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Après les deux premiers numéros exploratoires de Nacelles, l’un plaidoyer en faveur d’une histoire sociale et culturelle de l’aéronautique, l’autre s’interrogeant sur le sens de la conquête spatiale, après un troisième numéro qui s’est employé à donner corps à cette ambition autour d’une première approche comparative franco-italienne, nous sommes heureux de pouvoir présenter ce quatrième numéro consacré à l’astronomie nouvelle et à la constitution d’un nouvel objet scientifique : le système solaire, de Copernic à Laplace. L’équilibre thématique entre les deux versants de notre objet d’étude est ainsi jusqu’à présent respecté, et cela nous offre de surcroît l’occasion d’accueillir des réflexions sur un chapitre majeur de l’histoire des sciences : il s’agit du basculement qui intervient à l’époque moderne, au carrefour des savoirs antiques et des grandes avancées théoriques et empiriques observées en Occident dans le domaine de la physique et de l’astronomie, basculement qui entraîne le premier ébranlement des vieilles certitudes cosmogoniques et l’émergence d’une nouvelle vision de l’univers prenant ses distances avec la théologie, la reine des sciences du Moyen Âge. Avant de partir à la conquête du ciel, il aura en effet fallu apprendre à l’observer et à se le représenter, bref, à inventer de nouveaux objets scientifiques, parmi lesquels celui de système planétaire, dont le système solaire présente le premier modèle théorique.

Les contributions du présent dossier sont issues d’une des premières manifestations du projet lancé par une équipe pluridisciplinaire internationale et portant sur l’histoire du concept de « système planétaire ». Ses initiateurs sont deux chercheurs de l’Université de Toulouse : le planétologue Michel Blanc, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de l’Observatoire de Midi-Pyrénées (IRAP, UMR 5277, Université Paul Sabatier /CNRS), et l’historien Didier Foucault, du laboratoire France, Amériques, Espagne, sociétés, pouvoirs, acteurs (FRAMESPA, UMR 5136, Université Toulouse Jean Jaurès/CNRS).

L’objectif principal de ce groupe est l’organisation d’un colloque international à l’horizon 2020, et la publication des résultats. Signalons quelques-unes des rencontres qui ont déjà eu lieu : le 3 mars 2017 à Washington D. C., le 7 mars 2017 à Pékin, le 11 septembre 2017 à Pasadena. Les communications qui suivent ont quant à elles été présentées le 14 décembre 2017 lors d’un séminaire du master « Histoire et patrimoine de l’aéronautique et de l’espace », dirigé par Jean-Marc Olivier à l’Université Toulouse-Jean Jaurès. De manière globale, ce projet souhaite aborder la thématique des systèmes planétaires du triple point de vue de la recherche actuelle en planétologie, des racines historiques des concepts sous-tendant le paradigme des systèmes planétaires dans les différentes cultures et jusqu’à l’ère spatiale, et enfin des expressions artistiques et littéraires que le concept de système planétaire et ses différentes réalisations ont inspirées.

Avant Copernic et les savants qui lui ont emboîté le pas pour faire triompher le schéma héliocentrique, les astronomes (tout au moins ceux qui se sont situés dans le sillage des Grecs) ont certes identifié les planètes comme des astres errants, distincts des étoiles, et ont tenté de les inclure dans un Cosmos organisé comme un système structuré ; néanmoins, le « système du monde » géocentrique qu’ils ont adopté, parce qu’il ne distinguait pas les phénomènes purement stellaires de l’ensemble formé par les planètes et le Soleil, n’a pu constituer qu’une ébauche imparfaite de la notion de système planétaire.

Par la suite, alors que le système solaire a polarisé une grande partie des investigations cosmologiques jusque loin dans le xxe siècle, l’expression « système planétaire », si elle n’était pas absente des textes scientifiques, ne présentait guère d’intérêt pour les savants. Tout au plus pouvait-on, grâce à Newton, qui plaçait toute la mécanique céleste sous des lois uniques, l’étendre aux systèmes formés pas les planètes pourvues de satellites.

Depuis moins d’un quart de siècle, la découverte des exoplanètes et la mise en évidence de nombreux systèmes planétaires de plus en plus complexes et distincts du modèle solaire, ont ouvert de nouveaux horizons de recherche. La communauté scientifique se trouve ainsi confrontée à des défis épistémologiques qui ne peuvent faire l’économie d’une plongée dans le passé récent comme ancien de cette notion. Baliser le champ de cette enquête historique, en déterminer les enjeux et poser les exigences méthodologiques qu’elle implique, tel est le propos de l’exposé introductif de Didier Foucault, qui a par-là même une portée plus vaste que de simplement annoncer les textes ici présentés.

Au cours de la longue maturation de ce concept, la « révolution astronomique » occupe une place nodale, et l’objet du dossier est également de rappeler de significatifs éléments de continuité, que l’on a parfois tendance à occulter, et qui permettent de replacer l’objet théorique ainsi constitué dans un temps long. Les textes qui suivent examinent tour à tour l’élaboration des lois du mouvement des planètes (Jean-Michel Faidit), la reconfiguration du schéma héliocentrique initial de Copernic (Didier Foucault), les conditions inédites d’observation et de mesure des phénomènes commandés par le Soleil (Jérôme Lamy), et les débats sur la nature de l’espace interplanétaire (Jean-Christophe Sanchez). Enfin, parce que l’astronomie nouvelle a rencontré un large écho dans la culture du Grand Siècle, Yves Le Pestipon montre comment, le thème de la pluralité des mondes a participé de la mutation des belles-lettres vers la littérature moderne. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce numéro que d’offrir des perspectives d’ouverture et de croisements entre histoire des sciences, histoire littéraire et diffusion sociale de nouvelles représentations. Nos prochains numéros nous donneront encore l’occasion d’aborder ces thématiques.

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Référence électronique

Aladin Larguèche et Didier Foucault, « Éditorial », Nacelles [En ligne], 4 | 2018, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 05 mai 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/391

Auteurs

Aladin Larguèche

Docteur en histoire contemporaine

Université Toulouse – Jean Jaurès, Laboratoire Framespa UMR 5136 (chercheur associé)

aladinlargueche@yahoo.fr

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Didier Foucault

Professeur émérite d’histoire moderne

Laboratoire FRAMESPA (UMR 5136 Université de Toulouse Jean Jaurès/CNRS)

foucault@univ-tlse2.fr

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