Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute. Ethnographie terrestre de la station spatiale internationale, Paris, Pétras, 2021, 234 p.

Référence(s) :

Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute. Ethnographie terrestre de la station spatiale internationale, Paris, Pétra, coll. « Europes : terrains et sociétés », 2021, 234 p., ISBN : 978-2-84743-287-9.

Plan

Texte

L’ouvrage La fabrique de l’astronaute. Ethnographie terrestre de la station spatiale internationale1 de Julie Patarin-Jossec permet une immersion sociologique dans les rouages de la Station spatiale internationale (ISS). L’auteure nous montre comment la sociologie peut s’emparer d’un objet si lointain : l’espace. Pour cela, Julie Patarin-Jossec réalise une analyse détaillée des acteurs et des organisations – via une ethnographie empirique particulièrement riche – prenant part au vol habité de l’ISS. La méthodologie, exclusivement qualitative, s’appuie sur des entretiens – avec des astronautes et également différents acteurs faisant partie de l’écosystème de l’ISS – et des observations participantes au sein de centre de contrôle des agences spatiales2, de la délégation française des Nations Unies, des sites d’entrainement des astronautes3 et des sièges d’agences spatiales4.

L’auteure aborde plusieurs thématiques autour de l’exploration spatiale et de la profession d’astronaute. Elle commence par en analyser les origines culturelles5 pour ensuite s’intéresser aux processus de sélection des astronautes/cosmonautes6. Julie Patarin-Jossec aborde l’entraînement des astronautes et toute la symbolique qui y est associée ainsi que la gestion par les agences de leurs recrues7. Elle s’intéresse également aux vols et aux différents acteurs impliqués8 et plaide enfin pour « une sociologie charnelle du vol habité »9 qui aborde la question du corps et des sens et de leur mobilisation durant un vol dans l’espace.

Dans le cadre de ce compte-rendu de lecture, nous développons plus précisément trois points de cet ouvrage : les ancrages culturels du vol habité (I) ; le recrutement des astronautes (II) ; une immersion dans les salles de contrôles (III).

Les ancrages culturels de l’exploration spatiale

Cette recherche met en exergue l’histoire sociale du vol habité mais également les héritages culturels qui ont participé à forger les représentations des astronautes et des cosmonautes. L’auteure procède à une déconstruction du discours des acteurs portant sur une exploration spatiale – qui serait naturelle et légitime – en mettant en lumière l’espace comme un lieu porteur d’enjeux politiques tout comme l’est la Terre. La gestion de l’espace s’appuie ainsi sur une représentation territoriale profondément occidentale10. Cette vision très politique des territoires permettrait ainsi d’expliquer l’idée de « frontière à dépasser ».

« Dans cette cartographie des usages politiques et symboliques des territoires, les astronautes détiennent dès lors une fonction importante. Ils participent à un partage d’une nouvelle définition des États, et d’une nouvelle définition de « l’humanité » dont la légitimité de l’exploitation et l’étendue ne seraient jamais remises en question. L’être humain devrait investir de nouveaux territoires hors de la Terre, il devrait les conquérir au prétexte que cette propension à l’exploration est propre à son espèce »11

L’universalité de la conquête spatiale est aussi mise à mal par Julie Patarin-Jossec qui démontre l’existence d’un ancrage culturel lié aux représentations de l’exploration spatiale. En effet, en Occident, l’imaginaire entourant l’exploration spatiale est fortement lié à l’histoire colonialiste de l’Europe et est donc porteur de cette même pensée coloniale.

L’auteure s’interroge également sur les représentations culturelles entourant la figure de l’astronaute et du cosmonaute. La vision entourant la figure de l’astronaute est profondément individuelle et est celle d’un être doté d’« un courage individuel et esprit intrépide : ce sont là des qualités exacerbées rappelant la mise en récit des premiers explorateurs discutée dans le chapitre précédent, tendant à se mêler parfaitement avec la mythologie états-unienne de l’individualisme entrepreneurial. »12 La représentation du cosmonaute est quant à elle liée à cette vision d’héros socialiste porté par la société soviétique et surtout par Gagarine « parce que Gagarine incarne ce “Nouvel Homme” soviétique pleins de promesses, “devenir Gagarine” devient l’ambition par excellence d’une génération désireuse de contribuer à la construction du régime »13. Il existe donc une opposition entre ces deux modèles culturels : d’un côté la figure de « l’astronaute-explorateur » et de l’autre la figure de « cosmonaute-héros socialiste ».

Le recrutement des astronautes

Le recrutement des astronautes par les différentes agences est un processus long, lourd et particulièrement sélectif14.

« Mais, au-delà des critères formels mis en mots dans les documents officiels des agences spatiales, d’autres critères d’exclusion sont susceptibles d’influencer qui sera retenu, voire même quelles seront les personnes qui poseront, en premier lieu, leur candidature. La nationalité et le genre des candidats font partie de ces éléments qui, s’ils ne sont jamais explicités, constituent un filtre de taille. »15

En effet, pour certaines nationalités, l’accès à la profession d’astronaute semble impossible car dans l’imaginaire collectif, ce statut est principalement réservé aux Russes et aux Étatsuniens. Cela n’est pas sans cacher une certaine réalité puisque la majorité des astronautes/cosmonautes sont de nationalités russe ou états-unienne. Idem pour l’European Space Agency (ESA) dont le processus de sélection aura tendance à rapidement écarter les candidatures issues de pays minoritaires.

Une immersion dans les salles de contrôle

L’ISS est une organisation découpée en deux principaux pans : d’un côté les astronautes et de l’autre les équipes au sol qui sont là comme support, cela demande donc une coordination entre les deux et une compréhension des tâches de chacun. Le terrain qu’a effectué Julie Patarin-Jossec au Col-CC16 (Columbus Control Centre) au poste d’opérateur permet de mettre en lumière une organisation très bureaucratique et réglementée17. Plusieurs équipes d’opérateurs et des scientifiques doivent se coordonner en permanence et connaître la juridiction de chacun – qui est souvent très spécifique. Dans la station spatiale internationale (ISS), tout est encadré par un grand nombre de procédures et de règles. Certaines de ces règles peuvent paraître absurdes comme le montre le passage sur l’utilisation d’un câble de l’ESA par un astronaute de la NASA pour charger sa tablette alors qu’« un câble ESA ne peut pas être utilisé en dehors d’une activité européenne sans demande et accord préalable »18 (Patarin-Jossec, 2021, p. 158). L’auteure met en lumière le caractère contraignant et réglementé de la vie des astronautes à bord de l’ISS.

Les activités réalisées par les astronautes au sein de l’ISS sont surtout des activités scientifiques, l’auteure s’est donc penchée sur la sélection des expériences qui seront réalisées au sein de la station mais également sur la façon dont les procédures et protocoles d’expériences sont mis en place. Ainsi, plusieurs années sont nécessaires entre l’appel à projet et la réalisation de l’expérience. Très souvent, la diffusion des appels à projet est limitée aux laboratoires déjà partenaires, elle démontre donc la présence d’un fort entre-soi au sein de la communauté de recherche spatiale. Une fois que les projets sont sélectionnés, les opérateurs ont pour rôle de traduire ces protocoles en les rendant compréhensibles pour les astronautes – sous formes d’étapes – qu’ils devront suivre à bord de l’ISS. Ils doivent donc

« “voir comme” un scientifique et penser comme un astronaute, c’est développer la capacité de produire une seule et même interprétation, un même langage, et une même vision de la situation pour tous, quelles que soit leur différentes expertises »19.

Conclusion

La recherche de Julie Patarin-Jossec permet de comprendre les rouages organisationnels qui entourent les vols habités au sein de l’ISS. Cette ethnographie permet de porter un regard éclairé et original sur le parcours des astronautes, de leur sélection jusqu’à leur vie au sein de l’ISS. Cela montre une réalité très éloignée de l’image mise en avant par les agences et les astronautes. En effet, dans l’ISS, la vie des astronautes est entièrement gérée par un planning strict et une forte réglementation où les moments de détente se font rares. L’auteure met aussi en lumière un rapport aux corps particulier dans cette profession et plus particulièrement vis-à-vis de la douleur – qui est omniprésente que ce soit pendant l’entrainement, le décollage ou le retour sur Terre. Cet ouvrage, particulièrement enrichissant et intéressant, s’inscrit dans la lignée du travail de Stacia E. Zabusky sur la coopération au sein de l’ESA20. L’auteure s’empare d’un objet novateur et réussit à produire une analyse quasi-exhaustive de l’écosystème qui entoure la station spatiale internationale. Néanmoins, nous pouvons regretter une focale parfois dichotomique, avec d’un côté les Occidentaux et de l’autre les Russes, les terrains réalisés notamment au Japon se voient ainsi peu mobilisés.

Notes

1 Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute : ethnographie terrestre de la station spatiale internationale, Paris, Pétra, 2021. Retour au texte

2 En Allemagne, France, Japon et Russie. Retour au texte

3 En Allemagne et Russie. Retour au texte

4 Au Canada, France et Russie. Retour au texte

5 Chapitre 1 « Les origines culturelles du vol habité ». Retour au texte

6 Chapitre 2 « Les rouages d’un métier de corps ». Retour au texte

7 Chapitre 3 « Micropolitique de l’entrainement ». Retour au texte

8 Chapitre 4 « La préparation procédurale d’un vol » et chapitre 5 « Suivre un vol depuis les salles de contrôle ». Retour au texte

9 Chapitre 6 « Sociologie charnelle du vol en orbite ». Retour au texte

10 Une représentation mettant en avant la gestion et l’appropriation de l’espace. Retour au texte

11 Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute, op. cit., p. 36. Retour au texte

12 Ibid., p. 67. Retour au texte

13 Ibid., p. 68. Retour au texte

14 Que ce soit en termes de qualifications professionnelles, de critères physiologiques et physiques (âge, taille et mensurations) mais aussi des résultats à de nombreux tests psychologiques et physiques auxquels sont soumis les candidats. Retour au texte

15 Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute, op. cit., p. 77‑78. Retour au texte

16 Le Columbus Control Centre (Col-CC) est le centre le plus important, il se situe en Allemagne. Retour au texte

17 Organisation héritée de la NASA puisque les agences canadienne et japonaise sont rattachées au segment de la NASA (l’USOS) à bord de l’ISS. Ce rattachement a entraîné une ressemblance organisationnelle à celle de la NASA, permettant ainsi une standardisation et « Les distinctions culturelles tendent ainsi à s’effacer sous le poids d’un langage bureaucratique commun » (Patarin-Jossec, op. cit., p. 143). Retour au texte

18 Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute, op. cit., p. 158. Retour au texte

19 Ibid., p. 154. Retour au texte

20 Stacia E. Zabusky, Launching Europe: An Ethnography of European Cooperation in Space Science, s.l., Princeton University Press, 1995, 276 p. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Axelle Vanhaecke, « Julie Patarin-Jossec, La fabrique de l’astronaute. Ethnographie terrestre de la station spatiale internationale, Paris, Pétras, 2021, 234 p. », Nacelles [En ligne], 13 | 2022, mis en ligne le 30 juin 2023, consulté le 29 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/1851

Auteur

Axelle Vanhaecke

Doctorante en quatrième année de thèse en sociologie à l’Université Toulouse Jean Jaurès (France).

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