Aux origines d’un logiciel industriel, Catia : les outils de conception des Avions Marcel Dassault, 1967-1980

Résumés

L’article retrace la double généalogie de CATIA, la branche de l’informatique et la branche de la rationalisation de la production. La première branche est celle de l’essor des développements de logiciels de dessin à partir des années 1960. Des besoins en pilotage d’outils industriels, des besoins en optimisation des formes conduisent à la conception d’outils numériques de calcul et de représentation. La seconde branche, celle de la production, conduit à chercher les meilleures réutilisations possibles, à réduire les temps de conception. Ce double mouvement n’est pas propre à l’aéronautique, mais il y prend une criticité particulière du fait de la puissance sans pareil des entreprises américaines.

C’est sous ce double éclairage que l’article étudie la préhistoire de CATIA, logiciel de CAO (Conception assistée par ordinateur) aujourd’hui leader mondial. Il décrit les éléments de décision qui ont conduit Avions Marcel Dassault à se lancer dans l’aventure logicielle, et leur relation avec le regard que portaient les pouvoirs publics, dans les années 1970, sur les enjeux de la conception. Ceux-ci perçoivent parfaitement le retard de productivité de l’aéronautique française et plus généralement de l’industrie, comme en témoignent des documents en provenance de la Direction des programmes et des Affaires Industrielles de l’Armement ou de la Direction des industries électroniques et de l’informatique.

Quant à la mise sur le marché, en tant qu’éditeur, d’un produit logiciel qui aurait pu rester interne (ce fut le cas chez les autres avionneurs) des éléments d’explication sont avancés: l’un est le statut d’architecte-intégrateur de Dassault et non de fabricant qui rend nécessaire de diffuser des outils communs au-delà de l’’entreprise chez les sous-traitants. Ensuite il y a le partenariat commercial dans lequel IBM accepte d’entrer après comparaison avec d’autres solutions. Il est un pari audacieux pour les deux parties, pour l’avionneur Dassault singulièrement qui n’a guère d’expérience en la matière. On est en 1981. C’est alors la création de Dassault Systèmes...

The article traces the dual genealogy of CATIA, the branch of computer science and the branch of the rationalization of production. The first branch is meant as the development of drawing software from the 1960s. The need for piloting industrial tools, the need for optimization of forms lead to the design of numerical tools for calculation and representation. The second branch refers to production requirements, leads to seek the best possible reuse, to reduce the design time. This double movement is not unique to aeronautics, but it takes a particular criticality because of the unbalanced power of American companies.

Under this double perspective the article studies the prehistory of CATIA, CAD software (Computer Aided Design) now a world leader. It describes decision-making factors  that led Avions Marcel Dassault to embark on the software venture, and their relationship, in the 1970s with public authorities. Those are fully aware of the productivity lag in French aeronautics and, more generally, in the industry, as evidenced by documents from Direction des programmes et des Affaires Industrielles de l’Armement ou de la Direction des industries électroniques et de l’informatique.

As for bringing to the marketplace, as a software editor, a development that could have remained internal (this was the case with other aircraft manufacturers), explanatory tracks are put forward: one is the status of architect-integrator of Dassault (and not manufacturer) that makes it necessary to disseminate common tools to subcontractors, therefore beyond the enterprise. Then there is the business partnership in which IBM agrees to enter after benchmarking the Dassault application against several others. It is an bold bet for both sides, especially for Avions Marcel Dassault which has no experience in the field. We are in 1981. It is then the creation of a new company, Dassault Systèmes.

Index

Mots-clés

CAO, CATIA, CATI, CADAM, Dassault, IBM, Lockheed

Keywords

CAD, CATIA, CATI, CADAM, Dassault, IBM, Lockheed

Plan

Texte

La création en 1981 par amd-ba1 de la société Dassault Systèmes fut une initiative industrielle, privée, française, et sans réel équivalent. Elle s’est révélée durable quand l’édition française de logiciels (jeux exceptés) est restée ténue, et l’entreprise non seulement existe encore, mais elle a atteint les premiers rangs mondiaux. L’effectif de Dassault Systèmes dépasse aujourd’hui celui de Dassault Aviation avec un chiffre d’affaires supérieur et une rentabilité meilleure. Aussi l’acte fondateur mérite-t-il d’être regardé dans sa genèse. Marcel Dassault, au début des années 1980, se lance dans une aventure qui n’allait pas de soi, celle d’un métier d’éditeur2 fort éloigné de celui d’avionneur et fort remarquable dans le monde informatique français d’alors qui prospère plutôt du côté des services. Ce qui est alors une filiale constituée d’une vingtaine d’ingénieurs développe Catia3, un logiciel destiné aux bureaux d’études de toutes industries, sur la base de développements internes conçus initialement pour satisfaire les besoins propres du constructeur aéronautique. Le pari allait bien au-delà de la viabilité de l’entreprise créée : il s’agissait de mettre sur le marché un savoir-faire acquis chez Dassault, prenant donc le risque de fournir son outillage intellectuel à des concurrents. Très peu parmi les avionneurs tentèrent l’expérience, aucun autre ne la réussit.

Retrouver les paramètres de la décision, suivre ce qui dans les vingt ans qui précèdent la formation de Dassault Systèmes, permet de situer les points d’accroche entre le développement des logiciels (calcul, dessin, conduite de machines) et les contraintes économiques qui pèsent sur l’aéronautique française.

En ce qui concerne les sources, on le sait, les entreprises sont peu enclines à l’archivage et encore moins à sa mise à disposition. Par chance, et cet article lui doit beaucoup, Francis Bernard, qui fut au centre de la gestation puis de la création de Dassault Systèmes pour en devenir pendant de nombreuses années son directeur technique, a conservé de nombreux documents en même temps qu’une mémoire précise du processus de maturation de la Conception assistée par ordinateur (cao) chez Dassault Aviation.

Convaincu par ailleurs que les militaires, clients et acteurs combien importants des industries aéronautiques, avaient nécessairement suivi l’évolution des techniques de modélisation et de représentation des produits industriels, on s’est tourné vers la Direction générale des armements (dga) qui dépose à Châtellerault un précieux fonds archivistique du point de vue de l’histoire industrielle. Celui-ci est intéressant de deux points de vue : le suivi des technologies et de leurs enjeux à travers des études et des marchés de développement ; le rôle de l’État dans les transformations industrielles. Il est logique de retrouver dans des correspondances interministérielles maints aspects des choix qui ont dû être faits :

Jusqu’à la fin des années 1960, l’industrie aéronautique française est d’abord une industrie d’arsenal, en ce sens que le choix des produits mis en fabrication et la nomination des dirigeants sont très largement aux mains du gouvernement, les programmes d’avions civils étant destinés à maintenir la capacité de recherche et de production de l’industrie en temps de paix. C’est ce qui permet de comprendre que la tutelle de l’ensemble de l’industrie aéronautique soit exercée par le ministère de la Défense4.

Le travail monumental accompli par le Comité pour l’histoire de l’aéronautique, Un demi-siècle d’aéronautique en France, est quant à lui un référentiel sans équivalent des transformations que connut cette industrie dans la deuxième moitié du xxe siècle ; il décrit tout à la fois les différents programmes d’avions civils et militaires, les problématiques techniques et industrielles et les évolutions qu’elles engendrèrent, les avancées théoriques, les formations ; il regroupe de nombreux témoignages d’acteurs de tout premier plan ; il s’appuie sur des contributions de responsables qui furent directement impliqués dans les opérations.

Pour restituer la généalogie de Catia, une première partie suit l’évolution des besoins en calcul de l’industrie aéronautique, lesquels sont en partie liés à ceux de l’innovation en capacités militaires ; la guerre froide crée une compétition farouche qui électrise la conception des systèmes d’armes.

Une deuxième partie analyse les questions de compétitivité et comment, sur le plan civil, l’Europe et singulièrement la France perçoivent pendant les années 1970 le retard en productivité qui les met sous la coupe de l’aéronautique américaine. Puis on examine la direction prise par Lockheed, entreprise pionnière en la matière, pour rationaliser ses phases de conception en utilisant ce que l’informatique offre alors. Sont aussi décrits les développements logiciels entrepris chez Dassault et qui vont conduire à une démarche très novatrice, dite 3D5.

La troisième partie regarde les années qui précèdent la création de Dassault Systèmes. Dassault, en tant qu’intégrateur, a besoin d’imposer un « langage » unique avec ses partenaires concepteurs de sous-ensembles. Il se met ainsi à la recherche de collaborations avec d’autres industriels de l’aéronautique, mais les discussions n’aboutissent pas, ce qui va conduire l’avionneur à s’engager sans eux. Mais pas en solitaire. Un allié puissant est gagné à la cause : ibm.

1. Nouvelles technologies, nouveaux besoins

1. 1. Une aéronautique demandeuse d’algorithmes

Dans la décennie 1960, des grandes entreprises de l’aéronautique s’approprient les technologies informatiques. Lockheed étudie en interne les possibilités des écrans, des crayons optiques et des claviers fonctionnels. On travaille à l’interactivité entre l’homme et la machine pour s’affranchir des fonctionnements en mode batch (ce sont des soumissions de travaux avec une attente souvent longue des résultats). Le C-5A, un avion-cargo de Lockheed Martin est retenu par l’armée de l’air américaine en 1964 et l’informatique est mobilisée pour pouvoir obtenir des pièces pour l’année 19666. Une équipe d’une vingtaine de personnes est constituée pour développer des applications avec un horizon opérationnel en 1965. Dans l’usine Lockheed Martin de Marietta (Georgia), sous l’impulsion de Sylvan Chasen, un mathématicien doué, ancien de la Navy ayant perdu la vue, des travaux sont menés sur la définition mathématique des surfaces extérieures. Des développements graphiques sur la commande numérique de machine-outil permettent d’ajuster plus simplement le parcours de la fraise en le visualisant sur écran. Comparé à un avion de transport militaire antérieur, le temps de développement des outils du C-141 se trouve réduit d’un facteur 67.

Ces initiatives et leurs résultats mènent quelques années plus tard, au développement d’un logiciel complet, cadam, qui aura une importance essentielle dans le destin de Dassault Systèmes.

On trouve chez McDonnell, dès le début des années 1960, une même inspiration. Des travaux informatiques sont lancés, à la fois en dessin et en commande numérique. Dès 1966, McDonnell Automation Company (McAuto) dispose d’un produit bien consolidé cadd (Computer Aided Design and Drafting) qui perdure bien après la fusion avec Douglas Aircraft l’année suivante et l’acquisition, une dizaine d’années plus tard, d’United Computing, entreprise californienne éditrice d’un logiciel brillant, Unigraphics. McDonnell restera toutefois réticent à l’idée de le voir en usage chez des concurrents. C’est un point central de cette généalogie. Certains précurseurs, parfaitement conscients de la portée globale de ce qu’ils produisent, répugnent à diffuser un savoir-faire, et à en tirer profit, si celui-ci peut cannibaliser le métier d’origine. À côté de ces exemples qui se frottent avec plus ou moins de résistance au marché du logiciel, des entreprises comme Boeing ou Sud Aviation puis la snias (Société nationale des industries aéronautiques et spatiales) ne se posent pas la question. Elles développent pour elles-mêmes et déploient en interne leurs logiciels de conception.

1. 2. Les Premiers Développements internes chez Dassault Aviation

Chez amd-ba, la fin des années 1960 marque le début des études détaillées du Mercure. L’avionneur a besoin de traiter des questions d’aérodynamique, de résistance des matériaux et de commande de machines-outils, ce qui demande du calcul. Celui-ci est assuré alors par une sorte de « service bureau8 » interne et les ingénieurs du bureau d’études formulent une demande, un besoin, en direction de l’équipe informatique qui réalise la programmation et les tests, fait tourner son programme et fournit les résultats.

Au début, mon seul « client » était le département d’aérodynamique théorique. Puis petit à petit, mes clients sont devenus tous les départements et usines de l’entreprise. Ce sont ces demandes d’utilisateurs non informaticiens9.

Les terminaux graphiques ibm 2250 se diffusent et suscitent un immense intérêt malgré leur prix élevé. Couplés à un ibm 360, ils apportent des capacités nouvelles (l’affichage de cartes géographiques fournit un bon exemple) et abrègent la mise au point des maquettes de soufflerie ou de la géométrie générale des outillages (matrices de formage, gabarits, moules, etc.), dont la forme se déduit de celle des pièces à produire.

Jean Cabrière est alors patron de la direction générale technique (dgt) et assume la responsabilité des études et de la définition des avions. C’est un poste très éminent en relation directe avec Claude Benno Vallières, le président des amd-ba. Au sein de la dgt, Pierre Bohn, qui a rejoint Dassault en 1953, dirige la Division des études avancées (dea), laquelle prend en charge les besoins scientifiques comme ceux de l’aérodynamique théorique ou du calcul de performance. Également responsable de la stratégie informatique du groupe, il décide en 1967 la mise en place de calculateurs sur lesquels sont créées des applications de pilotage de mocn (machines-outils à commande numérique). Ce sont des interfaces entre fraiseuse (de fait, le parcours de la fraise) et la définition des formes, entre ce qui n’est pas encore la cao et ce qui n’est pas encore la fao (Fabrication assistée par ordinateur). Au début des années 1970, la découpe ne concerne que la tôle (aluminium, métal, résine).

Dans un autre domaine, le maquettage fait l’objet de recherches. Il se construit par perfectionnements successifs à mesure des essais en soufflerie et chaque étape demande des mois de conception et de réalisation. Raccourcir le processus n’est pas simple. Dans cette informatique commençante, où l’essentiel du travail se fait à la règle à calcul, modéliser et numériser le maquettage, même avec peu de fonctions, demande des développements internes complets, depuis le système d’exploitation jusqu’aux interfaces avec les supports physiques comme les imprimantes Benson ou Gerber. Aucun logiciel n’est alors « sur étagère », prêt à l’emploi.

Du côté d’amd-ba, on cherche à faire avancer rapidement le programme Mercure et à montrer aux pouvoirs publics qu’une solution de transport civil est disponible à très court terme. Parmi les accords de coopération avec Sud-Aviation qui débutent en 1965, l’un concerne un projet de gros-porteur avec pour maître d’œuvre Sud-Aviation et le second est un petit porteur avec pour maître d’œuvre Dassault.

Après différentes péripéties, Dassault décidait de faire cavalier seul. Début 1968, à une époque où le projet Airbus s’enlisait, Marcel Dassault réussit à convaincre le gouvernement de la validité de ses études de marché et de ses choix technologiques : court courrier pouvant transporter 150 passagers sur des lignes de moins de 1 500 km. Marcel Dassault se voulait un entrepreneur innovateur efficace face à la lourdeur du secteur nationalisé, lourdeur renforcée par la coopération internationale. Il pensait pouvoir enfin faire rentrer la France sur le marché mondial de l’aviation commerciale après le demi-échec de Caravelle, l’avenir incertain de Concorde et les débuts très laborieux d’Airbus10.

La Division des études avancées se lance dans la définition mathématique des formes extérieures de l’avion. Francis Bernard la rejoint en 1967, à 28 ans, juste après SupAéro et le service militaire. Il travaille dès cette époque sur l’optimisation de la courbure des surfaces, ce qui est un sujet cardinal en aérodynamique (le comportement d’un flux d’air sur un profil d’aile relève plus de l’évolution de la courbure que de la forme in abstracto). Il développe une application, dite de Lissage, qui permet de contrôler précisément les surfaces, en réalité « assurant la continuité jusqu’à la dérivée de la courbure »11 à partir de points relevés sur les plans papier des dessinateurs. Ce sont des interpolations par des polynômes de degré 5 qui produisent sur du mylar12 des lignes d’une précision meilleure que celles que les traceurs dessinaient à l’aide de lattes sur les longues plaques de métal. Dans leur ouvrage sur Dassault, Claude Carlier et Luc berger estiment que « la voilure du Mercure est développée avec des outils de calcul très modernes pour l’époque : bien plus gros que le Boeing 737, le Mercure va plus vite13. » Mais le calcul a d’autres utilisations et, parmi elles, le tracé à l’échelle 1 destiné à définir des modèles de découpe. Ce travail, appliqué au fuselage et à la voilure, était traditionnellement effectué sur la tôle par les traceurs. À l’aide de lattes (des tiges en plastique déformables), couchés sur les plaques de métal, ils définissaient manuellement14 les courbes réelles pour la fabrication. Il fallait une habileté hors norme pour réussir les tracés avec la précision voulue. L’effet destructeur d’emploi saute aux yeux. Cette profession disparaît. La modélisation informatique donne des résultats semblables à ceux donnés par les lattes. Et sa représentation mathématique dans l’ordinateur permet de simuler le comportement aérodynamique de l’avion. L’effet créateur n’apparaît que dans le temps, avec la diffusion massive de la cao qui réclame de nouveaux profils, et le développement de la production qui réclame de nouveaux bras.

Cette première application de lissage des courbes sera suivie de bien d’autres dans la décennie 1970. Celles-ci seront pensées d’une façon globale dans geova (Génération et exploitation par ordinateur des volumes d’avions), un ensemble logiciel combinant les applications les unes avec les autres. Retenons ici que les premiers pas dans l’informatique de conception concernent des voilures ou des fuselages (plus exactement les surfaces qui les entourent) et cherchent à améliorer progressivement la finesse des modèles mathématiques.

2. La Compétitivité de l’aéronautique civile française dans les années 1970

La crise du pétrole de 1973 frappe les compagnies aériennes et par conséquent leurs fournisseurs. Le trafic chute, les coûts d’exploitation augmentent. La baisse du dollar couplée à l’inflation française positionne défavorablement la main-d’œuvre nationale. À suivre les travaux d’études du 7e plan (1976-1980) pour la Délégation ministérielle pour l’armement, « l’industrie aéronautique est dominée par les États-Unis15 » et, en ce qui concerne l’aviation civile, la tendance montre un approfondissement de cette domination qui fait craindre aux autorités françaises la constitution d’un monopole. La productivité s’améliore, mais à un niveau insuffisant pour combler le handicap. Si l’industrie des hélicoptères en souffre moins, celle des avions de transport commerciaux est directement touchée et l’urgence d’y remédier est clairement exposée. Les résultats commerciaux du programme Airbus lancé en 1969 sont incertains16, ceux des Concorde et Mercure sont désastreux. La fabrication de ce dernier est arrêtée un an après sa mise en service (juin 1974) après onze exemplaires seulement vendus à Air Inter.

La situation est jugée d’autant dégradée que les qualités opérationnelles des avions (Airbus et Mercure) ne sont pas significativement éloignées de celles de Boeing qui affiche une réussite désespérante avec ses mille deux cents B727 vendus. À performances égales, on produit plus cher et il faut débusquer les axes de réduction des coûts. L’ambition est raisonnable, car, du côté américain, les succès ne sont pas toujours au rendez-vous. Ni Mc Donnell ni Lockheed ne sont rentables dans le civil. Dans une note adressée au délégué ministériel pour l’armement, l’ingénieur général Arnaud, adjoint au directeur technique des constructions aéronautiques, écrit :

Entre la conception d’ensemble et le dessin de détail utilisable pour la fabrication, bien d’autres économies potentielles peuvent être débusquées :

– Revue des principes de fabrication et assemblages (usinage, types d’éclissage, nombre d’éléments à assembler, tolérances de fabrication) ;

– Reprise du dessin de certaines zones ou pièces complexes ;

– Structures secondaires.

Tout cet effort passe obligatoirement par une meilleure coordination des bureaux d’études et de la production, dont les industriels commencent à comprendre la nécessité notamment dans la mise en œuvre progressive des techniques d’analyse de la valeur17.

Cette coordination est ressentie comme délicate par les directions d’usine. Elle impose de prendre en compte la notion de coût dès la conception initiale. Une telle démarche est rendue difficile par le fait que les métiers ne sont pas les mêmes et que les compétences doivent cependant communiquer. Elle oblige à impliquer de nombreux niveaux hiérarchiques, à diffuser les évaluations de coûts profondément dans l’analyse et la définition de l’avion ; elle suppose de disposer de bases de données de composants. C’est du travail et du temps. Elle défie aussi « culturellement » le sentiment de contradiction entre création et rentabilité assez courant en France. Là où les Américains se nourrissent d’une agressivité compétitive (le rapport cite le « Beat Boeing ! » affiché dans les usines de Douglas), la mobilisation des énergies se fait plutôt sur une base scientifique dans une « culture d’ingénieurs » improprement nommée, car suggérant que les ingénieurs, par nature, ne feraient pas grand cas des équilibres financiers.

De gros efforts sont déployés dans les années 1970 pour prendre en compte la dimension des coûts dès la conception. Une démarche de Design to cost (DtoC) est lancée à la snias sous l’impulsion de Jean Pierson, directeur de l’usine de Toulouse, qui crée en 1977 les « Groupes opérationnels » dans lesquels se retrouvent des responsables des études et de la fabrication. La faisabilité technique et économique est évaluée au plus près de la conception « suivant une décomposition en modules : pointe avant, tronçon 13/14, mât réacteur, installation motrice, systèmes18… »

2. 1. Des fabrications d’une amplitude modeste

Les États-Unis disposent d’une autre arme de compétitivité qui tient à la longueur des séries. Elles y sont nettement plus longues et profitent ainsi d’une meilleure décroissance des temps de main-d’œuvre en fonction du nombre d’avions ou d’équipements produits19. Cette décroissance avec la taille des séries s’explique en premier lieu par un savoir-faire de plus en plus efficace des compagnons et des techniciens ; qu’ils soient en charge des fabrications ou des assemblages, ils acquièrent une expérience qui améliore l’organisation collective par l’ajustement des tâches. En second lieu, le dessin ne cesse pas avec le début de l’industrialisation ; il se poursuit tout au long de la vie de l’avion ; ses progrès simplifient progressivement les pièces ; la longueur de la série (qui peut se compter en dizaines d’années) permet des améliorations incrémentales. On a donc une double participation à la réduction des temps : l’accoutumance du personnel, le perfectionnement des méthodes de travail.

Le rapport d’études du 7e plan précédemment cité montre l’écart très significatif qui existe entre les deux industries aéronautiques.

Tableau 1 : Relation entre le rang et le temps moyen de production20

Nombre d’avions produits

Temps moyens américains

Temps moyens français

1

100

100

30

40

49

100

26

35

300

17

25

500

14

-

La deuxième colonne indique que si le temps nécessaire à la fabrication d’un premier avion est 100, celle du trentième est de 40 aux États-Unis et, selon la troisième colonne, de 49 en France, celle du centième est de 26 aux États-Unis contre 35 en France, etc. Et, comme le montre la troisième colonne couplée à la troisième ligne, la France n’atteint pas les cinq cents exemplaires. La meilleure performance des États-Unis tient à un investissement plus important dans les outillages dû à une meilleure confiance dans les possibilités du marché. Leurs prévisions de vente les conduisent à penser l’amortissement sur de plus longues séries ce qui les fondent à dépenser plus dans les phases initiales du développement.

Cette situation est perceptible dans un chiffrage fait par Mc Donnell Douglas (mdd) sur les temps et les coûts de fabrication de deux tronçons et de la voilure du Mercure 100 définis par Dassault. Les deux sociétés explorent des pistes de rapprochement au sujet du Mercure 200. La comparaison avec les informations en provenance d’amd-ba montre que les temps prévus par ce dernier sont compétitifs tant que la série ne dépasse pas deux cent cinquante appareils. « […] le temps unitaire du 1er appareil de série serait assez nettement supérieur chez mdd, mais la décroissance des temps plus rapide21. » La différence liée au rang de production est jugée également considérable par amd-ba et « suffit à expliquer l’écart entre prix de revient et prix de vente prévisionnel du Mercure 20022 », lequel est évalué alors à deux milliards de dollars par avion sur une base 1975 pour un prix de vente probable de douze milliards de dollars par Alain Bruté de Rémur, directeur d’amd-ba qui suit le programme Mercure23. À la fin des années 1960, il est a été un acteur important du montage européen autour de l’Airbus en tant que conseiller technique auprès de Jean Chamant, ministre des Transports. Après deux années à la snecma comme directeur général adjoint où il négocie des accords avec le gie Airbus, il rejoint en 1975 les Avions Marcel Dassault comme directeur et s’implique dans la relation avec McDonnell. Pour lui, il y a un problème général de l’aviation civile française. Sa volonté de pénétrer un marché se heurte à des concurrents américains qui ont déjà largement amorti les dépenses de lancement des programmes. Au reste, les séries courtes sont vues outre-Atlantique comme un manque de crédibilité de l’industrie européenne, incapable de soutenir la compétition en termes d’investissement sur les outils et donc de se risquer à un fort coût d’entrée sur le marché. Les discussions avec McDonnell visent à évaluer si une collaboration sur le Mercure pouvait résoudre ce problème. Elles restent sans lendemain.

La réaction française à ce problème de séries est imaginée selon un principe qui va présider jusqu’à présent à la conception industrielle : Airbus Industrie met en place la notion de famille d’avions destinée à partager le plus de composants possibles. Boeing était déjà dans cette approche avec une large mise en commun entre le 737-200 et le 7N7 (futur 757). Mais « penser famille » accroît le niveau de complexité des phases en amont de la fabrication ; c’est injecter de la diversité et de la réutilisation dans des produits déjà complexes isolément. C’est donc demander à la cfao beaucoup plus que le dessin et la conduite de machine.

Cela conduisit à la notion de commonalité, « néologisme tiré de l’anglais commonality, qui signifie à peu près “importance des parties communes entre divers matériels”24 ». C’est une sorte de standardisation, dont la manifestation la plus connue est l’identité des cockpits. Cette décision deviendra un véritable succès marketing en assurant aux compagnies aériennes qu’une formation minimale de leurs pilotes permettait de passer d’un avion à un autre. Mais la riposte va bien au-delà. C’est l’ensemble des composants et des pièces qui les constituent qui ont vocation à s’homogénéiser. La commonalité pousse à construire des référentiels de formes qui, de ce fait, doivent être classées, groupées, diffusées, ce qui exige de la cao qu’elle étende ses capacités. Les dessins ne suffisent plus, il faut les organiser.

La même exigence s’applique aux équipements, dont le coût moyen d’acquisition en Europe (à fonctions égales) est de 20 % supérieur à l’achat de l’équivalent aux États-Unis ; à l’exception de taille, les moteurs, qui sont ou bien achetés aux États-Unis ou bien auprès de constructeurs européens qui alignent leurs prix sur ceux qui y sont pratiqués.

Une autre dimension de la faiblesse française est le nombre d’heures de production par kilo avion. Roger Chevalier, directeur général de la snias, estime que, si les taux horaires sont encore inférieurs en Europe de quelque 20 % (taux de change mis à part), l’écart total (temps de fabrication multiplié par le taux horaire) est de 33 %. Depuis le début de la décennie 1970, la différence a tendance à diminuer et ne compense pas la productivité inférieure. Ainsi, Airbus demande 60 % de plus que les Américains ; la snias s’attèle au problème25 en réduisant le nombre de pièces élémentaires par kilo de masse ouvrée. Entre la Caravelle et l’Airbus, il passe de 9 pièces à 4,5 pièces. Mais pour le DC 8, il est de 4 pièces. Il sera probablement de 3,5, estime R. Chevalier, pour les nouveaux avions américains. Il voit la nécessité d’agir dès la phase de conception pour simplifier les systèmes et améliorer les outillages :

Boeing prévoit de dépenser en outillages 13 % des heures fabrication pendant la réalisation de la série de 300 7N7, contre une prévision 2,4 fois moins importante pour l’Aérospatiale26.

2. 2. Le choix Lockheed : une 2D clé en main rapidement appropriée

En 1974, pour outiller les études de programmes civils, amd-ba explore les offres logicielles du marché. Les États-Unis disposant d’une avance certaine dans le domaine, Michel Neuve Eglise est chargé d’étudier de près le marché américain27, dont il connaît bien les techniques informatiques et les terminaux graphiques IBM2250. Début 1969, il rejoint le service d’aérodynamique théorique de la Direction des études avancées dirigée par Pierre Périer. Il y travaille un temps sur l’optimisation du bec de Concorde sous-traitée à Dassault par Sud-Aviation.

Au milieu des années 1970, le programme militaire C-5A de Lockheed engendre des surcoûts importants et le L-1011 ne se vend pas très bien28. De nouvelles sources de revenus sont recherchées et la vente du logiciel de conception est envisagée. Le département d’engineering de Lockheed est réticent, convaincu de détenir un avantage concurrentiel de taille. Mais les priorités financières s’imposent et, en 1975, cadam, le logiciel de dessin développé pour ses besoins internes, est vendu à Northrop, à Grumman et à amd-ba.

L’année précédente, il avait été installé chez ibm à Paris, indiquant par-là que la France occupe en Europe une place particulière dans cette technologie. Au moins aux yeux d’ibm, lesquels ne sont pas les moins perçants.

Le progiciel cad/d de McDonnell est le plus achevé, mais l’avionneur ne souhaite pas le commercialiser. Les offres étant peu nombreuses, Dassault aurait pu s’orienter vers un développement interne. Il se trouve que, fait singulier, Lockheed accepte de vendre le code avec le produit, ce qui signifie que Dassault peut procéder aux modifications et ajouts qu’il juge nécessaires en modifiant le corps du logiciel. Cette décision est à rapporter au fait qu’à l’époque les api (Application Programming Interface) étaient quasi inexistantes, ce qui empêchait une entreprise cliente d’enrichir le logiciel avec ses propres programmes. L’ouverture contrôlée fournie par une api permet de développer de nouveaux usages sans (théoriquement) menacer l’intégrité du logiciel. Ne pas la proposer contraignait toutes les modifications à s’attaquer à un code source complexe, donc difficile à manipuler. Bien décidé à procéder à des ajouts, Dassault se prépare à acquérir les compétences nécessaires et accepte de ne pas commercialiser ses propres développements29. Dans le choix de cadam, la position d’ibm tient aussi une place essentielle. Le logiciel tourne sur leurs machines, tout comme l’informatique de Dassault. Des accords entre ibm et Lockheed sont déjà en cours de négociation. En 1978, ibm signe un accord commercial avec Lockheed qui, tout en étant non-exclusif, engage le constructeur informatique à mettre en place des forces de vente et d’après-vente. L’intérêt d’ibm est de proposer des offres complètes s’appuyant sur ses ordinateurs et ses périphériques. Enfin, en 1975, quand amd-ba achète cadam, Dassault et Lockheed sont en en discussion autour d’un court et moyen-courrier de cent cinquante places. Les pouvoirs publics français soutiennent une solution basée sur le Mercure 200 motorisé par le CFM 56 du consortium snecma/General Electric30. Ainsi trois raisons éclairent l’achat de cadam : la possibilité de le modifier, l’environnement ibm et une convergence industrielle entre avionneurs.

Au début, cadam est déployé en l’état (sans « customisation ») dans le bureau d’études et le bureau des méthodes. Des inquiétudes surgissent auprès des dessinateurs qui doivent être rassurés : les responsables des nouveaux outils expliquent qu’il ne s’agit pas de supprimer des postes, mais d’augmenter la productivité. Il ne semble pas que les résistances aient été particulièrement dures. « Ce logiciel fait découvrir la puissance de l’interactif graphique pour remplacer la planche à dessin31. » Un groupe de travail, créé pour développer les compétences, est rattaché à la direction générale de la production. Il s’inscrit en complément des équipes de développement qui restent à la dgt.

Fort de l’acquisition du code et de l’autorisation contractuelle de le transformer, Dassault se lance dans le développement de drapo (Définition et réalisation d’avions par ordinateur) qui est mis en service industriel à la fin de 1975.

Il s’agissait de réduire le délai de réalisation des maquettes de soufflerie qui était alors de six mois. Grâce à drapo, ce délai fut réduit à six semaines.

Le système drapo, qui fut ensuite installé dans toutes les usines Dassault, permit de réaliser :

• la définition des formes d’avions ;

• la conception des pièces dérivées des formes ;

• l’usinage, en commande numérique, des pièces et des outillages ;

• le contrôle, sur machine à mesurer à commande numérique32.

Par rapport à cadam, drapo apporte le traitement des volumes relativement simples, dits 2,5D dans la mesure où la troisième dimension est régulière (les objets sont « presque plats »). Tout imparfait qu’il soit, il produit de la commande numérique pouvant piloter des machines 5 axes avec des vrillages, des nervures d’aile, des cadres d’avion qui ne sont pas des plans simples. Le programme établit une jonction entre l’amont de la conception avion, les besoins en aérodynamique théorique, et son aval, le pilotage de l’usinage des pièces de la structure principale.

(Fig. 1)

(Fig. 1)

Principe de fonctionnement de DRAPO

(Archives personnelles Francis Bernard)

Le schéma ci-dessus présente une configuration mise en place dans chaque usine33. On voit que les périphériques sont de deux sortes : ceux qui sont connectés au système central, l’ibm 370 et ceux qui sont connectés à des minis. Au titre des premiers se trouvent les grands traceurs, les terminaux graphiques raccordés à la puissance de calcul pour les travaux de cao, les terminaux « texte » pour la soumission des travaux et plus pour généralement le dialogue informatique avec la machine centrale ; au titre des seconds, distribués, sont une variété de traceurs adaptés aux besoins locaux, dont des tables à dessiner capables de tracer avec une grande précision à la plume sur du mylar.

Des liaisons de transmission par lignes téléphoniques sont utilisées pour interconnecter les sites d’usine. Il va sans dire que les quelques Kbit/s sont très en deçà des Mbit/s voire des Gbit/s d’aujourd’hui. Ils ne permettent que des transferts lents de fichiers peu volumineux. Il n’empêche que, par ce moyen, des formes complexes pouvaient être calculées à distance et envoyées à des usines qui n’avaient pas de bureau d’études très équipé.

Les développements faits autour de cadam et qui composent drapo s’enrichissent progressivement. Ils se fiabilisent et se combinent solidement. Lockheed les apprécie au point qu’en 1980, il en achète les parties améliorant directement son offre et, ce, à hauteur de 200 000 $34, proposition acceptée par Dassault qui voit un intérêt à ce que ses développements deviennent des standards.

2. 3. Une cao propre à Dassault

Fin 1974, en même temps qu’elle finance l’achat de cadam, mais pour pallier ses insuffisances, amd-ba a un deuxième fer au feu et continue ses développements internes pour atteindre une « capacité tridimensionnelle », selon l’expression de Jean Cabrière. Insistons d’un mot35 sur le fait que la capacité à définir directement des volumes, à les assembler, à les déplacer, diffère de celle qui consiste à dessiner une pièce selon des plans pour la recomposer ensuite. Dans le second cas, c’est le cerveau qui travaille et qui reconstruit le solide à partir de sections planes. Dans le premier, une sorte d’algèbre des formes est transférée à la machine.

Les années 1970 sont celles de la guerre froide et les investissements en armement aérien sont considérés comme de la plus haute importance. Le critère clé est la performance des aéronefs. Les budgets existent et la minimisation des coûts n’est pas le cœur du sujet. Il faut des avions supérieurs à ceux des ennemis. Mais décoller rapidement, être flexible en vol, voler rapidement, sont avant tout des questions d’aérodynamique, des questions de géométrie. C’est pourquoi le volumique est étudié de si près. De surcroît, « le Mirage III est un succès commercial, il y a de l’argent et il faut innover36 ». Cette situation contribue sans doute à comprendre pourquoi l’aéronautique fut pionnière dans le développement de la cao. À condition toutefois d’y ajouter un autre paramètre, la collaboration entre entreprises, qui oblige à précisément formuler les contributions de chacun. Ce qui est devenu aujourd’hui une évidence opérationnelle était déjà à l’œuvre il y a un demi-siècle. Dans un ouvrage publié en 1983, Claude Carlier souligne cet aspect :

L’industrie aérospatiale française doit une partie importante de son activité de 1960 à 1975 à l’existence de programmes réalisés en coopération internationale. Pour faire face aux programmes de grande envergure il est souvent apparu nécessaire, pour les pays européens, de mettre en commun leurs possibilités individuelles37.

Ainsi le Concorde avec la France et le Royaume-Uni ; ainsi le Mercure avec la France, l’Italie et la Belgique.

« Les amd-ba et Dornier se sont rapprochés en 1969 pour répondre au besoin d’avion d’entraînement subsonique38 », qui sera baptisé Alpha Jet lorsque les gouvernements allemands et français le retiendront en juillet 1970. L’avion a en réalité une version d’entraînement militaire et une version d’attaque. Sa conception reprenait, entre autres, des travaux « commencés dans les années 1967-68 chez Breguet ; on a défini alors les débuts du programme et quand la coopération avec les Allemands a commencé, on était devenu entretemps Dassault39 ». En tant que maître d’œuvre, amd-ba a besoin d’une base de données partagée avec les Allemands, Dornier en l’occurrence, qui participent au programme. La maîtrise des surfaces passe par le raccordement, vers le milieu du fuselage, des sous-ensembles construits par les partenaires40. La surface complète de l’avion, surface extérieure avant et arrière, est dessinée par amd-ba qui assure aussi l’optimisation aérodynamique et les calculs de soufflerie.

Dans la période 1967-1975, au sein du département de l’aérodynamique théorique dirigé par Pierre Perrier, lui-même rattaché à la direction des études avancées dirigée par Pierre Bohn, se met progressivement en place une petite équipe spécialisée dans la conception et l’exploitation des formes. Au début, pendant l’année 1967-1968, Francis Bernard y est seul à développer et exploiter le programme de Lissage évoqué plus haut41, pour les besoins de l’aérodynamique théorique. Puis petit à petit, il constitue une équipe d’informaticiens à la fois auteurs et utilisateurs de programmes capables de fournir les résultats demandés par les ingénieurs. Ce sont les demandes qui s’accroissent dans le temps. Au début, ce sont les besoins des aérodynamiciens, puis s’ajoute le bureau de calcul par éléments finis, puis le bureau d’étude sur la planche à dessin puis cadam à partir de 1975. Les besoins d’exploitation deviennent de plus en plus importants et réclament des techniciens. L’équipe de Francis Bernard se renforce et si « au début des années 1970 elle est de quatre ou cinq personnes, elle passe à une dizaine en 1975, puis une trentaine en 198042 ».

En parallèle de cette activité est lancé le programme geova (Génération et exploitation par ordinateur des volumes d’avions), qui se traduit en ses débuts par une base de données 3D destinée à la définition tridimensionnelle de l’avion. Cette base permet non seulement de produire des maquettes précises, mais aussi des programmes de commande numérique pour l’usinage de pièces importantes et plus complexes que ce qui se fait jusque-là. Au début des années 1970, elle intègre des parties du Falcon 50 (éléments variables de voilure, extrados, caissons). Des programmes arrivent peu à peu (qui, pour mémoire, se présentent sous forme de cartes perforées). Ce sont des améliorations progressives des fonctions. Ainsi mira définit les surfaces à partir des courbes décrites par le dessinateur qui fournit des points et le type de surface souhaitée ; le programme calcule alors les équations correspondantes. Le résultat est conservé dans la base de données geova pour usage futur, de façon à pouvoir réutiliser des surfaces en fonction des besoins.

En aval, orion calcule les intersections de volumes et de surfaces avec un plan quelconque pour produire des sections. altair exploite les lattes issues des programmes de lissage, les courbes provenant d’orion, et calcule des points pour les envoyer aux tables traçantes ou à d’autres programmes. pollux adapte les formes de mira pour les rendre transférables par réseau de transmission vers des sous-traitants ou des partenaires qui ne disposaient pas de geova. Enfin, l’arrivée et la généralisation de cadam imposent d’échanger des données entre systèmes (les cadres de fuselage ou les nervures de voilure par exemple) ; la commande numérique de drapo peut alors exploiter les données développées dans geova. Le tout forme une chaîne complète qui préfigure la 3D d’aujourd’hui. Si, avec la 2D de cadam, des parties de plus en plus significatives de l’avion sont dessinées informatiquement, la 3D approche bien plus simplement les formes extérieures.

En 1976, sont ajoutées les fonctions mathématiques de Bézier, qui avaient montré tout leur intérêt chez Renault pour la conception, entre autres, des éléments de carrosserie aux surfaces complexes. La définition des surfaces de Bézier était publique et d’un usage souvent plus simple que les surfaces de Coons43.

Quand, en 1977, commence le développement de cati (Conception assistée tridimensionnelle interactive), ce sont déjà dix années d’expérience en géométrie qui se sont accumulées chez Dassault Aviation, expérience à deux faces : celle de la 2D et celle de la 3D. La volonté est de les faire converger. Tout le problème est alors dans la trajectoire. Les lacunes de cadam, ressenties comme importantes par l’équipe de développement, poussent certains à vouloir l’abandonner. Jean Cabrière, alors directeur général technique, refuse aux titres de l’investissement déjà réalisé, de la compétence acquise et des risques qu’une autre plateforme ferait de toute façon courir44.

L’ergonomie de cadam, avec ses menus, influence énormément le projet. Le perfectionnement des environnements informatiques permet de nouvelles avancées. Les nouveaux terminaux graphiques IBM3250, les nouveaux ordinateurs sont plus puissants. Aussi, germe l’idée de réécrire tous les logiciels développés en interne, de les intégrer dans une architecture commune organisée autour d’une interface graphique nouvelle. L’objectif est de créer un logiciel utilisable par des non-informaticiens. La compétence en programmation ne doit pas être un prérequis. Seules des fonctions de dessin sont affichées. cati, c’est geova sans le langage par cartes perforées et avec une interactivité à la cadam.

Par prudence aucune ligne de code du logiciel américain n’est reprise. Dès son début le projet geova s’attache à éviter une action en justice pour copie illégale en ne mélangeant pas les développements. Mais ceux-ci, plus fondamentalement peut-être, sont étrangers l’un à l’autre. Fonder les représentations d’objets sur des volumes réclame une approche radicalement différente du dessin classique sur la planche. Si une mise en relation est nécessaire pour tirer pleinement parti des deux, elle ne signifie pas que la 2D et la 3D puissent s’échafauder, informatiquement parlant, sur une base commune. Elles se pensent séparément et ensuite seulement communiquent entre elles. En ce sens, geova ne perdait rien en partant de la feuille blanche.

Le premier rôle de cati est de piloter l’usinage. L’objectif de l’entreprise, en amont, est de réduire le cycle de conception d’un facteur 445. Il s’agit pour cela de fabriquer plus rapidement les maquettes, mais aussi de moderniser la chaîne qui part des plans trois-vues dessinés à la main (élévation, profil et face) par le bureau d’études, puis qui effectue des relevés à partir des plans, les transmettent aux traceurs qui les ajustent sur la tôle qui va enfin à la découpe. Les bénéfices ne sont pas minces. La saisie dans geova des surfaces de base prenait des semaines par cartes perforées. Avec l’interaction par écran le temps nécessaire tombe à quelques jours.

Dès octobre 1979, Jean Cabrière situe cati comme le complément 3D de cadam, cohérent avec lui, et utile au bureau d’études comme à la production46.

3. Vers l’essaimage : le tournant des années 1980

3. 1. Imposer les outils du maître d’œuvre

Dassault, fondamentalement architecte intégrateur plutôt que fabricant, doit réunir ses partenaires et sous-traitants autour d’une conception commune. Diriger un consortium industriel impose de se faire entendre, comprendre, et de pouvoir contrôler. Ce sont très exactement les enjeux de ces standards. Aussi n’est-il pas étonnant d’observer l’émergence des questions d’intégration.

Des outils de cfao existent et sont utilisés depuis de nombreuses années. Jusqu’à ces dernières années, ces outils étaient utilisés de manière ponctuelle, c’est-à-dire que les résultats d’un programme n’étaient pas, en général, les données d’entrée du programme suivant. Depuis quelque temps, la notion de système intégré apparaît comme fondamentale. […]

Les notions d’intégration s’appliquent aux aspects techniques, mais elles concernent également l’intégration du système de cfao dans son environnement humain et organisationnel47.

Intégrer, c’est exercer le pouvoir d’exiger d’acteurs différents, voire concurrents, un consensus capable de les rassembler. Pour Dassault, concevoir et défendre ses normes lui est nécessaire au déploiement d’une organisation efficace et crédible sur le marché. Or la cao est devenue un outil incontournable, car elle produit et consomme les données, donne un cadre aux entreprises participant à la conception. Les coopérations internationales sont de plus en plus fréquentes et demandent une rigueur accrue.

Les standards font toujours l’objet de batailles féroces. Illustrons brièvement le point en mentionnant les controverses que soulèvent de nos jours les normes édictées à Bruxelles. Normaliser un fromage ou la dénomination « vin rosé » n’est pas neutre ; les intérêts des producteurs s’y confrontent. Il en va de même en matière de langage de description des pièces et des assemblages, car dans le monde industriel décrire c’est largement prescrire. Et les Américains l’ont bien compris. Ils sont à la manœuvre. Boeing, General Electric et le nbs (National Bureau of Standards, devenu le nist pour National Institute of Standards) présentent en 1979 un standard en matière de fichier descriptif de pièces mécaniques, à savoir iges (Initial Graphic Exchange Standard) et s’entendent sur une première version qui est publiée l’année suivante. Celle-ci est bien accueillie, mais Aérospatiale résiste. Elle se dit insatisfaite des fonctions normalisées, promeut sa propre approche, set (Standard d’échange et de transfert), qu’il impose à ses fournisseurs du programme A320. Au-delà de la capacité à décrire des ensembles de façon non ambigüe et à en partager les définitions, il s’agit de « consolider sa position de maître d’œuvre48 ». Pour les avionneurs, avoir une cao à sa main est un puissant levier au service de son organisation industrielle.

3. 2. La recherche de partenaires

Une négociation entre Dassault et la snias est menée. En fait, elle concerne uniquement la division Hélicoptères qui avait lancé au début des années 1970 le programme systrid (pour système tridimensionnel). Cette division possède une offre en cao déjà bien avancée et les compétences de développement. Des contacts sont pris à l’incitation de la dga, en l’occurrence le Service technique des programmes aéronautiques (stpa) où Charles de La Foye, ingénieur en chef de l’armement (ica), s’emploie à fédérer les énergies françaises en matière de cao49. Après avoir examiné les offres disponibles, il estime que les deux produits capables de rivaliser avec ceux d’origine américaine sont systrid et Catia et que leurs complémentarités, une fois additionnées, leur permettraient de se hisser au meilleur niveau. Mais les négociations avec snias Hélicoptères n’aboutiront pas. Du côté Dassault, on estime que cati, à la fois flexible et moderne, peut être perfectionné de façon rapide. De plus :

Si le programme systrid a fait figure de précurseur, il souffre de gros défauts sur le plan des dialogues et celui de ses possibilités de développement. Il est actuellement mal adapté aux travaux simples. C’est pourquoi la snias a acheté cadam est a prévu de refaire une nouvelle version de systrid autour d’un nouveau « noyau »50.

La division Avions de la snias n’a pas d’ambition similaire. Elle possède un logiciel maison, sigma, qu’elle vend incidemment, par l’intermédiaire de Control Data (cdc) qui assure également la maintenance. On trouve dans l’annuaire du premier micad qui se tient en 1980 une fiche produit dans laquelle sigma est présenté comme un système généralisé de traitement de formes complexes tridimensionnelles et de visualisation graphique interactive sur différents terminaux, développé par l’Aérospatiale et seulement déployé dans quatre sites en Europe, dont trois en France.

De plus, en 1977, un an après la première installation de sigma, montrant ainsi son souci de se doter de moyens standards et de cesser de s’appuyer sur des applications internes, la snias Avions acquiert le logiciel cadds3 de ComputerVision, qui comporte de puissantes fonctions interactives, mais dont le déploiement complexe mobilise les forces internes. Dans la logique qui prévaut à l’Aérospatiale, « on fait des avions, pas des logiciels51 ».

Il y a par ailleurs une sorte de froid entre Dassault et snias-Avions depuis la volonté du premier, à la fin des années 1960, de concurrencer le second avec le Mercure 100 contre l’Airbus 300. Par principe, la snias-Avions aurait répugné à adopter l’environnement technologique de Dassault, basé sur ibm, cadam, cati. Du reste, l’Aerospatiale a été la dernière cliente de Catia, à la fin des années 1980, bien après tous les autres constructeurs d’avions, dont Boeing.

Devant ces portes qui se ferment et convaincu de l’urgence à prendre position sur le marché, amd-ba étend sa recherche d’alliance à l’étranger. La collaboration déjà étroite avec Lockheed et la vente des améliorations apportées à cadam développent un respect mutuel pour les savoir-faire techniques et une connaissance fine des complémentarités. Un projet de joint-venture est envisagé, et bientôt de façon suffisamment avancée pour que s’impliquent dans son suivi des dirigeants comme Bruté de Rémur, Jean Cabrière et sans doute Marcel Dassault. Celui-ci, dans un entretien à Antenne 252 le 26 octobre 1980, évoque des perspectives de développement aux États-Unis avec un partenaire.

Un courrier de Richard Bennett53, responsable du programme cadam chez Lockheed, datant du 5 juin 1980 évoque une proposition de joint-venture faite par Dassault et l’accueil positif qu’elle a reçu. On est dans une perspective de collaboration à long terme, comme l’indique Michel Neuve Eglise, destinataire du courrier. Dassault est intéressé par la constitution d’une offre commune incluant cadam et cati ; il y voit aussi l’opportunité de conserver un effectif constant qui lui permet de garder la compétence cao tout en augmentant le domaine fonctionnel. Les Américains géreraient l’Amérique et l’Extrême-Orient et les Français l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. La plus-value pour Lockheed était sans doute de disposer de forces de développement supplémentaires, dont la qualité lui était connue ; commercialement, amd-ba lui offrait une tête de pont indéniable en Europe. C’est du moins ainsi que la dgt perçoit les intérêts de son partenaire américain. L’activité de la joint-venture est envisagée selon trois directions : le développement et la commercialisation de logiciels « généraux » (on dirait aujourd’hui : progiciels) ; de logiciels « à façon » (on dirait aujourd’hui : spécifiques) ; enfin de formation et de conseil à l’emploi. Ce qui fait débat et questionnement est la relation avec les maisons-mères : quelle part du capital, quel management, quels contrôles, quelles implications (vitrines, transfert d’expérience), quelles facilités commerciales (« limite-t-on le caractère payant pour les sociétés mères aux logiciels spécialement développés pour leurs besoins54? ») Quelles attributions techniques aux équipes a priori réparties entre Burbank et Saint-Cloud ?

La crainte de Richard Bennett est de lier trop avant les intérêts de la joint-venture avec ceux des maisons-mères. Il voit le marché de la cao dans sa globalité et ne tient pas à trop se lier aux besoins de l’aéronautique. En se miniaturisant, l’informatique ouvrait la cao à des métiers divers et à des industries moins dotées que l’aéronautique. La négociation est pilotée au meilleur niveau. Charles Edelstenne, secrétaire général d’amd-ba et proche de Marcel Dassault, avec l’appui d’Alain Bruté de Rémur, négocie les aspects juridiques et financiers en relation avec Frank Puhl, le président de cadam Inc. Le positionnement de sa société dans la décennie montrera que ses dirigeants n’ont pas perçu le potentiel du 3D par rapport au 2D.

Pour Dassault, le temps presse : « Nous n’avions pas le choix. À rester en interne, nous aurions été rapidement dépassés par d’autres qui auraient eu un système meilleur ou un système qui s’est déjà imposé sur le marché55. » C’est ainsi que la négociation avec Lockheed prend fin et que Dassault étudie d’autres pistes de partenariat. Ce qui n’empêche que la relation avec Lockheed continue en tant que client ; drapo continuera à fonctionner longtemps avant d’être peu à peu remplacé par les logiciels de Dassault Systèmes.

Charles Edelstenne voit dans cati une avancée importante et s’attache à convaincre Marcel Dassault d’appuyer la création d’une filiale. L’entretien à Antenne 2 d’octobre 1980 semble indiquer que la conviction est emportée. Son enthousiasme ne laisse aucun doute. Au-delà de sa personne, c’est l’ensemble du management de l’entreprise qui a confiance dans les développements réalisés.

L’alliance recherchée est orientée vers un acteur clé pour la commercialisation. ibm est dans doute le meilleur vecteur. Il occupe une position dominante ; il a besoin de (bons) logiciels pour vendre ses matériels ; il a déjà une expérience avec la vente de cadam ; il voit des concurrents émerger de toutes parts ; lesquels choisissent de plus en plus des plateformes matérielles de constructeurs différents, comme dec ou Control Data. La menace est sérieuse. ibm voit les limites de l’offre 2D de Lockheed qui ne lui est pas exclusive : Lockheed a signé des accords similaires avec d’autres constructeurs, dont Fujitsu, grâce à qui il établira une présence forte au Japon56.

Une étude comparative des offres (un benchmark) est initiée entre deux sociétés américaines, une japonaise, et Dassault. À la fin de 1980, ibm envoie deux techniciens américains à Saint-Cloud qui sondent pendant deux semaines les entrailles de cati. Le cas d’utilisation qui sert de référence à leur comparaison des offres est la conception d’une bielle57. Dassault, après un effort intense pour satisfaire toutes les demandes, est retenu sur le plan technique, ce qui selon ibm « couronne la matière grise française58. »

La négociation commerciale commence en début 1981, menée par Charles Edelstenne accompagné d’Alain Bruté de Rémur et Francis Bernard ; du côté ibm, se trouve avec son équipe Douglas Le Grande, le vice-président en charge des solutions cfao, parmi lesquelles sont les ventes de cadam. La négociation se passe au siège de Dassault, alors à Garches. L’accord est très simple et tient en quelques pages : Dassault est en charge du développement et de la maintenance du logiciel, ibm est en charge du marketing, de la vente et de la relation client. Les revenus sont partagés à parts égales.

Dans l’arrière-plan de ce rapprochement rapide se trouve le décollage de l’informatique au tournant des années 1980. Les écrans graphiques arrivent sur le devant de la scène de même que les mini-ordinateurs capables de gérer des dizaines de terminaux. Les ordinateurs personnels apparaissent ; leurs ventes progressent d’environ 37 % par an, celles des minis de 25 % tandis que celles des grands et moyens systèmes plafonnent à moins de 9 %59. Cette évolution matérielle permet l’arrivée d’offres de cao beaucoup plus souples et ouvre le marché au-delà des très grandes industries. Si elles restent coûteuses dans le haut de gamme avec un poste de travail vers les 500 000 francs (environ 230 000 euros d’aujourd’hui), des configurations plus modestes en qualité d’écran graphique, puissance d’ordinateur et fonctions logicielles60 commencent vers les 50 000 francs (environ 23 000 euros). Avec la force d’entraînement concurrentiel et l’intervention des pouvoirs publics, convaincus de devoir soutenir l’équipement des pme, un marché semble bien s’ouvrir.

4. Conclusion

Dassault Systèmes est créé en septembre 1981. Le montage partenarial réclame une société indépendante et dévolue exclusivement à l’activité logicielle. L’intérêt d’amd-ba est simple : ibm lui ouvre un marché potentiel qui est mondial. La condition est de satisfaire aux exigences techniques du constructeur informatique dont la réputation est d’être pointilleux. Mais c’est une relation normale de client à fournisseur, qui n’a plus rien à voir avec ce qui avait tenté précédemment avec des industriels de l’aéronautique.

En janvier 1981, un département cfao avait été créé chez Dassault. La promotion du service de géométrie au rang de département correspond à la croissance de l’activité. Celui-ci compte une trentaine de personnes et vingt-deux se portent volontaires pour suivre Francis Bernard qui prend la direction technique de Dassault Systèmes à sa création en septembre 1981. Certaines personnes préfèrent rester chez amd-ba pour éviter le risque de rejoindre une entreprise naissante. D’autant que le contrat de transfert précise qu’en cas d’échec de l’entreprise, amd-ba n’était pas tenu de reprendre les employés partis. Une moitié environ est faite d’ingénieurs informaticiens programmeurs, une autre de techniciens affectés à l’utilisation et au support des programmes. Il y a une secrétaire. Une autre histoire commence.

cati, qui est une marque déjà réservée par une entreprise américaine (pour Computer Aided Telephone Interview), est devenu Catia pour Conception assistée tridimensionnelle interactive. L’attelage composé d’ibm et de Dassault Systèmes va tenir plus de trente ans, en fait jusqu’au retrait d’ibm d’une compétition qui se sera structurée hors de lui. Pendant les années 1980, c’est une croissance fulgurante malgré (ou de concert avec ?) une concurrence aiguë, à commencer par celle d’une autre entreprise française, Matra Datavision61. La filialisation tient certainement à la hardiesse de Marcel Dassault et de son management. Aucun autre avionneur, en possession d’une technologie comparable, ne tente l’aventure. Les pouvoirs publics sont un puissant aiguillon62 et, décidés à répondre à l’avance américaine, ils jouent pleinement de leur influence et soutiennent la promotion de la cao auprès des entreprises.

La position industrielle d’amd-ba est parmi les clés de compréhension de la décision de mettre son savoir-faire de concepteur sur le marché. Sont en jeu ses besoins de maître d’œuvre, d’architecte, de donneur d’ordre. Dassault c’est d’abord un bureau d’étude et la culture d’entreprise en fait un lieu d’apprentissage indispensable. Dassault conçoit, fabrique au plus juste, organise la production et intègre. Il doit proposer à ses sous-traitants des standards de communication qui soient conformes à ses besoins. Il se sent assez fort pour imposer les siens dans un contexte où les Américains dominent. « Du point de vue des délais d’étude, de la qualité et de la nouveauté des produits, l’aide d’un outil de cao est tout à fait décisive63. » La cao produit des normes, de fait un langage, tout comme le dessin est un langage compris par les ouvriers de la fabrication. Ainsi les développements de Francis Bernard, un temps dans la confidentialité des défis mathématiques, ceux que lance l’approximation des volumes pour la commande des outils, deviennent la souche et le projet d’une entreprise. Restés dans un usage interne, ils auraient disparu lentement dépassés par les progiciels du marché. L’initiative d’un essaimage n’allait pas de soi. Au reste, l’Aérospatiale qui « fait preuve d’une grande capacité d’innovation technique [montre en même temps] une insuffisante aptitude à conjuguer les forces, voire simplement à coordonner les efforts, ce qu’illustre le développement de deux systèmes analogues et potentiellement concurrents, sigma et systrid au sein d’une même entreprise64. »

S’il faut y voir un goût pour le risque, celui-ci restait cependant calculé, car lié à un adossement commercial à ibm, sans qui Dassault ne se serait pas lancé. Et risque de courte durée aussi, car en très peu d’années, partageant en cela le mérite avec ibm, Dassault Systèmes devient un acteur de premier plan de cette révolution numérique dont quatre nombres suffisent à évoquer l’ampleur : en 1981, Dassault Aviation comptait 18 000 employés et Dassault Systèmes 30. À la fin 2015 le premier en a 12 000 et le second 14 000 !

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Notes

1 Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation (amd-ba) résulte de l’acquisition de Breguet par Dassault en 1967. Pour la simplicité, on utilisera dans l’article la dénomination Dassault pour désigner la société. Retour au texte

2 L’édition de logiciel est un développement a priori que réalise une entreprise. C’est donc un investissement que seule la vente a posteriori auprès de clients à trouver permet de rentabiliser. Cela diffère d’un développement réalisé à la demande d’un client et pour lequel sont faits un premier versement puis d’autres à mesure de l’avancement. Retour au texte

3 CATIA est l’acronyme de Conception assistée tridimensionnelle interactive appliquée. Il est néanmoins écrit comme un nom propre (Catia) pour traduire le fait qu’il est devenu un nom de produit en tant que tel, et la référence à la signification d’origine s’est effacée avec le succès de la marque. Retour au texte

4 Muller Pierre, Les Politiques publiques, « Que sais-je ? » n° 2534, 11e édition, PUF, Paris, 2015, p.69. Retour au texte

5 3D désigne la représentation d’objets en trois dimensions à l’aide d’ordinateurs, par opposition à la 2D, proche du dessin industriel traditionnel sur papier. Retour au texte

6 Weisberg David, The Engineering Design Revolution, 2008, chapitre 4, “Research in the Mid to Late 1960s”, p.21. Retour au texte

7 Chasen Sylvan H., Introduction of man-computer graphics into aerospace industry, in Fall Joint Computer Conference, 1965, p. 890. Retour au texte

8 Le « service bureau », fourniture de prestations informatiques par la société détentrice des moyens, est resté très courant tant que le coût des ordinateurs et des compétences dissuadait les entreprises de s’équiper. Il commence à décroitre au milieu des années 1970 avec l’arrivée des « minis ». Par extension ici, il désigne la capacité pour un service à développer des applications à la demande des autres services et à les exécuter sur ses propres moyens matériels. Retour au texte

9 Francis Bernard, entretien avec l’auteur, 1er novembre 2017. Retour au texte

10 Seiffert Marc-Daniel, « Analyse des origines de la compétitivité d’Airbus », dans Entreprises de haute technologie, État et souveraineté depuis 1945, p. 146. Retour au texte

11 Entretien entre l’auteur et Francis Bernard, 11 décembre 2015. Retour au texte

12 Le mylar est un film plastique qui possède une meilleure stabilité en température que le papier. Retour au texte

13 Carlier Claude, Berger Luc, Dassault, 1945-1995 : 50 ans d’aventure aéronautique, Volume 2 : Les programmes, Éditions du Chêne, 1996, p. 170. Retour au texte

14 En utilisant des transformations géométriques théorisées par Gaspard Monge, 1746-1818. Celui-ci a élaboré une méthode de représentation de figures de l’espace par des projections sur des plans perpendiculaires (dites épures) qui est restée la référence en dessin industriel pendant plus de 150 ans, de fait jusqu’à l’arrivée de la cao. Son livre Géométrie descriptive publiée en 1798 reprend son cours donné à l’École normale supérieure puis à l’École polytechnique qu’il a par ailleurs fondée. Retour au texte

15 Ingénieur Général Barbery (Compte-rendu du 12 novembre 1976 sur l’étude demandée en juillet 1976). Archives dga 737 2A1 755. Retour au texte

16 Pour plus de détails sur les incertitudes, voir les actes du colloque Airbus, un succès industriel européen : industrie française et coopération européenne, 1965-1972, sous la dir. De Chadeau Emmanuel, Éditions Rive droite, Paris, 1995, et en particulier à l’article de Esambert Bernard, L’Airbus, un projet européen mais non communautaire, p.67 et suivantes. Retour au texte

17 Note pour Monsieur le délégué ministériel pour l’armement écrite par l’IG Arnaud, adjoint au directeur technique des constructions aéronautiques (dma/dtca), 13 mai 1976, Annexe 1, p. 4, Archives dga 737 2A1 725. Retour au texte

18 Entretien du 29 janvier 2015 avec Roger Bergoend, responsable du département dessin au BE de l’Aérospatiale dans les années 1970 et 1980. Retour au texte

19 Ce phénomène, dit « loi de Wright », a été théorisé par Théodore Wright (1895-1970), ingénieur de l’aéronautique qui débuta chez Curtiss. Pendant la Seconde Guerre mondiale, au sein du National Defense Advisory Committee que le gouvernement américain mit en place pour coordonner la production de dizaines de milliers d’avions, il développa des outils statistiques pour mesurer les capacités industrielles et l’efficacité du travail. Retour au texte

20 Rapport du sous-groupe « Compétitivité des coûts », envoyé par P. Magnani, adjoint au directeur industriel de la snias à M. René Ravaud, P.-D.G. de la snecma, le 1er mars 1976, p.6, Archives dga 737 2A1 755, SHD (Service historique de la défense), Châtellerault. Retour au texte

21 Note pour Monsieur le délégué ministériel pour l’armement écrite par l’IG Arnaud, adjoint au directeur technique des constructions aéronautiques (dma/dtca), 13 mai 1976, Annexe 1 p.4, Archives dga 737 2A1 725, SHD, Châtellerault. Retour au texte

22 Lettre de A. Bruté de Rémur, amd-ba, à J Barbery, directeur des programmes et des affaires Industrielles de l’Armement, dma, du 6 août 1976, Annexe 2, p.4, Archives dga 737 2A1 755 , SHD, Châtellerault. Retour au texte

23 Blanc Émile (sld), comaero, Un demi-siècle d’aéronautique en France, Ouvrage introductif, édité par le Département d’histoire de l’armement du Centre des hautes études de l’armement, 2003, p. 50. Retour au texte

24 Projet de rapport sur la compétitivité de l’industrie aéronautique, note émise le 12 novembre 1976 par Jean Barbery Archives dga 737 2A1 755 SHD, Châtellerault. Retour au texte

25 Courrier du 16 août 1976 de Roger Chevalier, directeur général de la snias, à l’ig Barbery en réponse à son courrier du 21 juillet 1976 demandant de comparer les coûts d’Airbus avec ceux des concurrents américains. Archives dga 737 2A1 755, SDH Châtellerault. Retour au texte

26 Courrier du 16 août 1976 de Roger Chevalier, directeur général de la snias, à l’ig Barbery, p.7. Retour au texte

27 Entretien avec Michel Neuve Eglise le 12 janvier 2016. Cet ingénieur des Arts & Métiers (une exception dans une direction surtout pourvue de centraliens et de SupAéro) suit après l’école une spécialisation, financée par Dassault, à l’ensta, puis une autre au mit en 1966 et 1967. Il en rapporte une connaissance de l’informatique graphique alors naissante et des États-Unis, ce qui l’aidera puissamment dans son action. Retour au texte

28 Weisberg David, The Engineering Design Revolution, 2008, Chapitre 13, “ibm, Lockheed and Dassault Systèmes”, p.4. Retour au texte

29 Entretien avec Michel Neuve Eglise le 12 janvier 2016. Retour au texte

30 Carlier Claude, Berger Luc, Dassault, 1945-1995 : 50 ans d’aventure aéronautique, Volume 2 : Les programmes, Editions du Chêne, 1996, p. 174. Retour au texte

31 comaero, Un demi-siècle d’aéronautique en France, volume 15, La formation, tome 3, p.53. Retour au texte

32 comaero, Un demi-siècle d’aéronautique en France, volume 15, La formation, tome 3, p.53. Retour au texte

33 Francis Bernard, drapo : Un système de conception et de fabrication assistées par ordinateur, in Conference Proceedings n° 250 Computer Aid in the production design office, novembre 1978, agard (Advisory group for aerospace research & development), archives personnelles Francis Bernard. Retour au texte

34 Courrier de Richard Bennett (Lockheed) à Michel Neuve Eglise (amd-ba) du 16 juin 1980. Archives personnelles de Francis Bernard. Avec un dollar de 1980 valant environ 4,15 FF, la conversion Insee donne à peu près 350 000 euros. Retour au texte

35 Pour plus de détails de ce côté-là, on se reportera aux traités sur la cao d’Yvon Gardan publiés aux éditions Hermès. Les différentes éditions, dont la première date de 1983, suivent l’évolution de la cao sur une trentaine d’années. Retour au texte

36 Francis Bernard, entretien du 11 décembre 2015. Retour au texte

37 Claude Carlier, L’Aéronautique française, 1945-1970, Lavauzelle, Paris, 1983, p. 495. Retour au texte

38 comaero, op. cit., tome 1, p.62. Retour au texte

39 Jacques Leborgne, ingénieur enica 1965, a suivi l’évolution des méthodes de calcul de structure aéronautique dans les années 1970 chez Breguet puis Dassault. Entretien avec l’auteur, 29 juillet 2015, p.6. Retour au texte

40 Jacques Leborgne, entretien avec l’auteur, 29 juillet 2015. Retour au texte

41 Le programme porte le nom de la fonction mathématique en jeu. De façon schématique, le lissage de polynômes décrivant des parties de surface avion consiste à les remplacer par un seul polynôme qui assure une évolution très lisse de la courbure. Retour au texte

42 Francis Bernard, entretien avec l’auteur, 1 novembre 2017. Retour au texte

43 Francis Bernard, entretien avec l’auteur, 11 décembre 2015 Retour au texte

44 Courrier interne amd-ba de J. Cabrière, à M. Philippe, en date du 4 janvier 1978. Archives personnelles de Francis Bernard. Retour au texte

45 Entretien avec Francis Bernard, le 24 février 2016. Retour au texte

46 Courrier interne amd-ba de Jean Cabrière à Claude Vallières, 9 octobre 1979. Archives personnelles de Francis Bernard. Retour au texte

47 Gardan Yvon, cfao, Hermès, Paris, 1983, p. 247. Retour au texte

48 Poitou Jean-Pierre, Trente ans de cao en France, Hermès, Paris, 1989, p.62. Retour au texte

49 Le rôle de C. de la Foye est mis en évidence un courrier interne amd-ba de Jean Cabrière, annexe 2 p.1, daté du 9 janvier 1979. Archives personnelles Francis Bernard. Retour au texte

50 Courrier interne amd-ba de Jean Cabrière, annexe 2 p.5, daté du 9 janvier 1979. Archives personnelles Francis Bernard. Retour au texte

51 Poitou Jean-Pierre, op. cit, p.62. Retour au texte

52 Dans le reportage qui fait partie du 20 heures du 26 octobre 1980, Marcel Dassault, alors âgé de 88 ans, coiffé de son éternel chapeau et couvert d’un manteau épais, face à un écran d’ordinateur, manipule des figures géométriques avec cati et expliquant comment l’informatique va bouleverser les métiers du dessin industriel. Archive ina. Retour au texte

53 Ce courrier adressé à M. Neuve Eglise est communiqué par celui-ci au management de la dgt le 16 juin 1980. Archives personnelles Francis Bernard. Retour au texte

54 Document daté du 16 juillet 1980 de préparation de la réunion Lockheed et amd-ba du 22 janvier 1981. Archives personnelles de Francis Bernard. Retour au texte

55 Francis Bernard, entretien du 11 décembre 2015. Retour au texte

56 Weisberg David E., The Engineering Design Revolution, 2008, chapitre 13, “IBM, Lockheed and Dassault Systèmes”, p.18. Retour au texte

57 Entretien Francis Bernard, 24 février 2016. Retour au texte

58 Clavaud Richard, ibm choisit un logiciel français, Le Monde du 22.12.1981. Retour au texte

59 Mathelot Pierre, L’Informatique, « Que Sais-Je ? », 7e édition, août 1987, p. 39. Tableau III Évolution du parc d’ordinateurs en France de 1979 à 1985 (Source : Rapport sur l’état d’informatisation de la France, Agence de l’informatique, 1986). Retour au texte

60 Compte-rendu de réunion snias/Hélicoptères et amd/ba sur un produit commun de cao, annexe d’un courrier de J. Cabrière adressé le 9 octobre 1979 à C. Vallières. Archives personnelles Francis Bernard. Retour au texte

61 Matra Division sera absorbée en grande partie par Dassault Systèmes en 1998. Retour au texte

62 Lors de l’entretien à Antenne 2 du 26 octobre 1980, Marcel Dassault dit : « Le ministère nous demande de faire une société spéciale pour travailler avec tout le monde. » Retour au texte

63 Poitou Jean-Pierre, « Les Débuts en France de la conception assistée par ordinateur », in Le monde du génie industriel au xxe siècle : autour de Pierre Bézier et des machines-outils, sld Benoit Serge et Michel Alain P., Université de technologie de Belfort-Montbéliard, 2015, p.348. Retour au texte

64 Idem. p.354. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Maurice Zytnicki, « Aux origines d’un logiciel industriel, Catia : les outils de conception des Avions Marcel Dassault, 1967-1980 », Nacelles [En ligne], 6 | 2019, mis en ligne le 18 juin 2019, consulté le 29 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/767

Auteur

Maurice Zytnicki

Ingénieur, Architecte en systèmes d’information d’entreprise

maurice.zytnicki@gmail.com

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