Les mathématiques dans la navigation, vecteur ou écueil à la transmission du domaine maritime au domaine aérien

Abstracts

La navigation scientifique est déjà bien établie dans la marine lorsque l’aéronautique commence à avoir besoin d’instruments et de techniques de navigation. Dès lors, il est possible de s’interroger sur les transferts qui existent en France en matière de navigation entre la marine et l’aéronautique militaire, civile et maritime dans la première moitié du xxe siècle. Cet article propose une lecture questionnant les mathématiques en jeu dans ces transmissions. Il s’agit, sur trois périodes (de 1900 à 1914, durant la Première Guerre mondiale, dans l’entre-deux-guerres) d’analyser ce qui, dans la navigation à l’estime, la navigation astronomique, puis la radionavigation, relève d’une numératie accessible ou pas au navigateur aérien. Après avoir précisé les numératies au cœur des navigations, nous illustrerons en quoi la formation et les circonstances amènent les navigateurs à changer leur perception des mathématiques au cœur de leur pratique (abaques, compas, cartes, tables de calculs).

Scientific navigation had already been well established in the Navy and merchant navy when the aeronautics industry began to need instruments and techniques of navigation. It is therefore possible to wonder about the transfers that exist in France in terms of navigation between the Navy and merchant navy military, and air force, civil aviation, and high seas aeronautics in the first half of the twentieth century. This article offers a reading questioning the mathematics involved in these transmissions. It is, over three periods (from 1900 to 1914, during the First World War, in the interwar period) to analyze what in dead reckoning, astronomical navigation, then radio navigation, is a numeracy accessible or not to the air navigator. After having specified the numeracies at the heart of navigation, we will illustrate how training and circumstances lead sailors to change their perception of mathematics at the heart of their practice (abaques, compasses, maps, calculation tables).

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Si les sources portant sur la navigation sont nombreuses, peu de sources secondaires traitent de la navigation maritime et aérienne avant la Seconde Guerre mondiale, d’un point de vue mathématique ou même technique. Aussi, une étude approfondie des articles de presse, spécialisée ou non, et des ouvrages de cours de la première moitié du xxe siècle, selon cette grille de lecture, s’est révélée judicieuse pour enrichir l’histoire des sciences et techniques tant maritime qu’aéronautique. La thèse intitulée : « De la navigation maritime à la navigation aérienne : transferts de méthodes mathématiques et de connaissances en France dans la première moitié du xxe siècle », soutenue à Nantes en 20181, formalise ces recherches.

Cette thèse développe plusieurs axes d’étude au vu de la richesse des informations mises à jour2. Parmi ceux-ci, elle apporte des réponses à la problématique : les mathématiques mises en jeu dans la navigation scientifique sont-elles un vecteur de la transmission du domaine maritime au domaine aérien ou un écueil obligeant le navigateur aérien à inventer ses propres outils et méthodes ? La thèse questionne pour cela les formations initiales et acquises en navigation des marins versus celles des aéronautes et des aviateurs ainsi que leurs pratiques, principalement de 1900 à 1940 en France.

1. Des sources diverses

Interroger principalement deux types de sources primaires : les manuels scolaires et la presse de la première moitié du xxe siècle, s’est rapidement imposée. Il fut aisé de définir ce qu’est un manuel scolaire pour la marine tant les institutions scolaires, École navale et écoles d’hydrographie, sont organisées dans la première moitié du xxe siècle. Mais les ouvrages de cours à destination des aviateurs et des aéronautes furent plus difficiles à cerner, car les écoles sont nouvelles et tout est à construire. Utiliser la presse permit également d’accéder à l’un des vecteurs de formation des navigateurs aériens. De plus, cette presse véhicule le témoignage d’acteurs de la navigation maritime et aérienne de 1900 à 1940. Notons que les campagnes de numérisation des collections de presse de la Bibliothèque nationale de France, et l’interrogation de bases de données numériques des bibliothèques par mot-clé facilitèrent l’accès à la presse généraliste et quotidienne régionale ainsi qu’à la presse spécialisée.

2. La « numératie » dans les navigations maritimes et aériennes

L’analyse de ces sources confirma l’intuition que la « numératie », comme capacité à utiliser, appliquer et communiquer des idées mathématiques dans la vie quotidienne et dans diverses situations professionnelles, est au cœur de la pratique de la navigation scientifique. C’est le cas pour l’ancien élève de l’École navale, mais également l’officier sortant des bancs des écoles d’hydrographie, qui connait les bases théoriques de la navigation à l’estime et astronomique. Il est également entrainé à l’utilisation des instruments de navigation, que ce soient les instruments de mesure (compas, sextant, chronomètre), les tables et nomogrammes, ou les cartes. De même, l’aviateur et l’aéronaute sont amenés à utiliser les idées mathématiques dès qu’ils pratiquent une navigation scientifique, mais il convient de distinguer ce qui dans cette navigation est d’une pratique courante de ce qui relève de l’expérience scientifique voire d’un test ponctuel. Par ailleurs, le navigateur aérien doit être capable de communiquer les idées mathématiques. Il doit, d’une part, se faire comprendre du pilote dans l’aéronef et relater son vol dans le journal de bord et les fiches de navigation. Et d’autre part, certains d’entre eux sont amenés à élaborer des cours de navigation aérienne à destination notamment des candidats aux brevets de navigateur aérien. Si le comportement du navigateur maritime en regard de la numératie reste assez stable de 1900 à 1940, du fait d’une organisation très structurée de l’enseignement et des pratiques, il en est tout autre pour le navigateur aérien dont la science est jeune.

3. Spécificités des navigations aériennes scientifiques avant la Première Guerre mondiale

Selon l’un des premiers manuels de navigation aérienne publié en France, « naviguer, c’est se rendre d’un point à un autre de la surface du globe par le chemin le plus court et en même temps le plus commode3 ». Cette définition est à la fois valable dans l’univers maritime et dans celui de l’aéronautique, avec des spécificités propres à chacun d’entre eux. Or le problème de la « navigation aérienne méthodique » (en reprenant une qualification utilisée par Hébrard et Duval) se pose dès lors que l’aéronautique commence à posséder des engins susceptibles d’être dirigés dans les airs.

3. 1. La navigation astronomique en ballon puis en dirigeable

Plusieurs essais de « point en ballon », d’abord libre, dès 1900, puis dirigeable, sont réalisés au début du xxe siècle4. Si l’approche des aéronautes a des similitudes avec celle des marins, leurs méthodes de navigation astronomique diffèrent sensiblement. D’une part, les instruments utilisés dans la marine sont peu adaptés, le sextant « ordinaire » des marins étant presque toujours impossible d’utilisation faute de ligne d’horizon bien délimitée. D’autre part, en tant qu’astronomes ou militaires, les aéronautes n’ont pas été entrainés à l’utilisation systématique de la « droite de hauteur » combinée aux tables de logarithmes pour finaliser la détermination du « point en ballon ». C’est pourquoi certains aéronautes ont recours à des abaques, réalisés par leurs soins uniquement pour l’ascension prévue. C’est notamment le cas avec ceux établis par Alfred Kannapell pour la participation d’Alfred Leblanc et Edgar Mix à la coupe Gordon-Bennet en 19075. Ces nomogrammes à usage unique n’ont pas la faveur des officiers de marine qui cherchent des procédés fortement reproductibles, d’où leur préférence pour le « point Marcq », à l’inverse des aéronautes. Mais il faut garder à l’esprit que la navigation astronomique à bord des « plus légers que l’air » avant la Première Guerre mondiale reste avant tout un sujet de recherche et d’étude – même pour l’exploit sportif de Leblanc et Mix.

3. 2. La navigation à l’estime en aéroplane

Les aviateurs sont par ailleurs amenés à pratiquer la « navigation scientifique » dès les années 1910. Le capitaine Georges Bellenger publie en 1911 un article dans la revue L’Aérophile6 dans lequel il distingue trois méthodes principales pour se diriger en aéroplane. À cette époque, il vole sur avion en compagnie des premiers « marins du ciel », ce qui lui permet d’avoir une opinion éclairée sur la question. Selon lui, la plupart des pilotes civils, sportifs ou touristes aériens, n’utilisent que très peu la carte et la boussole. Ils repèrent l’itinéraire en le parcourant en automobile en notant des points remarquables (églises, monuments, etc.) qu’ils rechercheront, l’un après l’autre, lorsqu’ils seront dans les airs. Cette méthode les oblige à voler bas pour reconnaître les repères et la carte sert simplement à noter l’ordre dans lequel ils se présenteront. Les pilotes de l’armée de Terre, du génie ou de l’artillerie, utilisent différemment la carte puisqu’ils suivent point par point leur itinéraire. Dans cette navigation, sans boussole, le sol doit rester visible afin de suivre l’itinéraire préparé sur la carte en repérant principalement les croisements de routes des régions survolées. Enfin, la troisième méthode est celle que Bellenger appelle « méthode maritime », parce qu’il l’a vue employée surtout par des marins. Avant de partir, le « marin-volant » mesure sur la carte, l’angle que devra marquer sa boussole pour que son aéroplane soit orienté vers le point à atteindre, puis il corrige de la dérive résultant du vent. Il connaît alors le « cap » à tenir.

Dans les faits, de nombreux aviateurs pratiquent une navigation mixte en combinant celle des pilotes de l’armée et celle des pilotes de la Marine où les utilisations de la carte, de la boussole et de la montre varient. L’aspect mathématique de la navigation à l’estime est de ce fait plus ou moins subtile selon les procédés choisis. En revanche, la numératie est beaucoup plus visible en navigation astronomique.

4. Impact de la Première Guerre mondiale sur les navigations

L’évolution des procédés de navigation, notamment dans les aspects mathématiques, n’est pas prioritaire durant la Première Guerre mondiale. Il s’agit ici plutôt d’un effet secondaire des transformations affectant d’autres sciences et techniques.

4. 1. Les connaissances des marins mises à la disposition des militaires

On peut ainsi noter que les échanges entre les marins et les militaires s’accentuent dès le début du conflit. Les marins ont en effet pu transmettre et appliquer leurs connaissances en matière de navigation – principalement en ce qui concerne le compas qui nécessite d’être compensé par des procédés mathématiques7 – auprès des militaires sous au moins deux formes.

D’une part, les marins-aviateurs ont été mis à la disposition de l’armée au début de la guerre, où leurs méthodes de navigation ont été diffusées pour les raids de bombardement à longue distance. Ainsi, en 1915, les dirigeables pratiquent les bombardements de nuit– surtout si elles sont sans lune – ce qui justifie d’autant plus le recours au compas. Puis ils sont remplacés par l’aviation, moins sensible à l’artillerie anti-aérienne allemande mais toujours adepte des procédés maritimes, comme le traduit le témoignage du capitaine Hébrard car il est « convaincu qu’avec de bons instruments, une expédition même lointaine est possible avec une aussi médiocre visibilité8 ». Certes, ces échanges entre les marins n’ont pas toujours abouti complètement, car de nombreux militaires ne font pas confiance aux compas pour se diriger, mais d’autres ont été convaincus de leur utilité et en font la promotion.

D’autre part, l’expertise des ingénieurs hydrographes est utilisée par le Service géographique des armées (SGA) dans les groupes de canevas de tir, au Service du repérage, et pour instruire les officiers orienteurs d’artillerie9. C’est le cas de Louis Favé, qui a rejoint la section de géodésie et apporte son concours sur les questions de repérage « point en ballon, calculs de trajectoires, préparation de tables, etc.10 ». Ces ingénieurs concourent ainsi à la diffusion de la numératie maritime au sein des unités de l’armée.

4. 2. Les débuts de l’aéronautique maritime

Par ailleurs, l’aéronautique maritime s’organise et prend de l’importance durant le conflit. Les officiers de marine peuvent y mettre en pratique leur haut niveau de connaissances en navigation. C’est le cas à bord des dirigeables, dont la Marine détient l’ensemble de la flotte à partir de 1917. Si la pratique de la navigation est peu commode lorsque la nacelle est petite, comme dans la petite vedette anglaise Sea-Scout SS-26, ou même dans les vedettes Zodiac, celle des Astra-Torrès est suffisamment grande pour posséder un poste de commandement adapté à la navigation – on y trouve un compas liquide, une montre et une tablette de lecture de carte, ainsi que des rangements11. Mais, par ailleurs, les officiers passés par l’École navale ou les écoles d’hydrographie semblent peu intéressés par l’aviation maritime et de ce fait, l’essentiel du personnel volant de l’aviation maritime est constitué de quartiers-maîtres. Si leur niveau en mathématique est moindre que celui des officiers, leurs connaissances en navigation à l’estime sont tout de même suffisantes (éventuellement complétées sur les bancs de l’école à Saint-Raphaël) pour l’essentiel des tâches qui leurs sont dévolues.

4. 3. Les débuts d’une « navigation électrique »

Cette période est également propice au développement d’une nouvelle navigation : la « navigation électrique », basée sur un système autonome (le compas gyroscopique12) ou sur un système en deux parties, l’une à bord du navire ou de l’aéronef et l’autre à terre (le radiogoniomètre13). Il convient cependant de nuancer dans ce domaine l’apport de la Première Guerre mondiale. En effet, il est possible que le conflit ait ralenti la diffusion de cette nouvelle navigation, déjà bien présente en Allemagne avant 1914, en raison du secret imposé par le conflit.

5. Besoins de la navigation aérienne de l’entre-deux-guerres en termes de mathématiques

Après-guerre, la navigation devient plus technique, comme pour les grands raids ou les lignes aériennes. Il n’est plus question de la pratiquer sans une préparation « scientifique » dans les années 1920-1930. D’une part, parce que la navigation aérienne s’organise et se règlemente notamment au travers des brevets de navigateur aérien (qui auraient dû être obligatoires à partir de 1927 pour les transports publics) et, d’autre part, parce que les militaires ont admis l’efficacité d’une navigation intégrant les pratiques des marins.

5. 1. L’enseignement à la navigation aérienne dans l’entre-deux-guerres

L’enseignement de la navigation aérienne s’organise progressivement sur les deux décennies. Le navigateur doit s’autoformer, avant de pouvoir intégrer quelques écoles qui s’ouvrent pour les civils (dès 1921) ou pour les militaires (à partir de 1925). Il devient dès lors assez commode d’acquérir les notions de base nécessaires à l’obtention du brevet élémentaire de navigateur aérien.

Pour le brevet élémentaire, le navigateur est formé à la résolution de la figure de base de la navigation à l’estime : le « triangle de vitesse », dont les côtés connus sont la vitesse propre de l’avion et le vent, tandis que l’angle entre la vitesse absolue résultante et la vitesse propre est la dérive. La numératie mise en jeu ici y est parfaitement visible puisqu’il s’agit de résoudre un problème vectoriel. La méthode préconisée dans l’entre-deux-guerres étant graphique14, le navigateur manipule la notion de proportionnalité et des instruments de calcul (la règle Cras, le cercle calculateur, des abaques de calcul de durée des trajets). Mais il lui faut également maîtriser des cartes de divers types ou le compas dans lesquels la présence de la numératie peut être plus subtile. Les notions mathématiques mises en jeu dans la navigation à l’estime ne sont donc pas très compliquées mais elles sont bien présentes. La complexité est tout autre pour celui qui souhaite se présenter à l’examen du brevet supérieur de navigateur aérien et il lui faut encore se tourner vers les formations maritimes (ouvrages de cours, Cours supérieur de navigation aérienne de Brest, leçons enseignées par des marins à l’AéCF) dans les années 1920 pour apprendre la résolution du « triangle de position », qui est la figure de base de la navigation astronomique.

Les formations deviennent de plus en plus variées dans les années 1930 suite à la rationalisation de l’aéronautique, tant en ce qui concerne le niveau (initiation, élémentaire, supérieur) que les moyens (nouvelles écoles, nouveaux ouvrages). La présence maritime s’y estompe, mais ne disparaît pas. Pour preuve, la méthode de Favé traverse la période en devenant réglementaire dans l’armée de l’Air et en étant enseignée au personnel navigant des compagnies aériennes.

5. 2. Les mathématiques pratiquées par les navigateurs de l’entre-deux-guerres

Pratiquer la navigation estimée scientifique se propage doucement dans l’Armée. La préparation des vols, faite de « calculs minutieux », par les officiers de l’aviation maritime de la 5B2, lors de la guerre du Rif, contraste avec la pratique des vols à vue des pilotes du 37e régiment du colonel Armengaud15. Les succès obtenus grâce à une navigation aérienne pratiquée par des marins démontrent l’importance pour tous les aviateurs d’en maîtriser les bases. Les aviateurs de l’aviation commerciale ne sont pas non plus en reste. Ainsi, dès 1920, le lieutenant de vaisseau Yves Le Prieur16 teste le Navigraphe – un instrument qu’il a inventé pour déterminer la dérive d’un aéronef – sur la nouvelle ligne Paris-Bruxelles créée par la SGTA. Dans les années 1930, la navigation à l’estime, combinée au développement de la radionavigation, demandent également aux navigateurs des lignes commerciales de développer de nouvelles compétences mathématiques afin de sécuriser les vols. Par ailleurs, les « touristes aériens » sont également destinataires d’articles et de fascicules sur cette navigation à l’estime. Il faut garder à l’esprit que sous le vocable de « touriste aérien » se regroupent des catégories d’aviateurs ayant des objectifs de navigation très différents. Celui qui pratique le « cabotage » en restant dans un périmètre restreint n’a pas les mêmes besoins que celui qui voyage au long cours. On trouve notamment dans cette deuxième catégorie Charles de Verneilh qui s’associe au navigateur Max Dévé pour la première liaison aérienne France-Nouvelle-Calédonie, effectuée du 6 mars 1932 au 5 avril 193217 ou Louise (deuxième femme détentrice du brevet supérieur de navigateur aérien en 1938) et Jean Morel de Foucaucourt qui sillonnent l’Afrique de 1933 à 193918.

Les expéditions lointaines prenant une nouvelle dimension à partir de 1927, quelques navigateurs aériens s’appuient sur leur bonne maîtrise des mathématiques pour optimiser leurs voyages. Le professeur d’hydrographie et pilote de guerre Charles Bertin, qui avait imaginé une méthode et des tables de calculs nautiques abréviatives à destination des marins, propose ainsi un ensemble d’ouvrages particulièrement bien accueilli par l’aviation19. Le Brix lors du tour du monde à bord du Nungesser-et-Coli en 1927, Dévé lors de la liaison Paris-Nouméa en 1932, Saldo sur les « Farman Postaux » d’Air France assurant la traversée de l’Atlantique Sud ou encore Comet pour les essais de traversée commerciale de l’Atlantique Nord, témoignent de l’utilisation de cet instrument pour la réussite de leur entreprise. Par ailleurs, les itinéraires Kahn, destinés notamment à la navigation orthodromique, prouvent leur intérêt lors de la navigation astronomique effectuée par Bellonte pour le raid Paris-New York de 193020.

6. Conclusion

La thèse met en lumière que les aviateurs n’ont pas attendu les marins pour rechercher des méthodes propres à la navigation aérienne. Toutefois, la richesse et l’aboutissement auxquels étaient parvenus les « méthodes maritimes » avant la Première Guerre mondiale ne pouvaient qu’inspirer et orienter les recherches en aéronautique. Un problème se pose alors en termes de formation à la navigation aérienne. En effet, les méthodes et connaissances maritimes demandent une formation poussée en mathématiques. Si les besoins en formation de la navigation astronomique sont évidents en raison de la complexité des procédés, il est faux de croire que la navigation à l’estime peut se passer d’un enseignement de qualité. C’est probablement cette erreur qui explique les réticences de nombreux aviateurs à utiliser le compas – un compas doit être compensé et compris pour être utilisé –, réticences qui perdurent jusqu’en 1940. L’appropriation des « méthodes maritimes » se fait dès lors différemment selon les individus, principalement selon leur appréhension des mathématiques.

Notes

1 Kasprzyk-Istin Marie-Cécile, « De la navigation maritime à la navigation aérienne : transferts de méthodes mathématiques et de connaissances en France dans la première moitié du xxe siècle », thèse de doctorat en histoire des sciences et techniques, sous la dir. de Barbin Évelyne et Tournès Dominique, Nantes, 29 octobre 2018. Return to text

2 Pour une lecture plus maritime qu’aéronautique, voir Kasprzyk-Istin Marie-Cécile, « De la navigation maritime à la navigation aérienne : transferts de méthodes mathématiques et de connaissances en France dans la première moitié du xxe siècle – Aperçus », Chronique d’histoire maritime, n° 90, juin 2021, pp. 65-78. Return to text

3 Hébrard Léo et Duval André-B., « Traité pratique de navigation aérienne », L’Aéronautique, février 1921, p. 81. Return to text

4 Pesce G.-L., « Congrès et commission permanente internationale d’aéronautique », L’Aérophile, juillet 1901, p. 156. Return to text

5 La Baume Pluvinel (de) Aymar, « Recherches sur la détermination du “point” », L’Aérophile, 15 décembre 1908, p. 504. Return to text

6 Bellenger Georges, « La direction en aéroplane », L’Aérophile, 15 février 1911, p. 82. Return to text

7 Rouch Jules, Le Compas de navigation aérienne, Masson, 1921, p. 5. Return to text

8 Hébrard Léo, « Le bombardement de nuit et les problèmes de la navigation aérienne », L’Aéronautique, 1920, p. 162. Return to text

9 Schiavon Martina, « Des savants-officiers entre science, armée, État et industrie de précision : les géodésiens du Service géographique de l’armée, 1887-1920 », in Le sabre et l’éprouvette. L’invention d’une science de guerre 1914/1939, Paris, Agnès Viénot, 2003, p. 67. Return to text

10 Service géographique de l’armée, Rapport sur les travaux exécutés du 1er août 1914 au 31 décembre 1919, Paris, Imprimerie du Service géographique de l’armée, 1936, p. 222. Return to text

11 Feuilloy Robert, Les Dirigeables de la Marine française 1915-1937, ARDHAN, 2008, p. 59. Return to text

12 Lucas Alfred, « Des phénomènes gyroscopique et de leurs principales applications à la navigation », Revue de la marine marchande, août-septembre 1917, p. 505. Return to text

13 François L., « Les progrès de la T.S.F. en France pendant la guerre », La science et la vie, Avril-mai 1920, p. 114. Return to text

14 Manuel d’aviation, ministère de l’Air, direction de l’aéronautique civile, Paris, 1939, pp. 198-205. Return to text

15 Le Roy Thierry, Les Bretons et l’aéronautique, des origines à 1939, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002, p. 324. Return to text

16 Moreel Léon, Yves le Prieur : l’homme, le marin, l’inventeur, Paris, Académie de marine (Houilles, imprimerie de marine), 1965. Return to text

17 Dévé Max, « Première liaison aérienne France-Nouvelle-Calédonie Paris-Nouméa », Revue du SGAC, 1972, pp. 95-120. Return to text

18 Ferry Vital, Ciels impériaux africains, 1911-1940, éditions du Gerfaut, 2005, pp. 96-97. Return to text

19 Bertin Charles, Carnet Bertin, Paris, Gauthier-Villars et Cie, 1928. Return to text

20 Bellonte Maurice, Le Premier Paris-New York, Paris, Plon, 1976. Return to text

References

Electronic reference

Marie-Cécile Kasprzyk-Istin, « Les mathématiques dans la navigation, vecteur ou écueil à la transmission du domaine maritime au domaine aérien », Nacelles [Online], 11 | 2021, Online since 01 décembre 2021, connection on 04 octobre 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/1551

Author

Marie-Cécile Kasprzyk-Istin

Docteure en Histoire des Sciences de l’Université de Nantes
Professeure de mathématiques en lycée
Marie-Cecile.Kasprzyk-Istin@ac-rennes.fr