Introduction
L’approche différenciée de l’esclavage et de la résistance, dans le fait colonial, a engendré une certaine discordance entre, d’un côté, le dire mémoriel de l’esclavage, perçu comme revanchard, dérangeant, et, de l’autre, la remise en cause de la colonisation française et de l’idéologie assimilationniste qui bénéficiaient, quant à elles, d’une certaine valorisation par les générations précédentes. Depuis une vingtaine d’années, cette approche différenciée a généré, au sein des trois départements, deux types de commémoration, dont la portée et la symbolique s’opposent et/ou interfèrent, également dans les luttes politiques et idéologiques. L’une s’inscrit dans la tradition commémorative de l’abolition de l’esclavage en mettant l’accent sur l’œuvre de la Seconde République de 1848 et des Francs-maçons dans le processus abolitionniste (dont Victor Schœlcher est l’incarnation) et dans l’émancipation sociale des descendants d’esclaves. La seconde pratique commémorative insiste, quant à elle, sur la résistance à l’esclavage et à l’ordre colonial, mais également sur le rôle des esclaves, en tant que victimes, dans le processus abolitionniste.
L’article portera sur cette seconde manière de penser et de dire le souvenir de l’esclavage colonial. Dans cette approche, il est intéressant de noter l’existence de deux dimensions. L’une, d’ordre profane, est partagée par tous les militants de la mémoire. La deuxième dimension, d’ordre cultuel, se pratique en présence d’un comité plus restreint. Cette dimension donne une identité propre à la commémoration effectuée par ses militants et la singularise par rapport à la célébration républicaine. Cette forme de commémoration de la résistance à l’esclavage et des victimes s’accompagne de rituels religieux. Il s’agit, à travers cet article, de mettre en évidence les éléments qui commandent cette nouvelle orientation qui date de 2009 ; de saisir la ou les signification(s) que cette nouvelle manière de célébrer peut révéler en termes de quête identitaire, voire idéologique et les limites qui en découlent.
Considérations d’ordre méthodologique et conceptuel
L’étude se situe dans le cadre d’une observation des lieux de mémoire, en situation de domination coloniale et en situation postcoloniale, au sein de trois anciennes colonies françaises. Cette domination coloniale a suscité, et suscite encore de nos jours, des réactions variées qui vont de la soumission à la révolte, en passant par des adaptations d’une grande diversité dans les attitudes et les comportements. Elle est alors un des éléments constitutifs de la construction des identités individuelles et collectives de ces territoires.
Au cœur de cette réflexion, le concept d’espace public occupe une place de premier plan. Ce concept a été abordé pour la première fois par le sociologue Jürgen Habermas (1988) au début des années 1960, dans une étude historique et sociologique des transformations structurelles de la bourgeoisie du XVIIe siècle au XXe, en Europe et plus singulièrement en Angleterre, en France et en Allemagne. Il a revisité ce concept au début des années 1990 (Habermas 1992), à travers une préface qui tente de préciser l’objet de sa recherche, sans pour autant remanier la première version. Bien qu’ayant suscité des controverses, le concept fait toujours autorité. Il bénéficie d’une large audience en sciences politiques et en sociologie notamment. Il revient en force dans les recherches actuelles sur les revendications sociales et politiques. Concept polysémique, il ouvre de nouvelles perspectives d’investigation. Parmi les acceptions attribuées au concept, je privilégie celle donnée par la sociologue et urbaniste Nassima Dris qui, à bien des égards, correspond à l’approche que je fais de mon thème de recherche. Elle définit l’« espace public » comme un espace de :
[…] médiation entre les citoyens et les pouvoirs, un espace de communication et un lieu-symbole où s’expriment des visions antagonistes relatives à l’intérêt commun. En effet, si l’espace public participe à la pacification des mœurs, il contribue aussi à rendre visible les conflits et concurrences entre différents acteurs. […] L’appropriation de l’espace peut être associée également à l’« espace défendable » au sens d’un ensemble de pratiques et comportements visant à définir un espace reconnu comme légitime grâce à un système d’appropriation spécifique […]
(Driss 2017)
Des enjeux politiques et identitaires surgissent alors, surtout dans le contexte actuel où les mémoires des différents groupes socio-culturels qu’abrite chaque département, tentent de conquérir l’espace public, dominé jusqu’alors par la mémoire promue par les élites urbaines. La relation entre mémoire et espace au sein de ces trois territoires de la République française éclaire d’une part, l’évolution du positionnement identitaire et socio-politique, dans le temps et dans l’espace, des descendants des esclaves libérés par la Seconde République de 1848. D’autre part, elle éclaire sur la relation que ces descendants ont établie avec l’histoire et la culture de la mère-patrie, sur le traitement qu’ils ont réservé au fait colonial qui a structuré le passé de leur propre territoire et forgé leur identité. La lecture de la mémoire du fait colonial, entre 1848 (date à laquelle le Monument Liberté 1848 a été érigé à Petit-Canal en mémoire de l’abolition de l’esclavage) et 1948 (date à laquelle le centenaire de l’abolition a été célébré dans les trois territoires), a changé radicalement de sens durant la seconde moitié du XXe siècle. En effet, d’une mémoire qui exprimait la « gloire de l’Empire colonial », on est passé à une « contre-mémoire », dont les facteurs sont multiples, instaurée progressivement dans l’espace public de ces territoires. Une approche différente des pratiques mémorielles relatives au fait colonial s’est installée timidement dans l’espace public, entre 1971 (date de l’érection de la statue du Nègre marron à Fort-de-France) et 1998 (date des commémorations du cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage), et véritablement entre 1998 et 2020.
L’étude relève de notre expérience de terrain (1998-2009), d’abord en tant qu’étudiant d’histoire à la Martinique (1998-2003), puis comme enseignant d’histoire-géographie en Guyane à Saint-Laurent-du-Maroni (2003-2011). Depuis 2009, elle relève de notre observation en tant qu’historien issu des territoires concernés. L’étude mobilise des éléments d’ordre ethnographique, géographique, sociologique et historique. Elle se fonde sur la connaissance empirique des villes (villes chefs-lieux de département et d’arrondissement, communes), des espaces ruraux (communes rurales, villages, hameaux) et des populations, que j’ai pu acquérir au cours de mes précédents travaux. Elle s’appuie également sur un considérable corpus de documents originaux, non exhaustif mais divers, indispensables pour saisir et circonscrire le mieux possible l’objet de cet article, dans la mesure où des noms de rues, des monuments relèvent d’une démarche de commémoration ou d’approche symbolique (Bouvier 2007) et d’enjeu identitaire. Elle prend enfin en compte les atouts et les limites spécifiques à chacune des sources : sources matérielles, ethnographiques, audio-visuelles et orales.
Matérialiser la/les spiritualité(s) africaine(s) dans l’espace commémoratif
Dans cette fièvre commémorative qui ponctue l’actualité du souvenir de l’esclavage et de la contestation de l’héritage colonial tel qu’il a été transmis au temps de l’assimilation (1875-1946), on note le désir de ré-enracinement africain dans la manière de célébrer ce fait historique et mémoriel. A noter qu’en Guadeloupe, par exemple, l’investissement des rites ouest-africains dans les pratiques culturelles n’est pas nouveau. Dès les années 1980, des groupes carnavalesques comme Mouvman kiltirèl Akiyo (depuis 1978) Akyo ou Voukoum (depuis 1988), des rituels ouest-africains ont été réinvestis dans le carnaval. Nous avons pu les observer au moment de la mise en valeur des cimetières d’esclaves, où des rites d’inhumation inspirés des religions africaines (libations, prières, aspersions) ont été pratiqués. En témoigne la cérémonie de commémoration organisée par l’association Lanmou Ba Yo1 sur la plage de l’Anse Sainte Marguerite, au Moule, en Guadeloupe, en 2015 ou sur la plage des Raisins clairs à Saint-François. L’anthropologue Gaetano Ciarcia révèle dans son article (Ciarcia 2020) et dans le film qu’il a réalisé en 20172 des manipulations cérémonielles sacralisées autour d’ossements humains retrouvés. À l’issue de rites, les participants jettent des fleurs dans la mer, en hommage aux déportés africains morts dans l’océan Atlantique.
D’après le témoignage des organisateurs, ces rites sont destinés à offrir une digne sépulture à leurs ancêtres. Pour comprendre cette dimension spirituelle, deux témoignages nous éclairent : celui de Jean-Luc Romana, responsable de l’association Lanmou Ba Yo, et de Luc reinette, président du CINP. Lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, selon Jean-Luc Romana, il ne s’agit pas « […] d’honorer la République ni les héros de 1802, mais nos héros familiaux, nos parents […] »3. L’association Lanmou Ba Yo qu’il représente s’inscrit davantage dans un processus d’affiliation. La « […] République a instauré son récit mémoriel avec son animal totémique qui était Schœlcher. Sans doute, on doit commémorer la République, lorsqu’on commémore l’abolition de l’esclavage, mais à quel moment on honore les victimes, nos parents […] ». Jean-Luc Romana souligne aussi le fait « […] qu’il n’y a aucun lieu en Guadeloupe qui honore les victimes de ce crime contre l’humanité qu’est l’esclavage, aucun lieu pour honorer la mémoire de nos parents […] » (Romana in Ciarcia et Monferran 2020).
Dans le nouveau cimetière du Moule, l’association Lanmou Ba Yo envisage de réaliser un ossuaire mémoriel (Ibid.), à l’instar de celui de New-York. Une œuvre culturelle viendrait symboliser la présence de ces ancêtres, afin que les gens n’oublient pas. Le CIPN4, Comité International des Peuples Noirs, créé en 1992, a le projet d’ériger une statue qui dominerait la ville de Pointe-à-Pitre, sur le site du Morne-Mémoire du Mémorial Acte : « […] Manquant une dimension spirituelle au mémorial Acte, cette statue qui représentera l’homme africain sera un lieu de pèlerinage, de prière et de recueillement […] »5. Il prévoit de déposer des ossements provenant des cimetières d’esclaves à proximité de la statue. Toutefois, lors d’une visite de courtoisie, j’ai pu échanger avec la directrice du Mémorial Acte, Laurella Yssap-Rinçon6, au sujet du projet de statue, évitant de faire référence à ce que le président du CIPN m’avait confié précédemment. Selon elle, il ne sera pas possible d’élever un monument aussi gigantesque et d’y adjoindre un ossuaire. En revanche, elle a proposé à l’association de réaliser une statue de taille plus modeste, sans ossuaire, sur un autre lieu à proximité du Mémorial Acte, en bord de mer. Pour éviter la concurrence des mémoires, la statue sera placée à côté du Monument du Premier jour7, actuellement situé à la Darse, mais dont le déplacement est prévu. Le CIPN envisage aussi de transformer en sanctuaire des ancêtres africains, amérindiens, indiens (engagés indiens) le cimetière des esclaves8 de Capesterre-Belle-Eau. Ces exemples témoignent de l’intégration d’éléments cultuels africains dans le processus de mémorialisation et de patrimonialisation de la mémoire de l’esclavage dans les Antilles et en Guyane.
Pour les militants de la mémoire, la mise en avant de la mémoire de l’esclavage ne peut être effective sans le volet cultuel. Ce dernier se matérialise par des libations en hommage aux ancêtres. « […] Nous avons le sentiment d’avoir quelque part répondu à l’espoir de nos ancêtres. Souvent, nous citons une écrivaine, Maya Angelou9, “je suis le rêve et l’espérance de l’esclave”. Notre génération doit être effectivement celle qui doit traduire les espérances et les rêves des Afrès10 […] »11. Le processus de réappropriation et d’incorporation de la spiritualité africaine a véritablement pris son acte de naissance lors de la commémoration du « premier gouvernement dirigé par des Guadeloupéens », le 21 octobre 2021. Notons toutefois que dès l’inauguration du « Village international du ka et des tambours du Sud » (2012), à Duval (Petit-Canal, en Guadeloupe), la prise en charge par des membres du CINP de la religiosité africaine avait commencé avec un appel aux ancêtres. Entre 2016 et 2019, elle a bénéficié des approfondissements par le biais d’initiation et de lectures d’ouvrages relatives au culte des ancêtres.
Ces rituels sacrés contribuent, d’une certaine manière, à fixer les faits historiques dans la mémoire individuelle, catégorielle, mais aussi collective. L’objectif est certes de renouer avec la spiritualité africaine (religion traditionnelle), mise en marge à l’époque de l’esclavage colonial (XVIIe siècle-1848) et durant la période coloniale sans esclavage (1848-1960), mais surtout permettre la réconciliation des Afrodescendants guadeloupéens, martiniquais et guyanais avec la mémoire de leurs ancêtres africains mis en esclavage. Encore balbutiant en Martinique et en Guyane, des militants du MIR de ces territoires s’inscrivent néanmoins dans la même quête spirituelle.
Cette dimension spirituelle s’observe aussi dans le cadre de l’inauguration d’un certain nombre de monuments dédiés aux victimes de l’esclavage colonial, aussi bien en Guyane que dans les Antilles, en Guadeloupe notamment. À titre d’exemple, lors de la cérémonie inaugurale de la statue des Marrons de la liberté (Rémire-Montjoly 2008)12 et de la Stèle des sociétés marronnes des Amériques (Saint-Laurent du Maroni, 2013) en Guyane, des chefs coutumiers boni et dyuka (descendants de marrons bushinenge) étaient invités par les organisateurs à faire une libation au pied du monument, en mémoire des ancêtres marrons.
Des militants du MIR-Guyane ont également effectué une libation aux ancêtres, au pied de la statue des Marrons de la liberté, à l’issue du « Convoi pour la réparation »13 qui avait lieu du 4 au 5 juin 2016, entre Kourou et Rémire-Montjoly. Le même geste est pratiqué en Guadeloupe. Le 27 mai 2015 (jour de la commémoration de l’abolition de l’esclavage), à la suite d’une cérémonie républicaine, le CINP (par le biais d’un officiant originaire du Togo) a effectué une libation sur le parvis du Mémorial Acte (inauguré le 10 mai 2015), en mémoire des victimes de la traite négrière et de l’esclavage. Les 4 et 5 février 2017, à l’occasion du colloque, « Esklavaj é Réparasyon Ki Léta a komba-la si latè ? », organisé pour célébrer le 25ème anniversaire du CIPN (1992-2017), l’association a débuté la cérémonie d’ouverture par une libation aux ancêtres africains déportés en Amérique.
À l’instar de la voie qu’a empruntée, depuis les années 1980, le carnaval guadeloupéen, avec les « groupes à pô »14 notamment, et le gwoka depuis quelques temps, la commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la résistance par des militants de la mémoire se « ré-africanise » à travers l’adoption d’éléments cultuels empruntés aux religions africaines. Outre la présence de rituels religieux d’origine africaine dans les cérémonies, il y a une contestation de fond du catholicisme.
Décoloniser l’« imaginaire » façonné par le catholicisme
L’image positive dont bénéficiait le catholicisme dans la manière de croire des Afrodescendants guyanais, martiniquais et guadeloupéens est écornée par l’action des militants de la mémoire. Il est important de rappeler que dans les colonies françaises, la seule religion autorisée, du moins jusqu’en 1950, étaient le catholicisme (Delisle, 2000 ; Mam Lam Fouck, 2009). Tous les Africains qui débarquaient étaient baptisés (voir le Code noir de 1685) et étaient sommés de pratiquer la religion catholique ; de suivre l’enseignement qui était donné sur les habitations, dans les églises, au catéchisme. Ce qui leur permettait de connaître le dogme du catholicisme et de pratiquer la liturgie.
En dépit du fait que les Africains qui arrivaient dans les colonies n’étaient pas vierges de toute culture, la religion chrétienne a structuré leur imaginaire. Un certain nombre de monuments ont été bénis par les représentants de l’Église. Il en était ainsi du Monument Liberté 1848 (Petit-Canal) au début des années 1850, du Mémorial de l’émancipation à l’occasion du centenaire de l’abolition de l’esclavage, le 10 août 1948, à Cayenne. Toutefois, depuis les années 2000, on note un changement d’attitude à l’égard de l’Église considérée, comme les anciennes métropoles coloniales, responsable de la mise en servitude des Noirs. En d’autres termes, des militants de la mémoire associent l’Église à la mise en esclavage de leurs ancêtres ; l’accusent de leur avoir imposé un dieu qui n’était pas le leur. Il suffit de jeter un œil sur les réseaux sociaux, ce monde parallèle, pour constater l’ampleur du phénomène.
À travers l’observation des manières de commémorer le fait esclavagiste, depuis une dizaine d’année, on constate en effet une volonté croissante de la part de certains Afrodescendants des Antilles et des Guyanais d’origine créole, des militants notamment, de rompre15 avec le catholicisme, religion qui les avait bercés jusque-là. Cette tentative de rupture se traduit d’une part, par un discours dénonciateur. Le CINP et d’autres associations mémorielles ont fait, par exemples, des préconisations au président de Région, Ary Chalus, pour supprimer l’hommage rendu, dans le cadre de l’exposition permanente du Mémorial Acte, à Bartholomé de Las Casas (1474-1566), ce prêtre dominicain, connu pour avoir dénoncé la mise en servitude des Amérindiens par les Espagnols. Pour le CIPN, « […] Bartholomé de Las Casas a recommandé la mise en esclavage des Africains, même si sur la fin de sa vie il a regretté ça, ça ne change rien. Il faut l’enlever du mémorial Acte […] »16.
Elle s’exprime, d’autre part, par des actes de vandalisme des symboles qui représentent le catholicisme. En guise d’illustration, dans la nuit du 23 au 24 février 2020, la façade de la cathédrale Saint-Louis (Fort-de-France), a été couverte de tags. Un des murs portait l’inscription : « Évangélisation = colonisation »17. La statue du Christ, située sur la route de Didier (Fort-de-France) a été profanée en septembre 2017. Son visage ainsi que ses mains ont été peints en noir et une croix gammée inscrite sur son corps. Ce même acte de vandalisme s’était également produit à la commune de Rivière-Salée (Martinique) en Août 2020. La statue du Christ, située dans le rond-point, a été repeinte en noir, avec l’inscription « la foi tue ». Son visage a été voilé à l’aide d’un tissu et son rein recouvert d’un tissu en madras.
Des murs de la mémoire portent également la trace de la contestation du catholicisme. Sur un pan de mur qui se situe derrière la barrière de l’internat du lycée Richeval (Morne-à-l’Eau), un dessin représente, à bien des égards, ce besoin de ré-enracinement africain. L’œuvre n’est pas signée, mais son auteur semble exhorter les Guadeloupéens à « […] prier leurs ancêtres et pas Jésus ; à se souvenir d’où ils viennent ; de ne pas oublier l’Afrique […] ». Sont inscrits également, les noms de quelques ethnies originaires de l’Afrique de l’Ouest (voir Fig. 2). Par ailleurs, il est intéressant de rappeler que l’un des premiers monuments élevés en mémoire de l’esclavage était un baobab. S’agit-il de reproduire l’arbre de la liberté qu’avait planté Victor Hugues pour célébrer la liberté acquise en 1794 ? Situé en face du lycée technique de la ville des Abymes (nommé en 2013, Lycée Chevalier Saint-Georges), il avait été planté lors de l’inauguration de la statue du combattant Joseph Ignace, le 27 mai 1998. La plaque18, posée à quelques mètres de l’arbre, porte l’inscription : Les hommes sont comme des arbres, sans racines, ils ne peuvent tenir debout : David Gakunzi »19.
Ont été également plantés deux autres baobabs de petite taille devant le monument, Mur de Gorée ou la Maison des esclaves de Gorée20 (2000). L’arbre n’a pas été importé d’Afrique par le CIPN, mais il provient de la région des Grands Fonds en Guadeloupe. Toutefois, il s’agit d’un arbre originaire de l’Afrique. Le CIPN a choisi deux jeunes pousses dans la région des Grands Fonds pour rappeler, selon Luc Reinette, « (…) aux Afro-descendants guadeloupéens leur origine africaine (…) »21. Le Nègre marron ou Arbre de la liberté de la ville du Lamentin (Martinique), réalisé en 1998, épouse la forme du baobab (Fig. 4).
En guise de conclusion : cet article est une introduction d’une approche commémorative, assez récente, dans le rapport à la mémoire de l’esclavage des Afrodescendants Antillo-guyanais. Contrairement à ce qui est dit, ces derniers n’ont pas oublié l’esclavage, mais ils ont eu des rapports différents à cet épisode historique pour le reconsidérer à partir des années 1960. Et ce processus de réappropriation est passé par une relecture critique de l’histoire coloniale telle qu’elle a été transmise jusque-là et par la convocation des éléments qui étaient mis sous silence au temps de la politique de l’assimilation. Il s’agit, en particulier, des rites qui rappellent la spiritualité ouest-africaine. Ces rites sont investis dans le champ de la mémoire de l’esclavage.