cycle. » (BERMAN, 1990, 4). Retour au texte

8 Dans le cadre de cet article, nous ne nous prétendons pas à l’exhaustivité et nous avons principalement travaillé avec des extraits de La Princesse Maleine, car c’est sur l’étude de cette dernière pièce que porte notre thèse de doctorat, nous disposions donc de toutes les versions (françaises et allemandes) de celle-ci (MAETERLINCK, 2021). Retour au texte

9 Sur les 1663 répliques que compte La Princesse Maleine, l’on recense 288 occurrences de points de suspension, contre 729 pour 655 répliques dans Pelléas et Mélisande. Retour au texte

10 En 2005, Gérard Dessons faisait le constat du regain d’intérêt pour le « premier théâtre » du Belge (DESSONS, 2016, 7). Retour au texte

11 Sur le site internet de la maison d’édition allemande Felix Bloch Erben, spécialisée dans les arts de la scène, la traduction de La Princesse Maleine attribuée à Gross est en réalité celle de VOB. Contactée, la maison d’édition n’a pas voulu réagir. Retour au texte

12 Il faut par exemple comparer le drame de Maeterlinck intitulé Les aveugles avec le tableau éponyme de Pieter Brueghel l’Ancien et la pièce du même nom de Ghelderode. Retour au texte

13 Du reste, ce qu’on a coutume d’appeler les « symboles » chez Maeterlinck sont relativement basiques : la porte, le miroir, les cyprès, les cygnes… Retour au texte

14 « Et pourtant, les parallèles entre les travaux de Freud et de Maeterlinck parlent pour eux même : tous deux appréhendent le théâtre sous l’angle de son potentiel thérapeutique ; tous deux considèrent le rêve comme la voie royale vers des vérités elliptiques ou subconscientes ; tous deux recourent à une théorie du symbole qui suggère sur le plan rhétorique en utilisant les ressources concrètes du particulier », traduction personnelle. Retour au texte

15 Une longue bataille par médias interposés l’opposa à VOB et Maeterlinck en ce qui concerne la cession des droits de traduction. Retour au texte

16 La maison d’édition Text+Kritik qui a publié les traductions de Stefan Gross a réédité en 2015 le tome I. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Laure Kazmierczak, « Traduire et retraduire Maeterlinck : un exemple en langue allemande », La main de Thôt [En ligne], 12 | 2024, mis en ligne le 05 décembre 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/lamaindethot/1318

Auteur

Laure Kazmierczak

Université de Mons (UMONS)
laure.kazmierczak@umons.ac.be