Témoignant de l'intérêt de plus en plus marqué des universitaires pour les interactions fécondes entre le cinéma et la bande dessinée1 ou de la présence de la photographie dans la bande dessinée2 (qui peut s'approprier la matérialité du médium/média étranger au genre graphique), la bande dessinée ouvre les médiums/médias3 à de nouvelles interactions théoriques dans le champ émergent de l'intermédialité4. Effectivement, la bande dessinée, médium/média artistique, dispositif qui combine un support technique avec un code sémiotique spécifique peut entretenir des relations avec les autres médiums/médias. De plus, genre à la fois hybride, marginal, culturel et populaire, c'est un territoire artistique qui privilégie les rencontres avec les autres médiums/médias où circulent aisément les différents médiums/médias. Dans ses travaux, Silvestra Mariniello5 définit l'intermédialité comme « polymorphe », puisque le médium/média en contient toujours d’autres, et qu’il n’y a pas de médium/média pur et elle conclut en disant que, selon elle, « le milieu/le medium est donc toujours intermédial ». Dans leur ouvrage, Pour une théorie de l'adaptation. Littérature. Cinéma. Bande Dessinée. Théâtre6, André Gaudreault et Thierry Groensteen se sont intéressés aux frontières poreuses que proposent les différents genres (filmiques, photographiques). Par ailleurs, l’ouvrage de Jacques Dürrenmatt, Bande dessinée et littérature7 se focalise sur les potentialités esthétiques et narratologiques du médium/média graphique, lesquelles peuvent soit s’inspirer de la littérature, soit rivaliser avec elle. In fine, « la contamination trans-sémiotique » de ces médiums/médias hétérogènes, dans le genre graphique peut aussi s'organiser autour des concepts que suscitent ce phénomène d'intermédialité qui sont aussi les conséquences de cette proximité (ou des phénomènes d'inclusions génériques) avec l'image graphique. Effectivement, en plus de questionner ou de développer les concepts caractéristiques de ce phénomène, on pourrait les élargir à d'autres notions comme l'esthétisation ou la rhétorique visuelle en rapport avec la sémiologie de l'image.
Ce recueil d’articles issus de communications données lors de la journée d’études « Bande dessinée et approches intermédiales », organisée le 13 Juin 2019 par Fatima Seddaoui, et Agatha Mohring (responsable scientifique Mireille Raynal-Zougari) - laboratoire LLA-Créatis (Université Toulouse Jean Jaurès) - interroge la notion d’approche intermédiale et son articulation avec la bande dessinée et/ou le roman graphique. La première partie a pour objet les porosités intermédiales des bandes dessinées. Ainsi, la contribution de Philippe Paolucci s’intéresse à l’émergence d’une bande dessinée sonore sur les nouveaux supports numériques en soulignant les liens de la bande dessinée avec les autres médias. L’auteur interroge les relations intermédiales encouragées par le numérique et, enfin, le devenir des spécificités sémiotiques et narratives de la bande dessinée dans un environnement numérique qui démultiplie les possibilités intermédiales. Louise Aleksiejew explicite le déplacement du geste créatif d’une écriture linéaire à une écriture du montage, grâce à une brève étude comparative de Paysage après la bataille8 d’Éric Lambé et Philippe de Pierpont et de Plus si entente9 de Dominique Goblet et Kai Pfeiffer. Elle s’intéresse au cas de Virginia10, bande dessinée de l’auteur américain Dash Shaw dont elle interroge le caractère métaleptique permis par son intermédialité et la capacité du montage à déplacer non seulement le geste d’écriture des auteur et autrices, mais également leur propre statut, l’appropriation et le collage transformant inévitablement la distance entretenue par les artistes avec leur récit avant de conclure par une approche stripologique de l’intermédialité. L’article de Philippe Maupeu mobilise les liens entre la bande dessinée et la rhétorique des émotions autour de Spielgelman, Hergé, Jacobs, Drnaso. Effectivement, selon Philippe Maupeu, l'intermédialité résiderait ici dans l'approche spécifiquement rhétorique avec une prise en compte notamment du texte.
La seconde partie a pour thème le traitement de la dimension mémorielle dans la bande dessinée sous le prisme de l’intermédialité. Autrement dit, comment la bande dessinée permet-elle d’accueillir la mémoire dans le graphisme ? Comment les événements historiques s’ancrent-ils autour de l’intimité ? Comment peut-on parler du génocide, de la guerre dans la bande dessinée ? Pour ce faire, Marie Cécile Charles s’intéresse à l’intermédialité dans la bande dessinée traitant du génocide rwandais. En introduction, elle prend pour objet d’étude une reproduction d’une page du journal La vie internationale évoquant les massacres au Rwanda, qui s’est glissée à l’intérieur de la bande dessinée La Fantaisie des dieux11 et élargit son propos au roman, au journal, à la photographie, à l’univers du cinéma, au commentaire historique qui se mélangent au sein de cette production très particulière qu’est la bande dessinée consacrée aux génocides. Fatima Seddaoui interroge la manière dont Sento fait usage de l'intermédialité dans son roman graphique Dr Uriel12, en analysant à la fois le régime graphico-narratif tout en se focalisant sur ses fonctionnements et ses modalités. Agatha Mohring propose d'analyser comment dans Los surcos del azar13 l'approche intermédiale de Paco Roca ainsi que son traitement tout aussi intermédial des sources historiques contribuent à renforcer la dimension à la fois émotionnelle et pédagogique de la mémoire.
La dernière partie observe comment l’adaptation de et en bande dessinée se situe à la croisée de la transmédialité et de l’intermédialité. Ainsi, Mountajab Sakr se propose d’étudier la dimension comique et humoristique des anecdotes de Joha, personnage littéraire dont les histoires humoristiques sont racontées et traduites dans le monde entier, à travers les illustrations dans les bandes dessinées. Son but est de mettre en relief les interactions entre ces deux genres littéraires ou artistiques et les modalités d'intermédialité que pourrait susciter ce genre d'approche. Pascale Hellégouarc’h explore le tissage intermédial dans Nymphéas noirs de Michel Bussi qui procède de la peinture impressionniste, de la bande dessinée, de la photographie, sur fond de roman à énigmes et d’enquête policière. Sa contribution interroge la manière dont le champ lexical de l’impressionnisme imprime sa signature autant dans le cadre que dans l’intrigue en abordant la notion de point de vue narratif proposant un sens à la fois à l’écriture et à la mise en image de l’histoire. En dernier lieu, elle se focalise, dans la version dessinée, sur les indices et sur les couleurs qui donnent à voir tout en laissant l’imagination poursuivre son chemin.