Pour1 célébrer le cinquantième anniversaire du lancement du programme A300B2 en 2019, Airbus a organisé une exposition photo installée dans l’allée menant à son siège de Blagnac. Cette manifestation met l’accent sur les produits des trois divisions qui composent le groupe3, ainsi que sur les équipes d’hommes et de femmes qui étudient et assemblent ces matériels. Parmi les 50 images sélectionnées, cinq témoignent de l’histoire de la société : la signature de l’accord originel de mai 1969, l’équipage du premier vol de l’A300 (28 octobre 1972)4, le survol de Rio de Janeiro durant la tournée mondiale de promotion de l’avion (automne 1973), le baptême de l’A320 par Lady Diana (14 février 1987), enfin la signature du contrat de vente d’A300B4 à la compagnie Eastern Air Lines.
Que cet événement ait été retenu pour marquer une des étapes clés de l’histoire de l’avionneur n’est pas anodin. La commande d’Eastern Air Lines apparaît dès sa signature et encore davantage avec plus de 40 ans de recul, comme une vente charnière. Ce contrat acte un véritable tournant dans l’évolution du marché de l’aéronautique civile. Pour la première fois, une compagnie aérienne américaine, et pas la moindre, achète l’avion européen.
Ce faisant, Eastern apporte à Airbus une légitimité, une caution de sérieux et de fiabilité, qui ouvre au consortium une nouvelle frontière. Puisque, au pays de Boeing, de McDonnell Douglas et de Lockheed, qui règnent en maître sur l’aviation commerciale occidentale depuis 1945, un opérateur achète des Airbus, cela mérite une attention particulière pour cette nouvelle offre, pensent alors les dirigeants des airlines dans le monde. Autre point majeur à souligner, cette vente, par les modalités dans lesquelles elle se conclut, démontre la capacité d’innovation commerciale dont a su faire preuve le challenger pour forcer la porte de ce marché.
Nous examinerons tout d’abord le contexte peu favorable pour les deux parties qui préside à cette négociation réussie. Puis, les efforts des deux protagonistes pour parvenir à un terrain d’entente et l’accord commercial, peu orthodoxe à cette époque, qui en résulte. Il sera alors temps d’exposer les résultats en opération de l’A300B, dont dépend, il ne faut pas l’oublier, la décision finale. Enfin arrivera le temps de la vente, sa mécanique financière et les débats qu’elle soulève aux États-Unis, avant de conclure par l’évocation des conséquences du contrat Eastern pour Airbus.
1. 1976, annus horribilis pour Airbus
Quand 1975 s’achève, le bilan du GIE5 est plutôt bon et les dirigeants peuvent se montrer raisonnablement optimistes. Fin décembre, 17 commandes fermes ont été enregistrées pour le wide body6, auxquelles il faut ajouter 12 options. Les concurrents directs que sont Lockheed et McDonnell Douglas n’ont vendu respectivement que 4 L1011 Tristar et 7 DC10-307. Seul Boeing a fait mieux en plaçant 22 B747, encore s’agit-il d’un long-courrier. Pour Airbus le carnet de commandes s’élève donc au total à 56 ventes (32 fermes et 24 options).
Pour cette seconde année d’exploitation8, d’autres signaux sont au vert. Les 14 gros porteurs déjà livrés aux premiers opérateurs9 ont un taux de disponibilité, indicateur ô combien important pour les exploitants, qui dépasse les 98 %. En production, 13 appareils sont sortis de la chaîne toulousaine au rythme d’un peu plus d’une unité par mois. Pour 1’année à venir, les prévisions affichent un total de 17 A300 à assembler10, alors qu’il est envisagé de passer à la cadence de deux avions par mois à l’automne11. La fabrication est d’ores et déjà lancée jusqu’à la 68e machine et les approvisionnements sont prévus jusqu’à la 86e. En ce qui concerne les études, les ingénieurs poursuivent le développement du programme. La version B2 voit son poids total autorisé au décollage passer de 137 à 142 tonnes12 et la B4 est certifiée à 150 tonnes, à peine trois mois après son premier vol. S’ajoutent également les études menées pour constituer une famille d’avion, en commençant par le projet d’A300B1013. Le moteur CFM CF-6-5014 qui équipe tous les A300 se révèle être un atout majeur pour le programme. D’une poussée de 23,13 tonnes, il affiche un fort taux de dilution du kérosène, entraînant une baisse notable de la consommation. Comparée aux triréacteurs DC10 et L1011, l’économie est de 11,6 % par rapport au premier et de 13,3 % par rapport au second15. Enfin, l’A300B est très peu bruyant, ce qu’apprécient les riverains de tous les aéroports du monde16.
La situation commerciale se gâte en 1976. Félix Kracht17, directeur de la production, peut s’enorgueillir qu’un « Airbus décolle toutes les 20 minutes quelque part dans le monde »18. Dan Krook19, son collègue directeur commercial met lui l’accent sur la lutte acharnée qui oppose l’A300 à ces concurrents. Le consortium livre bien 15 avions cette année-là, avec l’arrivée des A300B chez quatre nouveaux opérateurs : Lufthansa, Transavia20, South African Airways21 et Air Inter. Mais le compteur des commandes n’enregistre lui qu’une seule vente, un A300B4 pour Transavia22. Ce sera tout pour ces 12 mois.
C’est surtout le marché américain qui reste porte close à l’avion européen. Un dernier espoir demeure cependant. Depuis le Salon de Farnborough, qui s’est tenu du 5 au 12 septembre 1976, les commerciaux d’Airbus sont en contact avec l’opérateur Western Airlines basé en Californie. Fin novembre, l’affaire semble réglée et on attend pour début 1977 l’annonce de l’achat de six à huit appareils. Las, c’est une déconvenue qui attend Airbus. Le 25 janvier, Western fait savoir qu’elle acquière des DC10 et des B72723, machines déjà présentes au sein de sa flotte. Le transporteur s’est-il servi de l’offre d’Airbus pour faire baisser les prix de ses concurrents, des motivations d’ordre politique24 ou socio-économique, au moment où le chômage augmente aux États-Unis, sont-elles venues influencer le choix final ? Mais force est de constater qu’une fois encore, la frontière à l’ouest ne s’ouvre pas à l’industriel du vieux continent.
Les conséquences ne tardent pas à se faire sentir. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire français Air & Cosmos en février 197725, André Étesse, directeur de la division Avions d’Aérospatiale, ne cache pas que « l’année 1976 a été une année difficile (…) 1977 s’annonce comme une autre année difficile durant laquelle nous devrons procéder à une déflation d’effectifs portant sur 1 200 salariés ». Dès le 25 février, le rythme de production est ramené de 2 à 1,5 avion par mois, puis à une seule machine en mai26. Conséquence inévitable de cette baisse de charge, Jacques Mitterrand, président d’Aérospatiale, annonce en comité central d’entreprise des mesures de chômage partiel, préférées aux licenciements, en fermant les établissements de Toulouse, Nantes, Saint-Nazaire et Méaulte durant 20 jours répartis dans l’année.
Malgré ce revers, Airbus ne désarme pas. La négociation avec Western se solde certes par un échec, mais cela fait partie de la phase d’apprentissage. L’expérience engrangée, la connaissance des arcanes de l’administration américaine, les pourparlers avec les banques, pour dessiner le financement de l’opération, permettent aux Européens d’acquérir un précieux savoir-faire sur un terrain jusque-là vierge. La consultation lancée par Eastern Air Lines début 1977 va donner l’occasion au GIE de mettre en pratique les enseignements tirés de cette campagne avortée tout en suscitant une part de créativité de l’avionneur en position de challenger.
2. Eastern Air Lines, un colosse au pied d’argile
Eastern Air Lines prend ses origines dans la société de construction aéronautique Pitcairn Aviation27 fondée en 1924. À partir de 1926, le service postal américain (United State Postal Service) décide de confier le transport du courrier à des compagnies privées. L’année suivante Pitcairn remporte un premier appel d’offres pour la ligne New York/Atlanta puis un autre d’Atlanta à Miami (Contract Air Mail Route 19 et 25)28. En 1929, Clement Key29, propriétaire de la North American Aviation rachète la compagnie, rebaptisée Eastern Air Transport. Dès 1930, la nouvelle entité débute un service passager baptisé AIR-BUS au départ de Cleveland, Pittsburgh et Saint-Louis vers Miami30.
En 1933, suite à la prise de contrôle de North American par General Motors, Eddy Rickenbacker, figure emblématique de l’aviation outre-Atlantique31, est appelé à la tête d’Eastern. Le nouveau directeur, lui-même fondateur de Florida Airways32, regroupe les deux entités pour créer Eastern Air Lines. Cinq ans plus tard, en avril 1938, il réunit un groupe d’investisseurs et rachète la compagnie. Il en demeure aux commandes jusqu’en 1963, faisant d’elle une des cinq majors américaines avec United Airlines, TWA, Pan Am et American Airlines (le club des Big Five). Les routes exploitées couvrent essentiellement la moitié est des États-Unis et du Canada jusqu’à la Floride et aux Caraïbes, en tout près de 57 000 km de lignes. En 1976, Eastern est la deuxième compagnie du monde occidental par le nombre de passagers transportés : 29,3 millions33.
Mais ce classement élogieux cache une réalité moins florissante. Avec une flotte constituée de machines d’anciennes générations, Eastern a subi de plein fouet le premier choc pétrolier de 197334. De plus, son réseau est soumis à une rude concurrence de la part d’American et de Delta Airlines. Et cette pression ne peut que s’accentuer à la faveur des mesures de dérèglementation du transport aérien américain qui se profilent à l’horizon35. Enfin, la qualité de service n’est pas jugée satisfaisante par les passagers36. En 1975, le transporteur enregistre une perte de 49,7 M$37. Pourtant l’opérateur a des atouts. La navette « Eastern Air Shuttle »38 entre New York/LaGuardia et Washington (National Airport) ou Boston (Logan Airport) est un vrai succès avec plus de deux millions de passagers transportés en 1976.
Pour redresser la situation, les actionnaires ont fait appel à un authentique héros de la conquête spatiale américaine : Frank Borman (1928-). Colonel de l’US Air Force, Borman fait partie du second groupe des astronautes recrutés par la NASA, les « New Nine »39. Il est commandant des missions Gemini 7 (1965) et Apollo 840. Il devient conseiller d’Eastern dès 1969 puis quitte l’agence spatiale en 1970 pour devenir vice-président en charge des opérations. En 1974, il accède au poste de executive vice-president et entre au conseil d’administration. Enfin, il est nommé chief executive officer (CEO) en décembre 1975. Sa première action est de réduire les frais de fonctionnement. L’ancien pilote d’essai taille dans les effectifs, réduisant le personnel des services centraux de 6 100 à 4 800 salariés. Il négocie aussi avec les syndicats une indexation des salaires sur les résultats financiers41. Cette politique porte en partie ses fruits, puisqu’en 1976, les comptes repassent au vert avec 45,2 M$ de bénéfice42. Mais Eastern Air Lines est toujours convalescente.
Car son principal souci réside dans sa flotte qui compte en 1975 244 appareils43 : 5 McDonnell Douglas DC8-61 (tous loués), 30 Lockheed L1011 Tristar44, 113 Boeing B72745, 81 McDonnell Douglas DC946 et 15 Lockheed L188 Electra47. Premier problème, ces machines sont équipées de réacteurs conçus bien avant le choc pétrolier de 1973, qui a vu le prix du pétrole bondir en quelques semaines48. Elles sont donc très gourmandes en carburant dont le coût représente un budget de 280 M$ en 1975, soit 70,4 M$ de plus qu’en 1974 et 146,8 M$ qu’en 197349.
Second problème, cette armada est mal répartie. Les B727-100 et DC9-30, d’une faible capacité en passagers, et les Tristar gros porteur sont en nombre excessif. Les premiers emportent une centaine de voyageurs, mais lorsque les réservations dépassent ce chiffre, Eastern est obligé d’aligner deux appareils de ce type ou de mobiliser un Lockheed, aménagé pour plus de 300 sièges, et au final sous-utilisé. Le vice-président de la compagnie Charles Simons déclare « Putting an L1011 on some of those routes is like driving a thumbtack with a sledgehammer50 ».
C’est pour résoudre ce hiatus que Borman lance début 1977 un appel d’offres visant à acquérir un nouvel avion adapté à ses besoins. Il s’agit de trouver un gros porteur, pour ne pas dégrader l’offre en termes de sièges passagers proposés, et surtout plus économe en kérosène que la Tristar.
3. Un accord innovant
Qui a eu l’idée d’inviter le petit poucet européen à soumettre une offre ? Les avis divergent. Certains attribuent cette initiative à Charles Simons, d’autres à la relation privilégiée entre Frank Borman et Georges Warde, patron d’Airbus North America, du temps où ce dernier était directeur technique d’American Airlines. Peu importe. Toujours est-il que moins de deux mois après l’échec des négociations avec Western, l’équipe d’Airbus emmenée par Roger Béteille, directeur technique, et Bernard Lathière, administrateur-gérant du GIE, rejoint Miami, siège d’Eastern.
Le 3 mars 1977, Boeing puis McDonnell Douglas présentent leurs copies. Lockheed expose sa proposition le lendemain matin, suivi d’Airbus qui clôture les débats dans l’après-midi. C’est Roger Béteille qui est à la manœuvre. À ce stade, arrêtons-nous quelques instants pour évoquer la dimension humaine de la relation qui va s’installer entre l’avionneur et son futur client. Tout débute là, lorsque l’ingénieur français prend la parole dans un langage technique rigoureux qui sied à l’ancien professeur de West Point51. Contre toute attente, la proposition d’Airbus séduit le patron d’Eastern qui annonce à son état-major l’entame de négociations exclusives avec l’Européen.
Ce premier succès était loin d’être gagné. Certes, Borman n’avait pas fait venir Airbus sans arrière-pensée. Ce n’était pas un homme à perdre du temps sur un dossier sans espoir. Mais, et il le reconnaîtra lui-même quelques années plus tard, il demeurait très réticent à sélectionner un nouvel avionneur et sceptique sur la qualité de l’avion européen : « I’m very, very gun-shy about breaking in new planes, especially in this case because of the poor performance of European planes52. »
De rudes pourparlers débutent alors. Mais pour les deux acteurs, il est vital de trouver un terrain d’entente, car comme les deux pièces d’un puzzle qui s’emboitent parfaitement, Airbus et Eastern Air Lines ont des intérêts complémentaires. Pour Georges Ville, alors directeur financier du GIE et fin connaisseur des affaires airbusiennes :
[C’est] la rencontre de deux entreprises présentant des handicaps complémentaires : d’un côté Eastern souhaite se séparer de ses L1011 au profit d’un produit mieux adapté, mais n’a aucune marge de manœuvre du fait de sa situation financière, et de l’autre Airbus a le bon produit, mais éprouve de grandes difficultés à placer ses avions en particulier aux États-Unis53.
Et pour bien fixer les enjeux, ajoutons la réponse sans ambages de Georges Warde à qui Borman demandait « why should we buy your airplane? Because if you don’t, you’re dead. »54.
Les tractations, menées du côté d’Airbus par Patrick Croze et Denis Viard, chargés des contrats, Pierre Pailleret, responsable du financement de l’opération et Dan Krook55 directeur commercial, avancent en plusieurs séquences de mars à mai 1977. Le premier round est lancé par Frank Borman lui-même. Il souhaite qu’Airbus reprenne ses Tristar, en échange de quoi il achètera nombre pour nombre des A300B. Est-ce une boutade ? Peut-être pas, mais le retour à une économie de troc n’est pas au programme des vendeurs toulousains. Deuxième proposition du patron d’Eastern, les A300B peuvent transporter 269 passagers, alors que la compagnie est à la recherche d’une capacité intermédiaire entre les B727 et L1011, de l’ordre de 170 sièges. Qu’à cela ne tienne, Airbus aligne le prix de ses machines sur cette capacité. Par contre, tous les sièges occupés au-delà de cette limite devront être payés en plus56. Enfin, début mai, une proposition emporte la décision : la location gratuite de quatre A300B pendant six mois, afin de permettre au transporteur américain de tester sur ses lignes les appareils. Si l’essai est concluant, Eastern s’engage à passer commande de l’avion européen. Dans le cas contraire, les machines seront restituées au GIE sans que la compagnie n’ait à débourser le moindre dollar.
Qui est à l’origine de cette formule peu conventionnelle ? Est-ce la partie américaine ? Borman et Simons auraient demandé à juger les performances de l’avion en le confrontant à la réalité opérationnelle57. Ou bien alors est-ce Roger Béteille qui, avec l’aval de Bernard Lathière, aurait mis ce deal, préparé de longue date, sur la table des négociations58 ? Ici aussi, les témoignages sont contradictoires. Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui doit être mis en exergue, c’est l’innovation dont ont su faire preuve les Européens pour emporter la mise. Face à l’urgence de la situation, les équipes multiculturelles du GIE ont fait voler en éclat le « modèle de l’arsenal59 », qui prédominait dans le secteur aéronautique européen depuis la fin de la guerre, pour lui substituer la logique commerciale de marché, selon laquelle un bon avion est d’abord un avion qui se vend60. Seule cette démarche, que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui de disruptive, pouvait leur permettre d’emporter la décision.
On peut également se poser la question de savoir si cette « opération vérité » est vraiment un pari audacieux et si risqué. La réponse tient en trois points. D’abord, les avions sont disponibles, les « queues blanches61 » s’alignent sur le tarmac toulousain, autant les faire voler. Ensuite, les dirigeants d’Airbus savent que leur appareil peut voler intensivement et en toute fiabilité sur les lignes d’Eastern. L’avion en a déjà fait la démonstration sur une route très proche de celle opérée par la compagnie étasunienne. Du 20 novembre 1975 au 2 mai 1976, un A300B4 d’Air France62 a effectué 141 rotations entre New York, Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, transportant plus de 44 000 passagers63 avec une régularité de 97,5 %. Cette opération assurée à 6 000 km de Toulouse, avec une équipe de maintenance très réduite64, un stock de pièces de rechange limité et sans appareil de secours a prouvé la qualité de la machine. Enfin, si Airbus investit dans cet essai pour espérer pénétrer le marché nord-américain, le prêt n’est pas totalement gratuit et Eastern, nous le verrons plus loin, doit aussi apporter son écot à la transaction.
Le 2 mai 1977, Frank Borman, qui s’est spécialement déplacé dans les locaux d’Airbus à Toulouse, et Bernard Lathière signent un memorandum of understanding65 (MOU), en présence de Roger Béteille. L’Américain déclare à la presse : « Grâce à cet accord, Eastern a la possibilité exceptionnelle d’utiliser l’A300B dans l’exigeant contexte des vols réguliers quotidiens et de déterminer ses capacités par rapport à notre réseau66. » Et l’administrateur-gérant du GIE de renchérir : « La démonstration sera ainsi faite de manière évidente que l’Airbus répond parfaitement aux besoins d’EAL et s’adapte de manière profitable à son réseau67. »
Que nous dit ce document ? Sans aucune ambiguïté, qu’Eastern, Airbus et les organismes de financement associés engagent des négociations contractuelles pour l’achat d’A300B. Dans le même temps, quatre appareils sont mis en location-vente à disposition d’Eastern. Ce test doit se dérouler du 1er décembre 1977 au 1er juin 1978.
L’annexe attachée au MOU détaille les conditions de cette évaluation et de son financement qui ne doit rien coûter à l’opérateur de Miami. Au chapitre « US Lessor » (bailleur américain), il est clairement écrit « Eastern shall lease, at no lease cost to Eastern68 », et un peu plus loin dans « Lease payment » (paiement de la location) « It is understood by both parties that the lease shall be at no lease cost to Eastern69 ». Au terme des six mois d’essai, Eastern pourra restituer sans frais, acquérir à un prix négocié ou convertir en location à court ou long terme les appareils.
Les avions, des A300B4 équipés de moteurs de type General Electric CF 6-50C, livrés entre août et décembre 1977, doivent être conformes aux exigences de l’aviation civile américaine. Pour se faire, Airbus doit obtenir le certificat de type (type certificate), catégorie transport pour chaque aéronef et le certificat de navigabilité standard (standard airworthiness certificate), tous deux délivrés par la Federal Aviation Authority (FAA). Airbus s’engage à assurer le support opérationnel de la flotte en fournissant le personnel, les outils, les équipements spéciaux et les pièces de rechange, ainsi que deux moteurs de secours70. Les techniciens d’Eastern seront formés gratuitement à l’exploitation et à la réparation des nouvelles machines dans leurs installations de Miami. Quant aux équipages, ils recevront une instruction sur simulateur de vol71. Enfin, il faut ajouter près d’une centaine de modifications techniques et commerciales pour mettre les machines au standard américain, parmi lesquelles : installation de porte-bagages central, de liseuses passagers, amélioration de composants du système de chargement en soute, amélioration des portes et de l’éclairage des toilettes, installation de harnais sur les sièges PNC (« personnel navigant commercial »), personnalisation de la décoration intérieure et marquages extérieurs72… On le voit, les conditions octroyées par Airbus sont très généreuses, mais mettre un pied sur le sol et le marché américain n’a pas de prix.
Arrêtons-nous quelques instants pour examiner de plus près le montage qui préside à cette opération. Il est assez complexe et démontre le savoir-faire acquis par les vendeurs européens dans les arcanes de la finance américaine. L’essentiel est de profiter des avantages fiscaux offerts par le système américain du crédit-bail (leveraged lease), qui rend les loyers plus faibles que les mensualités d’emprunt. Les A300 sont achetés au GIE par un investisseur, en l’occurrence une filiale de la Bank of America, la Bamerilease. Celle-ci loue les appareils à Airbus North America (AINA), via Airbus Leasing, une filiale spécialement créée pour l’occasion. C’est cette société qui, au final, met à disposition de la compagnie les avions en location-vente gratuite.
Gratuitement, pas tout à fait. Car si Airbus fait un gros effort budgétaire, Eastern investit de son côté 6,2 M$ dans l’affaire. Cette somme couvre : l’installation d’un hangar de maintenance et d’un dépôt de pièces de rechange spécifiques à Miami, le stockage des machines auxquelles se substituent l’A300 et le lancement d’une vaste campagne de publicité pour promouvoir le nouveau cheval de bataille de l’opérateur auprès du public. Cet engagement significatif démontre bien qu’Eastern joue l’A300 gagnant.
4. Un test réussi malgré quelques embûches
Pour le GIE le plus difficile semble fait. Enfin, un Airbus va pouvoir voler aux États-Unis et démontrer toutes ses qualités. C’est cependant sans compter sur un certain nationalisme peu enclin à laisser une place aux Européens dans le pays leader de la construction aéronautique73. L’annonce de l’arrivée des A300 chez Eastern sonne le premier acte de la longue dispute commerciale qui va opposer le consortium aux intérêts américains durant des décennies.
Boeing est le premier à s’exprimer en jugeant injuste (unfair) la location-vente mise en place, alors que lui-même avait recours à des accords similaires pour vendre des hydroglisseurs militaires, financés par la Navy74.
Plus inquiétante est l’ouverture, le 24 juin 1977, d’une enquête officielle lancée par l’US International Trade Commission (ITC) sur les conditions de l’accord entre Eastern et Airbus. Cette agence fédérale indépendante75 souhaite s’assurer que le contrat respecte la législation américaine sur les importations. Son conseiller juridique, Dan Webster, assure : « The study of the transaction had been initiated by the commission itself, not as a result of a complaint from an American manufacturer76. » Il précise cependant que : « This was the first time the commission had been involved in an investigation where the issue centered on leasing rather than an outright sale77. » Mais les investigations, auxquelles Airbus a accepté de coopérer, se soldent rapidement par un non-lieu, la transaction étant finalement jugée conforme aux règles de la concurrence.
Tout semble enfin réglé quand apparaît un nouvel obstacle. Mi-novembre, le Port Authority of New York & New Jersey78 annonce que l’A300B4 ne peut provisoirement pas décoller de l’aéroport de LaGuardia. C’est un coup dur pour Eastern, car cette plate-forme est la plus proche de la ville et donc la plus prisée. Cette interdiction est liée à l’installation en terrain marécageux d’une partie des pistes et taxiways. Il a donc fallu les établir sur pilotis. En conséquence et pour épargner des efforts répétés sur les dalles de béton, les gros porteurs ne peuvent décoller à pleine charge. Le cas s’était déjà posé précédemment pour les DC10 et L1011, mais un arrangement avait été trouvé, les constructeurs acceptant de financer le renforcement des infrastructures pour supporter jusqu’à 365 000 lb (165 t)79. Pour l’A300B4, capable de décoller au poids de 340 000 lb (154 t), les autorités étasuniennes proposent de limiter la masse à 240 000 lb (109 t), puis à force de discussions entre experts à 268 000 lb (121,5 t). Cela reste insuffisant pour des machines qui doivent relier New York à Miami. La presse européenne dénonce l’iniquité de cette décision. Du côté d’Airbus, on garde le silence. Précisons ici pour être totalement honnête que d’autres paramètres entrent en ligne de compte pour fixer les limites de charge, telles que la géométrie du train d’atterrissage (empattement, voie d’espacement des roues) ou encore le centrage de l’appareil. Finalement, Eastern, qui ne souhaite pas polémiquer, renonce à LaGuardia80 et se rabat sur Newark81. L’affaire sera réglée en décembre 1978 après que les ingénieurs d’Airbus ont procédé à certaines modifications de la géométrie du train82.
L’ultime péripétie qui met l’A300B sur le devant de la scène ferait presque sourire. Laissons Roger Béteille nous la raconter :
Après la mise en exploitation des A300, Borman, inquiet, me téléphone pour me dire que ses hôtesses se plaignaient d’avoir des taches rouges tenaces sur le visage suite à des vols sur Airbus. La presse s’en était emparée proclamant “L’Airbus donne des boutons”, et les médecins d’Eastern n’y comprenaient rien. J’ai demandé à Air France de dépêcher une équipe médicale pour enquêter sur place (…). Au cours d’un vol, la dermatologue de l’équipe s’aperçut que l’inscription “gilet de démonstration”, imprimée en rouge, était à l’origine des fameuses traces. Le mystère était résolu83.
Voilà qui en dit long sur la méfiance des Américains vis-à-vis de l’avion européen.
Le 24 août 1977, le premier des quatre A300B4 (MSN44) destiné à Eastern Air Lines quitte Toulouse84, à destination de l’aéroport Kennedy à New York85. Le 30 août, Eastern réceptionne officiellement l’avion dévolu à la formation des premiers équipages. Les trois autres exemplaires, les MSN 42, 43 et 41 sont respectivement livrés les 20 octobre, 19 novembre et 3 décembre 1977.
L’aménagement commercial retenu par Eastern fait la part belle au confort des voyageurs. Alors que la capacité maximale de l’A300B4 est de 269 passagers, l’opérateur fait le choix d’un aménagement à 229 sièges seulement, répartis en deux classes, 26 en première (2+2+2) et 203 en classe économique (2+4+2)86. L’espacement entre deux rangées est de 40 pouces (101 cm) en première et de 36 pouces (91 cm) en économique. Ce volet est complété par une capacité de fret aérien. Rappelons au passage que l’A300B4 permet, et c’est un autre de ces atouts, l’emport en soute de 20 conteneurs standards LD3, d’une capacité de 1 285 kg chacun.
Le 18 novembre 1977, en ouverture de la période des congés de Thanksgiving, un A300B4 aux couleurs d’Eastern effectue son premier voyage commercial entre Newark et Miami (aller-retour)87. Ce jour-là, l’avion vole plus de 10 heures. Jusqu’au 30 novembre, les trois appareils livrés effectuent plus de 50 vols spéciaux, à raison de deux vols par jour dans chaque sens. Puis, du 13 décembre 1977 au 1er juin 1978, l’A300B entre en service sur les lignes à haute densité regroupées sous le vocable de Sunshine Corridor (couloir du soleil). Les appareils décollent de New York (Newark et Kennedy Airport) quatre fois par jour pour desservir les villes de Floride : Orlando, Tampa, West Palm Beach, Fort Lauderdale et Miami. En sens inverse, au départ de Miami et d’Orlando les avions retournent vers New York. Pratiquement tous les vols comportent l’aller et le retour à la base de départ.
C’est bien une exploitation intensive qui est faite des machines. La comparaison avec les autres exploitants d’A300B de l’époque est sans appel. Chez ces opérateurs le rythme d’utilisation est légèrement supérieur à six heures par jour88. Chez Eastern, c’est plus de neuf heures par jour que les A300B volent89. N’oublions pas de souligner également que ce test est également valable pour les moteurs90 et les équipements montés sur l’avion.
L’épreuve est rude, mais elle est couronnée de succès. Le bilan est éloquent. Entre le 13 décembre 1977 et le 15 janvier 1978, les appareils totalisent 900 heures d’exploitation, pour un temps de vol moyen de 9 heures par jour. Le coefficient de disponibilité atteint 98,4 %. Seuls six retards de plus de 15 minutes sont enregistrés et un seul vol est annulé pour raison technique91. Le mois suivant, la performance est équivalente avec un total de 870 heures de vol pour une moyenne de 7 h 30 par avion et par jour. Trois vols sont annulés pour raisons techniques et la disponibilité progresse légèrement à 98,5 %92.
Autre point positif, le faible niveau de bruit généré par l’appareil. L’A300B justifie pleinement le surnom de whisperliner (l’avion qui chuchote), surnom qui figure en bonne place des encarts publicitaires d’Eastern vantant les mérites de l’appareil. Un test organisé par la FAA au mois d’avril 1978 à proximité de National Airport donne les résultats suivants : Boeing 727 89 décibels, A300 79 décibels93. De leur côté, les équipages notent le bon comportement de l’avion et de ses systèmes. Enfin, le dernier mot revient aux clients, qui se disent très impressionnés par l’aménagement intérieur, la qualité de service à bord94 et le faible niveau sonore qui règne à l’intérieur de la cabine. Bon nombre d’entre eux sont d’ailleurs fort surpris quand on leur annonce qu’ils volent sur un avion européen.
Le 18 janvier 1978, avant même la fin du test, Borman réunit une partie de son équipe, ses banquiers et des négociateurs d’Airbus pour lancer les pourparlers en vue d’une commande significative. Signe avant-coureur d’un accord imminent, Eastern annonce début mars la mise en vente d’un certain nombre de ses Tristar95. Le 21 mars, à Seattle, au terme d’une réunion du conseil d’administration, Charles Simons déclare que sa compagnie et Airbus sont d’accord sur de nombreux points du contrat96. Quelques jours plus tard, un précontrat est finalisé et le 6 avril 1978 un accord officiel est signé. Par celui-ci, Eastern s’engage à acquérir 23 A300B4 livrables entre 1978 et 198297. L’achat de 55 réacteurs CF6-50C298 complète la commande de cellules. Le montant de la transaction s’élève à 778 millions de dollars. S’ajoute à ce premier volet une option pour neuf A300B4 supplémentaires et 25 exemplaires de la version A300B10, futur A310. C’est que la compagnie américaine a fait ses comptes. Comparée au B727 et au L1011, l’utilisation de l’A300B engendre une économie de carburant de 34,6 % par rapport au Boeing et de 20 % par rapport au Lockheed99. Et Frank Borman de déclarer « Aucun appareil nouveau mis en service par Eastern n’a, dès le début de sa mise en exploitation, donné lieu à aussi peu de problèmes mécaniques ou de difficultés100 ».
Pour cette transaction, comme pour la location-vente des 4 premières machines, les modalités de financement sont très développées et reposent sur la volonté de toutes les parties d’aboutir à un accord. Qu’on en juge sur pièce. Sur le montant total de 778 millions de dollars, les banques Crédit Lyonnais et Dresdner Bank apportent 250 millions, Airbus et General Electric respectivement 96 et 45 millions, sous forme d’obligations à intérêts variables. Viennent s’ajouter à ces sommes, 66 millions de billets à ordre sur 4 ans et 95 millions correspondant à la valeur des quatre A300B en leasing sur 15 ans. Enfin, Eastern débourse 226 millions provenant de la vente ou location d’une partie de ses Tristar101. Là encore, le système du crédit-bail est reconduit, avec cette fois l’inconvénient pour Airbus et ses partenaires de devoir se substituer à la compagnie si celle-ci ne peut plus payer ses loyers.
Sitôt connue la décision d’Eastern, des voix s’élèvent outre-Atlantique pour dénoncer cet accord. Boeing est le plus véhément, proclamant une nouvelle fois que le financement de l’opération est malhonnête. Ne tarde pas à lui emboiter le pas une partie de la classe politique, et notamment Charles Vanik102, président du comité sur le commerce à la Chambre des représentants. Celui-ci met sur la sellette les subventions accordées par les gouvernements français et allemands à Airbus et recommande « that our Subcommittee on Trade under take hearings to thoroughly examine direct foreign government subsidies of commercial aircraft imports into the United States103. » Son collègue républicain du Michigan, Guy Vander Jagt, renchérit :
As you stated so well, it is not in any way an attempt to promote any « Buy America » concept or any hindrance in any way to free trade. We want our airlines to buy the best planes they can at the cheapest price and under the best terms that they can get, but we also want to know if that free trade is fair trade, and whether there are indeed unfair trade practices104.
Certains n’hésitent pas à chiffrer le nombre d’emplois américains impactés par l’achat des 23 Airbus. Paul T. O’Day, de l’US Department of Commerce, a fait ses comptes et chiffre le manque à gagner pour les travailleurs américains à 250 hommes/an par avion, soit un total de 5 750 hommes/an105. D’autres enfin s’adressent directement à Frank Borman, tel Jim Lloyd, représentant démocrate de Californie :
Dear Frank, I’ve noted with displeasure Eastern Air Lines’ decision to purchase 23 A300’s from France’s Airbus Industrie. Personally, I can’t believe that Eastern’s route structure is so unique and the passenger-mile breakeven point so acute as to justify not using current, or proposed, US commercial airliners106.
Il faut tout de même contrebalancer cette littérature par les discours de spécialistes de l’aviation. Ainsi, Robert Hotz, rédacteur en chef du très sérieux hebdomadaire Aviation Week, tempère les récriminations par un tableau plus réaliste de la répartition des forces :
The A300B (…) is an amalgam of technology and hardware from both sides of the Atlantic – a truly international product that supports jobs in Toulouse, Hamburg, Manchester and Madrid as well as in Ohio, California, Arizona, New York and Illinois. In fact, as Eastern Air Lines emphasizes, the largest portion of the A300B components – about 33 % – are manufactured in the US (…). General Electric makes the jet engines, Collins and King Radio the communications equipment and Garrett AiResearch the air conditioning systems and automatic power units. More than 100 other US companies sell equipment that goes into the A300B107.
Ainsi, les contemporains de cet accord historique pour Airbus mesurent l’importance du pas franchi par l’avionneur. Bien sûr, d’autres compagnies, et pas des moindres, opéraient l’A300 auparavant. Mais la commande d’Eastern apparaît comme une consécration, un gage de qualité reconnue. Enfin, et de façon irréversible, le marché américain venait de s’ouvrir.
En 1979 et 1980, Eastern Air Lines commande d’autres machines, devenant en 1981 le plus gros opérateur d’Airbus au monde avec 60 appareils. Mais Airbus n’a pas sauvé la compagnie, qui peine à recouvrer la santé financière dans un contexte de concurrence exacerbée par la dérèglementation du secteur aérien aux États-Unis. Le 9 mars 1989, elle se place sous le chapitre 11 de la protection contre les faillites. Le redressement se révélant impossible, elle cesse définitivement ses activités le 19 janvier 1991.
Airbus suit un parcours inverse. Il faudra certes encore attendre quelques années avant qu’un autre transporteur américain n’arbore sa livrée sur les appareils européens108. Mais le succès appelant le succès, et l’offre du GIE s’étoffant avec l’A310, la commande d’Eastern est rapidement suivie par d’autres contrats. L’année 1978 est bien dans ce domaine une année charnière durant laquelle Airbus parvient à consolider ses positions avec 70 ventes fermes et 12 options. Surtout, 8 nouvelles compagnies se convertissent aux avions sortis des chaînes toulousaines109, portant à 20 le nombre de clients. À la fin de la décennie, le GIE enregistre 254 commandes fermes et 88 options pour ces deux modèles. La production passe de 73 appareils en 1978, à 127 en 1979. La cadence s’intensifie de deux machines par mois à trois fin 1979 et quatre en 1980.
La réussite de l’accord Eastern-Airbus a des origines multiples. D’abord, l’avion conçu par les ingénieurs était un bon avion arrivant sur le marché au bon moment. Ensuite, les hommes assis autour de la table de négociation ont su sortir de leur zone de confort et penser out of the box, comme on le dirait aujourd’hui. Sa signature coïncide peu ou prou avec l’avènement d’une nouvelle conception du secteur aérien qui s’oriente désormais vers un transport de masse, sans pour autant négliger le confort du passager. Enfin, le leasing (« location ») d’appareils, concept totalement novateur en cette fin des années 1970 est désormais monnaie courante. Reconnaissons à Frank Borman un courage certain et une confiance inébranlable en sa stratégie, lui qui déclare encore : « L’Airbus nous apparaît comme un outil essentiel de notre campagne de redressement financier dans les années qui viennent110. » En face, les dirigeants d’Airbus ont aussi été capables de penser autrement. Bernard Lathière, Roger Béteille, Félix Kracht, George Warde, Dan Krook, et la liste n’est pas exhaustive, ont apprivoisé le système américain, ont pris le risque, calculé, d’un test des machines, ont calmement appréhendé l’hostilité locale et ont été suffisamment flexibles pour adapter leur offre aux desiderata de leur client.
Le 1er novembre 1978, le premier exemplaire des 23 Airbus commandés par Eastern, un A300B4-2C (MSN65), est livré. Depuis, le groupe produit des avions sur le sol américain et canadien, et plus de 1 800 Airbus sillonnent les cieux du nouveau continent.