« Diaspora » noire au Pérou : quelle trajectoire de 1990 à nos jours ?

Réfléchir sur les problématiques autour des « diasporas » noires dans le « Tout-monde », pour reprendre un concept cher à Édouard Glissant, nous intéresse à plus d’un titre. D’une part, il y a l’histoire et les subjectivités partagées et, d’autre part, en raison des conséquences qu’induit cette même histoire dans les sociétés latino-américaines actuelles. Le parcours des descendants d’Africains dans cette partie du continent, plus exactement au Pérou, comporte de nombreuses similitudes avec celui des pays voisins. Un examen critique du parcours des sujets afro-péruviens depuis le début des années 1990 avec l’émergence des mouvements de revendication, engendre nécessairement une litanie de questionnements. D’où la nécessité de faire un tour d’horizon, afin de jeter un regard circonscrit sur la question qui fait l’objet de notre réflexion. Cette contribution sera abordée du point de vue des critiques culturelles et à partir des activismes politiques et culturels. Dès lors, notre étude s’articulera autour de trois axes majeurs. Dans un premier temps, nous aborderons la question de l’émergence des mouvements de revendication noirs ; ensuite, nous verrons comment les pratiques artistiques, culturelles et cultuelles sont posées comme discours/positionnements politiques ; enfin, nous nous pencherons sur les avancées en matière de politiques mises en place pour une meilleure intégration de la « diaspora » noire péruvienne. 

Reflexionar sobre las problemáticas en torno a las « diasporas » negras en el « Tout-monde » como lo diría Édouard Glissant, nos interesa por varios motivos. Por una parte, por la historia y las subjetividades compartidas, por otra parte, por las consecuencias que induce esta historia en las sociedades latinoamericanas actuales. La trayectoria de los descendientes de Africanos en esta parte del continente, más precisamente en el Perú, tiene varias semejanzas con la de los países vecinos. Un examen crítico de la trayectoria de los sujetos afroperuanos al principiar los años 1990 con la emergencia de los movimientos de reivindicación, engendra necesariamente una serie de cuestionamientos. La necesidad de pasar revista se impone a nuestro parecer para tener una mirada circunscrita sobre la cuestión que nos atañe reflexionar. Se abordará esta aportación desde el punto de vista de las criticas culturales y a partir de los activismos políticos y culturales. Desde luego, nuestro estudio se articulará en torno a tres grandes ejes. Primero, abordaremos la cuestión de la emergencia de los movimientos de reivindicación negros, después, veremos cómo las prácticas artísticas, culturales y cultuales están planteadas como discursos/o posicionamientos políticos ; y por fin, estudiaremos los avances políticos para una mejor integración de la « diáspora » negra peruana.

Thinking about the problematics of the black “Diasporas” in the “Tout-monde” as referred to by Édouard Glissant, is of great interest to us. On the one hand, from the history and the shared subjectivities, on the other hand, from the consequences stemming from that history in today Latin-American societies. The journey of African descendants in that part of the continent, more precisely Peru, has many similarities with its neighbouring countries’ one. A critical examination of African-Peruvians’ journey since the beginning of the 1990s when protest movements emerged, necessarily leads to a litany of interrogations. We believe that there is a necessity of providing an overview in order to define the scope of the matter we are reflecting on. Thus, our study will be organised around three central points; first, we will deal with the emergence of black people protests, then we will look at how artistic, cultural and worshipping practices stand for discourse/political stance; finally, we will address the progress in policies developed to improve the integration of the black-Peruvian “diaspora”.

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Introduction

Notre adhésion aux préoccupations épistémologiques du GRENAL (Groupe de Recherches et d’Études sur les Noir-e-s d’Amérique Latine) coordonné par Victorien Lavou justifie en partie l’intérêt que nous portons aux problématiques des Noir-e-s d’Amérique Latine. Il est vrai que notre inclination est également motivée par cette histoire que nous partageons ainsi que par les similitudes culturelles et cultuelles d’une part, et d’autre part, les conséquences induites par la tristement célèbre histoire de l’esclavage des Noir-e-s, qui, régit encore les pratiques politiques, sociales et culturelles actuelles. En effet, notre étude est un condensé des débats et des réflexions théoriques qui ont cours dans le champ des études caribéennes et latino-américaines. Elle sera de ce fait abordée du point de vue des critiques culturelles et à partir des activismes politiques et culturels/cultuels.

Après avoir passé en revue une grande partie de la littérature portant sur l’analyse de la problématique des noirs en Amérique latine, nous nous sommes posés la question suivante : Pourquoi l’intégration des sujets afro-descendants pose encore problème en ce début de XXIe siècle dans les sociétés latino-américaines ? Seraient-ils vraiment marqués du sceau du « Malheur généalogique » (Lavou, 2003a) ? Tout au long de ce travail, nous tenterons de répondre dans la mesure du possible à ces interrogations.

Nous considérons les débuts des années 1990 comme étant un moment clé dans l’histoire des mouvements culturels et politiques des Noir-e-s d’Amérique Latine en ce sens qu’elles sont marquées par une prise de parole publique des leaders, activistes et intellectuels. Cette prise de parole est fort remarquable dans des pays tels que Cuba, le Brésil, la Colombie, qui constituent un véritable modèle d’expérimentation en matière de luttes politiques par rapport aux autres pays du sous-continent où il y a une « Présence-histoire » noire (Lavou, 2003b).

Les sujets afro-descendants ne veulent plus être de simples objets de discours, mais des acteurs qui revendiquent le statut de sujets pleins. Ils veulent eux-mêmes dire leur propre expérience, leur parcours en terres américaines. Fort heureusement, les Noirs étasuniens avaient déjà ouvert la voie quelques décennies plut tôt. Pour ce qui est du Pérou, les Noirs ne sont pas restés en marge malgré la place prépondérante qu’occupaient les mouvements indigénistes dans l’échiquier politique national.

Notre réflexion reposera essentiellement sur trois grands axes. Tout d’abord, nous nous pencherons sur l’émergence des mouvements culturels ou politiques Afro-péruviens ; ensuite, nous verrons comment les pratiques artistiques, culturelles et cultuelles sont posées comme discours/positionnements politiques ; enfin, nous nous appesantirons sur les avancées en matière de politiques mises en place pour une meilleure intégration de la « diaspora » noire péruvienne.

I. Émergence des mouvements culturels/ politiques afro‑péruviens 

Comment passe-t-on du statut de « bien-meuble », « cheptel humain », « bête de somme » à celui de citoyen de plein droit dans une jeune nation imprégnée par des discours racistes ? C’est dans cet ordre d’idée qu’il faut considérer l’assertion de Victorien Lavou : « On se doit de bien mesurer que le passage d’un statut officiel (mais aussi imaginaire) “d’instrument utile” ou de “machine animée” à celui de sujet de discours n’est pas une mince affaire » (Lavou, 2003c, p. 17). Il n’est pas superflu de rappeler, avec force, que les Noirs ont participé activement aux différentes guerres d’indépendance ou de libération des colonies américaines, en contrepartie de la promesse de leur affranchissement. Malheureusement, leur affranchissement, après les indépendances, ne leur permit pas une réelle intégration dans la nouvelle nation péruvienne. Les représentations négatives dans les imaginaires, construites tout au long de l’histoire coloniale et esclavagiste, affectent les perceptions qui demeurent et constituent encore une véritable entrave à l’intégration sociale des Noir-e-s. L’optimisme lié aux promesses des pères fondateurs avant la libération du pays est inversement proportionnel à la frustration qu’éprouvent alors les Noirs. Dans les pays latino-américains où les populations d’ascendance africaine présentaient un fort poids démographique, la participation des Noirs dans l’armée de libération a permis le développement des premiers types d’organisations socio-politiques ; cela a aussi forgé leur expérience politique. Cette mobilisation concerne les expériences pionnières des pays tels que Cuba, le Brésil et la Colombie qui ont fait école dans le sous-continent.

La participation des leaders noirs dans certains partis, politiques conservateurs et libéraux, de l’époque avait pour but d’appuyer les revendications de leurs communautés. Leurs demandes portaient essentiellement sur l’égalité de droits et une intégration sociale véritable. En raison de l’inefficacité de cette stratégie de l’entrisme, ils décidèrent finalement de créer leurs propres partis politiques. Ce fut le cas du « Parti Indépendant de Couleur » à Cuba et du « Front Noir brésilien » (Agudelo, 2009a, p. 126 -127). Pour le « Front Noir », la fin des préjugés ainsi que l’intégration des populations noires seraient réalisées grâce à l’élévation morale, au travail, et à l’éducation. Leur objectif principal était articulé autour d’un slogan : « rassembler, éduquer, orienter » (Agier, De Carvalho, 1994, p. 109). Ces deux partis ont pris une envergure importante d’un point de vue local ; ils constituaient aux yeux des partis politiques de l’élite blanco-criolla, une menace ; ils furent ainsi frappés d’interdiction et d’illégalité. Nos recherches au Pérou ont révélé que les sujets Afro-péruviens ont tenté cette même approche dans les partis de gauche en vue de la satisfaction de leurs demandes. Tout comme pour les pionniers cubains et brésiliens, leur démarche s’est avérée infructueuse (Rossemond, 2012a, p. 29). Comme on peut le constater, les mouvements conduits par des leaders noirs au Pérou n’ont pas connu la même dynamique qu’à Cuba ou au Brésil. En tous les cas, elles n’ont pas débouché sur la création d’un ou de plusieurs partis politiques.

Pendant longtemps au Pérou, les Noirs manifestaient une forme latente de passivité ; il a fallu attendre des contextes socio-politiques et économiques propices pour qu’une prise de parole publique soit possible. Gayatri Spivak (2008) en vient à formuler l’interrogation suivante : les subalternes peuvent-elles parler pour interroger le droit à la parole de tous ceux qui furent longtemps considérés comme des êtres inférieurs dépourvus de toute faculté cognitive. Le « sceau de la subalternité » (N’gom, 2009, p. 274), qui frappe le sujet Afro-descendant du Pérou, a pour conséquence directe son étiquetage et sa marginalisation dans une communauté ethnique marquée par une supposée incapacité atavique à produire un discours historique et culturel cohérent. Depuis quelques années, nous constatons qu’il y a des déplacements sémantiques dans les pratiques discursives des leaders noirs. Par exemple, ils ne disent plus « esclavo », « amo », mais plutôt « esclavizado », « esclavizador/esclavista » (Rossemond, 2010a, p. 318). Cette resémantisation est étroitement liée à la prise de parole publique des Noirs, organisés en mouvements culturels/politiques, dans les sociétés latino-américaines en général. Cette prise de parole a pour but d’obliger les tenants des discours officiels ainsi que les pratiques scripturales académiques à repenser ce qu’être « Noir » veut dire (Lavou, 2004a, p. 73) en Amérique latine. Certes, une prise de parole publique est nécessaire, mais il ne faut pas s’y méprendre. D’où ce questionnement pertinent de Lavou :

Mais que dit exactement le Noir ? Que prétend-il dire vraiment ? Tout d’abord, le droit, et non le monopole, de formuler lui-même un discours propre au sujet de son parcours et de son enracinement en terres américaines. Ce discours, avec quelques décennies, avait été formulé par les Noirs usaméricains. Le prix payé fut incommensurable : vexations et humiliations de toutes sortes, y compris dans le monde de la production culturelle et artistique, assassinats, répression violente, bannissement, renforcement du mythe de la suprématie blanche. (Lavou, 2003b, p. 130).

Malgré l’hétérogénéité du pays, on remarque qu’au cours des débats sur l’identité nationale, la société péruvienne est invariablement présentée comme le résultat d’un métissage espagnol et indien, invisibilisant de ce fait la présence des Noirs dans l’histoire du Pérou. De la même manière, les sujets Afro-péruviens sont absentifiés du « récit pédagogique national » (Bhabha, 2006) et des cénacles universitaires, où les chercheurs locaux montrent peu d’intérêt à étudier l’expérience de « la diaspora » noire. Cette amnésie historique, qui est orchestrée par l’élite blanco-criolla, insupporte les leaders Noir‑e‑s.

M’baré N’gom rapporte que pour José Campos Dávila, c’est à partir des années 1980, qu’on observe une timide apparition des premiers travaux académiques relatifs à l’expérience des Noirs au Pérou (N’gom, 2008, p. 27) ; ceux-ci coïncident avec un réveil d’une conscience revendicative noire, influencée par le mouvement de la Négritude. À la suite des commentaires de José Campos Dávila, intellectuel et figure de proue des mouvements noirs au Pérou (début des années 1980), il nous semble important de faire une brève généalogie des mouvements de revendication noire dans ce pays. Nous assistons à cet effet, à la naissance des premières organisations afro-péruviennes : Instituto de Investigaciones Afroperuano (INAPE), Asociación Todas las sangres, Pastoral Afroperuana. Il faudra encore attendre le début des années 1990 pour voir la formation progressive d’autres organisations d’importance significatives telles que Movimiento Negro Francisco Congo (MNFC), Asociación Pro Derechos Humanos del Negro (ASONEDH), Cimarrones, Centro de Desarrollo Étnico (CEDET), etc. (Rossemond, 2012b, p. 134).

Il importe de rappeler que les années 1990 ont constitué une période charnière dans l’histoire des mouvements noirs. On se souvient des différentes luttes menées tant sur le plan national qu’international pour une meilleure représentativité de la « différence noire » (africaine ou de ses diasporas) dans les historiographies officielles, dans les médias, la représentation politique, etc. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons énumérer ici quelques faits marquants : la libération de Nelson Mandela, l’adoption de la Loi Taubira (en France) qui reconnaît l’esclavage des Noirs comme un crime contre l’humanité, la Conférence Mondiale contre le Racisme de Durban (en Afrique du Sud), l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis, les modifications de la Constitution en Colombie, au Pérou, au Brésil, etc. On note aussi la création des réseaux transnationaux de mouvements Afro-descendants, notamment le Premier Forum International des populations afro-descendantes au Honduras, la création du Movimiento Negro Francisco Congo au Pérou, la nomination (finalement éphémère) en 2011 de Susana Baca au poste de Ministre de la Culture dans ce même pays (Rossemond, 2012c, p. 12), l’Année internationale des personnes de descendance africaine décrétée par l’ONU en 2011, l’émergence des mouvements culturels et politiques des sujets afro-descendants en Amérique/Caraïbes, la promotion officielle des politiques multiculturelles dans quelques pays, dans le domaine universitaire ; la création des chaires réservées à l’études de l’expérience africaine en Amérique (Montes, 2009, p. 209).

Il convient d’ajouter que dans un contexte politique strictement national/local, la décennie qui marque la fin du siècle dernier est caractérisée aussi par l’élection de Alberto Fujimori à la présidence du Pérou et par la fin du Sentier Lumineux, mouvement terroriste qui a plongé le pays dans le chaos pendant un peu plus d’une décennie. L’élection de Alberto Fujimori à la tête du pays a été perçue par de nombreux commentateurs et analystes politiques comme le triomphe du multiculturalisme au Pérou. Qu’en est-il réellement de son application sur le plan national ? Est-ce un effet de mode ou une supercherie ? Que pensent les leaders Afro-péruviens à ce propos ? Lors d’une interview, Oswaldo bilbao, directeur du CEDET, affirma ceci :

El concepto de Multiculturalidad excluye a los negros, toca sobre todo a los indígenas, por tener lenguas, y no lo hacen desde una perspectiva cultural, basta con ver toda la bibliografía al respecto para observar si se mencionan los afrodescendientes como integrantes de esta multiculturalidad, excepción en Brasil y en Colombia. (Rossemond, 2012d, p. 34)

Les années 1990 sont, comme nous le disions dans nos propos liminaires, à tous points de vue cruciales dans le processus historique des mouvements noirs en Amérique latine. Elles voient non seulement l’émergence en cascade de plusieurs organisations noires, mais aussi la mise en place de réseaux tels que Red Continental de Organizaciones Afro (1994), Afroamérica XXI (1996), Alianza Global Afrolatinocaribeña (1999), tous constitués par des organisations ayant vu le jour dans différents pays : Pérou, Brésil, Honduras, Venezuela, Colombie, Argentine, USA, Bolivie, Équateur, Mexique, Uruguay, Nicaragua, Costa Rica. La formation de ces réseaux est essentielle à plus d’un titre en ce sens qu’ils ambitionnent de s’établir en un « lobby » (García, 2010, p. 115) permanent auprès des organismes multilatéraux pour ainsi attirer l’attention sur les politiques des États-Unis vers les pays Latino-américains et la place dévolue aux Noirs et à leurs agendas socio‑politiques.

II. Pratiques artistiques, culturelles et cultuelles ou discours / positionnements politiques

Les sociétés Latino-américaines post-abolitionnistes sont fortement imprégnées par l’idéologie raciste de l’époque de l’esclavage. Les sujets Afro-descendants sont considérés à la fois comme des étrangers dans leurs propres pays et comme un peuple sans histoire ; en conséquence, ils sont relégués aux marges de ces nouvelles sociétés où le traitement réservé à ces personnes est identique à celui de citoyens de seconde zone. Comment passe-t-on d’esclave à citoyen à part entière dans l’imaginaire péruvien ? C’est tout simplement incongru pour l’élite blanco-criolla qui s’est érigée en instance transcendante et de légitimation dans ce pays. Elle s’est projetée une nation imaginée dans laquelle les Afro-péruviens sont les grands absents. Leurs manifestations culturelles et cultuelles sont très souvent données à voir comme l’expression du primitivisme, de l’abject, comme étant des savoirs diaboliques et, de ce fait, elles ne peuvent pas faire partie de la péruanité imaginée. Malgré cela, la capacité d’agir des Noirs a donné lieu à des formes d’affirmation de leur identité dans plusieurs domaines : artistique, culturel, cultuel, politique, etc. C’est ce que Victorien Lavou nous donne à lire dans l’assertion suivante :

Por otra parte, y la historia política de las Américas/Caribes lo testifica, “Negro-a” tiene una fuerza imaginaria y política movilizadora innegable : “Comunidades negras remanentes”, “Say it loud: Black and proud.”, “somos negro-a-s, de raza fuerte y no han podido con nosotros-a-s”, “to be young, gifted and Black”, “nos ningunean por ser negro-a-s”, “la historia negra en las Américas no es cualquiera”, “afrorealismo”, “negro-a-s cien por ciento”, “Black Caucus”, “affirmative action”, “movimientos políticos y culturales negros”, “negritud”, “Harlem Renaissance”, “Black Power”, “Universal Negroe Improvement Association”, “Partido Independista de Color”, “Foro Internacional de las mujeres Negras”, “rotundamente negra”, “comité de défense de la race noire”, etc. (Lavou, 2012, p. 2)

Contrairement à ce que dit le discours doxique social, la diaspora noire est loin d’être passive, eu égard à tous les combats menés ces dernières décennies. À ce sujet, il semble important pour nous d’évoquer ici une des figures emblématiques de la culture noire au Pérou, à savoir Nicomedes Santa Cruz. Parmi nombre de ses déclarations on peut citer celle-ci : « Negro si te creen flojo y te miran como esclavo ¡ponte de pie ! ¡ponte bravo ! ¡ ponte duro ! » (Santa Cruz cité par Tardieu, 2004, p. 182). La diaspora noire a effectivement connu un véritable réveil d’une conscience politique, c’est d’ailleurs ce que nous comprenons du propos de Victorien Lavou. Cette première démarche a consisté à réinvestir positivement la catégorie de « Noir », en sachant bien évidemment la charge historique, politique et sociale que ce terme comporte. Comment comprendre que ce qui, pendant longtemps, a été considéré comme une tare devienne un signe de ralliement identitaire ?

« Le moment où le signifiant “noir” est arraché de son enracinement historique, culturel et politique pour être placé dans une catégorie raciale biologiquement constituée valorise, par inversion, le fondement même du racisme que nous essayons de déconstruire » (Hall, 2007, p. 224). Lors des grandes mobilisations, on pouvait lire des slogans tels que : « el negro es hermoso » ou « Black is beautifull », pour ne citer que ceux-là. Les intellectuels et artistes noirs (femmes et hommes) ont été les porte-étendards de cette tendance relayée par ailleurs par les activistes. C’est effectivement ce que nous avons pu constater dans le poème de Victoria Santa Cruz ; « Y qué, ¡negra ! sí, ¡negra ! soy, ¡negra ! » (Santa Cruz, 1995).

L’expérience transatlantique fut d’une extrême brutalité, et c’est dans cette épreuve que, contre toute attente et paradoxalement, ont été engendrées des cultures nouvelles. La plantation, pour faire référence ici à Glissant, a été un véritable « laboratoire » d’identités et surtout de création de cultures. Toujours dans le prolongement de notre auteur, toutes nouvelles cultures sont le fruit de l’imprévisibilité. Car, rappelons-le, il leur était interdit de pratiquer nombre de manifestations culturelles et cultuelles. Par contre, ils ne pouvaient en pratiquer que quelques-unes pour le divertissement de leurs maîtres ou pour se donner un semblant de liberté. Paul Gilroy nous livre une information toute aussi intéressante à ce propos :

Pour les descendants des esclaves, le travail est synonyme de servitude, de misère et d’assujettissement. L’expression artistique, qui s’est développée au point de devenir méconnaissable alors qu’elle n’était à l’origine qu’un don fait à contrecœur par les maîtres comme substitut à la liberté, est ainsi devenue un moyen de construction de soi et de libération collective, Poiesis et poésie coexistent dans des formes nouvelles : l’écriture autobiographique, les manipulations hautement créatives du langage parlé et, surtout, la musique. Toutes trois se sont affranchies des espaces où l’État-nation moderne les avait confinées. (Gilroy, 2010, p. 68)

De nos jours, les manifestations à caractère artistique, culturel et cultuel sont, à n’en point douter, devenues de véritables outils de mobilisation politique pour les mouvements noirs. Une telle assertion vient de ce que ces expressions, au plan culturel notamment, ont été des moyens d’ascension sociale ou de reconnaissance sociale des Afro-descendants. L’oblitération par l’élite blanco-criolla de leur « présence-histoire » ainsi que de leurs apports dans la formation des sociétés latino-américaines reste une pratique courante. Cette tendance pernicieuse consistant à évoquer le métissage espagnol et indien comme l’expression de l’identité nationale péruvienne n’est qu’un subterfuge guidé par une vision eurocentrée pour mieux exclure les Afro-descendants de l’historiographie nationale. Cette lecture tronquée de la péruanité est fortement enracinée dans les mentalités de la plupart des intellectuels de l’époque, c’est le cas de José Carlos Mariátegui, dont la réflexion est pour le moins surprenante :

El aporte negro, venido como esclavo, casi como mercadería, aparece más nulo y negativo aun. El negro trajo su sensualidad, su superstición, su primitivismo. No estaba en condiciones de contribuir a la creación de una cultura, sino más bien de estorbarla con el crudo y viviente influjo de su barbarie. (Mariátegui, 1979, p. 226)

À la lecture des écrits d’une voix qui fait autorité comme celle de José Carlos Mariátegui, Nicomedes Santa Cruz émettait déjà la difficulté de répondre à ses écrits par un article. Le poète a donc dû user de perspicacité plutôt que d’impétuosité pour attaquer celui qu’il ne veut pas voir comme una vaca sagrada au Pérou. À ce propos, dans un article intitulé ; « Mariátegui y su preconcepto del Negro », Nicomedes Santa Cruz affirme :

Cuesta creer que todos estos equívocos conceptos provengan de la pluma de José Carlos Mariátegui y lo que es más grave figuren entre “los fundamentos de esos Siete Ensayos”. […] ¿Como tocar la obra de Mariátegui sin que la reacción capitalice mi denuncia... ? […] Pese a su estatura superior, Mariátegui debe haber sido afectado por los reaccionarios ‘colónidos’ del Palais de Concert : Federico More define a González Prada como “un griego nacido en un país de zambos”. (Santa Cruz, 2004, p. 145‑146)

Au Pérou, de nos jours, le seul mérite qu’on accorde volontiers aux Noirs c’est d’avoir apporté leur contribution dans les domaines de la musique, la dance, la gastronomie, la religion et le sport ; il s’agit ici d’une une vision partielle et réductrice de l’histoire de ce pays. Comme nous le signalions en première partie, les leaders des mouvements afro-descendants, à la fin du siècle dernier, ont introduit véritablement une rupture idéologique dans leur discours politiques, dans leur prise de parole en s’identifiant dorénavant comme Afrodescendientes plutôt que comme Noirs. Dans le même ordre d’idées, nous voyons comment la figure de l’esclave-marron ou encore les espaces de liberté appelés : « quilombos », « palenques », « free villages » (Agudelo, 2009b, p. 128), acquièrent une connotation politique très forte pour la diaspora noire. Ces lieux sont non seulement des lieux de mémoire mais également de renégociation identitaire. La figure de l’esclave-marron est antonymique à celle de « l’oncle Tom », principal protagoniste du célèbre ouvrage de Harriet Beecher-stowe, La case de l’oncle Tom, qui n’avait pas d’alternative que l’acceptation de son triste sort.

Au Pérou par exemple, la pratique du Cajón, qui est un avatar du tambour africain, est devenue une manifestation culturelle de portée nationale. El señor de los Milagros, devenu à son tour un culte d’envergure nationale, au regard de l’enthousiasme qu’il suscite lors des processions dans les rues de Lima, est synonyme de fierté pour les Noir-e-s. Le rôle des mouvements culturels a été primordial dans ce travail d’archéologie de la culture noire. Dans les années 1960, les frères Victoria et Nicomedes Santa Cruz ont commencé un travail de valorisation et récupération de la culture noire péruvienne au travers du groupe Cumanana, puis, El Perú Negro dans les années 70. Ce travail répond à une nécessité de reconstruction de leur héritage culturel et sert de contre-discours à cette prétendue incapacité des Noir-e-s à produire un discours culturel cohérent. Il convient de souligner, à ce niveau de notre réflexion, que le passé culturel afro-péruvien a été confisqué pendant longtemps par l’élite blanco-criolla via la Compagnie Pancho Fierro, de José Durand (Feldman, 2009, p. 50). Intéressons-nous maintenant à la Danza de los diablos, pratiquée par les Noir-e-s, elle fut créée à l’initiative des esclavagistes dans le but de se divertir et surtout de leur assigner une identité péjorative. C’est ce que révèle l’analyse fort pertinente ci‑après :

Il y a un cas de figure qui mérite qu’on s’y intéresse dans cette troisième partie, car il est révélateur de la capacité créatrice et de réappropriation par les Noir-e-s de la culture dominante : il s’agit du « Son de los Diablos ». C’est une manifestation qui se produisait chaque année pendant la fête du Corpus Cristi et le carnaval ; à cet effet, les leaders du groupe étaient déguisés en diables et les danseurs portaient des peaux d’animaux. Force est de constater que les exécutants prenaient à leur compte les représentations dévalorisantes sur les Noir-e-s. Ne peut-on pas voir dans cette danse l’expression même d’un syncrétisme religieux ? Comment expliquer le port des masques représentant le diable ? Peut-on considérer la réappropriation du personnage du diable comme de l’autodérision ou une caricature habile des valeurs chrétiennes catholiques espagnoles ? Comment cette manifestation culturelle a fini, progressivement, par s’imposer comme étant un élément d’identification des Noir-e-s de la diaspora ? (Rossemond, 2019, p. 12)

Dans leurs mobilisations politiques, les leaders noirs associent une image idyllique à l’Afrique, la terre des ancêtres, la « mère patrie ». En effet, c’est un puissant dispositif politique de résistance face à l’invisibilisation sociale dont ils font l’objet dans les sociétés Latino-américaines. De nos jours, cette image est galvaudée par les médias locaux qui présentent toujours une Afrique en guerre, affamée et malade afin de porter atteinte à l’intégrité des sujets Afro-descendants. Penchons-nous à ce propos sur l’analyse que fait Victorien Lavou :

Tout au long de l’histoire politique, culturelle et intellectuelle des Amériques/Caraïbes, le « texte » du « retour à l’Afrique » a eu, chez les propres Noir-e-s, des dimensions tout à la fois politiques et imaginaires. En gros, il a aussi été un puissant vecteur de résistance au mépris socio-politique installé dans les sociétés d’après les abolitions de l’esclavage, à la destruction de l’humain noir-e/rendu bétail dans les bateaux négriers ou sur les plantations esclavagistes, sur les champs de coton, dans les mines, dans les cases-à-nègres, etc. (Lavou, 2011, p. 241)

Comme le dit Édouard Glissant, tous les combats culturels ou politiques menés ou en train d’être menés s’inscrivent dans un contexte mondial de rupture idéologique qui contribue à renverser la vapeur poétique et, la mentalité des humanités. (Glissant, 1996, p. 56) C’est là même le véritable leitmotiv des mouvements des Noirs dans les Amériques, cette démarche se veut prophylactique, voire thérapeutique des maux des sujets Afro-descendants dans notre actualité. Le dénouement de cette affaire passe par la réhabilitation de l’image du Noir, par son intégration sociale et par sa reconnaissance en tant que sujet culturel, politique et historique dans les pays respectifs latino‑américains.

III. Changements politiques et intégration de la « diaspora » au Pérou 

La belligérance des organisations des Noirs dans la société péruvienne en particulier, et latino-américaine en général au cours de ces dernières décennies a permis à leurs populations de bénéficier de quelques changements politiques à forte répercussion sociale. Relevons, à toutes fins utiles, qu’au contraire de leurs voisins latino-américains, qui ont adopté les décrets régissant le « Día de las razas », le « Día del Negro » ou « Día de las Culturas », le Pérou est resté encore très en retrait. Signalons tout de même qu’en 2002, sous la pression de la communauté internationale ainsi que des organisations afro-péruviennes, le gouvernement de Toledo fonde la Comisión Nacional de Pueblos Andinos, Amazónicos y Afroperuanos (CONAPA) qui deviendra trois ans plus tard Instituto Nacional de Desarrollo de Pueblos Andinos, Amazónicos y Afroperuanos (INDEPA) ; cette institution a été dirigée par une anthropologue, Eliane Karp, épouse du président Alejandro Toledo. (Rossemond, 2010b, p. 323) Il paraît toutefois nécessaire de souligner la proposition de loi de la députée noire Martha Moyano de 2006, visant à déclarer le 4 juin le « Día de la cultura afroperuana ». Son aboutissement serait un bel hommage à Nicomedes Santa cruz, intellectuel afro-péruvien (1925-1992). (Rossemond, 2016, p. 179)

L’arrivée au pouvoir d’Alberto Fujimori et surtout les changements constitutionnels qui s’en sont suivis faisant la promotion du multiculturalisme, ont constitué un réel apport supplémentaire justifiant les actions politiques en faveur de la « diaspora » noire péruvienne. Pendant que certains chercheurs voient en ces politiques le triomphe du multiculturalisme, d’autres se questionnent sur sa pertinence pour l’Amérique latine. Notons à cet effet que le pardon historique demandé par l’État péruvien aux populations afro-descendantes pourrait être l’aboutissement des politiques multiculturalistes. Il est permis de questionner le contenu de la résolution No 010-2009 relatif au pardon historique. Un examen bref des articles 1, 2 et 3 est ici nécessaire :

Artículo 1º.- Perdón histórico y reconocimiento.
Exprésese Perdón Histórico al Pueblo Afroperuano por los abusos, exclusión y discriminación cometidos en su agravio desde la época colonial hasta la actualidad, y reconózcase su esfuerzo y lucha en la afirmación de nuestra identidad nacional, la generación y difusión de valores culturales, así como la defensa de nuestro suelo patrio.

Artículo 2º.- Acto Solemne.
El perdón y reconocimiento al Pueblo Afroperuano se llevará a cabo en una ceremonia solemne y pública, en la cual se elevarán votos por la equidad y la justicia como valores fundamentales para la construcción de una sociedad más justa y tolerante con la diversidad existente en nuestro país.

Artículo 3º.- Políticas Públicas.
El Ministerio de la Mujer y Desarrollo Social, en coordinación con los sectores competentes, dictará políticas públicas específicas para el desarrollo del Pueblo Afroperuano.

Il est incontestable que cette décision politique du gouvernement d’Alan García constitue un changement considérable en matière de politiques mises en place en faveur du Peuple Afro-péruvien. Du point de vue politique, la résolution No 010-2009 représente une victoire énorme pour les mouvements noirs du Pérou. Elle a sans aucun doute marqué les mémoires collectives de ce pays. Cette victoire ostensiblement arrachée, donne aux mouvements culturels et politiques afro-descendants une raison supplémentaire de continuer le combat pour la reconnaissance de leur participation effective à la péruanité. Nous avons pu constater que la résolution mentionne très clairement le pardon ainsi que la reconnaissance de la composante afro-péruvienne dans la Nation et la péruanité. Elle fait mention aussi de l’apport de la « diaspora » noire dans la construction de la Nation et de l’identité péruvienne. De ce point de vue, l’article 1er de cette résolution ne souffre point d’ambiguïté lorsqu’il exprime clairement le pardon et la reconnaissance des abus causés aux sujets afro-descendants depuis plusieurs siècles. L’article 2, quant à lui, mentionne le fait que cet acte visant réparation se fasse de façon solennelle. Et enfin, l’article 3, annonce la mise en place d’une politique publique en faveur de cette population longtemps mise au ban de la société péruvienne. Cette résolution prend en compte les demandes des mouvements afro-péruviens jusque-là différées. La portée historique de cette demande de pardon est, à notre avis irréfragable, mais il reste encore à mesurer et évaluer l’application effective des mesures préconisées.

Certains chercheurs n’ont pas manqué de relier cette décision politique à l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Cet effet-Obama est tout aussi palpable dans la nomination dans ce même pays de Susana Baca, chanteuse noire, au poste de Ministre de la Culture ; ce qui est une première dans l’histoire de ce pays. Cette nomination concordait avec la publication du décret signé par l’Assemblée Générale de l’ONU instituant la Journée internationale des personnes de descendances africaines.

Toutes les politiques mises en place dans le cadre des luttes menées par les mouvements sociaux des Noirs visent à la reconnaissance de la composante noire comme partie intégrante des nationalités latino-américaines. Elles sont importantes à notre avis parce qu’elles constituent des formes de réparation. De ce point de vue, le dénouement de cette histoire passe nécessairement par au moins trois étapes. Premièrement, il s’agit d’organiser des célébrations mémorielles solennelles ; deuxièmement, de promouvoir des politiques d’intégration ; troisièmement, de rendre effectives toutes ces politiques afin de panser certaines blessures encore béantes dans notre contemporanéité. L’analyse d’Edouard Glissant à ce sujet, que met en avant Victorien Lavou, est on ne peut plus éloquente et pertinente :

Faut-il, pour le bien des consciences et des inconsciences des humanités d’aujourd’hui et pour notre futur, reconnaître l’esclavage comme un crime contre l’humanité ? Faut-il que cette reconnaissance prenne des formes solennelles ? Je réponds : oui, il le faut, non pas par vengeance, non pas par revendication, mais parce qu’il faut raturer les non-dits et combler les pages blanches. Si nous voulons tous entrer dans l’histoire de notre Tout-Monde, il faut qu’aujourd’hui nous soyons tous d’accord. Sur la question de l’esclavage, je voudrais que nous soyons tous à considérer que ce qui nous a opposés et ce qui a constitué l’oppression, nous devons le connaître pour que cela ne se renouvelle pas. (Glissant cité par Lavou, 2004b, p. 75)

Onze ans après la proclamation du pardon historique, quel bilan peut-on en faire ? Il appert que ce fait marquant de la première décennie de ce siècle a suscité beaucoup d’attentes auprès de la « diaspora » noire du Pérou. Il convient de noter qu’après les moments d’émotion qui ont accompagné cette déclaration solennelle, il aura fallu sept ans à l’État pour créer une direction de politiques publiques pour la population afro-péruvienne. Sa direction fut confiée à Susana Matute Charúm, une afro-descendante. Hélas, il n’y a rien eu de réellement concret et palpable depuis onze ans. On pourrait nous accuser de mauvaise foi parce que nous défendons l’idée que les mesures annoncées, pendant cet évènement, rélèvent davantage d’un effet d’annonce que de changements politiques concrets. La création de plusieurs directions de politiques publiques au sein du Ministère de la Culture vient en remplacement de l’Institut National de Développement des Peuples Andins, Amazoniens et Afro-péruviens (INDEPA), mentionné plus haut. Le contexte actuel de crise sanitaire et économique (restriction budgétaire et/ou mesures d’austérité, fermeture de certaines activités commerciales, entre autres, cinémas, restaurants), l’interdiction des grands regroupements, empêche l’État péruvien de prendre des initiatives particulières allant dans le sens de la traduction en actes de la résolution suprême de 2009.

Quoi qu’il en soit, on est fondé à se demander si l’intégration sociale effective des Afro-descendants du Pérou constitue une préoccupation réelle de l’État. À l’évidence, son inertie montre à quel point il est difficile pour les autorités de combler le fossé existant entre les autres composantes sociales et les Afro-descendants au Pérou. Cette situation est cependant loin d’être exclusive du Pérou. Malgré les bonnes volontés de certaines autorités, les mentalités sont profondément imprégnées des discours racistes d’antan et nécessitent certainement une exorcisation. Qu’est-ce qui expliquerait cette lenteur observée dans la mise en place des politiques visant à intégrer clairement la diaspora noire dans la société péruvienne ?

Conclusion

En définitive, nous pensons que la reconnaissance de la « résidence » des Afro-descendants en terres américaines, demeure très problématique dans la mesure où ils ne sont pas acceptés comme une composante à part entière des sociétés latino-américaines. Dans leurs combats, les mouvements culturels/politiques des Noirs proposent un nouveau paradigme en promouvant des politiques d’affirmation de soi. Leur traduction demeure encore objet de controverses. Notons que l’Afrique est, sans conteste, un référent politique puissant dans les luttes de la « diaspora » noire en Amérique Latine et au Pérou. La revendication d’une double ancestralité africaine et américaine se note dans les gentilices toujours disputés d’« Afro-descendant », « Afro-péruvien » « Afro-colombien », etc. Les intellectuels et les activistes noirs ne veulent plus être de simples objets de discours ; ils et elles revendiquent le droit d’être des sujets de discours, des sujets historiques et des acteurs politiques reconnus. Ce nouveau positionnement politique entraîne un révisionnisme actif des fondements projetés des sociétés imaginées latino-américaines. Il se traduit aussi par la constitution et la revalorisation des « bibliothèques » noires, africaines et afro-descendantes. L’essentiel de leurs revendications peut se résumer en quelques points : l’amélioration de leurs conditions de vie, la réhabilitation de leur image longtemps ternie, la reconnaissance de leur participation dans la formation de la nation péruvienne et une pleine intégration dans cette même société. L’affirmation de l’identité noire au Pérou est passée par un processus de récupération puis, de reconstruction et de valorisation de leur héritage culturel, longtemps confisqué par l’élite blanco-criolla. En fin de compte, les pratiques culturelles et cultuelles ont servi de base aux luttes des Noirs au Pérou. Si l’on doit dresser un bilan à l’orée de la douzième année, nous dirons que l’euphorie qui a accompagné le pardon historique à l’endroit du peuple Afro-péruvien a laissé place à la déception, qui découle des promesses non tenues. La seule action concrète de l’État a été la création d’une Direction des politiques publiques de la population afro-péruvienne. Ce qui, à notre avis, constitue un bilan insatisfaisant. Il importe de s’interroger pour savoir si ces annonces étaient réellement sincères ou elles constituaient une manœuvre politique de la part d’Alán García qui jouait là sa dernière carte en politique, tant sur un plan national qu’international. En tous les cas, l’application des articles 2 et 3 de la résolution suprême se fait attendre.

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References

Electronic reference

Alexis Rossemond, « « Diaspora » noire au Pérou : quelle trajectoire de 1990 à nos jours ? », Sociocriticism [Online], XXXVI-1-2 | 2022, Online since 15 juillet 2022, connection on 13 octobre 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/sociocriticism/3135

Author

Alexis Rossemond

Université Omar Bongo
Libreville, Gabon