Les monts Hakkōda 八甲田山. Située dans le nord du Japon, au sud-est de la ville d’Aomori (Aomori-shi 青森市), dans l’île principale de Honshū 本州, cette chaîne de montagnes d’origine volcanique culmine à 1584 mètres d’altitude avec le mont Ōdake 大岳. Cette région aux hivers rigoureux, connue pour ses sources thermales, est devenue un paradis pour touristes en général et les sports de glisse en particulier. L’été, elle offre ses superbes paysages, souvent encore vierges, aux randonneurs. Mais ce paysage de carte postale, sévère et grandiose à la fois, a une face cachée. Au pied de la montagne, au lieu-dit d’Umatateba 馬立場, les touristes seront alertés par une statue monumentale, celle du caporal Gotō Fusanosuke 後藤房之助 (1879-1924), l’un des rares survivants du calvaire enduré par des soldats du 5e régiment de fantassins (hohei daigo rentai 歩兵第五連隊) de la 8e division d’infanterie dirigée alors par le général de corps d’armée Tatsumi Naofumi 立見尚文 (1845-1907) lors d’un entraînement en milieu hivernal, anéantis par une terrible tempête, à la fin janvier 19021. Au total, sur les 210 soldats, sous-officiers et officiers ayant participé à cet exercice – l’effectif d’une compagnie –, 199 perdirent la vie. On ne comptera que onze rescapés, dont six mourront plus tard des suites de leurs blessures, et trois seulement échapperont aux amputations. À l’occasion du 120e anniversaire de cet évènement, la presse japonaise ne manqua pas de rappeler que le nom des monts Hakkōda est désormais, à jamais, associé dans l’histoire à la plus grande tragédie ayant frappé l’Armée de terre japonaise en temps de paix et, au-delà, à l’une des plus grandes catastrophes de montagne ‒ hors accidents aériens ‒ que le monde ait connues2. Encore aujourd’hui, plus d’un siècle après les faits, les sources ‒ officielles et privées ‒, les témoignages et récits, sont souvent contradictoires et leur interprétation fait encore l’objet de débats, essentiellement chez les historiens, anthropologues et médecins japonais. L’historiographie occidentale s’intéressant à la politique militaire du Japon impérial ne s’attarde guère sur l’incident, quand elle ne le passe pas sous silence.
Comment en était-on arrivé là ? Comment et pourquoi cet entraînement, en milieu hostile certes, est-il devenu un piège fatal pour les soldats japonais, alors qu’entre 1898 et 1901 quatorze marches d’hiver avaient été organisées de façon routinière dans cette partie septentrionale du Japon ? Pourquoi le choix des monts Hakkōda dont la traversée en hiver était réputée impossible ? Que révèle cet incident de l’organisation, du fonctionnement et de l’état de l’armée japonaise à la veille de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 ? Quelles leçons en a tirées le haut commandement ? Quelles traces a-t-il laissées dans la mémoire collective ? Telles sont quelques-unes des interrogations auxquelles le présent article, sans être exhaustif, va s’efforcer d’apporter quelques éléments de réponses.
1. Le contexte de la tragédie
L’origine de la catastrophe s’inscrit dans les préparatifs d’un conflit éventuel avec la Russie. Le contentieux entre la Russie et le Japon était ancien : le 11 mai 1891, le tsarévitch Nicolas Alexandrovitch – le futur Nicolas II (1868-1918) – en visite officielle au Japon avait failli être victime d’un attentat au sabre en traversant la ville d’Ōtsu, Ōtsushi 大津市. Le retentissement avait été considérable, tant en Russie que dans l’archipel, et le gouvernement japonais n’avait pas ménagé ses efforts pour circonscrire l’incident. Mais celui-ci avait laissé des traces. Physiques, car le futur tsar en portera une cicatrice douloureuse à la tête, et politiques car, sa vie durant, Nicolas II nourrira une sourde animosité à l’égard du Japon. En outre, depuis la guerre sino-japonaise de 1894-1895, les relations russo-japonaises n’avaient cessé de se détériorer. Le 17 avril 1895, à Shimoneseki, Shimonoseki-shi 下関市, Japonais et Chinois avaient signé un traité de paix qui avait mis fin aux hostilités, mais l’encre de l’accord à peine sèche, la Russie, la France et l’Allemagne, inquiètes de la poussée japonaise sur le continent, chasse gardée des puissances occidentales, avaient lancé, le 23 avril, un ultimatum au Japon exigeant la restitution de la péninsule du Liaodong, Ryōtō hantō 遼東半島, à l’extrémité de laquelle se trouvait Port-Arthur, Ryojun ou Lüshun en chinois 旅順. Le gouvernement japonais avait été contraint de céder : le 8 novembre de la même année, la convention de rétrocession avait été signée, et le mois suivant l’armée japonaise évacuait la péninsule. Frustré d’une partie de sa victoire, le Japon en conçut une profonde amertume à l’encontre de ces puissances. Outre que la Russie poursuivait son avance en Extrême-Orient et consolidait la position de Vladivostok sur le Pacifique, elle souhaitait également étendre son influence en Mandchourie et dans la péninsule coréenne et disposer, à cet effet, d’un accès à la mer Jaune, sous forme de comptoirs commerciaux, et surtout de facilités portuaires en eau libre pour sa flotte extrême-orientale. La Russie, surprise par la victoire japonaise, était donc la principale bénéficiaire de la Triple intervention (sangoku kanshō 三国干渉). Celle-ci inaugura une politique de dépècement (break up) de la Chine, où les puissances occidentales se livrèrent à une concurrence effrénée pour arracher à la dynastie Qing moribonde sphères d’influence territoriale, concessions à bail et accords commerciaux léonins. La Russie s’activa pour accélérer la construction du transsibérien avec son embranchement sud-mandchourien jusqu’à Port-Arthur, une fois obtenue du gouvernement chinois, en mars 1898, la concession pour vingt-cinq ans du sud de la péninsule du Liaodong. Par ailleurs, le gouvernement russe profita de la guerre des Boxers de l’été 1900 pour occuper la Mandchourie sous prétexte de protéger le chemin de fer sud-mandchourien et renforcer sa présence militaire sur place une fois l’incident terminé. Simultanément, Port-Arthur était fortifié et aménagé pour accueillir les escadres russes. Le Japon avait dans un premier temps réagi en renforçant ses propres effectifs et programmes d’équipements militaires, et notamment sa marine, et développé ses capacités de renseignement sur le continent. Mais ce n’est qu’à partir de 1900 que l’état-major commença à concevoir des plans pour contrecarrer la poussée russe en Asie orientale et protéger les intérêts japonais en Corée, convaincu que le véritable objectif de la Russie était la péninsule. Une préoccupation partagée par la Grande-Bretagne, engagée en Afrique du Sud dans la seconde guerre des Boers (octobre 1899-mai 1902), isolée diplomatiquement par l’alliance franco-russe signée en août 1892, et préoccupée par le programme de développement naval allemand. Le 30 janvier 1902, la conclusion de l’alliance anglo-japonaise à Londres marqua un tournant majeur dans la diplomatie nippone : le Japon était officiellement reconnu par la Grande-Bretagne comme un partenaire stratégique majeur dans la défense des intérêts communs en Asie orientale et, surtout, le traité donnait les mains libres à Tōkyō pour agir contre Saint-Pétersbourg, sans craintes d’ingérences extérieures. La marche des monts Hakkōda intervint ainsi à la veille même de la conclusion de cette alliance, dont elle ternit les célébrations3.
L’objectif du 5e régiment d’infanterie était de trouver une route alternative – Aomori, Tashiro 田代, Sanbongi 三本木, Hachinoe 八戸 – assurant le transport des marchandises par traîneau au cas où les voies de communication, et notamment les chemins de fer côtiers, seraient visées par les mouvements de la flotte russe. Tandis que la mission du 31e régiment d’infanterie était d’aguerrir les troupes évoluant en milieu hivernal pour en tirer les leçons en termes d’équipements et d’itinéraire. En effet, en cas de guerre contre la Russie, le Japon aurait vraisemblablement à combattre sur le continent chinois et en Mandchourie. Or les troupes russes, étant donné la configuration du pays, étaient habituées à manœuvrer et à se déplacer dans un environnement difficile, ce qui n’était pas le cas des troupes japonaises qui avaient déjà mal supporté l’épreuve du froid lors de la guerre sino-japonaise de 1894-18954. On ne pouvait exclure non plus que les troupes russes attaquassent le nord du Japon. Hokkaidō 北海道 était particulièrement vulnérable et il était donc indispensable de protéger le nord de l’île de Honshū des conséquences éventuelles d’un blocus de la baie de Mutsu (Mutsu-wan 陸奥湾)5. C’est dans ce contexte que le lieutenant-colonel Tsugawa Yasuteru 津川謙光 (1860-1926), à la tête du 5e régiment d’infanterie, a ordonné au commandant Yamaguchi Shin 山口鋠 (1857-1902), du 2e bataillon, d’organiser des manœuvres d’hiver. L’initiative de la mission du 31e régiment d’infanterie – suivie par un journaliste du Tōō nippō 東奥日報, Tōkai Yūzaburō 東海勇三郎 – et qui était également rattaché à la 8e division, revenait au capitaine Fukushima Taizō 福島泰蔵 (1866-1905), un spécialiste de cartographie à l’état-major général de l’Armée, sanbo honbu 参謀本部, affecté au 31e depuis octobre 1898. Le détachement partit de sa base de Hirosaki 弘前市 le 20 janvier à 5 heures. Guidé par sept villageois de Towada 十和田, il parvient, difficilement parfois, mais sans embûches majeures, à rejoindre Aomori par la montagne le 29 janvier, puis sa base initiale de départ, après 224 kilomètres parcourus en douze étapes et une journée de retard par rapport au calendrier prévu. Quatorze d'entre eux garderont néanmoins des séquelles des gelures et un dut être évacué d’urgence6. Dans les deux cas, le choix des monts Hakkōda pour ces manœuvres hivernales n’a pas été imposé par le haut commandement à Tōkyō, mais résulta d’initiatives locales d’officiers supérieurs. Celle du 31e reçut l’aval du général Tatsumi en septembre 1901, ce qui ne fut pas le cas de celle du 5e comme on le verra plus loin.
2. Le déroulement de la marche du détachement du 5e régiment d’infanterie
Le 18 janvier, une patrouille d’environ 40 hommes avait été envoyée pour reconnaître les lieux. Elle avait parcouru 9,6 kilomètres aller-retour avec un traîneau et bénéficié d’un climat favorable. Au vu de son rapport, le commandant Yamaguchi Shin 山口鋠 (1857-1902) estima qu’il était possible de franchir les vingt kilomètres séparant Aomori et la station thermale de Tashiro – la partie la plus difficile de la route – en deux jours avec un bivouac intermédiaire, voire en trois jours avec deux bivouacs, si le temps le permettait. Le 21, Yamaguchi Shin programma la marche pour le 23 et ordonna les préparatifs : rations alimentaires pour 24 heures et quatorze traîneaux de matériels et d’équipement représentant environ 1,2 tonne de marchandises. Le 22, les chefs de peloton furent briefés sur les mesures à prendre contre le froid, mais on ignore si ces consignes ont bien été répercutées auprès de la troupe. Le détachement de 210 hommes fut placé sous le commandement direct du capitaine Kannari Bunkichi 神成文吉 (1869-1902) qui avait conduit à bon port la patrouille précitée, mais qui n’avait aucune expérience des marches hivernales. Le 23, le signal du départ est donné à 6h55. Le temps est clair et la température est de -6,7°. À l’avant, des soldat équipés de raquettes dament la piste.
Les premières heures se déroulent sans incident, mais les traîneaux prennent du retard et le détachement doit les attendre. C’est après la pause déjeuner que les conditions atmosphériques commencent à se dégrader sérieusement. Alors que les officiers et les médecins envisagent ‒ prudemment ‒ de rebrousser chemin, les sous-officiers proposent néanmoins de continuer à la boussole et avec les cartes, encore rudimentaires, de la région. La proposition des villageois de Tamogino 田茂木野 de leur servir de guide, soupçonnés de monnayer leur assistance, est, elle, repoussée. Le blizzard s’intensifiant et la progression dans la neige devenant de plus en plus difficile, le capitaine Kannari décide de détacher 88 hommes pour aider les traîneaux de ravitaillement et d’équipement qui ont pris plus de deux heures de retard et d’envoyer quinze hommes en éclaireurs pour reconnaître la piste menant vers Tashiro. Vers 17 heures, les traîneaux sont abandonnés et leur charge répartie entre les hommes. La patrouille, elle, s’égare en chemin, mais parvient à regagner le gros de la colonne. Une seconde patrouille est organisée, mais la tombée de la nuit et les chutes de neige l’obligent à renoncer. Le bivouac est donc installé pour la nuit vers 20h15 dans la forêt de Hirasawa 平沢, à 1,5 km de Tashiro. Cinq tranchées sont creusées dans la neige pouvant accueillir chacune quarante hommes debout. Les provisions récupérées sur les traîneaux sont distribuées mais les rations de charbon de bois pour la cuisine et le chauffage sont insuffisantes : il faut organiser des roulements, faire fondre la neige pour boire, jeter le sake devenu impropre à la consommation, éviter de s’assoupir trop longtemps pour ne pas être surpris par le gel car la température descend au-delà de -20°. Les soldats sont invités à chanter des chants militaires et à piétiner sur place pour se tenir au chaud. Il est prévu de reprendre la route vers 5 heures. Toutefois, vers 2 heures du matin, constatant que la situation se dégrade, et estimant que l’objectif de la marche est atteint, Yamaguchi Shin, après s’être concerté avec les médecins militaires et ses officiers, décide de rentrer. Sur le chemin du retour la troupe s’égare dans les gorges de Narusawa 鳴沢 et il est décidé de revenir à l’ancien bivouac. C’est alors qu’un sous-officier déclare qu’il a repéré le chemin conduisant à Tashiro. Mais, du fait de la neige, il s’égare à son tour et la troupe butte sur la rivière Komagome 駒込川.
Épuisés et frigorifiés, de nombreux soldats sont incapables de rejoindre les berges escarpées et les premiers signes de flottement apparaissent. La mort du lieutenant Mizuno Tadayoshi 水野忠宜 (1877-1902), un jeune aristocrate, fils aîné de l’ancien seigneur du fief de Shingū (Shingūhan 新宮藩), porte un premier coup au moral. Sur les berges, le blizzard redouble d’intensité. La troupe remonte la rivière à la recherche désespérée d’abris précaires ; le quart de la troupe est déjà mort de froid. Équipements et bagages sont peu à peu abandonnés. Quatorze heures se sont écoulées depuis que le premier bivouac a été quitté et qui n’est distant, à vol d’oiseau, que de 700 mètres… Sur le plateau de Narusawa, un bivouac sommaire est établi à même la neige, car les survivants n’ont pas la force de creuser des trous. Les rares vivres qui ont pu être sauvés sont rapidement épuisés ou gelés. Les hommes se serrent les uns contre les autres pour tenter de se réchauffer, mais la faim, le manque de sommeil et le froid font leur œuvre. Beaucoup de soldats finissent par succomber. Le 25, il est décidé de ne pas attendre l’aube, et vers 3 heures du matin, les survivants se remettent en route : 70 hommes sont déjà morts et tous les autres sont victimes de morsures du froid plus ou moins graves. Les boussoles sont devenues inutilisables et l’on s’oriente à l’aide des cartes, mais à nouveau la colonne se perd. Y a-t-il eu, le 26 un ordre de dissolution de la colonne par Yamaguchi Shin, incitant les hommes à rentrer à Aomori par leurs propres moyens ? Les documents officiels n’en font pas état, et, en 1935, l’ancien lieutenant Itō Masaaki 伊藤格明, l’a formellement démenti, mais un autre survivant, l’ancien caporal Ohara Chūsaburō 小原忠三郎 l’a soutenu en 1968. Quant à Kannari, selon le témoignage non confirmé du même Ohara, il aurait lâché, la veille : « le ciel nous a abandonnés ! ». Toujours est-il que c’est à partir du 25 que le moral de la troupe commence sérieusement à flancher : les comportements erratiques des soldats se multiplient, tandis que le gel fait des ravages sur les hommes réduits à uriner sur eux. Le 26, il est clair que la folie, les hallucinations gagnent les rescapés en état d’hypothermie et que le commandement donne des signes de défaillance. Il est alors décidé de constituer deux groupes pour tenter de rejoindre Aomori par deux itinéraires différents, alors qu’il n’y a plus guère qu’une trentaine de survivants. Le lendemain, le 27, le groupe emmené par le capitaine Kuraishi Hajime 倉石一 (?-1905) qui longe la rivière Komagome se heurte à un escarpement infranchissable et Imaizumi Santarō 今泉三太郎 (1880-1902), un aspirant officier frais émoulu de l’École des officiers de l’Armée de terre (Rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校), pris d’un accès de démence, se jette dans la rivière « pour informer le régiment ». D’autres soldats en font autant pour tenter de rejoindre Aomori à la nage. Le groupe mené par le capitaine Kannari a un itinéraire plus facile, mais il est décimé par la tempête de neige. Le 27, à l’aube, ils ne sont plus que trois. Et Kannari ordonne au caporal Gotō de chercher du secours au village de Tamogino et de contacter le régiment par télégramme.
Entre-temps, à Aomori, le 24, on s’inquiète de l’absence du détachement et un groupe de 40 hommes est dépêché du côté de Tashiro, pendant vingt-quatre heures, pour attendre des nouvelles, mais en vain. La température en plaine est de -10,2°, un record depuis l’établissement de relevés météorologiques réguliers en 1882. Contact est pris par télégraphe avec la police de Sanbongi, pour savoir si le détachement a pu traverser, mais la réponse est négative. Le 26, à 5h40 du matin, le détachement n’étant toujours pas en vue, une équipe de secours de 60 hommes est envoyée sur ses traces supposées, mais elle est momentanément bloquée par la neige et des questions d’intendance à Tamogino. Le 27 au matin, elle retrouve Gotō, vers 11 heures, en état d’hypothermie avancée, dans le secteur d’Ōtakitai 大滝平, mais vivant, puis le corps du capitaine Kannari, littéralement congelé, au point qu’il est impossible de lui faire des piqûres pour tenter de le ramener à la vie, et celui du caporal Oikawa Tokusaburō 及川篤三郎. Le pire est pressenti pour les autres membres du détachement. L’équipe de secours n’est pas elle-même épargnée puisque la moitié des effectifs engagés sont victimes de gelures ou d’engelures, et l’un d’entre eux a déjà perdu connaissance. Le même jour, à 19h40, le lieutenant-colonel Tsugawa, commandant du régiment, était informé de la perte probable du détachement. Le 28, à 8h49, la police militaire d’Aomori (Kenpeitai 憲兵隊), rend compte au ministère de l’Armée. Les découvertes macabres se succéderont les jours suivants, et le 2 février vers 15h le dernier des onze survivants fut découvert dans une cabane dans les parages de Tashiro-Motoyu 田代元湯 : il s’agissait du caporal Muramatsu Fumiya 村松文哉, qui dut être amputé des mains et des pieds. La collecte et la recherche des corps, dont certains avaient été charriés jusqu’au rivage, se poursuivirent pendant quatre mois, avec le concours des Aïnous et de leurs chiens, jusqu’au 28 mai, date à laquelle le dernier corps fut retrouvé. Cette dernière opération avait mobilisé quelque 10 000 hommes entre Sendai (Sendai-shi 仙台市) et Aomori. Elle fut particulièrement éprouvante pour les équipes de secours : mal manipulés, les corps, gelés, avaient tendance à se briser comme du verre ; l’identification des corps fut rendue difficile car les uniformes collaient à la peau : « décongelés » à cette fin, ceux-ci dégagèrent alors une odeur pestilentielle…7. Quant aux familles qui venaient de recevoir les cartes de vœux des leurs sous les drapeaux, elles furent prévenues par deux télégrammes : l’un leur faisant état de la perte du détachement, l’autre concernant le sort de leurs proches. Des messages comportant parfois des erreurs d’identification ou d’information : tel soldat étant présenté comme sauf alors qu’il était décédé8…
3. Les causes et les leçons du désastre
Il est certain que le Japon, en cet hiver 1901-1902, est confronté à des conditions climatiques exceptionnelles. Dans le grand nord de l’archipel, on enregistre, en effet, avec -40° degrés par endroits, des records de froid. Dans la région des monts Hakkōda, la température descend jusqu’à -25°. La région était habituée aux frimas, et ses habitants étaient familiers des rigueurs de l’hiver sévissant dans cette partie septentrionale de l’archipel. Toutefois, si la plupart des conscrits du 5e régiment venaient des départements montagneux voisins d’Iwate (139) et de Miyagi (46), ils connaissaient mal la topographie des lieux et ils étaient peu accoutumés au blizzard et au type de neige propre à la région d’Aomori. Ils avaient revêtu leurs uniformes d’hiver réglementaires en coton et des manteaux à capuche doublés, portaient des gants de travail renforcés, des lunettes ainsi que des protège-oreilles et, depuis la guerre sino-japonaise, les protections jambières en paille avaient été améliorées, conformément à des instructions remontant à septembre 18949. Mais seuls les officiers portaient des bottes modernes ainsi que des manteaux et casquettes en laine – l’industrie lainière était encore relativement peu développée au Japon –, le reste de la troupe se contentant des casquettes usuelles en feutre : un équipement qui ne leur permettait pas d’affronter durablement une tempête hivernale. Car, selon l’opinion des médecins militaires, ce sont moins les températures sibériennes qui ont eu raison de la colonne que les bourrasques glaciales et l’impréparation de la chaîne de commandement jusqu’au niveau de la division à y faire face10.
Quant aux causes immédiates de la catastrophe, en dehors du brusque changement climatique, elles sont multiples. D’abord, les différences de préparation. Le 20 décembre 1901, le 31e reçut l’ordre de se préparer à la marche, et il eut presque un mois pour le faire. Sa mission venait ainsi clôturer une série d’entraînements conduits pendant les trois années précédentes. Le 5e régiment d’infanterie d’Aomori ne reçut sa feuille de route que le 21 janvier 1902, soit deux jours seulement avant le début de la marche projetée, ce qui ne lui laissait que peu de temps pour s’y préparer. Contrairement au 31e, habitué aux longues traversées hivernales de plus de cent kilomètres comportant plusieurs bivouacs, les marches hivernales du 5e ne comportaient qu’une trentaine de kilomètres avec un seul bivouac. Le détachement de Hirosaki avait fait le choix de mettre sur pied une équipe réduite et allégée de trente-huit hommes, ce qui simplifiait les questions logistiques, et la rendait plus mobile. Il avait entrepris de baliser son itinéraire, en prévenant par avance les villages traversés de lui fournir les vivres, équipements, guides et hébergements nécessaires. Il avait obtenu des informations utiles pour faire face à la morsure du froid : éviter de transpirer par un froid glacial car la sueur facilite les engelures ; entourer les doigts de pied et des mains de papier huilé qui protège de l’humidité ; enfiler trois paires de chausses pour protéger les pieds et les saupoudrer de poivre rouge ; se frotter régulièrement les mains… Fukushima avait sélectionné les militaires les plus robustes, principalement des aspirants officiers et des sous-officiers, peu d’hommes du rang, pour la plupart du département d’Aomori, en évitant de choisir des fils aînés ou en position de succéder à la tête d’une maison, ce qui permettait de maintenir la continuité de la famille en cas d’accident. Il avait pris soin de bivouaquer et d’attendre les guides lorsque les conditions atmosphériques ne permettaient pas de progresser. Au contraire, le détachement d’Aomori avait prévu de se passer de guides et de s’encombrer de traîneaux pour assurer la logistique – quatre hommes pour tirer un traîneau ayant une charge utile de 80 kilos – et, lorsqu’il avait fallu y renoncer, les soldats avaient été rapidement éreintés par la surcharge de travail imposée. Par ailleurs, sous la direction du capitaine Fukushima, le détachement de Hirosaki était rompu depuis 1899 au creusement de fosses de neige et aux bivouacs en plein air qu’il avait déjà expérimentés, notamment dans le massif d’Iwaki, Iwaki-san 岩木山, en février 1900. Il s’était ainsi rendu compte que les fosses de quatre mètres étaient beaucoup plus protectrices que les fosses de deux mètres creusées par leur camarades d’Aomori, qui restaient largement exposées au froid, au vent et à la neige. Le capitaine avait consigné ses remarques dans les publications à destination des officiers telles que « Chroniques de la Société d’entraide et de solidarité », Kaikōsha kiji 偕行社記事, et « Revue des Affaires Militaires », Heiji zasshi 兵事雑誌. Enfin, le détachement de Hirosaki avait été encordé, ce qui permit au groupe de maintenir sa cohésion, alors que la désorganisation et la dispersion eurent raison de celui d’Aomori.
Ensuite, le capitaine Fukushima était seul maître à bord dans le détachement de Hirosaki. Celui d’Aomori avait été placé sous le commandement direct du capitaine Kannari. Le commandant Yamaguchi Shin ne faisait office que d’accompagnateur en tant qu’« officier d’instruction principal » (kyōiku iin shuza 教育委員主座), mais il était son supérieur hiérarchique. Pour les hommes du rang, la chaîne de commandement n’était pas claire : à qui fallait-il obéir en priorité ? Que faire si les deux officiers étaient en désaccord sur la marche à suivre ? On sait que Kannari aurait souhaité conduire un peloton, mais Yamaguchi Shin lui avait imposé de constituer une compagnie en formation de combat. En outre, le commandant Yamaguchi Shin, durant la marche, semble avoir été à la remorque de ses sous-officiers, avoir court-circuité le commandement de son subordonné sans que ce dernier n’osât réagir, notamment dans les deux derniers jours qui furent les plus critiques, alors que le froid avait considérablement entamé sa propre lucidité. Au point même qu’il passa un moment pour décédé aux yeux de certains survivants.
Enfin, il faut mentionner les déficiences de l’appareil sanitaire. Outre le fait que les médecins les plus expérimentés dans les marches hivernales n’avaient pas été directement associés à la préparation de l’opération, ils avaient été exclus, pour des raisons indéterminées, de la marche elle-même, peut-être parce qu’ils n’appartenaient pas au même bataillon11. Les médecins et infirmiers affectés à la marche du 5e régiment ne purent suffisamment profiter du retour d’expérience de leurs aînés et ne disposaient pas des moyens adéquats pour traiter les blessures graves occasionnées par le gel. Diminuées eux-mêmes par la tourmente, les équipes de soins s’épuisèrent à porter vainement secours aux soldats, avant de succomber à leur tour.
Cela dit, d’un point de vue pratique et opérationnel, la marche du détachement du 5e régiment d’infanterie en milieu hostile était sans doute plus « réaliste » que celle du 31e. Difficile d’imaginer en effet qu’en évoluant en Mandchourie, il aurait été possible de baliser l’itinéraire avec le concours de populations locales fournissant le gîte et le couvert... Mobilisée lors de la bataille de Sandepu (Kokkōdai kaisen 黒溝台会戦) à la fin janvier 1905 au moment de la guerre russo-japonaise, la 8e division fut durement éprouvée par les combats – 1 555 morts et 1 693 blessés – mais ne subit aucune perte due au froid. Des recommandations avaient été présentées au ministère de l’Armée en octobre 1904 pour l’amélioration de la fabrication des raquettes et leur utilisation à grande échelle12. Au moment de l’éclatement de la guerre russo-japonaise, dans un numéro spécial de la Kaikōsha kiji, le capitaine Fukushima fit part de ses « considérations sur les opérations hivernales contre la Russie »13, comportant des recommandations sur les tactiques, la tenue vestimentaire, la santé et les approvisionnements, qui furent largement diffusées par le haut commandement auprès de l’encadrement, mais sans référence explicite à sa propre expérience des monts Hakkōda. D’ailleurs, durant toute la durée des hostilités, les Russes s’étonnèrent encore de la légèreté de la protection des troupes japonaises contre les bourrasques et tornades de neige. Enfin, il faudra attendre janvier 1911, pour que le 58e régiment d’infanterie de Takada 高田, département de Niigata, Niigata-ken新潟県, sous la houlette du colonel austro-hongrois Theodore Edler Von Lerch (1868-1945), s’initie au ski.
4. Le traitement médiatique et militaire de la catastrophe
L’émotion soulevée au Japon par la perte du détachement du 5e régiment fut considérable. À partir des 29-30 janvier 1902, la presse, tant régionale que nationale, rendit compte abondamment des circonstances de la catastrophe, des opérations de secours, et participa activement au mouvement de collecte de fonds pour venir au secours des familles éprouvées. Les chancelleries étrangères se joignirent également à ces élans de solidarité. À l’extérieur, les journaux s’en firent également l’écho, surtout la presse britannique, en raison vraisemblablement de la toute récente conclusion de l’alliance entre les deux pays14. Très vite cependant, la censure sévit : alors que la presse avait commencé à publier les témoignages des survivants, en particulier ceux du caporal Gotō, cette source d’information devait se tarir rapidement du fait des « mises en garde du commandant de brigade » et de l’« épuisement » physique et psychologique des intéressés15. Ce contrôle n’empêcha pas cependant la parution très rapide d’articles rendant compte du désarroi – voire de la colère – des familles qui attendaient le retour des appelés dans leurs foyers à l’automne, s’interrogeant sur le bien-fondé de cet exercice, fustigeant le comportement de l’Armée de terre et demandant des sanctions contre les responsables. Pour désamorcer les critiques, l’Armée de terre rappela que les militaires étaient morts « au service de l’empereur »16. Dans les publications quasi officielles du corps des officiers, on jugea la perte du détachement certes hautement regrettable, tout en soulignant que la mission du soldat intègre le sacrifice au service de l’État et de la nation17.
Car, pour l’Armée de terre, la tragédie des monts Hakkōda venait au plus mauvais moment. Celle-ci était en effet engluée dans un premier scandale : les rumeurs de sa participation active au sac de Pékin ayant suivi la fin de la révolte des Boxers : le gouvernement avait été interpellé à la Diète sur la question et des investigations pénales avaient été entreprises. Ce climat de suspicion avait d’ailleurs conduit à la démission du ministre de l’Armée Kodama Gentarō 児玉源太郎 (1852-1906) le 27 mars. Et les caricaturistes n’avaient pas manqué de rapprocher les « deux Yamaguchi » : celui du 5e et le général Yamaguchi Motomi 山口素臣 (1846-1904) compromis dans le sac précité18. Les deux hommes n’avaient évidemment rien en commun mais leur rapprochement servit à brocarder une institution militaire âpre au gain, et peu économe de la vie des soldats. Cette fois-ci, alors que les relations entre Saint-Pétersbourg et Tōkyō se tendaient, l’Armée de terre ne pouvait se permettre de se mettre à dos l’opinion publique, dans une période où elle entendait, au contraire, la galvaniser à la veille d’un conflit difficilement évitable avec un ennemi autrement plus redoutable que la Chine. Le ministère de l’Armée constitua, le 31 janvier, « une commission d’enquête sur la catastrophe du 5e régiment », présidée par le général Nakaoka Moku 中岡黙 (1847-1925), directeur du personnel au ministère de l’Armée, et s’engagea dans une stratégie de communication de contre-feu, tant en direction des familles que de l’opinion.
La question des responsabilités individuelles directes avait été réglée par le décès de Yamaguchi Shin et de Kannari. Toutefois, la commission d’enquête considéra, dans son rapport du 9 juin 1902 au ministre de l’Armée, que le commandant du régiment avait abdiqué les siennes en s’en remettant à ses subordonnés pour la planification et la préparation – insuffisante – de la marche, tant en ce qui concernait les tenues vestimentaires que l’absence de guides. Mais elle retint surtout, à charge, le délai dans l’organisation des secours et l’absence de carte d’identité militaire, voire de numéro d’immatriculation, qui compliqua l’identification des disparus. L’état-major général de l’Armée de terre et l’inspection générale de l’Instruction militaire (kyōiku sōkan 教育総監) ne pouvant se mettre d’accord sur les responsabilités respectives du commandant de la division et de la brigade qui avaient demandé à être relevés de leurs fonctions, l’arbitrage de l’empereur fut sollicité. En conséquence de quoi, seul le commandant du régiment, le lieutenant-colonel Tsugawa, dont la presse avait rapporté les velléités de suicide19, écopa d’une mise aux arrêts simple d’une semaine, mais uniquement pour avoir tardé à organiser les secours. Une sanction bien légère au regard des faits, et sans doute bien éloignée des attentes de l’opinion. On expliqua que le commandant de la division et celui de la brigade n’étaient pas directement en charge de la formation et de l’instruction des troupes et que la marche du 5e régiment ne comportant qu’un seul bivouac, elle n’avait pas réglementairement à être autorisée par le commandant de la division.
Le deuxième élément de la stratégie de l’Armée fut de prendre le pouls de l’opinion, et de procéder plus particulièrement à cet effet à des enquêtes auprès des populations locales d’où le 5e régiment était originaire. À cet effet, le commandant de la 8e division et la Kenpeitai rendirent compte au ministère de l’Armée des dispositifs adoptés pour secourir et consoler les familles, et de leur état d’esprit. Ces rapports se font l’écho du souhait des familles que les soldats disparus soient dignement traités, mais n’occultent pas non plus des réactions ponctuelles d’hostilité au service militaire ou antimilitaristes20. On devait d’ailleurs observer dans la région une recrudescence de la fraude au service militaire et, plus généralement, une hausse des engagements dans la Marine, de candidatures aux écoles professionnelles et normales bénéficiant d’un service militaire aménagé, ainsi qu’une crise dans le recrutement des sous-officiers21.
Le troisième élément concerne le traitement réservé aux soldats disparus et survivants : il concerne à la fois les compensations financières et l’hommage rendu par la nation aux victimes. L’Armée avait beaucoup insisté sur la sollicitude impériale : l’empereur, aussitôt informé, avait dépêché l’un de ses aides-de-camp (jijūbukan 侍従武官), le lieutenant-colonel Miyamoto Teruaki 宮本照明 (1856-1917), à Aomori pour lui faire rapport de la situation. À son retour dans la capitale, le couple impérial offrit aux familles des gratifications spéciales pour services religieux (saishiryō 祭祀料), proportionnels aux grades, allant de 75 yens pour le grade de commandant à 5 yens pour un homme du rang, et l’impératrice fournit des prothèses aux soldats amputés22. Le ministère de l’Armée se montra favorable à ce que les frais d’obsèques, les allocations, gratifications, pensions et pécules divers alloués aux familles et aux rescapés, selon leur grade, s’alignassent sur ceux accordés en cas de mort au combat, et les militaires décédés bénéficièrent, comme c’était l’usage, d’une promotion posthume. Mais, sur le volant financier, la Direction législative du Cabinet (Naikaku hōseikyoku 内閣法制局) et la commission d’enquête susnommée, pour des raisons juridiques, insistèrent pour que les sommes versées restassent inférieures aux prestations accordées aux ayants droit des soldats tués à l’ennemi23. Fallait-il par ailleurs honorer les militaires décédés au sanctuaire Yasukuni (Yasukuni jinja 靖国神社) ? Ce sanctuaire, pilier du shintō d’État (kokka shintō 国家神道), avant 1945, était au centre du culte du souvenir, à travers des rites d’incorporation accomplis sous la haute autorité de l’empereur qui sanctionnait les listes de disparus proposés à la déification, par lesquels les soldats morts au champ d’honneur devenaient des kami, protecteurs de la nation. Mais, contrairement aux allégations des Forces d’autodéfense (FAD) japonaises, de l’écrivain Nitta Jirō 新田次郎 (1912-1980) qui s’était intéressé à l’affaire, à certaines inscriptions locales en hommage aux victimes et à la conviction même de certains survivants, les mânes des soldats décédés au cours de cette marche ne furent pas intégrés au sanctuaire Yasukuni. Le nouveau ministre de l’Armée, Terauchi Masatake, y avait été personnellement favorable, à titre exceptionnel, et avait même souhaité qu’un conseil de Cabinet s’emparât du problème. Cette position ne faisait cependant pas consensus au sein de la commission d’enquête, et le gouvernement y était réticent, au motif que les militaires étaient décédés en service, certes, mais en temps de paix, non au combat, et qu’une telle « incorporation » risquait de brouiller la raison d’être du sanctuaire ‒ honorer les soldats tombés à la guerre pour la cause de l’empereur et de la nation ‒ et de créer ainsi un fâcheux précédent. Et surtout, la décision d’incorporer exceptionnellement les mânes des soldats au sanctuaire Yasukuni nécessitant une décision du Cabinet, rapportée au trône pour sanction par le Premier ministre, le ministère de l’Armée aurait abdiqué, en l’espèce, son pouvoir de tutelle du sanctuaire au profit du chef du gouvernement24. Bien plus tard, en mars 1987, en dépit d’un mouvement de pétition lancé par Ogasawara Koshu 小笠原孤酒 (1926-1989), un journaliste régional ayant travaillé sur le désastre de 1902, le sanctuaire confirma, pour les mêmes raisons, son refus d’y honorer les soldats défunts. Rien n’empêchait en revanche à ce que leur mémoire fût célébrée dans les gokoku jinja 護国神社 comme celui d’Aomori. Ces gokoku jinja, littéralement « sanctuaires de protection de la nation », peuvent être considérés comme des déclinaisons locales du Yasukuni. En d’autres termes, rien ne s’opposait à ce qu’un culte local leur soit rendu, comme alternative à l’absence d’hommage national et, dans la région, de nombreuses stèles ont été érigées à la mémoire des défunts.
Le quatrième élément fut la publication, en juillet et novembre 1902, de deux versions ‒ le shimatsu et le tenmatsu ‒ d’un narratif exposant la version officielle des événements à partir des témoignages épurés des survivants et des secouristes, et des articles déjà parus dans la presse locale, dans le but de contrôler l’information diffusée dans le public. L’odyssée du détachement d’Aomori servit de prétexte à illustrer l’esprit de sacrifice et le courage du soldat japonais face à des situations d’exception. Les militaires et leurs officiers avaient été victimes, non pas d’une faute ou d’une négligence de l’encadrement, mais d’éléments déchaînés difficilement prévisibles : un cas en quelque sorte de force majeure. Une version qui faisait de la fatalité la cause principale de la catastrophe, et qui occultait d’autant plus les responsabilités de la hiérarchie que les officiers directement à la manœuvre avaient disparu. On magnifia l’attitude des hommes du rang qui s’étaient étendus sur le corps de leurs officiers pour les protéger du froid et qui avaient partagé leurs derniers instants. Le cas a bel et bien existé puisque les secours ont découvert au moins deux corps dans cette position, mais les photos prises, et diffusées, furent des reconstitutions postérieures, des mises en scène orchestrées par l’Armée de terre en direction de l’opinion25. On loua la sollicitude des soldats à l’égard de leurs camarades sur le point de mourir comme un exemple de fraternité d’armes. On indiqua que le caporal Gotō avait été retrouvé debout dans la neige, dans la posture d’une sentinelle, que des soldats ne pouvant se résoudre à abandonner les corps de leurs camarades morts les avaient portés sur leur dos jusqu’à épuisement, que certains auraient même tancé leurs officiers prêts à jeter leurs armes, que des cadavres avaient été retrouvés le fusil encore à l’épaule. Autant d’éléments, la plupart du temps invérifiables, qui devaient participer du processus d’héroïsation et d’exemplarisation des soldats, à travers des anecdotes édifiantes (bidan 美談) dans le but de désamorcer, avec succès semble-t-il, les critiques à l’égard de l’Armée de terre.
5. Rumeurs et interrogations
L’accident des monts Hakkōda n’a pas dérogé à la règle générale suivant laquelle les grandes catastrophes, au-delà de l’effet de sidération, nourrissent nombre de rumeurs et d’interrogations plus ou moins fondées. On en évoquera ici trois : les causes réelles du décès du commandant Yamaguchi Shin ; l’hypothèse d’une jonction avec les débris du 5e régiment ; le mystère de l’occultation du succès du 31e.
Les circonstances de la mort du commandant Yamaguchi Shin le 2 février à 20 heures ont donné lieu à des développements contradictoires : officiellement, de source militaire, il serait décédé d’un brusque arrêt cardiaque à l’hôpital où il avait été transporté, peu de temps après la visite du commandant du régiment26. Coïncidence jugée troublante, le médecin militaire en charge du commandant, le docteur Nakahara Sadae 中原貞衛 (1864-1905), que le général Tatsumi avait fait venir spécialement de Yamagata (Yamagata-shi 山形市), aurait également connu une mort suspecte en septembre 1905. Et dans les archives de l’hôpital militaire de la garnison d’Aomori, on ne trouve pas trace du dossier médical de Yamaguchi Shin. D’où le soupçon : le commandant Yamaguchi Shin n’aurait-il pas été subrepticement éliminé ? La presse de l’époque avait déjà fait état des tendances suicidaires du commandant et la thèse d’un suicide avec une arme de service a été soutenue par la famille : la hiérarchie aurait fait pression sur l’officier pour qu’il endosse, seul, la responsabilité du désastre. L’hypothèse semble cependant peu probable car, selon le professeur Matsuki Akitomo 松木明知, médecin de son état, sur la foi de nouveaux rapports médicaux exhumés au début des années 1990, les gelures aux doigts constatées ne lui auraient pas permis d’appuyer sur la gâchette, et le coup de feu aurait été entendu dans l’hôpital27. Mais le professeur Matsuki a évoqué une autre piste : celle d’un décès provoqué par une intoxication volontaire au chloroforme – couramment utilisé dans les hôpitaux militaires avec un mélange d’éther ‒ sur la base d’un document rédigé par le docteur Nakahara, retrouvé dans des papiers familiaux en 197228. Or, si cette pièce mentionne bien l’administration d’un sédatif, rien dans les télégrammes échangés entre Aomori et Tōkyō ou dans les archives du ministère de l’Armée ne vient ‒ ne serait-ce qu’indirectement ‒ corroborer la thèse d’une euthanasie ordonnée ou suggérée par la hiérarchie. Le décès étant intervenu en moins de 24 heures après son transfert à l’hôpital, il aurait été virtuellement impossible, compte tenu des moyens de communication de l’époque, de faire pression sur le commandant pour qu’il se suicide, ou de mobiliser la chaîne de commandement pour « organiser » discrètement sa disparition.
Le fait que les deux marches des détachements des 5e et 31e régiments soient intervenues, simultanément et en sens contraire, ne pouvait manquer d’exciter l’imagination : n’y aurait-il pas eu, à défaut de concertation, une émulation, entre les deux régiments, dont certains observateurs se plaisent à évoquer la rivalité ? Le détachement du 31e régiment n’aurait-il pas pu porter secours à leurs camarades du 5e ? Officiellement, le 31e ne prend connaissance de la catastrophe ayant frappé le 5e que le 29 janvier, à son arrivée à Aomori. Les deux projets de marche sont théoriquement indépendants, mais la presse ayant annoncé la marche du détachement de Hirosaki, le 5e régiment en a été vraisemblablement informé29. Le 28 janvier, le journaliste accompagnant le détachement du 31e note que deux fusils et deux corps appartenant au 5e régiment avaient été découverts, mais que le capitaine Fukushima avait ordonné de passer outre30. Cet article devait disparaître au bout de quelques jours des archives du Tōō et, par la suite, on a pu constater qu’il manquait dix jours dans les archives du journal recouvrant la couverture de la marche par le journaliste. Pour la famille de Tōkai, cette lacune n’était pas fortuite : elle résultait de la censure militaire ou de pressions politiques31. Quoi qu’il en soit, cet article et d’autres du même type ont dû alimenter la rumeur populaire rapportée, bien des années plus tard, par un député local, Awaya Yūzō 淡谷悠蔵 (1897-1995)32. Mais la famille du capitaine Fukushima a démenti formellement ces « inventions » au motif que le journal de bord tenu par Fukushima n’y fait pas allusion33. Cependant, les preuves en sens contraire abondent. Il y a d’abord un télégramme au ministère de l’Armée : il s’agit du rapport, expédié dans la matinée du 29, depuis Tamogino, par l’officier en charge des opérations de secours, le commandant Kimura Nobuaki, sur la base des déclarations du capitaine Fukushima et qui atteste de cette rencontre macabre. Celle-ci est également confirmée par les confidences et les notes journalières tenues par d’autres militaires du 31e : ainsi en est-il du journal du caporal Izumidate Kujirō 泉舘久次郎, « Souvenirs de la chaîne des monts Hakkōda » (Hakkōgoku no omoide 八甲嶽の思ひ出), indiquant que des fusils de type 30 ‒ l’arme standard de l’infanterie japonaise depuis 1897 ‒ avaient été retrouvés, ainsi que deux cadavres à moitié enfouis dans la neige. Celui du caporal Mayama Jinsuke 間山仁助, « journal d’une marche hivernale » (Setchū kōgun nikki 雪中行軍日記), va exactement dans le même sens. Son fils, Mayama Shigekatsu 間山重勝 déclara plus tard à la presse, que « les deux corps étaient recouverts de neige comme des statuettes daruma »34. Il en est de même des confidences – tardives – des guides recueillies en août 1930, dont celles de Kawamura Miyazō 川村宮蔵 et de Tomabechi Yoshishige 苫米地吉重, selon lesquelles plusieurs cadavres, et pas seulement deux, auraient été retrouvés, mais que Fukushima leur avait intimé l’ordre de ne pas y toucher et de ne jamais en parler. Il existe aussi des témoignages contemporains de l’événement de deux autres sous-officiers du 31e indiquant que, lorsque l’on voulait retirer les casquettes pour identifier les victimes, la peau du visage se détachait35. En d’autres termes, en dépit des consignes de silence, il est clair que cette rencontre est attestée de longue date et qu’elle a même fuité dans une partie de la presse de l’époque. De ce fait, il ne fait guère de doute que le 31e a croisé la trace du 5e, mais sans prendre la mesure de l’ampleur de la catastrophe, et qu’il a continué son chemin. Après tout, la marche touchait à sa fin et le 31e était lui-même en difficulté ; il n’était pas équipé pour porter efficacement secours à d’éventuels survivants, et récupérer, comme c’est normalement la règle, les corps des autres soldats, à moins de compromettre sa propre sécurité et sa mission ; la visibilité était limitée et le risque de s’égarer était élevé. Et même si l’on n’avait pas eu à déplorer de pertes, la marche du 31e avait été éprouvante : la plupart des militaires y ayant participé étaient revenus à leur base, exténués, souvent gelés, obligés de s’aider d’une canne pour marcher36.
On peut s’étonner enfin que le drame des monts Hakkōda ait occulté le succès du détachement du 31e régiment qui constituait à l’époque un véritable exploit, compte tenu de la distance parcourue et de la période de l’année. Une première explication est évidente. Si la presse locale a relaté les récompenses et les promotions ayant gratifié le 31e, elle a également fait état de la suspension des festivités devant être organisées pour le retour de son propre détachement : il aurait été indécent de célébrer les exploits du 31e alors que leurs camarades du 5e étaient en deuil. La cohésion même de la 8e division n’aurait pu qu’en souffrir. Une seconde explication, d’ordre culturel, réside dans ce que les historiens ont appelé la « noblesse de l’échec » : les héros japonais sont des héros tragiques, des perdants magnifiques, célébrés moins par leurs œuvres que par les circonstances de leur mort ‒ Minamoto no Yoshitsune 源義経 (1159-1189), Kusunoki Masashige 楠木正成 (?-1336), les 47 rōnin, SaigōTakamori 西郷隆盛 (1828-1877)37. Or, si l’équipée du détachement du 5e régiment est un échec – objectif non atteint, colonne anéantie –, la mort des soldats les transfigure et les fait figurer au panthéon des héros. Un autre élément concourt à cette transfiguration : le fait que le détachement était composé en majorité d’hommes du peuple, et non d'anciens samurai, avec lesquels il était plus facile de s’identifier. On comprend mieux, dès lors, le parti pris de l’Armée de valoriser la mort de ces soldats démontrant, selon elle, la capacité d’hommes du commun à se dépasser et à s’inscrire dans cette illustre lignée. La troisième explication est plus terre à terre : ménager les susceptibilités de l’Armée. Le rapport de Fukushima sur sa mission avait été bien apprécié par ses supérieurs mais, à sa déconvenue, il avait été promptement enterré : la comparaison avec le détachement du 5e aurait été cruelle pour l’Armée qui s’attendait à ce que la catastrophe provoquât une onde de choc dans l’opinion. Souligner le succès du 31e aurait provoqué des interrogations sur les raisons de l’échec du 5e, les différences d’organisation du commandement : comment expliquer que deux marches hivernales prévues au sein de la même division, à la même période, pratiquement au même endroit, dans des conditions climatiques comparables, aient abouti à des résultats aussi diamétralement opposés ?
6. La mémoire de la marche des monts Hakkōda dans le Japon d’après-guerre
Avant-guerre, la tragédie des monts Hakkōda a servi les buts de la propagande militaire et, plus prosaïquement, les intérêts d’entrepreneurs de spectacle parfois peu scrupuleux (tableaux vivants, dioramas, lanternes magiques, pièces de marionnettes, etc.). Après-guerre, la catastrophe a été longtemps oubliée. Il faudra attendre les années 1970 pour qu’elle resurgisse dans l’imaginaire collectif, en mobilisant tous les supports de la culture populaire. Le coup d’envoi avait été donné par un « roman documentaire » (kiroku shōsetsu 記録小説), de Nitta Jirō publié au Japon en septembre 1971, traduit en français en 198738, et adapté au cinéma en 1977 par le metteur en scène Moritani Shirō 森谷司郎 (1931-1984). Ce film tourné avec les grandes vedettes japonaises de l’époque, dont Takakura Ken 高倉健 (1931-2014), dans les rôles principaux, fut l’un des plus grands succès du cinéma japonais d’après-guerre avec plus de 2,5 milliards de yens de recette, à une époque où l’industrie cinématographique japonaise traversait une crise grave. Nitta et Moritani ont pris certes quelques licences avec l’histoire : ainsi, les deux détachements n’avaient pas fait assaut de concurrence, l’un des ressorts de l’intrigue expliquant la catastrophe dans le film. Le parti pris de Nitta de présenter cette affaire sous l’angle dépréciatif d’une expérimentation sur des cobayes humains (jintai jikken 人体実験) et sa vision critique de l’institution militaire de Meiji – qu’on ne retrouve pas dans le film – ont pu choquer ses informateurs39. Il dénotait en tout cas dans le concert des commémorations du centenaire de l’ère Meiji. Mais le succès du film redonna une nouvelle jeunesse au roman de Nitta, figurant en troisième position dans la liste des best-sellers la même année, avec 1,8 million d’exemplaires vendus. Plus surprenant, certaines firmes s’inspirèrent du livre et du film pour mettre en garde leurs cadres contre un mauvais management des ressources humaines. Le film fut ensuite adapté pour la télévision, en six épisodes, que la chaîne TBS diffusa en avril-mai 1978. Les monts Hakkōda inspireront également le sketch « Le Tunnel » du film Rêves, de Kurosawa Akira 黒澤明 (1910-1998), en 1990, et qui met en scène les affres d’un officier confronté aux fantômes des soldats décédés sous ses ordres. En 2014, les notes d’Ogasawara Koshu comportant les interviews du caporal Ohara Chūsaburō et du 2e classe Miura Seikichi 三浦清吉 qui avait participé aux opérations de recherches, dont seules les deux premières parties parurent sous forme de roman documentaire en 1970 et 197440, servirent de base à un long métrage tourné également sur les lieux mêmes de l’accident par le réalisateur Miyata Satoshi 宮田聡. On trouve également des mangas sur ce thème41. Un intérêt et un succès populaires qui expriment moins une défiance à l’égard du « militarisme » de Meiji qu’une sensibilité à la fragilité de la condition humaine face au déchaînement des forces naturelles. Enfin, en juillet 2023, le bureau de météorologie de Nagoya reconstitua la situation climatique prévalant dans la région d’Aomori en exploitant les données météorologiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA)42.
Les Forces japonaises d’autodéfense elles-mêmes ne pouvaient naturellement se désintéresser de l’accident. À partir de février 1965, le 5e régiment d’infanterie des Forces terrestres d’autodéfense en garnison à Aomori entreprit des marches hivernales annuelles. En janvier 1972, il reconstitua même la traversée des monts Hakkōda en uniformes d’époque. Cette formation est l’héritière directe du régiment éponyme de Meiji, jusque dans l’émulation avec le 39e régiment d’infanterie stationné à Hirosaki, lui-même successeur de l’ancien 31e. Officiellement, il s’agit de s’entraîner, entre autres, à faire face à des catastrophes naturelles de grande ampleur, à manœuvrer dans un environnement hostile et à participer à des opérations de sauvetage d’alpinistes et de skieurs en perdition. Mais aussi, et peut-être surtout, de conjurer le sort de leurs aînés : la prise d’armes au cimetière de Kōbata 幸畑 où reposent les dépouilles de leurs prédécesseurs et devant la statue du caporal Gotō, fait partie intégrante des rituels entourant ces nouvelles marches hivernales43. Enfin, un musée et centre de documentation privé a été ouvert à Aomori en juin 1978, complètement rénové par la municipalité en juillet 2004, et des panneaux commémoratifs ou de signalisation ont été plantés sur les lieux supposés de la catastrophe44.
Conclusion
Les soldats ont-ils été victimes du caractère borné et de l’incompétence de leurs supérieurs ? Il est facile, rétrospectivement, d’en faire l’illustration des tares de l’Armée japonaise, d’observer que le taux de survie des officiers (18,2 %) avait été bien supérieur à celui des hommes du rang (2,7 %), de faire le procès du principe d’obéissance absolue à la hiérarchie et du cynisme de l’Armée de terre45. La réalité est encore plus triviale. Même s’il n’avait pas été possible d’anticiper les conditions exceptionnelles du climat de ce mois de janvier 1902, le manque d’équipement et de préparation, la fébrilité du commandement ont constitué un facteur d’aggravation du péril. Une fois pris dans la tourmente, ce n’est pas tant le sens du devoir qui a guidé les hommes que la quête éperdue de la survie.
Il faudra attendre janvier 1932 pour que la traversée hivernale des monts Hakkōda soit réalisée à nouveau, avec succès cette fois-ci, par l’armée. Parmi les protagonistes de l’incident de 1902, les capitaines Kuraishi et Fukushima furent tués au combat lors de la guerre russo-japonaise, comme nombre des hommes du détachement du 31e. Le lieutenant-colonel Tsugawa, blessé au cours du conflit, termina sa carrière comme général de brigade. Tatsumi fut promu général d’armée en 1906 au lendemain de la guerre russo-japonaise. Le caporal Gotō Fusanosuke, réformé après son amputation des pieds et des mains, rentra au pays où il fonda une famille et exerça deux mandats d’élu local dans le village de Himematsu, Himematsu-mura 姫松村, département de Miyagi. Le dernier survivant de cette marche, le caporal Ohara Chūsaburō, lui aussi amputé des mains et des pieds, devait décéder en février 1970 à l’âge de 91 ans. La montagne n’avait pourtant pas dit son dernier mot : en juillet 1997, vingt-trois hommes du 5e régiment des Forces terrestres d’autodéfense, dans le cadre d’un entraînement de rangers, furent intoxiqués par des émanations de dioxyde de carbone d’origine volcanique dans la région de Tashirotai 田代平, dont trois décédèrent46. En décembre 2006, deux snowboardeurs américains originaires de la base aérienne de Misawa, Misawa kichi 三沢基地 furent sauvés in extremis. En février 2007, une coulée de neige sur une piste de ski conduisant au pied de la statue du caporal Gotō, fit deux morts et huit blessés. Et pour les Japonais férus d’« histoires horrifiques » (kaidan 怪談), les monts Hakkōda font partie des « spots » incontournables : selon les légendes locales, les soldats se seraient attiré le courroux de la divinité de la montagne en pénétrant dans son domaine le jour de sa fête. Après la catastrophe, la garnison d’Aomori vécut un temps dans la hantise des « revenants ». Encore aujourd’hui, si l’on en croit la rumeur, certains soirs d’hiver, on peut entendre le bruit de leurs pas errant dans la nuit. Et des promeneurs font état d’étranges rencontres dans la montagne…