Voler pour la patrie. Recrutement et formation des pilotes français entre 1914 et 1918

  • Fly for the homeland. Recruiting and training French pilots between 1914 and 1918

Résumés

Aux débuts du conflit, la France a 321 aviateurs brevetés militaires. La direction de l’aéronautique demande en octobre 1914 aux armées de prospecter pour recruter des candidats. Sont privilégiés ceux qui ont des connaissances techniques. Sont accueillis aussi des cavaliers désœuvrés par l’arrêt de la guerre de mouvement et des recrues qui, une fois guéries de leurs blessures, ne sont plus jugées aptes au service des tranchées. Il faut former régulièrement, en quantité et en qualité, des pilotes (d’observation, de réglage de tir d’artillerie, de bombardement, de chasse), des observateurs et des mitrailleurs. Des écoles sont créées en 1915. Pour unifier la formation, les autorités créent en mai 1916 une Inspection générale des écoles. Les cours théoriques et pratiques alternent. L’élève pilote se familiarise aux sensations de vitesse, puis apprend à voler en double commande aux côtés de son instructeur. Quatre tests doivent être réussis pour obtenir le brevet militaire de pilote. En moyenne, un pilote en école a volé 28 h durant deux à trois mois de formation. À la fin de la guerre, 16 834 soldats français ont obtenu un brevet de pilote militaire.

At the beginning of the conflict, France had 321 airmen. The staff of the aeronautics asked in October 1914 to the armies to recruit candidates. Those who had technical knowledge were favoured. In addition injured recruits, once cured of their wounds and no longer fit for service in the trenches were also recruited. But it soon became necessary to train regularly the pilots, the observers and the machine gunners. In order to do so, schools were created in 1915. To unify training procedures and practices, the authorities created in May 1916 an Inspection Générale des Écoles, so that recruits could be given both theoretical and practical lessons. The future pilots got used to the speed of the planes, then learnt to fly in double order beside their instructors. Four tests had to be passed to obtain the pilot permit. Overall, a future pilot flied 28 hours during his two or three months of training. At the end of the war, 16 834 French soldiers got a pilot permit.

Plan

Texte

La France, pays pionnier de l’aéronautique, voit la création début 1909 de la première école d’aviation au monde à Pau, sur le terrain de Pont-Long. L’instruction au pilotage y est donnée par l’américain Wilbur Wright, l’homme qui a réalisé avec son frère Orville les premiers vols motorisés soutenus et dirigés d’un homme en aéroplane, dès décembre 1903 sur la plage de Kitty Hawk en Caroline du Nord. En octobre 1909, l’armée française devient la première force en Europe à acheter des aéroplanes. Pour débuter la formation de son personnel navigant, elle s’adresse tout d’abord à des écoles de pilotage civiles montées par des constructeurs d’aéroplanes. À partir du 1er janvier 1910, les élèves pilotes civils et militaires français reçoivent le brevet de pilote-aviateur, mis en place par l’Aéro-club de France et la Fédération aéronautique internationale.

L’armée française institue en mars 1911 un brevet de pilote militaire et fonde en juin de la même année l’école d’aviation militaire de Pau qui préfigure les futures bases aériennes. En 1912, c’est le tour de l’école d’Avord et la mise en place du carnet de vol. 

Les personnels navigants sont formés pour mener à bien des missions d’observation, de reconnaissance tactique et de réglage de tir d’artillerie au bénéfice des troupes terrestres. Les mécaniciens sont le plus souvent issus du parc automobile et des compagnies d’aérostation.

En quatre années, de la fin de 1909 à 1913, l’armée a développé une structure ayant permis les débuts timides de l’aéronautique militaire dont la création est intrinsèquement liée à la formation :

Son personnel, qui provient essentiellement du Génie et de l’Artillerie, assure la transmission d’une culture à dominante scientifique à la nouvelle organisation. Si cette identité est nécessaire à la maîtrise du matériel, elle irrigue par la suite l’ensemble des spécialités de l’aviation militaire et imprègne durablement l’institution de ce tropisme scientifique. Ainsi, en quelques années, l’armée est parvenue à mettre en place un véritable système de formation, institutionnalisé, rationnel et robuste, capable de « produire » du personnel qualifié de manière régulière1.

La loi du 15 juillet 1914 complète et précise celle du 29 mars 1912, portant sur les fonctions et l’organisation de l’aéronautique militaire. Elle définit les différentes catégories d’aviateurs qui comptent entres autres des personnels navigants, des sous-officiers mécaniciens et des ouvriers de l’aéronautique.

L’aéronautique militaire à l’épreuve du feu (1914)

La fermeture des écoles en août 1914

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la France dispose de 162 avions répartis en 23 escadrilles2 et de 321 pilotes brevetés militaires3.

Pensant que le conflit sera de courte durée, dès le 3 août 19144 le Haut-commandement donne l’ordre à la direction de l’aéronautique militaire de fermer les écoles de pilotage. L’ensemble de leur personnel est renvoyé dans leurs corps d’origine pour aller combattre.

Au bout de quelques mois, la direction de l’aéronautique revoit pourtant sa position suite à trois facteurs : le prolongement de la guerre, l’accroissement rapide du nombre d’escadrilles déployées sur le front, les pertes d’aviateurs subies au combat ou par accident.

Un premier appel à candidatures

Une circulaire du 20 octobre 1914, dont le généralissime Joseph Joffre est à l’origine, demande aux armées de prospecter rapidement parmi les rangs des combattants du front pour recruter des candidats à l’aviation :

Le ministre5 a décidé de procéder, pendant la durée des hostilités, à la formation de pilotes-aviateurs. Afin d’assurer le recrutement de cette catégorie de personnel, je vous prie de faire rechercher d’urgence parmi les officiers, sous-officiers et soldats sous vos ordres, ceux qui seraient désireux de faire partie du personnel navigant de l’aviation et qui seraient susceptibles de rendre des services à bref délai. Ne seront proposés que les candidats ayant reçu antérieurement l’instruction de pilote-aviateur. Seuls ceux ayant une très bonne vue et une constitution robuste seront proposés6.

Les motivations pour entrer dans l’aviation sont multiples. Des combattants, éprouvés par la dureté des conditions de vie et l’horreur des combats dans les tranchées, sont attirés par les opportunités qu’offrirait l’aviation. Ils pensent à tort qu’intégrer ses rangs serait la promesse d’échapper à l’enfer, de posséder de plus grandes chances de survie, de combattre en étant soumis à une discipline moins stricte. Dans un conflit où l’artillerie et l’infanterie sont les armes dominant les combats, l’aéronautique militaire exerce une attirance de par sa nouveauté et sa technicité. L’avancement plus rapide que dans les autres armes et les indemnités du personnel navigant sont des données à prendre en compte. De plus, le prestige de l’aviateur procure le sentiment d’appartenance à une élite, de même que l’espérance de succès auprès des femmes.

Les aviateurs, provenant de différentes armes, portent des uniformes différents et forment une branche nouvelle de l’institution militaire, le service aéronautique, qui manque de traditions et d’identité. Ils n’appartiennent pas à un milieu culturel ou à un statut social spécifique, même si une majorité est issue des classes citadines supérieures et moyennes familiarisées à la mécanique et aux moteurs. Ce corps de spécialistes est composé d’hommes jeunes, aimant l’audace, l’aventure et ne s’effrayant pas des risques encourus par le vol qui les séduit. Ainsi, le pilote Jean Puistienne trouve que la réalité du vol est encore plus enivrante que le rêve :

Nous volons - je vole - et je suis en extase… tout est limpide, tout est lumière ; une sorte de joie animale, primitive me submerge… je suis là dans cet appareil me lançant dans l’exploration de l’espace ; j’en ai la tête qui tourne, je commence l’ascension du grand escalier qui n’a pas de marches7.

L’examen des candidatures privilégie celles qui ont des antécédents techniques et la sélection physique n’est pas encore très sévère. Afin de parer au plus pressé sont accueillis aussi des combattants qui, une fois guéris de leurs blessures, ne sont plus jugés aptes au service des tranchées, mais qui seraient capables d’effectuer des observations aériennes. Des cavaliers démontés par l’arrêt de la guerre de mouvement intègrent aussi l’aviation.

Les candidatures pour intégrer l’aéronautique impliquent un changement de corps qui doit être approuvé par la hiérarchie. Cependant, de nombreux chefs de régiments sont réticents à détacher leurs personnels auprès de l’aéronautique militaire car l’aviation fait l’objet de prévention et de méfiance. Pendant que certains commandants d’unité désignent parmi les postulants ceux qui n’avaient pas la moindre disposition à l’aviation, d’autres conservent sous leurs ordres des candidats qui doivent accomplir souvent plusieurs démarches successives pour réussir à outrepasser l’interdiction qui leur est faite et rejoindre les centres de formation aéronautique. Ainsi, le chasseur René Tognard se heurte à l’hostilité latente de son chef :

Je fais une demande pour l’aviation, qui me vaut, les reproches du commandant Rousseau. Mécontent de cette demande, il me dit :

- Quand on a l’honneur de servir dans les chasseurs, on ne demande pas à changer d’arme, vous êtes aux premières places, la France a les yeux sur vous, malgré cela maintenez-vous votre demande ?

Je lui dis :

- Oui mon commandant.

- Ça va bien, rompez, me dit-il, furieux8.

Les écoles d’aviation militaire sont rouvertes par le général Édouard Hirschauer, directeur de l'aéronautique militaire au ministère de la Guerre. Le centre d’Avord reprend ainsi son activité en novembre 1914 et Pau fait de même un mois plus tard. Ces deux écoles ont formé de manière empirique 134 pilotes à la fin de la première année du conflit9. Elles utilisent en premier l’entraînement au sol sur « pingouin » ou « rouleur » sur des avions monoplaces Blériot XI aux moteurs poussifs et aux ailes rognées. Ils permettent toutefois aux élèves de se familiariser avec les sensations de vitesse et le maniement des commandes avant d’apprendre à décoller. La deuxième phase d’apprentissage consiste pour l’élève à voler avec un moniteur sur un avion à double commande. L’aspirant aviateur s’essaie aux manœuvres de base telles que la montée en altitude, le virage et l’atterrissage.

Trouver des mécaniciens

La formation du personnel au sol apparaît inadaptée et insuffisante. Les écoles de mécaniciens n’existant pas encore, les dépôts envoient directement dans les escadrilles les mécaniciens des maisons d’aviation ou d’automobiles qu’ils parviennent à recruter. Deux brevets sont remis aux « mécano » lorsqu’ils ont réussi leur formation : le brevet de mécanicien de moteurs d’aéroplanes, celui de mécanicien monteur d’aéroplanes10.

Cependant, la formation de ces « graisseux » est déficitaire et elle ne répond pas aux besoins des escadrilles du front. Il faut alors recourir à des expédients. Par exemple, en raison du manque de mécaniciens spécialistes de moteurs d’avion, il a été fait appel à des mécaniciens dans les autres armes, mais aussi à tous ceux qui avaient des connaissances de machines (même de machines agricoles ou des ouvriers d’usine !)11.

Des mécaniciens navigants et des observateurs sont autorisés à recevoir une instruction partielle au pilotage qui aboutit au brevet de pilote. Ainsi des mécaniciens s’illustrent, soit aux côtés de pilotes comme mitrailleurs, soit après leur admission dans le personnel navigant comme pilotes. Le cas le plus connu est celui de Georges Guynemer qui, après s’être s’engagé en novembre 1914 à l’école d’aviation de Pau comme élève mécanicien où sa première tâche est une corvée de neige, deviendra en juin 1915 pilote de chasse puis le troisième « as français » en cumulant, avant sa mort le 11 septembre 1917, pas moins de 53 victoires aériennes homologuées.

Une formation qui gagne en efficacité (1915-1916)

Les critères de sélection physique

Des praticiens sont chargés d’examiner et de trier les postulants au cours de visites et de contre-visites médicales. Le poids maximum autorisé pour un futur aviateur est de 75 kilos afin de ne pas pénaliser les performances de l’avion sur lequel il serait amené à voler. Ensuite, le candidat passe des tests portant sur ses capacités sensorielles et sur son rythme cardiaque car il est redouté un élargissement du cœur par la pratique intensive du vol :

Les yeux bandés, l’élève devait savoir de quel côté était tenue la montre dont il entendait le tic-tac et reconnaître l’odeur de l’essence de celle de l’éther, etc… On fit faire des progrès à cette sorte d’examen, on employa des moyens et des instruments moins primitifs. Puis on procédait à l’étude du cœur. Si, ausculté, le militaire semblait avoir des palpitations, on le faisait revenir huit jours après. Le renvoi dans l’arme était décidé si les palpitations subsistaient12.

Selon une directive ministérielle, les prétendants qui partent à l’entraînement possèdent les qualités physiques et anatomiques suivantes : « […] des poumons, des reins, un estomac, des intestins, des yeux, des oreilles, des centres nerveux, des membres, un cœur et des artères intacts13 ». Un pilote doit être capable de détecter à l’oreille le plus léger changement de rythme de son avion.

Des scientifiques de l’université développent une procédure cognitive. Ils testent le temps de réaction, les réflexes de l’aviateur, son adresse manuelle et sa dextérité en lui faisant, par exemple, appuyer sur un bouton dès qu’il voit une lumière clignoter ou qu’il entend une cloche sonner. La résistance au stress est mesurée à l’aide d’appareils plus ou moins sophistiqués : des pneumographes et des enregistreurs vasomoteurs sont disposés sur le corps du « cobaye14 ». Ils permettent de mesurer sa réaction lorsqu’il est frappé sur la nuque avec une éponge humide ou lorsqu’il entend dans son dos éclater un coup de feu. Les standards de sélection du personnel navigant et la médecine aéronautique trouvent ainsi leurs origines durant la Première Guerre aérienne.

Un système cohérent d’instruction et d’entraînement

L’aéronautique militaire, en faisant ses preuves sur le front, balaie progressivement les préjugés contre l’aviation. Elle est organisée rapidement comme un ensemble homogène, liant la construction des appareils militaires à la formation de leurs personnels. Comme l’industrie aéronautique française produit des avions et des moteurs, il s’agit de former à intervalles réguliers, en quantité et en qualité, des personnels navigants qu’ils soient pilotes, observateurs ou mitrailleurs. C’est ainsi que huit écoles d’aéronautique militaire sont créées durant l’année 1915, dont certaines à partir d’écoles civiles préexistantes qui sont militarisées : à Chartres en janvier, à Étampes en février, au Crotoy et à Buc en mars, à Ambérieu en août, à Cazaux en septembre, à Châteauroux et à Tours en octobre.

Cet important effort logistique permet de former 1 484 pilotes en 1915 et presque le double l’année suivante, soit 2 698 pilotes en 191615. La nécessité d’unifier les méthodes pour la formation des personnels navigants conduit les autorités à créer une Inspection générale des écoles et dépôts d’aviation. Sa mission consiste à faire travailler dans le même sens l’ensemble des écoles. Son commandement est confié au commandant Adolphe Girod16, reçu à Saint-Cyr en 1892 puis député à partir de 1906. Réputé pour ses talents d’organisateur et d’efficacité, il a pour mission de résoudre la crise de formation d’aviateurs qui éclate en 1915. C’est chose faite avec l’extension et la création d’écoles d’aviation militaire.

Des centres de perfectionnement permettent de répondre aux besoins du temps de guerre en formant les personnels aux spécialités de l’aviation militaire. Des élèves, issus de toutes les escadrilles, y sont recyclés sur des matériels aériens aux performances croissantes. Afin de pallier les carences de l’apprentissage dans les écoles régimentaires, il est décidé que tous les mécaniciens y effectuent un stage de spécialisation. Les « mécano » d’aviation sont aussi formés à Dijon et à Lyon.

Vers le brevet militaire

Une période de deux à trois mois est jugée comme normale pour la formation de base d’un pilote, les cours théoriques et les cours pratiques alternant en fonction des conditions météorologiques. Les connaissances techniques portent sur huit domaines : avion, moteur, instruments de bord, géographie, topographie, météorologie, lecture des cartes, résistance de l’air17. Pour les cours pratiques, l’élève-pilote apprend en volant en double commande sur avion biplace Caudron et Voisin aux côtés de son instructeur. L’aviateur Pierre Bardou découvre ainsi le sentiment de peur en avion :

Ma première sensation, la trouille. Lorsque j’ai mis les fesses pour la première fois dans un avion, je me suis juré que, de toute ma vie, je n’y remonterai plus, tellement j’ai été partagé entre le rêve que j’avais autrefois et la réalité de ce bruit terrible, de cette fragilité qui me transportait dans un monde tellement étonnant que j’ai eu très peur18.

Vient ensuite le moment redouté du premier vol en solo, le « lâcher ». Lorsque l’élève-pilote réussit des départs et atterrissages jugés impeccables, accomplit trois vols d’altitude et totalise plus de 17 heures de vol, il passe dans la « classe des voyages ». Il est prêt à affronter les épreuves du brevet militaire. Celles-ci sont au nombre de quatre19 :

- une descente en spirale de 500 m de hauteur, moteur coupé, avec atterrissage à moins de 200 m d’un endroit fixé à l’avance ;

- un triangle de 200 km au minimum, effectué sur le même avion en 48 heures au plus, comprenant deux escales intermédiaires obligatoires ;

- une ligne droite sans escale d’au moins 150 km ;

- une ligne droite de 150 km, avec escales facultatives.

L’aviateur, qui réussit ces différentes épreuves, obtient son brevet et son insigne de pilote. Si des divergences existent entre les écoles sur la méthode d’apprentissage, les critères du brevet militaire amènent en fin d’instruction une certaine unité. Un pilote breveté a volé en moyenne 28 h 30 min dont 21 h 30 en solo et a pratiqué 157 atterrissages dont 90 comme chef de bord.

Une formation tournant à plein régime (1917-1918)

Cinq étapes à franchir

L’armée française crée en mai 1917 une école d’aviation militaire à Istres. En juin 1918 l’école de tir aérien de Cazaux se dote d’une division de tir de chasse sur la plage de Biscarosse.

Après avoir effectué leur demande selon les règles, les candidats-pilotes retenus par le ministère de la Guerre passent plusieurs étapes où il leur faut conjuguer le talent avec la sueur avant d’être versés dans une escadrille. Il existe un plan théorique de progression, qui n’est pas toujours appliqué.

L’École préparatoire de Longvic-les-Dijon dispense aux futurs aviateurs l’instruction de base en deux étapes : ils reçoivent les connaissances fondamentales qui peuvent être enseignées à terre, puis une sélection est opérée parmi eux. Les affectations en école se faisant d’après les notes, les mieux classés de la promotion peuvent choisir leur école et, par conséquent, la mission qu’ils désirent effectuer. Les élèves recalés sont soit radiés et renvoyés à leurs corps d’origine, soit admis à redoubler et affectés au stage suivant.

Les écoles de pilotage (Ambérieu, Chartres, Châteauroux, Étampes, Istres) privilégient le vol en double commande. Les élèves-pilotes y volent sur avions biplaces Caudron ou Farman. Il est stipulé qu’« un bon pilote doit être adroit, prudent, décidé20 ».

Les écoles de transformation (Avord, Châteauroux, Istres) sont chargées d’initier les personnels navigants au maniement des avions d’armes et au travail des spécialités dans lesquelles ils sont appelés à servir. Ainsi, à l’école de bombardement, le pilote utilise le lance-bombes et s’entraîne à voler sur une ligne la plus droite possible, à se tenir à une hauteur constante entre les opérations de visée et de tir au cours d’attaques fictives.

En fonction de leur finesse de pilotage, les élèves sont répartis ensuite dans trois écoles de perfectionnement où s’effectuent l’instruction de guerre et la sélection en vue de l’envoi vers le front. Les élèves y acquièrent un complément de formation portant entre autres sur le vol groupé, la formation en V. Les équipages d’observation et de liaison apprennent à Avord et à Istres le vol de nuit21 pendant qu’à Châteauroux les cours portent sur l’utilisation de la télégraphie sans fil et des appareils photos comme le rappelle une note de service : « L’instruction commencera obligatoirement par la manipulation des appareils photographiques à terre ; elle ne sera entreprise en avion que lorsque l’observateur connaîtra parfaitement son appareil photographique22. »

Les pilotes de chasse découvrent à Pau l’acrobatie aérienne. La méthode pédagogique, progressive, comprend quatre mouvements successifs à maîtriser pour permettre au pilote de porter toute son attention à l’exécution de sa mission et pour se sortir de situations périlleuses. Ce sont la vrille, le renversement, puis la glissade et enfin le virage à la verticale.

Une fois rodés aux machines voisines des avions de guerre, les pilotes rejoignent deux écoles d’application. À Biscarosse, les chasseurs apprennent l’art du tir aérien. Au Crotoy, on parfait l’apprentissage des pilotes bombardiers dans des conditions similaires à celle d’une mission de guerre : vol en groupe, raids avec reconnaissance et passage sur un faux objectif. Cazaux et son lac constitue le grand centre de tir de l’aéronautique où les mitrailleurs et les officiers-observateurs s’exercent aux caractéristiques de l’armement, au combat offensif et défensif, au tir à la mitrailleuse au sol et en vol réalisé en partie sur des cibles remorquées par des hors-bords23.

Tous les aviateurs jugés opérationnels se rendent ensuite vers la Réserve générale d’aviation ou au Groupe des divisions d’entraînement (GDE)24, qui disposent de plusieurs aérodromes autour de Paris ou proches du front, afin d’être répartis dans les unités aériennes. Ils sont fins prêts pour partir en zone de combat.

Un bilan très positif…

La tâche accomplie au fil des années s’avère d’une grande efficacité avec les sorties massives et soutenues d’un personnel de mieux en mieux qualifié, comme le souligne en décembre 1917 le général Philippe Pétain, chef d’état-major général :

C’est en quelques semaines que ce personnel doit être instruit, entraîné, préparé moralement aux conditions spéciales de la bataille aérienne. La confiance que chaque équipage aura en lui-même et en ses camarades de combat, confiance qu’il ne peut acquérir que par la constatation précise des progrès réalisés au cours d’un entraînement en commun, sera le meilleur élément de son ascendant sur l’adversaire, et la condition essentielle de la participation efficace de l’Aviation à la bataille25.

En parallèle aux plans de relance de l’industrie aéronautique, les écoles forment un nombre d’aviateurs jamais atteint auparavant. Du 1er janvier 1917 au 11 novembre 1918, 12 518 brevets sont délivrés, soit plus de 65 % du total d’élèves formés sur les cinq années de guerre. Sont ainsi formés 5 609 pilotes en 1917 et 6 909 en 191826. Le centre d’Istres possède le plus grand rendement avec 2 770 aviateurs formés en 1917 et 1918. Chartres détient le plus grand total avec 3 018 sur quatre ans de 1915 à 1918. Les écoles de Juvisy et de Tours sont cédées fin 1917 à des nations alliées pour permettre, respectivement, la formation des aviateurs belges et américains. L’instruction de ces derniers est ainsi assurée jusqu’à la victoire finale en France, en Angleterre et en Italie.

En 1918, l’immense effort industriel aéronautique français consacre 12 % de ses productions aux écoles, soit presque autant que pour le bombardement (15 % du total) pendant que le gros des moyens est consacré à l’aéronautique de corps d’armée (33 %) et à l’aviation de chasse (40 %)27.

Le prix moyen de revient d’un pilote militaire breveté est évalué à 16 250 francs28. Celui d’un pilote opérationnel pour le front après sa transformation est compris entre 26 000 francs (bombardement) et 45 250 francs (chasse).

… qui ne masque pas des difficultés

Malgré un effort soutenu, la formation du personnel aviateur présente des incohérences imputables en partie aux exigences fluctuantes du front. Les écoles souffrent d’un manque de moniteurs à cause de la difficulté mise par les chefs d’escadrilles à laisser leurs bons pilotes retourner à l’arrière pour remplacer les moniteurs jugés indésirables par l’Inspection générale des écoles et dépôts d’aviation. Les soucis matériels proviennent plus des problèmes d’approvisionnement que de la « casse » d’avions et de moteurs.

Si les résultats s’améliorent au fil du temps, les pertes en formation restent élevées. Elles sont dues aux imperfections et à la fragilité d’appareils confrontés aux pannes de moteur ou au feu en plein vol, à la perte de sang-froid d’élèves, à l’inobservation des règles du pilotage, au non-usage d’instruments de sécurité tel que l’indicateur de vitesse. Cependant, grâce aux efforts menés, le taux d’accident pour 1 000 heures de vol en écoles de pilotage baisse de manière continue : 0,37 en 1916 ; 0,35 en 1917 ; 0,25 en 191829. En écoles de perfectionnement, les chiffres atteignent 0,85 en 1917 et 0,75 en 1918. En moyenne, pour un apprenti tué en formation, 60 sont diplômés. Un dixième des inscrits abandonne en cours de formation.

Pour résumer différentes recommandations, l’école d’aviation militaire de Chartres édite en 1917 une brochure d’une trentaine de pages qui se décompose en huit parties30. Le rédacteur de ce document, le lieutenant Chatelain, chef-pilote, conclut son propos par les recommandations suivantes :

Je rappelle encore, - car on ne saurait trop le dire :

- Qu’il est dangereux... de ne pas voler.

- Qu’il est dangereux... de voler pour la galerie.

- Qu’il est dangereux de voler le matin... qui suit un soir de fête !

- Qu’il faut raisonner, ne rien laisser au hasard, savoir écouter son moteur et savoir lire la carte31.

Les aviateurs qui sortent d’écoles sont envoyés directement en escadrilles, seulement quelques semaines après l’obtention de leurs brevets. Si un pilote fraîchement formé est apte à conduire un aéroplane, il n’a pas la pratique réelle du combat aérien et ne peut être engagé sans courir le risque d’être abattu en peu de temps. Pour devenir un combattant, il lui faut emmagasiner rapidement de l’expérience sur le front.

Une note du Grand quartier général du 18 mai 1917 invite les chefs d’escadrilles à modérer l’engagement guerrier de leurs nouvelles recrues en ces termes :

À leur arrivée dans les escadrilles du front ils devront être l’objet d’une attention et d’une surveillance particulières de la part des chefs d’escadrilles qui devront s’attacher à les mettre en confiance par l’exécution des missions les plus simples, et à compléter leur entraînement d’une façon rationnelle32.

Le commandant Auguste Le Révérend, l’ancien adjoint du commandant Charles de Tricornot de Rose, qui a été le père du développement de l’aviation de chasse française en 1915-1916, explique en décembre 1917 le fait que de nombreux pilotes n’aient pas abattu d’appareils, après plusieurs mois de présence au front, par cinq insuffisances : une mauvaise santé générale, une mauvaise vue, un « dressage » [sic.] incomplet aux mouvements acrobatiques, une connaissance approximative de l’armement et du tir, un courage qui laisse à désirer ou peu approprié au combat.

Le recrutement et la formation des pilotes par l’armée française de 1914 à 1918 aboutit à ce qu’à la fin du conflit, 16 834 soldats français ont obtenu un brevet de pilote militaire. Au sortir de la guerre, la compétence et l’expérience acquise par l’aviation française lui permettent d’être une référence mondiale. La formation aéronautique devient un facteur de prestige au niveau international et participe même aux exportations françaises d’armement vers l’étranger.

Notes

1 Morin Tony, « Histoire de la formation dans l’armée de l’air », Penser les ailes françaises n° 31, décembre 2014, p. 9. Retour au texte

2 Facon Patrick, Histoire de l’armée de l’air, La Documentation française, Paris, 2009, p. 39. Retour au texte

3 Marchis Lucien (dir.), 1914-1918 L’aéronautique pendant la Guerre Mondiale, M. de Brunoff éd., Paris, 1919, p. 95. Retour au texte

4 Soit deux jours après la publication en France de l’ordre de mobilisation générale. Retour au texte

5 Alexandre Millerand est ministre de la Guerre du 26 août 1914 au 29 octobre 1915. Retour au texte

6 Service historique de la Défense (SHD), département armée de l’Air (DAA), Service aéronautique du Grand Quartier général, « Note du 20 octobre 1914 », général Joseph Joffre. Retour au texte

7 Cité dans Kennett Lee, La première guerre aérienne, Économica, Paris, Campagnes et stratégies, 2005, p. 139. Retour au texte

8 Tognard René, Souvenirs croisés de la Première Guerre mondiale. Correspondance des frères Toulouse (1914-1916). Souvenirs de René Tognard (1914-1918), L’Harmattan, Paris, 2008, p. 147. Retour au texte

9 Marchis Lucien (dir.), 1914-1918… op. cit., p. 96. Retour au texte

10 SHD, DAA, 1 A 261, Direction de l’aéronautique militaire, « Instruction sur la délivrance des brevets de mécaniciens d’aéronautique (aviation) », 20 mai 1914, p. 1. Retour au texte

11 Zubeldia Océane, « Formation et entraînement (F&E). Analyse historique », Centre d’études stratégiques aérospatiales, 2011. Retour au texte

12 Cité par Mortane Jacques, « Les écoles d’aviation françaises pendant la guerre », in Marchis Lucien (dir.), 1914-1918… op. cit., p. 106. Retour au texte

13 Ibid. Retour au texte

14 Kenett Lee, La première guerre aérienneop. cit., p. 126. Retour au texte

15 LainÉ André, « Les écoles d’aviation françaises pendant la guerre », in MARCHIS Lucien (dir.), 1914-1918… op. cit., p. 96. Retour au texte

16 Villatoux Marie-Catherine, « Léon Adolphe Girod. Créateur des écoles d’aviation », Revue historique des armées, n° 240, 3e trimestre 2005, pp. 67-74. Retour au texte

17 SHD, 4508, Lieutenant Chatelain, Causerie pratique aux élèves-pilotes, École d’aviation militaire de Chartres, 1917. Retour au texte

18 Cité dans la communication de Gaëtan Sciacco, « La naissance des cocardes : de l’improvisation à la guerre aérienne », in colloque « 1914-1918 : l’envol de l’industrie aéronautique toulousaine », Toulouse, 26 janvier 1916. Retour au texte

19 SHD, DAA, 1 A 261, Ministère de la Guerre, Direction de l’aéronautique militaire, « Le Ministre de la Guerre à M. le Lt-colonel Inspecteur général des écoles et dépôts d’aviation », 17 février 1917. Retour au texte

20 SHD, fonds Henriet, 2008 PA 57, « Conseils élémentaires de pilotage ». Retour au texte

21 SHD, DAA, 1 A 262, Groupe des armées du Centre, « Note réglant le fonctionnement d’une école de vol de nuit au GAC », 10 février 1917. Retour au texte

22 Cité par le capitaine des troupes de marine Marill Jean-Marc, 1914-1918, l’aéronautique militaire française, naissance de la cinquième arme, thèse d’histoire de troisième cycle sous la direction du professeur Jean-Baptiste Duroselle, université de Paris I - Panthéon-Sorbonne, 1985, p. 145. Retour au texte

23 SHD, DAA, 1 A 27, Ministère de la Guerre, « Rapport du capitaine Marzac, commandant de l’École de tir aérien au sujet de la formation des mitrailleurs en avion », 26 septembre 1915, p. 3. Retour au texte

24 SHD, DAA, 1 A 29, GQG des Armées du Nord et du Nord-Est, « Note fixant le but et l’organisation du GDE », 21 août 1918. Retour au texte

25 SHD, DAA, 1 A 26, GQG, État-major, Service aéronautique, « Le général commandant en chef aux généraux commandant les groupes d’armées ; aux généraux commandant les armées », 23 décembre 1917. Retour au texte

26 LAINÉ André, « Les écoles d’aviation françaises pendant la guerre », in Marchis Lucien (dir.), 1914-1918… op. cit., p. 96. Retour au texte

27 Champonnois Sylvain, conférence « L’industrie aéronautique française de 1914 à 1918 » dans le cycle Aviation 14-18, Jouy-en-Josas, 5 novembre 2016. Retour au texte

28 Le prix de revient de l’heure est de 650 francs. Retour au texte

29 Hodeir Marcellin, « Formation des pilotes 1917-1918 », Air Actualités, n° 346, décembre 1981, p. 34. Retour au texte

30 « Comment se donne l’instruction », « Les instruments de bord », « Le vol sur l’aérodrome », « Le vent - les nuages », « Le vol sur la campagne », « Le voyage », « Les épreuves du brevet militaire », « Après les épreuves du brevet militaire », « Quelques notions de réglage », « Les hélices ». Retour au texte

31 SHD, 4508, Lieutenant Chatelain, op. cit., p. 27. Retour au texte

32 Cité par Hodeir Marcellin, « Formation des pilotes 1917-1918 », Air Actualités… op. cit., p. 35. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Sylvain Champonnois, « Voler pour la patrie. Recrutement et formation des pilotes français entre 1914 et 1918 », Nacelles [En ligne], 3 | 2017, mis en ligne le 28 novembre 2017, consulté le 29 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/332

Auteur

Sylvain Champonnois

Docteur en histoire, Chargé d’études

Service historique de la Défense

sylvainchamponnois81@gmail.com

Articles du même auteur