Mathématiques et mathématiciens dans les activités de l’IMFL liées à l’aéronautique (1929-1945)

Résumés

Cet article porte sur l’implication des mathématiciens et des mathématiques dans les institutions intéressant l’aéronautique, en se focalisant sur le cas de l’Institut de mécanique des fluides de Lille (IMFL). Après avoir donné quelques éléments sur le paysage de la mécanique des fluides et de l’aéronautique des trente premières années du xxe siècle, l’article traitera de la manière dont les mathématiciens « lillois », très souvent en collaboration avec les physiciens et les ingénieurs de l’institut, se sont engagés dans la création et l’évolution de l’IMFL depuis 1929, et donc dans la création de relations entre le milieu universitaire, industriel et le milieu de l’aéronautique. Ces mathématiciens se sont également engagés sur des travaux en équipe ainsi que sur quelques problèmes mathématiques de mécanique des fluides intéressant l’aéronautique. Cette implication a pu être possible suite à l’arrivée de nouveaux outils mathématiques provenant des théories modernes de l’analyse, de la statistique et du calcul des probabilités.
De manière plus générale, l’article fera également ressortir différentes trajectoires professionnelles dont l’engagement scientifique et institutionnel dans l’IMFL rappelle, dans certains cas, les mêmes formes d’implication développées pendant la mobilisation scientifique dans les institutions militaires pendant la Grande Guerre. C’est dans ce contexte que nous montrerons quelques exemples de relations extra-mathématiques visant à trouver un équilibre entre recherche mathématique, expérimentation et pratique.

This article deals with the involvement of mathematicians and mathematics in institutions relevant to aeronautics, focusing on the case of Institut de Mécanique des fluides de Lille (IMFL). After having given some elements on the landscape of fluid mechanics and aeronautics of the first thirty years of the 20th century, the article will look at the way in which mathematicians from Lille, very often in collaboration with physicists and engineers of the institute, are engaged in the creation and the evolution of the IMFL since 1929, and therefore in the creation of relationships between the university, industrial and aeronautical background. These mathematicians are also engaged in team work as well as on some mathematical problems of fluid mechanics in the context of aeronautics. This involvement may have been possible thanks to new mathematical tools from modern theories of analysis, probability and statistics.
More generally, the article will highlight different professional trajectories whose scientific and institutional engagement in the IMFL recalls, in some cases, the same forms of involvement developed during scientific mobilization in military institutions during the Great War. It is in this context that we will show some examples of extra-mathematical relationships aimed at finding a balance between mathematical research, experimentation and practice.

Plan

Texte

Introduction

Après la Première Guerre mondiale, l’institutionnalisation de la mécanique des fluides mise en place par le ministère de l’Air a permis le développement de plusieurs organismes de recherche et d’enseignement liés à l’aéronautique – laboratoires, terrains de vol, commissions, écoles, etc. – impliquant les mathématiciens et les mathématiques. Cette implication correspond aussi à un besoin bien précis de faire appel aux savants et à leurs compétences théoriques pour faire progresser l’aéronautique. Paul Painlevé (1863-1933), mathématicien qui eut un rôle fondamental dans la réorganisation de la recherche et de l’enseignement de l’aéronautique française après la Première Guerre mondiale, prononça les mots suivants lors du cinquième congrès d’aéronautique de Nancy en 1909 : « L’aviation est un problème où la mécanique théorique peut rendre de très grands services et éviter des années de tâtonnements incohérents1. »

On voit alors, dans les laboratoires, l’introduction de problèmes qui requièrent un haut niveau d’investigation mathématique et en même temps qui demandent à pouvoir être vérifiés sur le plan expérimental. Ainsi, ces problèmes pouvaient être acceptés chez les praticiens et les mathématiciens qui collaboraient avec les physiciens et les ingénieurs afin de développer la recherche et l’enseignement de la mécanique des fluides sur un plan théorique, expérimental et pratique. À un niveau plus général, l’institutionnalisation de la mécanique des fluides pendant les années 1920 se caractérise par un développement de ponts entre l’université, l’industrie et l’aéronautique, permettant la création de différents contextes où les mathématiciens ont joué un rôle important dans l’enseignement, dans la recherche, et dans l’évolution institutionnelle de ce domaine sur une échelle locale, nationale et/ou internationale.

Comme dans d’autres domaines d’application des mathématiques de l’entre-deux-guerres, l’intégration des mathématiciens dans ces institutions intéressant l’aéronautique manifeste, dans certains cas, leur intérêt renouvelé à l’égard des questions plus appliquées des mathématiques. Cette intégration représente également la volonté de ces mathématiciens de maintenir, en temps de paix, les liens créés entre les secteurs industriels, universitaires et militaires avec lesquels ils se sont familiarisés lors de leur mobilisation scientifique pendant la Première Guerre mondiale2. En effet, pendant le conflit, les contributions des mathématiciens, sur le plan théorique comme sur le plan expérimental, ont apporté une aide intellectuelle et militaire aux officiers dans le cadre de la résolution de problèmes posés par la guerre qui devenaient toujours plus complexes à cause de l’arrivée de l’artillerie lourde et des aéronefs en 19143. En 1923, la création par le ministre de l’Air du premier pôle de mécanique des fluides de Paris a été faite dans un esprit similaire à celui qui avait conduit à la mobilisation scientifique durant la guerre4. En d’autres termes, ce pôle se proposait de donner aux étudiants de solides bases théoriques mais également de les former à la recherche appliquée en liaison avec les progrès de l’aéronautique et de l’industrie. Plus tard, d’autres centres de mécanique des fluides ont été disséminés sur toute la France entre 1929 et 1930, suite à l’établissement d’une convention entre le ministre de l’Air et les facultés des sciences des provinces. Au sein de ces instituts, les mathématiciens ont eu des rôles différents dans leur création et leur direction, dans l’enseignement, dans les recherches théoriques plus ou moins applicables aux contextes pratiques de l’aéronautique mais aussi dans les recherches expérimentales en équipe avec les physiciens et les ingénieurs dans les laboratoires et dans les terrains de vol.

Cet article vise à analyser le cas de l’Institut de mécanique des fluides de Lille (IMFL). En effet, cet institut offre divers exemples d’implication des mathématiciens et des mathématiques, d’abord dans le contexte de sa création, puis dans celui de son activité. La direction de l’institut était confiée à Joseph Kampé de Fériet (1893-1982), un mathématicien qui, après sa mobilisation scientifique à la Commission de Gâvre pendant la guerre, avait dirigé ses intérêts de recherche vers les questions plus appliquées des mathématiques concernant la mécanique des fluides, en se focalisant sur la théorie de la turbulence. Ce mathématicien avait participé activement aux travaux expérimentaux en collaboration avec les physiciens et les ingénieurs de l’institut d’une part ; d’autre part, au renforcement des réseaux entre l’IMFL, l’université et l’industrie locale. Comme Kampé de Fériet, Albert Châtelet (1883-1960) a vécu son expérience militaire à Gâvre pour ensuite devenir le recteur de l’université de Lille. Son engagement institutionnel dans les négociations entre le ministère de l’Air et la faculté des sciences de Lille a joué un rôle important dans la création de l’institut en 1929. Pendant l’entre-deux-guerres, l’IMFL avait aussi accueilli des étudiants étrangers voulant faire une thèse de mécanique des fluides théorique dans cet institut. Par exemple, le mathématicien Ratip Berker (1909-1997), un étudiant de Kampé de Fériet d’origine turque, avait étudié les écoulements des fluides visqueux du point de vue mathématique. Dans un paysage de la mécanique des fluides où la recherche mathématique montrait de plus en plus de l’intérêt envers les applications de l’aéronautique, l’IMFL avait participé activement aux évolutions internationales du domaine de l’entre-deux-guerres, caractérisées par un rapprochement de la théorie à la pratique dans l’étude des mouvements des fluides. Dans cet institut, ce rapprochement s’est manifesté surtout par l’étude théorique et expérimentale de la turbulence, grâce aussi à l’arrivée de nouveaux outils mathématiques provenant des théories modernes de l’analyse, de la statistique et du calcul des probabilités. Le recours à ces outils mathématiques à côté du perfectionnement de l’outillage scientifique du laboratoire (soufflerie et anémomètres) ont permis à l’IMFL de travailler sur des théories légitimées du point de vue expérimental.

Après avoir donné quelques éléments généraux sur le paysage de la mécanique des fluides avant et durant la création des instituts et des chaires de mécanique des fluides français, nous nous focaliserons sur l’IMFL. L’analyse de l’intégration des mathématiciens et des mathématiques sera effectuée sur deux perspectives. En premier lieu, nous examinerons la manière dont les mathématiciens « lillois » travaillant dans cet institut jouent un rôle actif sur le plan institutionnel, notamment dans la création et l’évolution de l’institut ainsi que sur le plan des relations avec l’université, l’industrie locale, et les autres pôles de mécanique des fluides française. Enfin, nous présenterons l’engagement scientifique des mathématiciens et des autres collaborateurs de l’IMFL dans le contexte de la mathématisation de quelques problèmes de mécanique des fluides intéressant l’aéronautique. Dans ce dernier cas, nous verrons comment cet engagement est lié à des collaborations extra-institutionnelles avec l’Office national météorologique (ONM).

Ce travail s’appuie sur une littérature secondaire regroupant divers livres et articles d’histoire, d’histoire des mathématiques et d’histoire des sciences. La plupart des sources primaires qui ont permis de donner vie à l’IMFL proviennent principalement du fonds Kampé de Fériet conservé aux archives du centre ONERA de Lille (ex-IMFL) même si d’autres archives ont permis de consulter des documents supplémentaires (les archives de l’ASA de l’université Lille et les Archives départementales du nord). Ces sources comprennent des rapports du conseil de l’université de Lille, de la faculté des sciences de Lille et du conseil d’administration de l’IMFL ainsi que des lettres, des rapports scientifiques de l’institut, des documents personnels et des publications dans des revues d’aéronautique impliquant le personnel de l’IMFL et d’autres acteurs ayant des relations scientifiques et institutionnelles avec l’institut.

1. Le paysage de la mécanique des fluides avant la création des IMF (1900-1930)

1.1. La création des instituts de mécanique des fluides : un besoin de l’aéronautique ?

D’après la littérature secondaire existante, la création des chaires et des instituts de mécanique des fluides est fortement liée aux besoins de l’aéronautique de l’époque. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, l’aéronautique a accumulé un retard technologique et scientifique suscité par un arrêt brutal de la construction militaire. Le retour aux constructions civiles a conduit à un processus de reconversion, dont les mauvaises stratégies de marché furent la cause du blocage de l’industrie aéronautique5. Dans un paysage où le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États-Unis et l’Italie modernisaient rapidement l’industrie aérotechnique, la France accumulait progressivement un retard dans ses délais de production : les modèles retenus en 1923 n’étaient délivrés qu’en 19296. Au-delà des fautes de stratégies industrielles, ce retard semble être également scientifique. Ceci était encore plus évident pendant les années 1920, où le contexte d’une aéronautique en déclin était aggravé par l’évolution scientifique même du domaine, qui posait des questions toujours plus complexes en aérodynamique7. Combler les lacunes en mécanique des fluides pouvait permettre de rattraper le retard scientifique dans le domaine de l’aéronautique, étant donné les multiples liens entre ces deux domaines scientifico-techniques.

C’est dans ce contexte que les acteurs du domaine de l’aéronautique décident de capitaliser sur ce prétendu retard pour avancer leurs propres solutions visant à la création de chaires et d’instituts intéressant la mécanique des fluides. Ici un rôle fondamental est joué par Paul Painlevé (1863-1933). À côté de ses contributions concernant les équations différentielles, ce mathématicien s’est intéressé à l’aéronautique en tant que scientifique et en tant qu’homme politique. En tant que scientifique, il a contribué à la théorie du vol ; en tant qu’homme politique, il a participé à de nombreuses initiatives visant à promouvoir la recherche aéronautique à travers un projet public d’ampleur nationale8.

Après la création de la Section technique de l’aéronautique (1916), un sous-secrétariat d’État à l’Aéronautique et aux Transports aériens fut institué en 1919 afin d’organiser le système aéronautique. Émile-Laurent Eynac, aviateur de 1914-1918 et sous-secrétaire d’État de 1921 à 1923, réussit à obtenir des financements de la chambre des députés pour créer en 1923 un pôle scientifique de la mécanique des fluides à Paris. Il s’agit de la création de la première chaire de mécanique des fluides française qui sera confiée à Paul Painlevé. Plus tard, l’accident d’avion dans lequel périt le sous-secrétaire d’État Maurice Bokanowski suscite la création, en 1928, du ministère de l’Air par Laurent Eynac, qui nomme Albert Caquot (1881-1976) directeur général de la Section technique de l’aéronautique9. Ainsi, sous l’impulsion de Caquot, très proche de Paul Painlevé, en 1929, le ministère de l’Air dissémine-t-il dans les autres universités de province d’autres pôles de mécanique des fluides. Il crée les trois instituts (Lille, Marseille, Toulouse) et les cinq chaires (Caen, Lyon, Strasbourg, Nantes et Poitiers) (fig. 1).

Fig. 1. Réseau des pôles de mécanique des fluides créé en 1929 par le ministre de l’Air en collaboration avec les universités des villes désignées.

Fig. 1. Réseau des pôles de mécanique des fluides créé en 1929 par le ministre de l’Air en collaboration avec les universités des villes désignées.

(Antonietta Demuro)

Centres d’enseignement et de recherche de la mécanique des fluides, ces pôles ont été créés à travers une convention entre le ministre de l’Air et les facultés des sciences et jouissaient d’une certaine autonomie : ils recevaient des subventions non seulement de l’État (université et ministre de l’Air) mais aussi des industries et d’autres administrations locales à travers des recettes commerciales. En parallèle, le ministre de l’Air lance également la création de plusieurs souffleries, de centres d’essais et d’autres instituts de formation en aéronautique à côté des laboratoires et des cours d’aéronautique préexistants mis en place à partir du début du xxe siècle. Dans ce contexte, l’institutionnalisation de la mécanique des fluides devient un exemple de la manière dont l’État, déjà durant les années 1920, joue un rôle novateur et s’engage à construire un programme national de recherche et d’enseignement destiné aux mathématiciens, physiciens et ingénieurs – programme capable de les orienter vers les problèmes de mécanique des fluides et de vol, théoriques mais surtout expérimentaux10. La position du ministre était très claire, en 1929, il déclare :

En ce qui concerne les problèmes relatifs à la sustentation même des avions, la question se présentait plus complexe [par rapport aux autres secteurs scientifiques susceptibles de contribuer aux recherches de l’aviation (métallurgie, mécanique, physique et chimie)], puisqu’il fallait créer le cadre même des recherches qu’ils nécessitent ; la mécanique des fluides tout au moins sous son aspect expérimental n’occupait en effet dans les universités françaises qu’une place extrêmement réduite vis-à-vis de ce qui serait nécessaire pour fournir les bases des perfectionnements à rechercher11.

La création des premières chaires et des instituts de mécanique des fluides durant les années 1920 semble donc émerger dans le contexte de l’aéronautique, un domaine dont l’institutionnalisation est assez décalée par rapport à celle de la mécanique des fluides et date du début du xxe siècle. La naissance des premières commissions, écoles et des premiers laboratoires d’aéronautique a été encouragée non seulement par les pionniers de l’aviation mais encore par l’intérêt croissant des savants, des ingénieurs et des militaires à l’égard de ce domaine. Leur but était de développer la science aéronautique et de la faire sortir de son empirisme. Avant tout, déjà en 1902, l’Académie des sciences avait compris l’importance de ce domaine en constituant une Commission de l’aéronautique, comprenant une douzaine de scientifiques notamment physiciens, chimistes, mathématiciens, ingénieurs, astronomes etc. Toujours dans le milieu académique, l’un des disciples de Pierre Duhem, le physicien Lucien Marchis12, devint le premier titulaire de la chaire d’aéronautique créée à la Sorbonne par le marchand d’armes Bazil Zaharoff. Chez les ingénieurs, outre à l’École polytechnique et à l’École des arts et métiers, l’enseignement et la recherche des disciplines autour de l’aéronautique ont été confiées à une nouvelle école, l’École supérieure d’aéronautique créée en 1909 par le colonel Jean-Baptiste Roche dans le but de former des ingénieurs pour l’industrie aéronautique française. Enfin, dans le domaine plus spécifique de l’aérodynamique expérimentale, deux centres furent créés : le laboratoire Eiffel et l’Institut aérotechnique de Saint-Cyr13. Pendant l’entre-deux-guerres, leurs souffleries seront mises à disposition des étudiants, des chercheurs et de collaborateurs de l’Institut de mécanique des fluides de Paris14.

Si la création de plusieurs pôles de mécanique des fluides pendant les années 1920 semble être fortement liée aux besoins de l’aéronautique, il est aussi important de prendre cet aspect avec plus de distance. D’autres facteurs ont permis à ces instituts de trouver un contexte favorable sur lequel appuyer leur développement, entre autres la présence d’une institutionnalisation significative de l’hydraulique. Dans ce domaine, des liens entre enseignement, recherche et industrie peuvent être repérés de manière précoce déjà au début du xxe siècle. Par exemple, à Nancy (1900)15, Grenoble (1906)16 et Toulouse (1908)17 ont été créés des instituts électrotechniques, organes d’enseignement et de recherche en étroit contact avec les industries électriques locales18. Ces instituts ne pouvaient pas se désintéresser de la production de l’énergie électrique et, par conséquent, de l’aménagement des chutes d’eau et de l’hydraulique en général. Ainsi, au sein des instituts électroniques des trois villes ont été réalisés les premiers laboratoires d’hydraulique. Ils recevaient chaque année un crédit par le ministère des Travaux publics affecté spécialement aux « recherches pour la production et l’utilisation des forces hydrauliques ». Entre le ministre des Travaux publics et l’Éducation nationale, il y avait une collaboration qui rappelle celle entre ce dernier et le ministre de l’Air. Un autre appui financier venait de la Société hydrotechnique de France (SHF), un organisme technique à la disposition des entrepreneurs destiné à créer un pont entre université et industrie autour du domaine de la recherche et de l’enseignement de l’hydraulique.

Le paysage avant l’institutionnalisation de la mécanique des fluides était caractérisé non seulement par une production aéronautique et hydraulique importante mais aussi par l’existence de recherches théoriques de premier plan au sein du milieu académique où les mathématiciens et les mathématiques ont joué un rôle important.

1.2 Une recherche mathématique importante déjà avant la création des IMF

La recherche mathématique en hydrodynamique au cours des vingt premières années du xxe siècle était une recherche de premier plan malgré le peu d’intérêt montré à l’égard des applications dans les domaines de l’aéronautique et de l’hydraulique. Les études théoriques de ce domaine étaient loin d’être applicables, soit à cause de la difficulté des sujets envisagés, soit par le type d’approche utilisé qui avait comme priorité celle de renforcer les aspects mathématiques de la théorie à l’aide de théorèmes de l’analyse et de la mécanique classique. Par exemple, l’étude théorique de la résistance d’un fluide à l’avancement d’un corps solide – qui est à la base scientifique de la théorie des aéroplanes de l’époque – constituait l’un des sujets à la mode au cours des trente premières années. Cette étude, assez difficile à appliquer, trouvait ses fondements dans l’hydrodynamique rationnelle du mathématicien italien Tullio Levi Civita (1873-1941)19. Il s’agit d’une hydrodynamique fondée sur la consolidation des principes mathématiques de la théorie et de ses théorèmes pour devenir « plus applicable », mais pas forcément en accord avec les données expérimentales, en focalisant son attention sur les fluides parfaits et en négligeant les cas plus complexes résultant des effets de viscosité, des tourbillons et de la variation de la densité. En France, ce problème attire l’attention de plusieurs mathématiciens et physiciens comme Henri Villat (1879-1972), Marcel Brillouin (1854-1948) et Pierre Duhem (1861-1916), en donnant lieu à un échange animé entre les trois20.

Au-delà du problème de la résistance d’un fluide, nous pouvons remarquer que dans le volume sur l’hydrodynamique dans l’Encyclopédie des sciences mathématiques pures et appliquées rédigée par Augustus Love, Henri Beghin, Paul Appell et Villat en 1914, d’autres sujets abordés pendant cette période incluent des questions liées à l’étude des fluides visqueux, de la théorie des ondes, des tourbillons et leurs propriétés, l’hydrodynamique de Duhem et le mouvement d’un objet sur un fluide21. Cependant, comme pour le cas du problème de la résistance d’un fluide, ces recherches sont fortement mathématiques et s’intéressent peu à l’expérimentation.

Ce manque d’intérêt pour les questions plus pratiques du domaine se manifeste aussi, dans certains cas, dans l’enseignement de la mécanique des fluides et plus généralement de la mécanique. Sauf quelques exceptions comme l’Institut industriel du Nord (IDN), il n’y a pas à cette époque en France de laboratoires de mécanique appliquée comparables à ceux existants en Allemagne, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Ce retard ne sera comblé que progressivement après la guerre. Les enseignants sont restés dans la tradition des ingénieurs-savants à la française, fondée sur l’importance du rôle des mathématiques et le mépris de la pratique. À titre d’exemple, à la faculté des sciences, la chaire d’aéronautique de Marchis avait des cours principalement théoriques qui comprenaient exceptionnellement des enseignements plus pratiques22. Il en va de même pour les ingénieurs des grandes écoles et de l’École polytechnique23.

Dans ce contexte, la création des instituts de mécanique des fluides favorise, dans certains cas, la naissance de lieux physiques destinés à renforcer l’aspect expérimental du domaine et à créer des théories mathématiques toujours plus applicables dans les laboratoires. Nous allons voir ici le cas de l’IMFL.

2. Mathématiciens dans la création et l’évolution institutionnelle de l’IMFL

2. 1. La négociation entre le ministère de l’Air et l’université de Lille

Après la guerre, certains mathématiciens, qui ont été des acteurs importants après la Grande Guerre, dirigent leurs intérêts vers la sphère des mathématiques appliquées et vers un nouveau rôle institutionnel dans la société moderne et dans la reconstruction des institutions mathématiques, de l’éducation et de la recherche dans toute la France. Les relations entre Paris et la province changent, et une partie d’entre eux est envoyée en province afin d’y importer de nouveaux enseignements et de nouvelles recherches24.

C’est dans ce contexte que Albert Châtelet (1883-1960) et Joseph Kampé de Fériet (1893-1982) s’inscrivent dans la création de l’IMFL en 1929. Les deux mathématiciens étaient mobilisés à la Commission de Gâvre pendant la Première Guerre mondiale avant de se retrouver tous les deux à Lille. À Gâvre, Châtelet était chargé d’organiser les tirs aériens et d’interpréter les résultats obtenus alors que Kampé de Fériet avaient donné une contribution théorique et expérimentale à l’étude de la trajectoire d’un projectile. Sur le plan théorique, il avait mis ses connaissances d’analyse et de mécanique céleste au service de l’étude de la trajectoire d’un projectile et de ses perturbations d’un point de vue numérique et analytique. Sur le plan expérimental, il avait collaboré avec le physicien Gabriel Foëx (1887-1963) pour mettre au point une technique d’enregistrement photographique des vitesses initiales des projectiles. C’est son expérience à Gâvre qui lui permet de se familiariser avec la mécanique des fluides, domaine dont il devient un spécialiste d’ordre international après la guerre25. Châtelet est nommé maître de conférence en mathématiques générales (1919) à la faculté des sciences de Lille et professeur de mathématiques spéciales à l’IDN (1919), alors que Kampé de Fériet deviendra maître de conférence de mécanique rationnelle à la faculté des sciences de Lille (1919) et professeur de mécanique à l’IDN (1920). À Lille, leur collaboration scientifique se concrétise par la publication d’un cours de calcul vectoriel relatif à l’année 1920-1921, c’est-à-dire d’un cours intermédiaire entre l’enseignement de mathématiques générales de Châtelet et celui de mécanique rationnelle de Kampé de Fériet.

Au moment de la création de l’IMFL, Albert Châtelet était recteur de l’université de Lille. Il a joué un rôle non négligeable dans la reconstruction et la réorganisation de l’université après la Première Guerre mondiale, ce qui a été compliqué à cause de l’occupation allemande qu’elle a subie, avec notamment plusieurs instituts brûlés. Après sa mobilisation à la Commission de Gâvre, il devient maître de conférence à la faculté des sciences de Lille et s’engage lourdement dans les tâches administratives et la reconstruction de l’université, premièrement en tant que doyen jusqu’en 1924, puis en tant que recteur. Il contribue à restaurer et développer l’université « par la création de services adaptés aux besoins de la science et de l’industrie, tant régionaux que nationaux et par la construction et l’aménagement des bâtiments nécessaires à ces services26 ». Sous son impulsion, ce n’est pas seulement un renforcement des instituts déjà existants et une extension de ses bâtiments mais également la création d’autres instituts de sciences appliquées, y compris l’Institut de mécanique des fluides de Lille. Dans ce contexte, il participe activement aux négociations entre le ministère de l’Air et l’université de Lille. Après avoir reçu la circulaire du ministre de l’Air proposant un centre de mécanique des fluides sur le modèle du pôle de mécanique des fluides déjà créé à Paris en 1923, il réalise avec la faculté des sciences un avant-projet de réponse au ministère de l’Air. D’après ce document, le futur centre devait comprendre un professeur de la faculté des sciences, notamment un mathématicien, qui se chargerait de l’enseignement théorique de la mécanique des fluides. Ce mathématicien devait être assisté par un physicien qui se chargerait de l’enseignement expérimental de la mécanique des fluides et des travaux pratiques, ainsi que d’un assistant-ingénieur. La faculté des sciences soulignait en effet l’importance de joindre à un mathématicien, un assistant physicien. La théorie et l’expérimentation devront être étroitement associées dès l’origine et évoluent conjointement dans le centre. C’est ici que Kampé de Fériet entre en jeu. Ce mathématicien est en effet désigné par la faculté des sciences et le recteur comme possible titulaire de la chaire de mécanique des fluides à Lille :

Or la faculté des sciences de Lille possède parmi ses maîtres un mathématicien qui s’est distingué déjà par ses recherches d’hydrodynamique et qui d’autre part a donné des preuves de ses aptitudes à la solution de questions pratiques en imaginant en collaboration avec M. Foëx de Strasbourg un appareil adopté par la Marine pour la mesure de la vitesse initiale des projectiles. La faculté propose que la chaire de mécanique des fluides soit confiée à ce professeur27.

Suite à plusieurs accords entre le ministre de l’Air, le rectorat et la faculté des sciences de Lille, l’Institut de mécanique des fluides est créé officiellement par un décret du 26 mars 1930, approuvant une délibération, sur conseil de l’Université du 21 janvier 193028. L’Institut recevait les subventions du ministre de l’Air, du milieu industriel et universitaire. Il pouvait bénéficier d’une subvention annuelle de l’université de 10 000 francs pendant cinq ans, à laquelle s’ajoutait une autre subvention de la faculté des sciences du montant des droits des travaux pratiques des élèves de l’institut, et un crédit du Conseil général du Nord (104 000 francs). Le recteur nomme Kampé de Fériet directeur de l’Institut le 1er novembre 1929, sur la proposition du Conseil de la faculté des sciences. À ses côtés, le physicien André Martinot Lagarde29 assure la partie expérimentale en tant que chef de travaux et chargé de cours et de conférences de mécanique des fluides ; quant à l’assistant, ce poste sera attribué à Henri Guillemet30, un jeune ingénieur qui devra poursuivre pour cinq ans des recherches expérimentales intéressant l’aéronautique, en vue du doctorat ou du diplôme. Nous voyons donc, au sein du personnel de direction, la présence d’une collaboration hétérogène, aspect qui caractérise non seulement l’IMFL, mais aussi les autres instituts de mécanique des fluides de Marseille, Paris et Toulouse.

2. 2. La construction d’un nouveau bâtiment

Une des premières actions de Kampé de Fériet pendant la direction de l’IMFL a été de s’engager dans la construction d’un nouveau bâtiment. En effet, jusque-là, les cours et les recherches étaient effectués dans les locaux de l’Institut de physique et de l’Institut électromécanique, trop petits pour accueillir à la fois les élèves et l’outillage scientifique nécessaire pour les recherches des doctorants. À cette époque, le personnel de l’Institut ne possédait que des maquettes de l’outillage nécessaire pour réaliser leurs expérimentations. En effet, Martinot Lagarde, pour son étude sur les écoulements autour d’ailes d’avions, n’avait pu réaliser qu’une petite soufflerie avec une chambre d’expériences de 20 cm2 et avec une vitesse de 30 m/s. Guillemet, pour sa thèse sur la résistance d’un corps solide en mouvement accéléré dans un fluide, avait fabriqué un modèle réduit du canal hydrodynamique d’une longueur de 7,60 m, d’une largeur de 1 m et d’une profondeur de 0,50 m. Face à ce besoin, Kampé de Fériet demande à l’architecte de l’université d’esquisser deux projets de bâtiment pour avoir une idée de leurs besoins.

Le premier projet consiste dans l’agrandissement de l’Institut de physique avec une extension de 714 m2 (estimée à 1 978 460 francs) alors que le deuxième porte sur l’édification d’un bâtiment entre les portes de Valenciennes et de Douai à Lille, à côté du futur IDN et du futur camp d’aviation de Ronchin. La surface du bâtiment estimée est 1 035 mètres carrés pour un prix de 2 242 955 francs. Ainsi, le Conseil de l’université décide d’approuver le deuxième plan de construction avec quelques modifications. Plus précisément, le nouveau bâtiment est édifié dans un terrain plus grand (2 000 m2) et au voisinage de la Porte de Valenciennes, terrain qui est offert par la mairie de Lille. Il s’agit du même bâtiment où l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales) de Lille développe sa structure à partir de la Seconde Guerre mondiale. Le devis prévisionnel total de la construction s’élève à 2 380 179 francs, somme qui est totalement couverte par l’université de Lille. Ce crédit peut être sollicité car la construction du nouveau bâtiment fait partie du programme d’extension de l’université de Lille. Un crédit supplémentaire de 600 000 francs est accordé par le ministre de l’Air pour l’outillage scientifique31. Le nouveau bâtiment est inauguré en avril 1935 avec un grand nombre d’installations, dont une soufflerie horizontale, un canal hydrodynamique, et une station d’essais hydrauliques (fig. 2). Plus tard, une soufflerie verticale et un poste météorologique le complètent.

Fig. 2. IMFL : Visite de la soufflerie horizontale dans les années 1937-1938.

Fig. 2. IMFL : Visite de la soufflerie horizontale dans les années 1937-1938.

Maquette d’un avion Potez, type P-63, attachée sur un montage dit de « girouette Lapresle ». De gauche à droite : Kampé de Fériet, directeur de l’IMFL ; Martinot-Lagarde, son adjoint ; un ingénieur des établissements Potez et Guienne ; un responsable de la soufflerie.

(Archives de l’ONERA Lille)

2. 3. Les relations entre l’université, l’industrie et les autres centres de mécanique des fluides

En tant que directeur de l’IMFL, Kampé de Fériet s’engage non seulement pour la création de l’IMFL mais aussi dans les mises en relation entre l’université, la région et l’industrie locale. Mentionnons par exemple l’organisation des Journées scientifiques et techniques de mécanique des fluides de Lille, occasion de discuter et de négocier d’éventuels accords avec les industriels. C’est la première grande rencontre entre les divers centres de mécanique des fluides de la France, et donc entre les universitaires français de ce domaine. Cet événement est organisé par l’IMFL, avec la section Lille-Roubaix-Tourcoing de la Société des ingénieurs civils de France. L’objectif est de traiter des problèmes de physique des fluides et de leurs applications industrielles, à l’occasion de la Foire commerciale de Lille de 1934. Les Journées rassemblent environ deux cent cinquante adhérents des milieux universitaire et industriel, régional et national32.

Dans l’industrie, deux personnages se distinguent pour leur longue et constante collaboration avec Kampé de Fériet, et leur aide lors de la construction de l’outillage scientifique de l’IMFL : Henri Potez et Henri Neu. Henri Potez était le chef et fondateur de la maison Potez, une entreprise de construction d’avions installée à Meaulte. Celle-ci profite à partir de 1934 des souffleries de l’IMFL pour ses essais de prototypes. Henri Neu était à la tête d’un établissement de ventilation et de conditionnement de l’air qui exploite, en plus de la grande soufflerie, la station des essais des ventilateurs. Potez et Neu sont membres du conseil d’administration de l’Institut. Dans ce contexte, ils apportent leur aide lors de la construction de l’outillage scientifique de l’IMFL et contribuent au développement de la recherche industrielle de l’Institut, qui tournait principalement autour des industries aéronautiques. En 1936, 54,1 % de l’activité de la soufflerie principale (la soufflerie horizontale) est consacrée à l’étude de maquettes d’avions pour diverses maisons de construction aéronautique dont un grand nombre d’essais étaient destinés aux avions Potez (P541, P620, P63, P56, P63, P54, P66, etc.) et hydravions Potez (P453, T34, C141). Les mesures comportaient la détermination de la polaire (portance et traînée, en fonction de l’incidence), la mesure des moments de tangage et de giration, la mesure du roulis et d’autres caractéristiques aérodynamiques de la maquette en essai. À la demande de la Maison Neu, une collaboration a été entreprise pour l’utilisation de la soufflerie pour des nouvelles solutions concernant la forme des pales du ventilateur et le profil de l’extrémité du diffuseur, ainsi que des essais de plusieurs ventilateurs ; à ce propos, l’IMFL avait fabriqué un appareil pour la visualisation de l’écoulement dans une roue de ventilateurs de pompe ou de turbine.

Parmi les conférenciers, les savants et les ingénieurs des autres pôles de mécanique des fluides ont été nombreux. Ainsi, le mathématicien russe Dimitri Riabounchinsky (1889-1962), du pôle parisien, propose-t-il de nombreuses conférences à l’Institut favorisant l’intégration des mathématiciens russes33. Lui-même présente une communication sur les théories de l’hélice propulsive alors que l’exposé du titulaire de la chaire de mécanique des fluides expérimentale, Henri Bénard (1874-1939), porte sur ses tourbillons cellulaires, son sujet de prédilection34. Enfin, le directeur de l’Institut Saint-Cyr, Albert Toussaint (1885-1956), fait une présentation sur l’influence des limitations d’une veine rectangulaire sur les caractéristiques des ailes sustentatrices. Les communications des Toulousains portent principalement sur l’hydraulique, comme celles de Charles Camichel sur les régimes transitoires et hydrauliques ou de l’un de ses collaborateurs, André Tenot (1898-1978), sur les hélices à pales fixes hydrauliques. De Marseille, ce sont les étudiants d’André Marchand, à l’époque directeur de l’Institut, qui interviennent. Jacques Valensi (1903-2016) communique sur l’écoulement de l’air autour d’une hélice et Alexandre Favre (1911-2055) sur des spectres d’ailes dans le canal hydrodynamique. Après la Seconde Guerre mondiale, ce dernier devient un spécialiste réputé de la théorie de la turbulence et fonde le Laboratoire de mécanique de l’atmosphère (LMA), qui évoluera en Institut de mécanique statistique de la turbulence, un centre international d’excellence dans la France des années 1960-1980. En ce qui concerne les pôles plus petits, René Thiry (1886-1968), titulaire de la chaire de mécanique des fluides de Strasbourg, élève d’Henri Villat, fait un exposé sur les liens qui existent entre les écoulements entre glaces parallèles et les écoulements théoriques à deux dimensions.

Ces journées permettent donc à l’ensemble des pôles, sous la tutelle du ministre de l’Air, d’échanger sur leurs avancées. Cependant, elles sont aussi le seul événement institutionnel qui se déroule en France avant la Seconde Guerre mondiale. Les prochaines Journées scientifiques et techniques de mécanique des fluides ne sont organisées qu’en 1952 à Marseille. Pendant l’entre-deux-guerres, les divers centres de mécanique des fluides avaient peu d’interactions, ses membres ne constituaient pas un groupe interactif malgré leur affiliation institutionnelle au réseau du ministre de l’Air et l’existence d’une revue sous le titre Publications scientifiques et techniques du ministre de l’Air (1928-1940).

3. Outils probabilistes et statistiques à l’IMFL : collaborations, expérimentations et idées théoriques

3. 1. Les travaux au sein de la Commission de la turbulence atmosphérique (1935-1940)

L’implication des mathématiques et des mathématiciens dans les institutions intéressant l’aérodynamique est profondément liée à l’histoire de la mécanique des fluides, domaine où les tensions entre théorie et pratique sont présentes depuis des siècles. D’un côté, les mathématiciens se sont concentrés sur les équations théoriques du mouvement des fluides. De l’autre côté, les ingénieurs ont longtemps été impuissants face à la vérification de ces équations du point de vue expérimental et ont ainsi utilisé des formules empiriques traditionnelles dans les applications pratiques de la mécanique des fluides. C’est à partir du xxe siècle que le rapprochement de la théorie à la pratique devient plus marqué, grâce aussi à l’émergence de l’aéronautique et de nouveaux problèmes concernant l’écoulement de l’air. Dans ce contexte, les souffleries et le perfectionnement de l’outillage scientifique des laboratoires jouent un rôle considérable dans le développement de nouvelles théories : couche limite, turbulence, dynamique des gaz.

Ces trois aires de recherche ont été parmi les plus grandes découvertes qui ont rendu la théorie de la mécanique des fluides applicable à la pratique. Ces théories, très appréciées chez les mathématiciens, avaient été légitimées par les tests expérimentaux effectués dans les laboratoires et, par la suite, acceptées chez les praticiens qui les utilisaient pour leurs problèmes concrets liés à l’aéronautique. La théorie de la turbulence, par exemple, devient l’un des sujets les plus étudiés dans la communauté scientifique internationale à partir des années 1920-1930. Il avait attiré l’attention du physicien britannique Geoffrey Taylor (1886-1975), de Jan Burgers (1895-1981) au Pays Bas, de l’école russe d’Andreï Kolmogorov, l’école allemande de Ludwig Prandtl (1875-1953), et plus tard, en 1930, par celle de Theodore von Kármán (1881-1963) aux États-Unis35. La preuve en est que lors des Congrès internationaux de mécanique appliquée (ICAM), organisés à partir des années 1920, l’une des conférences générales était dévouée à la théorie de la turbulence.

Pendant l’entre-deux-guerres, l’IMFL participe activement au dynamisme international de la mécanique des fluides. À cette époque, l’enseignement et la recherche de l’Institut sont focalisés sur l’étude théorique et expérimentale de la turbulence. Ces recherches sont conduites pour répondre aux exigences pratiques de l’époque destinées à améliorer les caractéristiques aérodynamiques des profils d’ailes d’avions, à trouver des critères permettant de comparer entre elles les souffleries et à connaître enfin les efforts auxquels un avion peut être soumis dans l’atmosphère. Dans ce contexte, l’IMFL a consacré une grande partie de son activité à la théorie statistique de la turbulence, une théorie mathématique inaugurée par Taylor en 1921 et développée successivement par von Kármán et ses collaborateurs36. Fondée sur une modélisation mathématique du processus de diffusion turbulente à l’aide du modèle brownien de Norbert Wiener et des idées statistiques de Karl Pearson, la théorie statistique de la turbulence commence à être progressivement acceptée parmi les ingénieurs aéronautiques de la communauté scientifique internationale, après avoir été vérifiée par les collaborateurs du physicien anglais dans le National Physical Laboratory (NPL). Comme dans d’autres laboratoires spécialisés dans l’étude de la turbulence, l’introduction de cette théorie mathématique dans le laboratoire lillois est réalisable grâce à l’association des mesures expérimentales et des fonctions particulières statistiques décrivant l’écoulement turbulent, à savoir les fonctions de corrélations.

Ce sujet est très étudié à l’IMFL jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale et suscite d’importantes collaborations avec les services techniques de l’aéronautique et de l’Office national météorologique (ONM), créé en 1921 et rattaché au ministère de l’Air à partir des années 1930, afin d’unifier le service météorologique37.

Ces collaborations se développent principalement au sein de la Commission de la turbulence atmosphérique, créée par le ministre de l’Air en 1935 pour promouvoir les études théoriques et expérimentales sur la turbulence atmosphérique. Présidée par le directeur de l’ONM, Philippe Wehrlé38, elle comprenait des collaborateurs de l’ONM, dont le directeur de la recherche à l’ONM Georges Dedebant39, et le sous-chef de Section Technique à l’ONM Albert Baldit, un ingénieur en chef de l’Aéronautique, Paul Dupont, et quelques professeurs de mécanique des fluides, comme Albert Métral (1902-1962), Henri Bénard (institut de mécanique des fluides de Paris), Pierre Idrac (1885-1935) (professeur à l’Institut océanographique) et Kampé de Fériet40. D’après le ministre de l’Air, il fallait créer une école française de la turbulence fondée sur une collaboration active entre différents scientifiques et ingénieurs s’intéressant à l’aéronautique. Une école qui, à la différence d’autres nations, était encore absente sur le terrain français. En Allemagne et en Grande-Bretagne, par exemple, les origines de l’institutionnalisation de la mécanique des fluides comme pont entre université, industrie et aéronautique remontaient déjà au début du xxe siècle41.

Au sein de cette commission, les recherches théoriques avaient suscité la création d’un groupe de recherche autour de Philippe Wehrlé et Georges Dedebant, groupe comprenant des collaborateurs de l’ONM, de l’IMFL et de l’Institut de mécanique des fluides de Paris. À titre d’exemple nous pouvons mentionner Jean Bass42, José Moyal, Michel Luntz43, Antonio Gião44, et Leon Kiveliovitch45. Ce groupe, moins connu que les écoles de mécanique des fluides de l’époque d’Henri Villat, de Prandtl ou de von Kármán, avait néanmoins élaboré une théorie des fonctions aléatoires très originale visant à développer les idées de Taylor et von Kármán sur le problème de la turbulence développée46. Si les théories de Taylor et von Kármán avaient toujours considéré la vitesse turbulente du fluide comme une fonction continue et dérivable, le groupe de recherche de Wherle et Dedebant supprime cette hypothèse de régularité, en étudiant la vitesse comme une quantité aléatoire, comme la « dérivée aléatoire » du déplacement X(x) d’une particule du fluide47. C’est l’étude expérimentale de la structure des éléments météorologiques qui les avait menés vers l’idée que les fonctions ordinaires de l’analyse étaient absolument impropres à représenter les phénomènes naturels. Ainsi, en s’appuyant sur la définition de dérivée aléatoire et de courbe de fréquence, ce groupe avait réussi à édifier une théorie statistique de la turbulence, à partir d’une analyse approfondie des données expérimentales fournies par les expériences en souffleries, les courbes de fréquence et les anémomètres mais aussi par l’atmosphère, afin d’appliquer leurs résultats à la météorologie et à l’aérologie. D’après eux, la dérivée aléatoire devait jouer en calcul des probabilités le même rôle que la dérivée ordinaire en analyse. C’est pourquoi ils avaient étendu les règles de l’analyse ordinaire au cas des fonctions aléatoires, ce qui avait conduit l’école vers l’édification d’une analyse aléatoire capable de donner une interprétation différente des concepts de la théorie statistique de la turbulence de Taylor von Kármán comme le spectre et le tenseur de corrélation.

Dans ce contexte, Kampé de Fériet et ses collaborateurs de l’IMFL ont participé activement à la légitimation expérimentale des idées théoriques du groupe de recherche autour de Philippe Wehrlé et Georges Dedebant. Afin de vérifier leurs résultats, Pierre Dupuis48 et André Martinot-Lagarde, mettent en place un système pour étudier la structure de la turbulence par la cinématographie de bulles de savon, une méthode de visualisation des trajectoires alternative à l’émission de filets des fumées de tabac. Toutes les mesures sont faites dans la soufflerie horizontale et verticale de l’IMFL. Cette méthode permet de retrouver des valeurs expérimentales de la dispersion des particules en mouvement turbulent en accord avec les valeurs déduites de la théorie de Wherlé et Dedebant. Un deuxième résultat expérimental prouvant la validité de la théorie de Wehrlé et Dedebant concerne les courbes de fréquence. C’est là que Kampé de Fériet prend part activement à l’ensemble des travaux en équipe visant à légitimer les idées théoriques de Wehrlé et Dedebant. Dans ce contexte, il avait travaillé avec Dedebant et d’autres collaborateurs de l’ONM afin de définir une méthode pour obtenir du point de vue expérimental une courbe de fréquence d’une fonction aléatoire quelconque X(x) dont la dérivée aléatoire correspond à la vitesse du fluide turbulent. L’ensemble des recherches théoriques et expérimentales donne lieu à une communication, Some Recent Researches on Turbulence, qui est présentée à la communauté internationale de mécanique des fluides par Kampé de Fériet lors de l’ICAM organisé par l’université de Harvard et le Massachusetts Institute of Technology à Cambridge pendant les journées du 12 au 16 septembre 1938.

Kampé de Fériet participe non seulement à l’ensemble des travaux visant à vérifier l’exactitude des idées théoriques de Wehrlé et Dedebant mais aussi à d’autres travaux collectifs sur l’étude de la turbulence atmosphérique. En même temps que se poursuivent en laboratoire les expérimentations des résultats de Wehrlé et Dedebant, la Commission de la turbulence atmosphérique donne aussi impulsion aux recherches effectuées sur le terrain. Elle transforme en centre de recherche aérologique les postes que l’ONM et l’IMFL entretenaient chaque été, depuis 1932, auprès du Camp national de vol sans moteur de la Banne d’Ordanche. Ces campagnes aérologiques sont conduites sous la direction de l’ingénieur de l’Air, Paul Dupont49. Dans ce cadre, Kampé de Fériet effectue des observations et plusieurs essais en vol, et l’IMFL travaille encore en étroite collaboration avec l’ONM. Dans ce contexte, ce mathématicien développe un ensemble de techniques cinématographiques pour étudier les mouvements des nuages qui lui permettent d’accélérer la projection normale de l’évolution des nuages observée, de vingt à deux cents fois par exemple (fig. 3).

Fig. 3. Nuage de sillage du Mont Cervin (4 505 m).

Fig. 3. Nuage de sillage du Mont Cervin (4 505 m).

Prise de vue de J. Kampé de Fériet.

(Archives de l’ONERA Lille)

Grâce à l’exploitation de ces techniques cinématographiques pour les mouvements des nuages, il a souvent le rôle d’observateur dans la tourelle lors de ces campagnes aérologiques, en photographiant le ciel et en examinant les conditions météorologiques, qu’il vérifie ensuite pendant les mesures en vol à l’aide d’un « avion laboratoire » mis à disposition par la commission, le Potez 540.

3. 2. Mathématiciens à l’IMFL : Kampé de Fériet et Ratip Berker

L’attention de Kampé de Fériet à l’égard des aspects plus appliqués de la mécanique des fluides émerge aussi dans ses recherches mathématiques effectuées vers la fin des années 1930, après sa période d’expérimentateur à l’école de Wehrlé et Dedebant. Il reprend la théorie statistique de la turbulence de Taylor von Kármán, mais avec un point de vue différent de celui de Wehrlé et Dedebant. En effet, les idées de Kampé de Fériet ne s’appuient pas sur la théorie cinétique des gaz et la statistique mais sur la théorie moderne du calcul des probabilités qui se développe entre 1925 et 1940 grâce aux progrès dus à l’influence réciproque de l’école soviétique (Khintchine, Slutsky, Bernstein, Kolmogorov et leurs étudiants) et de la nouvelle génération française autour d’Émile Borel et de l’Institut Henri Poincaré (formée notamment par Maurice Fréchet, par Paul Lévy et par Georges Darmois, mais aussi par d’autres jeunes mathématiciens comme Robert Fortet, Michel Loeve et André Blanc-Lapierre)50.

Ainsi, à l’aide des nouveaux résultats de la théorie des fonctions aléatoires et de l’analyse harmonique, il reformule en langage aléatoire les concepts statistiques de la turbulence définis par Taylor et von Kármán, en utilisant un formalisme mathématique rigoureux et élégant visant à généraliser les résultats liés à ces concepts51. Au sein de ce formalisme, il y a cependant un souci continu pour les applications, pour les liens entre théorie et pratique, qui caractérisent la mécanique des fluides de cette époque. D’après lui, le calcul des probabilités n’a pas la priorité au sein de ses recherches ; c’est un outil « utile » qui lui permet d’aborder des questions plus appliquées, comme la mécanique des fluides. Ses applications du calcul des probabilités se fondent sur la conviction que :

C’est pour interpréter des faits expérimentaux, en apparence contradictoires, et non par dilettantisme, que ces idées nouvelles et surprenantes ont dû être introduites. Que ces probabilités sont utiles52 !

Une partie des résultats théoriques de Kampé de Fériet est vérifiée d’un point de vue expérimental par son étudiant, Naftali Frenkiel (1910-1986), un physicien d’origine polonaise qui devient, après la Seconde Guerre mondiale, un spécialiste international de la théorie de la turbulence ainsi qu’un des fondateurs de la communauté américaine de mécanique des fluides entre 1950 et 1970, notamment grâce à la création et l’édition du journal Physics of Fluids (1958). Après une formation à l’université de Gand et deux années d’expérience auprès du Service aéronautique belge, ce physicien entre à l’IMFL en juin 1939 pour faire une thèse sous la direction de Kampé de Fériet. D’origine juive, son travail est réalisé dans la clandestinité entre 1940 et 1943, pendant le repli de l’IMFL à Toulouse suite à l’occupation allemande de Lille pendant la guerre53. Comme les autres collaborateurs de l’IMFL, il effectue ses travaux dans le laboratoire que le personnel installe dans une chapelle, derrière l’Institut électrotechnique de Toulouse. Il y effectue des essais en utilisant la soufflerie en bois de 1,20 mètres de diamètre que l’IMFL avait fabriqué avec des moyens assez limités. À l’aide de cette soufflerie, il vérifie expérimentalement des résultats théoriques de Kampé de Fériet portant sur des équations que ce mathématicien avait établies pour étudier d’un côté la diffusion turbulente dans un écoulement turbulent et de l’autre côté la dispersion. Dans ce dernier cas, il utilise un dispositif expérimental fondé sur la diffusion du gaz ammoniaque pour montrer que les données expérimentales sont en accord avec les équations théoriques de la dispersion données par Kampé de Fériet. En 1943, il n’échappe pas aux autorités allemandes et est déporté à Auschwitz. Libéré en 1945, il montre immédiatement une forte et émouvante volonté de reprendre ses recherches, en partant de sa thèse qu’il soutient l’année d’après, avant de quitter la France pour aller aux États-Unis et entreprendre une belle carrière.

Enfin, parmi les étudiants mathématiciens de l’IMFL, nous pouvons mentionner Ratip Berker (1909-1997), un étudiant de Kampé de Fériet d’origine turque. Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur à l’Institut électromécanique de Nancy (1932), il obtient une bourse du gouvernement turc pour une thèse à l’IMFL (1932-1936). Entre temps, il est nommé maître de conférence à la faculté des sciences d’Istanbul en 1934. Dans la même lignée que les premières recherches de J. Kampé de Fériet (1929-1933), sa thèse, Sur quelques cas d’Intégration des équations du mouvement d’un fluide visqueux incompressible, porte sur des sujets très mathématiques et loin de l’expérimentation avec une approche similaire au milieu parisien autour d’Henri Villat : rigueur mathématique à l’aide de nouvelles théories de l’analyse, l’importance de l’idée d’applicabilité, et l’étude des solutions exactes de quelques problèmes d’hydrodynamique concernant l’écoulement d’un fluide visqueux ou la résistance d’un fluide. Après la soutenance de son doctorat, Berker quitte l’IMFL pour retourner en Turquie. Il y est d’autant plus influent qu’il est nommé doyen de la faculté des sciences d’Istanbul et professeur associé à la Sorbonne. Dans la capitale turque, il bénéficie d’un milieu mathématique en plein développement grâce à la réorganisation de l’université d’Istanbul (1933) et à l’émigration de plusieurs mathématiciens allemands comme Richard von Mises (1883-1953) et William Prager (1903-1980), suite à l’arrivée au pouvoir d’Hitler la même année54.

Comme d’autres jeunes turcs qui avaient effectué des études à l’étranger, notamment Cahit Arf à l’École normale supérieure et Ferruh Şemin à l’université de Grenoble, Ratip Berker fait partie d’une nouvelle génération de mathématiciens qui exploitent leur expérience en dehors de leur pays pour jouer un rôle intermédiaire entre les milieux mathématiques étrangers et turc. C’est ainsi grâce à eux que les cours de Prager et von Mises sont traduits et mis à disposition des élèves. Et c’est dans ce contexte de renouvellement de la communauté mathématique turque que Berker acquiert une position institutionnelle toujours plus renommée, surtout après la Seconde Guerre mondiale. À partir de 1944, Berker débute son enseignement à l’université technique d’Istanbul (IUT) où il est nommé doyen de la faculté d’ingénierie mécanique de 1944 à 1948. Cependant, une réforme de 1946 empêche les professeurs de travailler dans une deuxième université, ce qui oblige Berker à quitter son poste à l’Institut de mathématiques de l’université d’Istanbul. À l’université technique d’Istanbul, il se consacre pleinement à la formation des ingénieurs jusqu’aux années 1960, en essayant d’orienter l’université technique vers les mathématiques et les mécaniques appliquées. Son rôle d’intermédiaire entre l’étranger et la Turquie se manifeste également dans son exposé sur les solutions exactes en 1963 dans la bien connue Encyclopédie des Physiques allemandes, l’Handbook der Physics. De plus, il effectue divers séjours aux États-Unis (université d’Indiana) et en France, où il passera dix ans de sa carrière de 1962 à 1972 (cinq ans à Paris et cinq ans à Lille), après quoi il est nommé professeur à l’université du Bosphore jusqu’à sa retraite en 1979. Enfin, sa position institutionnelle est bien visible dans le milieu de l’édition scientifique, où il est membre et président du comité de lecture de trois revues scientifiques : Bulletin of the Technical University of İstanbul, Archive for Rational Mechanics and Analysis et International Journal of Engineering Science.

Conclusions

L’implication des mathématiciens et des mathématiques à l’IMFL permet de donner à l’institut une configuration scientifique caractérisée non seulement par une plus grande attention à la recherche expérimentale mais aussi par une nouvelle mathématisation de la mécanique des fluides à l’aide de nouveaux outils mathématiques provenant de théories modernes de l’analyse et du calcul des probabilités. Dans ce contexte, l’applicabilité des théories est considérée toujours plus essentielle par les ingénieurs aussi bien que par les physiciens et les mathématiciens, qui changent leurs approches et mobilisent des expérimentateurs pour mettre à l’épreuve des théories toujours plus applicables. Sur un plan plus institutionnel, leur implication se concrétise aussi dans la construction et l’évolution des activités de l’Institut, en renforçant ses liens avec l’industrie, la région et les autres pôles de mécanique des fluides.

De manière analogue à la recherche, l’enseignement à l’IMFL est structuré avec une égale répartition des leçons de mécanique des fluides théoriques, expérimentales et des travaux pratiques. L’enseignement de la mécanique des fluides théorique est confiée à Kampé de Fériet, en tant que titulaire de la chaire de mécanique des fluides, alors que Martinot-Lagarde, en tant que maître de conférences de mécanique des fluides, assure la direction des travaux pratiques des élèves ainsi que l’enseignement du cours de mécanique des fluides expérimentale et aérodynamique appliquée à l’aviation. Les cours et/ou les manipulations s’adressent aux élèves de la faculté des sciences, de l’IDN, de l’École des arts et métiers et de l’Institut électromécanique (ex-institut électrotechnique). Toujours dans cette optique d’équilibre entre théorie, expérimentation et pratique, la collaboration entre l’IDN et l’IMFL a permis la création à l’IDN d’une nouvelle section avec mention « Mécanique-Aéronautique », adjointe aux autres sections existantes (Mécanique-textile, Électricité, Chimie industrielle et agricole). Cette section permettait aux élèves-ingénieurs de participer aux cours de mécanique des fluides et de faciliter leur entrée à l’École supérieure d’aéronautique.

Comme l’IMFL, les autres instituts et chaires de mécanique des fluides créés par le ministre de l’Air sont des exemples montrant l’implication des mathématiques et des mathématiciens dans le domaine de l’aéronautique, sur un plan théorique mais aussi expérimental. À Marseille, durant les premières années, la direction de l’institut est confiée au mathématicien Joseph Pérès qui peut compter sur la collaboration du physicien Lucien Malavard – pour le cours et la recherche expérimentale de la mécanique des fluides – et sur l’ingénieur des arts et métiers Jacques Valensi, qui travaillait auparavant dans les souffleries d’Issy-les-Moulineaux. En parallèle de ses recherches théoriques sur la dynamique des fluides visqueux, le problème de la résistance d’un fluide et la théorie des tourbillons, ce mathématicien avait collaboré avec Malavard dans le domaine du calcul expérimental analogique, pour mettre en place une méthode de calcul fondée sur les analogies électriques dont les applications à l’aérodynamique sont multiples : écoulement des sillages, écoulements méridiens, étude des propriétés des profils en courant plan et problèmes de l’aile en courant plan. Toujours avec Malavard, il avait participé aux activités de la Commission de la turbulence portant sur les créations ou les mises au point de l’appareillage, en réalisant un anémomètre à quartz piézoélectrique qui avait une extrême rapidité de réponse. À Paris, même si l’organisation de l’Institut était plus complexe, les profils du personnel étaient hétérogènes, comme à Lille et à Marseille. L’institut était dirigé par Henri Villat, qui, même si ses recherches étaient loin de l’expérimentation, avait créé une importante école mathématique de mécanique des fluides en son sein. Sa thèse marquera le début de toute une série de thèses mathématiques en mécanique des fluides en France qui auront lieu pendant l’entre-deux-guerres, en créant un milieu largement plus grand si on le compare à celui des autres professeurs de mécanique des fluides des universités de province. Ce mathématicien dirige dix-sept thèses jusqu’en 1943, dont cinq avant 1929. Il devient l’un des leaders incontestables pendant l’entre-deux-guerres, ayant un fort pouvoir décisionnel sur les politiques éditoriales, les échanges entre la France et l’étranger à travers les congrès ICAM, sur le choix des titulaires des diverses chaires de mécanique des fluides des universités de province, et sur les programmes d’enseignement suivis dans les divers instituts. En outre, il avait une position dominante en tant que membre de jury de thèse des travaux de mécanique des fluides, en s’adressant à la fois aux mathématiciens et aux ingénieurs55. Au contraire de Lille, Paris et Marseille, à Toulouse la chaire de mécanique des fluides théorique est confiée à un physicien, Charles Camichel, assisté par Leopold Escande, un mécanicien spécialiste de l’hydraulique auquel il confie la direction de l’institut en 1941.

L’activité de l’IMFL, et plus généralement, celle des instituts de mécanique des fluides sous la tutelle du ministre de l’Air, montre comment le concept de laboratoire va remplacer de plus en plus celui de l’observation des phénomènes et va donc favoriser la formalisation mathématique des résultats expérimentaux. Ce concept de laboratoire subira une autre importante phase d’évolution après la Seconde Guerre mondiale, caractérisée d’un côté par l’arrivée des ordinateurs et, de l’autre côté, par la nouvelle réorganisation de la recherche et de l’enseignement de la mécanique des fluides par la création d’abord du CNRS (1939), et ensuite de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA, en 1946), une institution à caractère industriel et commercial placée sous le contrôle du ministre de l’Air. L’ONERA réunit une grande partie des souffleries et des centres de recherche et d’essais en aéronautique disséminés sur toute la France en un seul organisme public, y compris l’IMFL.

Notes

1 Painlevé Paul, Conférence de septembre 1909 au cinquième congrès d’aéronautique de Nancy. Reproduit dans Anizan Anne-Laure, Paul Painlevé (1863-1933), un scientifique en politique, Thèse de doctorat, Institut d’études politiques, Paris, 2006, p. 129. Retour au texte

2 Aubin David, Gispert Hélène, Goldstein Catherine, « The Total War of Paris Mathematicians », in Aubin David, Goldstein Catherine (dir.), The War of Guns and Mathematics, Vol. 42. Amer. Math. Soc., Providence, RI, 2014, p. 159. Retour au texte

3 Aubin David, Gispert Hélène, Goldstein Catherine, idem, p. 59-124. Retour au texte

4 Anizan Anne-Laure, op.cit. Retour au texte

5 Weber Jean-Marc (coord.), Un demi-siècle d’aéronautique en France, (T. 2) Comité pour l’histoire de l’aéronautique. Centre des hautes études de l’armement, Paris, 2008, p. 21. Retour au texte

6 Carpentier Jean, Cent vingt ans d’innovations en aéronautique, Hermann, 2011, p. 390. Retour au texte

7 Chadeau Emmanuel, « État, industrie, nation : la formation des technologies aéronautiques en France (1900-1950) », Histoire, économie et société, 4(2), 1985, p. 275-300. Retour au texte

8 Anizan Anne-Laure, op.cit. ; Fontanon Claudine, « Painlevé et l’aviation : à l’origine de la recherche publique », in Franck Robert, Fontanon Claudine (dir.), Paul Painlevé. Un savant en politique. Presses universitaires de Renndes, 2006, p. 41-56. Retour au texte

9 Albert Caquot (1881-1976) fut un élève de l’École polytechnique, de l’École des ponts et de celle d’aéronautique. En 1914, Caquot fut affecté à une compagnie d’aérostiers à Toul. C’est là qu’il imagine un ballon de forme allongée stable pour un vent de 25 m/s qui dépasse les insuffisances des vieux ballons sphériques Renard, instables sous un vent de 10 m/s. Grâce à la conception de ce ballon, le ballon Caquot, il fut nommé Directeur technique de l’Aviation où il s’engage pour indiquer aux constructeurs aéronautiques la voie à suivre pour perfectionner leurs modèles. Après la guerre, il développa sa carrière de constructeur dans l’entreprise Pelnard-Considère-Caquot où il se consacra à la construction de grands ouvrages en béton armé jusqu’à sa nouvelle position de Directeur général technique de l’Aéronautique en 1928. Sur sa biographie, voir Kerisel Jean, Albert Caquot, 1881-1976 – Savant, soldat et bâtisseur. Presses de l’école nationale des Ponts et Chaussées, 2001. Retour au texte

10 Mounier-Kuhn Pierre E., « Un programme technologique national : la mécanique des fluides », in Grelon André, Grossetti Michel (dir.), Villes et institutions scientifiques (Rapport pour le PIR-Villes), CNRS/Région Midi-Pyrénées, 1996, 360 pages. D’autres programmes similaires suivirent après la Deuxième Guerre mondiale sur le plan calcul et le plan électronique. Voir Mounier-Kuhn Pierre E., Histoire de l’informatique en France, Presses Université Paris-Sorbonne, 2010. Retour au texte

11 Circulaire du ministre de l’Air, 22 mai 1929 [Archives de l’ONERA Lille]. Retour au texte

12 Lucien Marchis (1863-1941) fut un physicien élève de Pierre Duhem. Sa thèse Les Modifications permanentes du verre et le déplacement du zéro des thermomètres (1898) ainsi que ses premiers travaux sont profondément influencés par Duhem et ils appartiennent à la mécanique chimique, notamment à l’ensemble d’études sur les déformations permanentes de verres. Une correspondance scientifique très abondante entre les deux montre un étudiant très dévoué à son maître. Maître de conférence à la faculté des Sciences de Bordeaux, il entreprend en 1899 des recherches à caractère plus industriel et en collaboration avec un groupe d’ingénieurs. Dans ce contexte, il organise des cours pour les ingénieurs à la faculté des Sciences et il étudie des moteurs d’automobile, moteurs à vapeur, à courant continu et leur alimentation ; il fait également des recherches sur l’échauffement industriel et sur la statique et la dynamique de la navigation aérienne de dirigeables et ballons sphériques. En peu de mots, il met ses connaissances scientifiques au service de l’industrie et de la pratique, notamment la thermodynamique, la physique et la chimie. À partir de 1910, il se consacrera presque exclusivement à l’aérodynamique et à ses applications aux avions. Retour au texte

13 Fontanon Claudine, « La Naissance de l’aérodynamique expérimentale et ses applications à l’aviation. Une nouvelle configuration sociotechnique (1904-1921) », in Fontanon Claudine (dir.), Histoire de la mécanique appliquée : enseignement, recherche et pratiques mécaniciennes en France après 1880, ENS éditions, 1998, p. 57-88. Retour au texte

14 Fontanon Claudine, « La Mécanique des fluides à la Sorbonne entre les deux guerres », Comptes Rendus Mécanique, 345 (8), 2017, p. 545-555. Retour au texte

15 À l’Institut électrotechnique de Nancy, l’état embryonnaire du laboratoire d’hydraulique a été le cours de machines hydrauliques professé par l’ingénieur mécanique et membre de la SHF, Ernest Hahn (1876-1948), depuis 1906. Depuis la fin du xixe siècle, la ville occupait une place très importante dans les sciences appliquées qui s’appuyait sur les contacts avec l’Allemagne et avec les industries. Déjà avant la guerre, en plus de son laboratoire d’hydraulique, Nancy disposait d’un pôle d’aéronautique représenté par l’Institut d’aérodynamique et de météorologie (1910) et par la Société des amis de l’aviation (1914). Au contraire de Toulouse et de Grenoble, Nancy ne renforcera pas son domaine de sciences appliquées après la guerre mais deviendra progressivement un centre de mathématiques pures. En effet, aucune chaire de mécanique des fluides ne fut mise à disposition par le ministre de l’Air en 1929 et l’Institut d’aérodynamique et de météorologie s’écroulera aux alentours des années vingt. Il en va de même pour le laboratoire d’hydraulique qui perdra progressivement sa force lorsque Hahn rentrera en Suisse à la fin des années 1930. Sur la question de Nancy, voir Rollet Laurent, Nabonnand Philippe, « Mathematics and Mathematicians in Nancy during World War I », in Aubin David, Catherine Goldstein (Dir.), A War of Guns and Mathematics, Mathematics and Mathematicians around WW1. London Mathematical Society/American Mathematical Society, 2014, p. 351-369. Retour au texte

16 À l’institut électrotechnique de Grenoble, le premier cours d’hydraulique a été inauguré en 1906 par l’ingénieur Georges Routin (1871-1937), spécialisé dans l’étude des turbines et des pompes. En 1923, ce cours s’ouvrira aux ingénieurs et industriels lors de l’installation à Beauvert d’un laboratoire d’hydraulique (le laboratoire dauphinois d’hydraulique) créé par la SHF et en échange constant avec l’entreprise Neyrpic, fabriquant de grands équipements hydrauliques, y compris des turbines. Grenoble, seulement après la Seconde Guerre mondiale, s’occupera d’aérodynamique et de supersonique en plus de l’hydraulique. Sa soufflerie supersonique fut fabriquée en 1946, grâce à la collaboration entre le ministre de l’Air et l’université. Retour au texte

17 À Toulouse, grâce aux financements du ministre des Travaux publics, le physicien Charles Camichel (1871-1966) fonde en 1913 un laboratoire d’hydraulique dans les locaux de l’Institut électrotechnique de Toulouse (IET), avant de devenir directeur de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse, conçu une dizaine d’années plus tard et dont il devient titulaire de la chaire de mécanique des fluides théorique. Dans ce laboratoire, les premières études portent sur les coups de bélier dans les conduites et d’autres problèmes d’hydraulique fluviale. L’installation d’un pôle de mécanique des fluides du ministre de l’Air dans les villes pourvues d’un centre d’hydraulique important comme Toulouse, a permis de créer une recherche d’aérodynamique parallèle à celle conduite auprès des laboratoires d’hydraulique. L’équipe de Camichel effectuait des essais en soufflerie à côté des études en hydraulique des fleuves ainsi que sur les tourbillons et les sillages, bien que l’orientation de l’Institut fût essentiellement hydraulicienne. Sur Camichel et sur l’activité de ce laboratoire, voir Charru François, « Une histoire de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse de 1913 à 1970 », Comptes Rendus Mécanique, 345(8), 2017, p. 505-544. Retour au texte

18 Grelon André, Grossetti Michel (dir.), op. cit. Retour au texte

19 Tazzioli Rossana, « The Eyes of French Mathematicians on Levi-Civita’s work – the Case of Hydrodynamics », in Brechenmacher Frédéric, Jouve Guillaume, Mazliak Laurent, Tazzioli Rossana (dir.), Images of Italian Mathematics in France, the Latin Sisters, from Risorgimento to Fascism, Birkhäuser, 2016, p. 255-288. Retour au texte

20 Tazzioli Rossana, « D’Alembert’s Paradox, 1900-1914, Levi-Civita and His Italian and French Followers », Comptes Rendus Mécanique, 345(7), 2017, p. 488-497. Retour au texte

21 Love Augustus Edward Hough, Appell Paul, Villat Henri, Beghin Henri, « Développements concernant l’hydrodynamique », in Encyclopédie de sciences mathématiques pures et appliquées, Tome IV Mécanique, vol. 5, éditions Jacques Gabay, 1912-1914. Retour au texte

22 Belhoste Bruno, Kostantinos Chatzis, « L’Enseignement de la mécanique appliquée en France au début du xxe siècle », in Fontanon Claudine (dir.), Histoire de la mécanique appliquée : enseignement, recherche et pratiques mécaniciennes en France après 1880, Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences, n° 46, ENS éditions, 1998, p. 29-46. Retour au texte

23 Chabert Jean-Luc, Gilain Christian, « Debating the Place of Mathematics at the École polytechnique around World War I », in Aubin David, Goldstein Catherine (dir.), A War of Guns and Mathematics, op. cit., p. 125-177. Retour au texte

24 Aubin David, Gispert Hélène, Goldstein Catherine, « The Total War of Paris Mathematicians », in Aubin David, Goldstein Catherine (dir.), A War of Guns and Mathematics, op. cit., p. 125-177. Retour au texte

25 Sur la mobilisation scientifique des mathématiciens à la Commission de Gâvre, voir : Aubin David, « “I’m Just a Mathematician”, Why and How Mathematicians Collaborated with Military Ballisticians at Gâvre », in Aubin David, Goldstein Catherine (dir.), op. cit., p. 1-54. En particulier, sur le rôle militaire de Kampé de Fériet et de Châtelet, voir aussi : Demuro Antonietta, La Mécanique des fluides pendant l’entre-deux-guerres. J. Kampé de Fériet et l’IMFL, Thèse de doctorat, université de Lille, 2018. Pour les effets du conflit sur la communauté mathématique française de l’après-guerre, voir : Aubin David, Gispert Hélène, Goldstein Catherine, « The total war of Paris mathematicians », op. cit. Retour au texte

26 Notice sur les titres et travaux scientifique de Châtelet, archives de l’Académie des sciences (1953). Reproduit dans Goldstein Catherine, « La Théorie des nombres en France dans l’entre-deux-guerres : De quelques effets de la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire des sciences, 62(1), 2009, p. 165 ; Gauthier Sébastien, « Albert Châtelet (1883-1960), De la théorie des nombres à la politique universitaire », in Aubin David, Goldstein Catherine, La Grande Guerre des mathématiciens français, 2019. Retour au texte

27 Avant-projet de réponse de la faculté des sciences de Lille au ministère de l’Air, date non parvenue [Archives de l’ONERA Lille]. Retour au texte

28 Conseil de l’université, séance du 21 janvier 1930, Archives départemental du Nord, 2T 640. Retour au texte

29 André Martinot-Lagarde (1903-1986), est un physicien qui a joué un rôle fondamental dans la formation et la recherche expérimentale de l’IMFL. Reçu à l’École normale supérieure en 1920, il obtient trois ans plus tard un diplôme d’études supérieures suite à un travail expérimental sur la distribution des vitesses dans un courant d’air, effectué au laboratoire Eiffel en collaboration avec le Service technique de l’aéronautique. Après son agrégation de physique (1924), l’intérêt pour l’aéronautique se développe grâce aussi à son service militaire à l’aérostation (1925) et ses trois ans en tant que boursier de recherche au Conservatoire national des arts et métiers à Paris. Nommé maître de conférence de mécanique des fluides en 1929, il prépare une thèse de doctorat sous la direction de Kampé de Fériet, Sur les relations entre les forces aérodynamiques exercées autour d’un obstacle et le champ de vitesse autour de cet obstacle, thèse qui sera soutenue seulement en 1958. En juillet 1945, après le repli à Toulouse, il succède à Kampé de Fériet comme directeur de l’IMFL. Pendant sa direction de l’IMFL, il construit une soufflerie sonique pour les expériences fines d’aérodynamique transsonique ainsi qu’un bassin d’amerrissage et une grande soufflerie verticale de quatre mètres de diamètre. Retour au texte

30 Henri Joseph Guillemet (1905-1948) assurera son rôle d’assistant et de chef de travaux pratiques en tant qu’ingénieur à l’Institut jusqu’à son décès prématuré en 1948. Licencié ès Sciences mathématiques et physiques, il entre à l’IMFL le 3 décembre 1929 en tant que boursier du ministre de l’Air préparant une thèse de doctorat, Sur la résistance des corps solides en mouvement accéléré dans un fluide. Après son doctorat, il sera nommé chef du canal hydrodynamique de l’IMFL. Ses recherches tournent autour des essais expérimentaux au moyen du canal hydrodynamique et de la construction d’appareils pédagogiques pour l’enseignement élémentaire des principes de la mécanique des fluides et l’aéronautique. À la demande du ministère de l’Air, ses appareils seront réalisés en série pour être distribués aux établissements de l’Enseignement technique ou bien pour les stages destinés au personnel enseignant. Retour au texte

31 Conseil d’administration du 2 juin 1930 (Archives de l’ONERA Lille). Retour au texte

32 Voir la liste des conférenciers, des adhérents, et des communications dans le fascicule publié par le comité technique sous le titre Les Journées scientifiques et techniques de mécanique des fluides, Éditeur Chiron, 1935. Retour au texte

33 Fontanon Claudine, « Painlevé et l’aviation : à l’origine de la recherche publique », in Franck Robert, Fontanon Claudine, Paul Painlevé. Un savant en politique. Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 41-56. Retour au texte

34 Wesfreid José E., « Scientific Biography of Henri Bénard (1874-1939) », in Mutabazi I., Wesfreid J. E., Guyon E. (dir.), Dynamics of Spatio-Temporal Cellular Structures, Henri Bénard Centenary Review, 2006, p. 9-37. Retour au texte

35 Benzi Roberto, « Lewis Fry Richardson », in Davidson Peter A., Kaneda Yukio, Moffatt Keith, Sreenivasan Katepalli R. (dir.), A Voyage Through Turbulence, Cambridge University Press, 2011, p. 187-208. Retour au texte

36 Battimelli Giovanni, « On the History of the Statistical Theories of Turbulence », Revista Mexicana de Fisica (suplemento), 32, 1986, p. 3-48. Retour au texte

37 Société météorologique de France, La Météorologie en France en 1924, Rapport parlementaire, 2011, p. 42 ; Roy Sophie, 125 ans à l’ombre de la tour Eiffel, Saint-Mandé, France, Météo-France, 2012, 166 pages. Retour au texte

38 Philippe Wehrlé (1890-1965), ancien élève de l’École polytechnique, fut directeur de l’ONM de 1934 à 1944. Puisque le corps d’ingénieurs en météorologie n’existait pas encore, il sort de l’École polytechnique en tant qu’ingénieur en aéronautique. En 1921, lors de la fondation de l’ONM, il est nommé chef de la Section des avertissements et il consacre son activité de recherche au problème de la prévision du temps. Convaincu de l’importance de la météorologie dans le champ de l’aviation, il donne également des cours sur ce domaine à l’École nationale supérieure de l’aéronautique. De plus, ses recherches sont marquées par une profonde volonté de mettre de l’ordre dans les sciences météorologiques en vue des applications pratiques dans l’aéronautique. Retour au texte

39 Georges Dedebant (1902-1965), lui aussi ancien élève de l’École polytechnique qui sort dans le corps du génie. Avant de devenir, en 1934, directeur de la recherche à l’ONM et responsable de l’enseignement et des travaux pratiques de la météorologie de l’École nationale supérieure de l’aéronautique, il fut chef de la Section de l’ONM au Maroc où il participe à des travaux de climatologie. Retour au texte

40 La collaboration avec Pierre Idrac a été interrompue après quelques mois à cause de son décès précoce, intervenu en juin 1935. Retour au texte

41 Barrow-Green June, « Cambridge Mathematicians’ Responses to the First World War », in Aubin David, Goldstein Catherine (dir.), op. cit., p. 181-227 ; Rowe D. E., « Klein, Hilbert, and the Gottingen Mathematical Tradition », Osiris, 5, 1989, p. 186-213. Retour au texte

42 Jean Bass (1913-2007) est un ancien élève de l’École polytechnique (classe 1932). Après une année à l’École de l’air (Versailles), en 1935 il entre à l’École supérieure d’aéronautique. Il s’inscrit en même temps en licence de mathématiques à l’université de Paris où il passe le certificat de licence de géométrie, enseigné par E. Cartan à l’époque. En 1945, il est mis à la disposition de l’Institut de mécanique des fluides de Paris et en 1948 il soutient une thèse avec un jury composé du statisticien Darmois, de Villat et du physicien L. de Broglie. En 1951, il succède à Paul Lévy comme professeur de mathématiques à l’École nationale supérieure des mines de Paris, et pour une année universitaire, de 1953 à 1954, il est professeur à l’École nationale supérieure de mécanique à Nantes. De 1954 à 1968, il assure des cours de mathématiques à l’École supérieure d’aéronautique où il reste jusqu’en 1968. Ses cours de mathématiques furent publiés en plusieurs tomes et volumes, et donnèrent un nouvel élan à la formation des ingénieurs, en introduisant dans les cours de nouveaux concepts comme l’intégrale de Lebesgue et le calcul tensoriel. En 1971, il devient professeur également à l’université de Paris. Ses contributions tournent autour des fonctions pseudo-aléatoires et leurs applications dans la théorie de la turbulence. Je tiens à remercier Jean Dhombres pour les informations biographiques sur Jean Bass. Retour au texte

43 Michel Luntz (1909- ?) est un physicien russe. Il travaille dans l’équipe de Bernard à l’Institut de mécanique des fluides de Paris, entre 1931 et 1937 et entre 1938 et 1939 à l’ONM. Après des années de captivité pendant la guerre, il fera partie de l’ONERA. Retour au texte

44 António Gião (1906-1969) est un physicien portugais spécialiste en météorologie et géophysique. Après ses études à l’université de Coimbra, il décide de passer des années à l’Institut de physique du globe de Strasbourg, puis à Paris à l’ONM où il entreprend des collaborations professionnelles avec Wehrlé et Dedebant en ce qui concerne la théorie des perturbations en météorologie. Après la guerre, il rentre au Portugal, à l’université de Lisbonne. Retour au texte

45 Leon Philippe Schereschewsky (1892-1980) est un ancien élève de l’École polytechnique et de l’École des mines. Mobilisé en 1914, il dirige le service météorologique des Armées. Après la guerre, il fait partie de l’ONM où il apporte des contributions importantes en météorologie dynamique et dans l’émergence de la prévision numérique. Retour au texte

46 Vachat Régis Juvanon (du), « La Mécanique des fluides turbulents avec Dedebant et Wehrlé à l’Office national météorologique (1934-1939) », La Météorologie, 8, 1995, p. 156. Retour au texte

47 Il s’agit d’un objet mathématique introduit dans le calcul stochastique par le mathématicien russe Slutsky en 1928. Sur une histoire du calcul stochastique abordant la dérivée et l’intégrale aléatoire de Slutsky, voir : Locker Bernard, Paul Lévy, la période de guerre : Intégrale stochastiques et mouvement brownien, Thèse de doctorat dirigée par Bru Bernard en Histoire des mathématiques, sciences de la vie et de la matière, Paris 5, 2001. Retour au texte

48 Cet ingénieur entre à l’IMFL le 5 juillet 1935 et il est nommé par Kampé de Fériet chef du service des ventilateurs. Il est chargé d’effectuer des essais des ventilateurs et des pompes ainsi que d’étudier l’écoulement de l’eau dans une pompe centrifuge. Il réalise aussi des appareils pour la visualisation de l’écoulement dans une pompe ou une turbine. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’autres traces biographiques concernant cet ingénieur. Retour au texte

49 Dupont Paul, « Contribution à l’étude du vol en atmosphère agitée (études menées par la Commission de la turbulence atmosphérique et le Service technique et des recherches scientifiques de l’Aéronautique), rapport sur la campagne du “Potez 540” à la Banne d’Ordanche, du 19 au 30 septembre 1936 », Publications scientifiques et techniques du Ministère de l’air, Bulletin des services techniques, 77, 1938. Retour au texte

50 Barbut Marc, Locker Bernard, Mazliak Laurent, Paul Lévy and Maurice Fréchet, Springer ,London, 2014. Retour au texte

51 Demuro Antonietta, La Mécanique des fluides pendant l’entre-deux-guerres. J. Kampé de Fériet et l’IMFL., Thèse de doctorat, Université de Lille, 2018. Retour au texte

52 Kampé De Feriet Joseph, Hasard et probabilité dans la pensée scientifique contemporaine, 1945, pages 1 et 22. Retour au texte

53 Quelques notes manuscrites sur ces travaux et sur ces activités pendant et avant la guerre sont consultables dans les archives de l’ONERA Lille. Pour de plus amples détails sur sa contribution scientifique, voir Demuro Antonietta, La mécanique des fluides pendant l’entre-deux-guerres, op. cit. Retour au texte

54 Eden Alp, Irzik Gurol, « German Mathematicians in Exile in Turkey, Richard von Mises, William Prager, Hilda Geiringer, and Their Impact on Turkish Mathematics », Historia Mathematica, 39(4), 2012, p. 432-459. Retour au texte

55 Gispert Hélène, Leloup Juliette, « Des patrons des mathématiques en France dans l’entre-deux-guerres », Revue d’histoire des sciences, 62(1), 2009, p. 39-117. Retour au texte

Illustrations

  • Fig. 1. Réseau des pôles de mécanique des fluides créé en 1929 par le ministre de l’Air en collaboration avec les universités des villes désignées.

    Fig. 1. Réseau des pôles de mécanique des fluides créé en 1929 par le ministre de l’Air en collaboration avec les universités des villes désignées.

    (Antonietta Demuro)

  • Fig. 2. IMFL : Visite de la soufflerie horizontale dans les années 1937-1938.

    Fig. 2. IMFL : Visite de la soufflerie horizontale dans les années 1937-1938.

    Maquette d’un avion Potez, type P-63, attachée sur un montage dit de « girouette Lapresle ». De gauche à droite : Kampé de Fériet, directeur de l’IMFL ; Martinot-Lagarde, son adjoint ; un ingénieur des établissements Potez et Guienne ; un responsable de la soufflerie.

    (Archives de l’ONERA Lille)

  • Fig. 3. Nuage de sillage du Mont Cervin (4 505 m).

    Fig. 3. Nuage de sillage du Mont Cervin (4 505 m).

    Prise de vue de J. Kampé de Fériet.

    (Archives de l’ONERA Lille)

Citer cet article

Référence électronique

Antonietta Demuro, « Mathématiques et mathématiciens dans les activités de l’IMFL liées à l’aéronautique (1929-1945) », Nacelles [En ligne], 8 | 2020, mis en ligne le 20 mai 2020, consulté le 27 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/978

Auteur

Antonietta Demuro

Maître de conférences en histoire des mathématiques
INSPE Lille, Hauts de France, F-59650 Villeneuve d’Ascq
LDAR, Universités de Paris, Artois, CY Cergy Paris, Paris-Est-Créteil, Rouen
antonietta.demuro@gmail.com