La bataille aérienne de 1940 : Conjurer la défaite. Temporalités et dynamismes d’une historiographie française

Résumés

La bataille de France a donné lieu à une polémique entre ceux qui ont attribué à l’armée de l’Air l’entière responsabilité de la défaite et ceux qui ont accrédité à celle-ci plus de « 1 000 victoires ». Entre ces deux thèses la vérité est médiane. L’armée de l’Air n’a pas démérité, mais elle a incontestablement subi le raz-de-marée de la Luftwaffe. C’est ce que démontre Thierry Vivier dans cet article consacré à l’historiographie de la bataille aérienne de France. Les tenants de la première thèse sont des officiers de l’armée de Terre comme le général Gamelin ou George, qui ont imputé aux aviateurs le poids du désastre militaire de mai-juin 1940 tout en s’exonérant de leur propre incurie stratégique. En réponse à cette démarche inquisitoriale, des officiers généraux de l’armée de l’Air comme le général d’Astier de La Vigerie, se sont employés à développer la thèse inverse, à savoir que « le ciel n’était pas vide » d’avions français et en sont même venus forger le mythe de « 1 000 avions » allemands abattus par l’armée de l’Air. Dans son étude, Thierry Vivier met en évidence que les historiens, à partir des travaux de recherche lancés dans les années 1970-1980, sont parvenus à dépasser les clivages mémoriels et ont abouti à une interprétation solide et nuancée du rôle de l’armée de l’Air dans la bataille de France de 1940.

The Battle of France gave birth to a controversy between those who attributed to the armée de l’Air the full responsibility for the defeat and those who gave credit to more than “a thousand victories”. The truth is to be found halfway. The armée de l’Air did not incur blame, yet it indoubtedly suffered the Luftwaffe’s tidal wave. This is what demonstrates Thierry Vivier in this article dedicated to the historiography of the air battle of France. The adherents to the first thesis are officers of the Army, such as general Gamelin or George, who imputed to the aircraft crews the weight of may-june 1940’s military disaster while exempting themselves of their own strategic inattentiveness. In response to this inquisitorial approach, general officers of the armée de l’Air, such as general d’Astier de la Vigerie, occupy themselves to develop the opposite thesis, namely that “the sky was not empty” of french aircraft, and even came to craft the myth of “a thousand aircraft” shot down by the armée de l’Air. In his study, Thierry Vivier emphasizes the fact that historians, from the research started in the 1970’s and the 1980’s, succeeded into overstepping the memorial divides and elaborated a robust and nuanced interpretation of the role of the Armée de l’Air in the 1940 Battle of France.

Plan

Texte

Introduction

Dans l’histoire militaire de la France, Sedan possède une résonance tragique. Cette petite ville de la Meuse a été le théâtre de deux défaites successives : la capitulation des troupes de Napoléon III et du maréchal Mac-Mahon le 2 septembre 1870, l’enfoncement de la 9e armée du général Corap et de la 2e armée du général Huntziger par les divisions de Panzers au milieu de mois de mai 1940. Ces deux drames, qui ont abouti respectivement à la chute du Second Empire et de la Troisième République, ont été ressentis douloureusement par l’opinion publique française. Alors que la défaite de Napoléon III a aiguisé le désir de revanche d’une frange nationaliste des Français à la veille la Grande Guerre et a forgé leur unité dans leur volonté d’en découdre avec les Prussiens pour récupérer l’Alsace-Lorraine, le désastre de Sedan a suscité une controverse franco-française pour désigner les responsables de la débâcle.

La percée allemande des Ardennes et la bataille de France sont restées synonymes d’offensive aéroterrestre et de domination écrasante de la Luftwaffe. L’opinion publique en est venue à considérer que le ciel était désespérément vide d’avions français. De cette constatation communément admise est née l’idée que l’armée de l’Air a été la composante la plus faible du dispositif de défense et ne s’est pas vraiment battue. Comme le note justement Robert Franck, les médias, en mettant en évidence l’omniprésence des Stukas, ont contribué à ancrer ce préjugé dans la mémoire collective des Français : « Grondements rauques des Panzers, sirènes stridentes des Stukas. Aujourd’hui encore, la mémoire des Français est meurtrie par ces bruits de mort, médiatisés jusqu’à l’obsession par la radio, le cinéma et la télévision1. » Or s’il est vrai de dire que les aviateurs français ont été vaincus par leurs adversaires allemands à Sedan et pendant la bataille de France, l’historien de l’aéronautique est-il en droit d’affirmer que les pilotes de l’armée de l’Air ont été surclassés dans les différentes phases du combat et qu’ils ont constitué le maillon le plus faible de l’armée française ?

Colporté initialement dans l’immédiat après-guerre, un mythe est né, celui de l’absence et du manque de pugnacité de l’aviation française. Il s’est forgé aux premiers jours du régime pétainiste, dès les lendemains de la défaite, et notamment pendant les audiences du procès de Riom, au cours desquelles on s’est ingénié à désigner des boucs émissaires commodes pour expliquer l’humiliation de mai-juin 1940. L’historiographie française de l’après-guerre s’est employée à corriger ce faisceau d’idées reçues, dont Vichy s’est fait l’un des principaux protagonistes. Des procès de Riom aux années 1980-1990, l’optique des historiens français s’est totalement inversée.

Le tour d’horizon de l’historiographie française, auquel nous allons procéder, ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous nous proposons seulement de faire le point sur les grandes conclusions des historiens français relatives à la défaite aérienne de 1940. Dans la première partie, nous verrons que l’armée de l’Air a été particulièrement la cible des procès de Riom qui lui ont fait porter principalement la responsabilité de la défaite en produisant une image déformée du rôle de l’armée de l’Air dans la bataille de France. Au lendemain du conflit, des historiens de l’arme aérienne ont réagi à cette exégèse propagandiste et tronquée orchestrée par ses premiers accusateurs. Aussi, tout en s’efforçant de rester dans une optique d’objectivité, ils se sont employés, consciemment ou non, à entamer un processus de « réhabilitation » du rôle de l’armée de l’Air dans la bataille aérienne de 1940 : celle-ci a été rendue possible après-guerre par les contributions de plusieurs spécialistes de la sphère aéronautique (des officiers aviateurs pour la plupart), qui se sont efforcés de démythifier l’idée reçue selon laquelle le ciel était vide d’avions français pendant la bataille de mai-juin 1940. Ces derniers ont suggéré une exégèse inverse qui tendrait à forger un autre mythe, celui d’une armée de l’Air qui ne se serait quasiment pas effondrée devant la Luftwaffe et aurait même permis, à plus long terme, à la Royal Air Force de se délester d’une partie de la flotte aérienne allemande et d’obtenir la maîtrise de l’air lors du « Blitz ». Nous examinerons, dans un second temps, ce premier courant « historiographique » qui a inversé les idées reçues forgée par les accusateurs du procès de Riom sur la défaite aérienne de la France de 1940. Au sein du régime vichyste se développent donc deux perceptions différentes des combats aériens de mai-juin 1940. Nous insisterons sur le fait que le décloisonnement de l’histoire militaire et son ouverture au monde universitaire ont été salutaires, en ce sens qu’elle s’est éloignée des idées préconçues et des deux thèses propagandistes en présence grâce à sa maturation au fil des différentes temporalités prises en compte. Dans une troisième partie, nous examinerons le déroulement de la bataille aérienne et constaterons que l’historiographie de la bataille aérienne de mai-juin 1940 a atteint la phase de la maturité et des nuances pour en faire ressortir toute sa complexité.

1. Vichy et le procès de Riom : le berceau d’une histoire passionnée et partisane

1. 1. Riom, l’aviation au banc des accusés

Dans son allocution du 20 juillet 1940, le maréchal Pétain inaugure le mythe de l’écrasante infériorité de l’aviation française en 1940 face à la Luftwaffe : « L’infériorité de notre matériel a été encore plus grande que celle de nos effectifs. L’aviation a livré à un contre six des combats2 ». C’est dans le cadre du procès de Riom, de 1940 à 1942, que l’on jette le premier regard rétrospectif sur la prestation de l’armée de l’Air dans la bataille de France. C’est un regard à chaud, le regard de témoins partisans qui ont vécu de plus ou moins près la défaite, à l’arrière ou au front, et qui interprètent, à leur manière, l’événement. C’est le temps des règlements de comptes et chacun rejette sur l’autre la responsabilité du naufrage. Plusieurs lignes de fracture apparaissent dans le microcosme aéronautique : tout d’abord, un clivage entre les militaires qui ont tendance à imputer tous les maux au personnel politique et à la société civile, et les « politiques » qui accusent le haut commandement d’impéritie. Le contentieux entre les techniciens et l’état-major de l’ancien ministère de l’Air surgit également ; les uns et les autres se reprochent réciproquement les retards dans les délais de fabrication et de livraison des avions de guerre. Sur le même sujet s’affrontent les avionneurs et les anciens ministres de l’Air : les premiers imputent aux seconds les errements de la politique aéronautique des années 1930, et les anciens ministres de l’Air concernés par ces invectives rétorquent verbalement ou par écrit que certains industriels n’ont pas rempli leur contrat. Mais Riom se présente avant tout comme un procès politique qui donne l’occasion à Vichy de mettre en accusation la Troisième République, et en particulier le Front populaire.

C’est dans ce climat passionnel que le gouvernement pétainiste, à forte dominante navale et terrestre, trouve deux boucs émissaires commodes pour expliquer le revers de l’aviation française en 1940 : Pierre Cot, ancien ministre de l’Air du gouvernement de Léon Blum, et Guy La Chambre, son successeur incarnant la défunte République. Le régime de Vichy, composé en grande partie de dignitaires de l’armée française, peut ainsi minimiser les erreurs de la sphère militaire dans la préparation et la conduite de la guerre, et jeter les bases d’un ordre nouveau. Ce glissement de perspectives ne s’effectue pas seulement au détriment de l’ancienne société politique ; il vise aussi la jeune armée de l’Air, dont la création en 1933 a toujours été très mal acceptée par les terrestres et les marins, qui occupent d’ailleurs des positions prééminentes dans le gouvernement du maréchal Pétain. L’armée de l’Air n’y est représentée que de façon fort minoritaire et n’incarne pas comme l’armée de Terre ou la Royale une tradition pluriséculaire, même si des officiers de l’armée de l’Air comme le général Bergeret, secrétaire d’État à l’aviation, tentent de jouer un rôle au sein des instances vichyssoises.

Le procès de Riom, c’est avant tout, sur le plan militaire, le procès de l’aviation, comme en témoigne le réquisitoire du procureur général à Riom le 15 octobre 1941 :

Ce feu intense, conjugué avec les bombardements aériens, sous un ciel peuplé d’avions allemands, et vide de tout avion français sans aucune riposte d’une DCA déficiente, provoqua une telle impression de surprise chez les combattants que leur courage ou leur volonté s’en trouvèrent souvent annihilés. Malgré les efforts du commandement, la situation ne put être rétablie et la défaite s’ensuivit inéluctablement3.

Dans le discours de l’accusation, la part belle est donnée aux « combattants » et au « commandement » de l’armée de Terre, l’anathème est jeté contre l’armée de l’Air. Riom donne lieu à un règlement de compte interarmées, et principalement à un conflit Terre/Air qui était latent pendant l’entre-deux-guerres, et qui éclate au grand jour. Il suffit de lire plusieurs déclarations de généraux de l’armée de Terre pour s’en convaincre. À l’audience du 17 février 1942, le général Blanchard insiste sur « l’immense infériorité de notre aviation au regard de l’aviation allemande », et à celle du 20 mars, le général Héring qui attribue le manque de coordination entre forces terrestres et aviateurs en 1940 à l’autonomie trop poussée de l’armée de l’Air. Le général Réquin déclare pour sa part que « l’aviation de chasse était pratiquement inexistante et les avions à croix gammée avaient la maîtrise absolue de l’Air4 ».

Mais le plus significatif, ce sont les généraux vaincus à Sedan qui se disculpent en assimilant le désastre de mai à la faillite de l’armée de l’Air. Ainsi, le général Georges, qui a dirigé la bataille de mai-juin 1940 sur le front Nord-Est, met l’accent sur la flagrante responsabilité des aviateurs dans la déroute de l’armée française : « De toutes nos infériorités, c’est certainement celle de l’aviation qui a été ressentie le plus cruellement sur le champ de bataille5 ». Le général Corap, commandant l’infortunée 9e armée mise en pièces sur la Meuse par l’attaque des Panzers, décoche lui-même des traits acérés contre l’armée de l’Air, dont il déplore les insuffisances de matériel, tant en quantité qu’en qualité. Il ne manque pas de reprendre le vieux leitmotiv des terrestres contre les aviateurs :

La création d’une armée de l’Air absolument indépendante de l’armée de Terre a porté un préjudice grave à la combinaison des armes qui doit être à la base de toute action de guerre. [] Nous manquions en réalité d’une aviation de combat agissant en coopération intime avec les autres armes de l’armée de Terre6.

Dès le premier choc frontal, l’aviation aurait donc failli à sa mission ; cette défection aurait considérablement contribué à la retraite et la défaite de l’armée de Terre.

Cette unanimité dirigée contre l’arme aérienne est perceptible non seulement dans les propos tenus par ces officiers généraux de l’armée de Terre, qui ont reçu une sorte de blanc-seing du pouvoir, mais aussi dans les déclarations du général Gamelin, seul militaire sur le banc des accusés. En qualité d’ancien chef d’état-major de la Défense nationale, il emploie le même type d’arguments : « L’infériorité de notre aviation est la cause principale, matériellement et moralement, de la défaite sur la Meuse7 ». Doit-on discerner dans ce déluge de déclarations hostiles à l’arme aérienne une entreprise de dénigrement systématique qui aurait été fomentée par les généraux de l’armée de Terre, comme le suggèrent les chefs de l’armée de l’Air à Riom ? L’idée d’un complot délibéré contre les aviateurs paraît trop déterministe. Mais le fait de rejeter sur la seule armée de l’Air tout le poids de la défaite atteste la création par le haut-commandement terrestre d’un mythe, celui de la responsabilité flagrante des aviateurs, permettant de masquer ses propres insuffisances. Même le général de Gaulle, dans son appel du 18 juin 1940, participe sans le vouloir à l’élaboration du mythe d’une aviation française complètement dominée par l’ennemi, même s’il met en évidence avec perspicacité la pauvreté de la pensée tactique de l’armée française :

Nous avons été submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi. Infiniment plus que le nombre, ce sont les chars et les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils sont aujourd’hui8.

Parallèlement au procès de Riom, la polémique se nourrit d’une littérature pamphlétaire qui focalise son attention sur les faiblesses de l’armée de l’Air en 1940, et vitupère la politique aéronautique menée avant-guerre par les ministres de l’Air. L’heure est à la diatribe dans des ouvrages tels que ceux de Jean Jalbert sur les Erreurs fatales du ministère de l’Air, d’André Maroselli sur Le Sabotage de notre aviation, cause principale de notre défaite, de Louis Ingrand sur Le Chemin de croix de l’aviation française, de Pierre Dignac sur Les Malfaiteurs publics9.

Dès le lendemain du drame, les critiques prolifèrent et contribuent à accréditer l’idée d’une inefficacité totale de l’aviation française. Les apologistes de l’armée de l’Air sont absents du débat. À Riom, Guy La Chambre élève une voix bien solitaire, justifie sa propre action ministérielle de 1938 à 1940, et démontre avec méthode que le désastre incombe non pas au ministère de l’Air, qui a tout fait pour que la production aéronautique satisfasse les besoins en avions du haut commandement, mais à l’état-major dans son ensemble, qui n’a pas su organiser et employer l’aviation à bon escient. Jugé par contumace mais réfugié aux États-Unis, Pierre Cot (ministre de l’Air en 1933-1934 et en 1936-1937), réplique à ses accusateurs de façon cinglante en leur retournant leurs propres accusations dans un plaidoyer vigoureux, Le Procès de la République, où il ne ménage ni Vichy, ni Pétain, ni l’organisation militaire dans son ensemble10. C’est dans ce contexte de mise en accusation de l’aviation française, que d’aucuns en viennent à défendre l’honneur de l’armée de l’Air en développant le mythe des « 1000 victoires ». Paradoxalement, c’est au cœur du pouvoir pétainiste que prennent forme ces velléités de réhabilitation. C’est l’état-major de l’armée de l’Air de Vichy qui produit les premiers comptages et les premiers articles de propagande.

1. 2. Esquisse d’une nouvelle optique à la Libération

À la Libération, le gouvernement mène une vaste enquête sur Les Événements survenus en France de 1933 à 1945, et à cette occasion, plusieurs experts de l’aéronautique, qui ont fait une déposition à Riom, témoignent à nouveau11. Mais cette fois, il ne s’agit plus d’un procès organisé par le gouvernement de Vichy, et ce n’est plus le procès de l’aviation. Quoique les deux ministres de l’Air d’avant-guerre mis en cause à Riom (Guy La Chambre et Pierre Cot) soient présents et puissent développer leur argumentation sans pression et dans la sérénité, l’image négative du rôle joué par l’armée de l’Air sur la Meuse en 1940 et pendant la bataille de la France, se maintient. La légende d’une aviation française impuissante et passive perdure.

Il faut en fait attendre le début des années cinquante pour reconsidérer l’interprétation classique de la défaite aérienne de 1940. Le général d’Astier de La Vigerie, qui commandait en 1940 la Zone d’opération aérienne Nord, s’emploie à remettre en cause le discours unanimiste sur les défaillances de l’armée de l’Air dans son livre, Le Ciel n’était pas vide12. Il s’efforce de prouver que l’importance stratégique et tactique de l’aviation a été mésestimée et minimisée par le haut commandement français qui était en retard d’une guerre et que celui-ci l’a mal employée au moment voulu. Il démontre qu’un certain nombre de hauts dignitaires de l’armée, et en premier lieu, le général Gamelin, qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, rabaissaient l’aviation au rang d’une arme auxiliaire et, qui, en 1940 l’ont appelée à la rescousse, ont cherché, après la défaite, à la fustiger et la dévaloriser. C’est un sentiment de révolte qui pousse d’Astier de La Vigerie à dénoncer ce qu’il considère comme un tissu de mensonges. Son cri d’indignation à l’encontre des idées reçues permet de franchir une nouvelle étape dans l’analyse du rôle de l’armée de l’Air pendant la bataille de France : on passe d’une histoire passionnelle et partisane racontée et écrite par ses propres acteurs au stade d’une histoire qui tourne le dos à la vision vichyste, mais qui ne n’est pas encore affranchie d’une interprétation partisane du rôle de l’arme aérienne française dans la bataille de mai-juin 1940. Dans les années 1950, voire 1960, l’histoire de l’armée de l’Air en est au stade de la déculpabilisation et de la survalorisation de son rôle en 1940. Ce passage du mythe à la raison historienne, de l’esprit partisan à la rigueur scientifique, n’a donc pas été immédiat : d’Astier de La Vigerie et Clostermann, Jean Gisclon, le général Christienne (ancien chef du Service historique de l’armée de l’Air (SHAA), devenu depuis peu l’une des sections du Service historique de la Défense), ont été amenés à réfuter vigoureusement les accusations portées contre l’armée de l’Air, qui leur apparaissaient illégitimes, et à engendrer leur propre mythologie au point de minimiser de façon peut-être excessive l’échec de l’aviation française pendant la bataille de France. La surenchère dans la riposte des historiens de l’aviation paraissait inévitable.

Le débat historiographique s’est ainsi nourri d’une double mythologie qui ne s’est pas estompée mais qui a été progressivement corrigée par l’historiographie contemporaine au point d’arriver à une vue plus fine et plus nuancée des responsabilités de la défaite. Le procès de Riom constitue le point de départ d’une controverse « idéologique » qui progressivement a revêtu, avec le développement des études universitaires sur la Seconde Guerre mondiale, la dimension d’une discussion « scientifique ». Il apparaît en tout cas comme une source fondamentale de documentation pour l’historiographie contemporaine, car il met en scène toutes les personnes qui appartiennent de près ou de loin au milieu de l’aéronautique, et livre leurs arguments contradictoires. Tous leurs témoignages sont consignés et fournissent une base de réflexion indispensable pour démêler l’écheveau des raisons de l’infériorité de l’aviation française en 1940. Avant d’instruire le procès, le tribunal de Riom a entrepris une grande enquête en confiant cette tâche à des spécialistes, ce qui a donné lieu à des rapports très solides et dénués de partialité.

Le paradoxe veut que le procès de Riom, qui est un procès politique commandité par le régime de Vichy avec des coupables pré-désignés, ait suscité un travail préparatoire d’investigation solide et technique. Pour l’aviation, plusieurs rapports ont été rédigés à l’intention de la Cour suprême de Riom, comme les rapports Métral ou Chossat qui constituent une mine de renseignements pour le spécialiste de l’histoire de l’armée de l’Air. C’est avec le recul du temps que les historiens ont été en mesure d’analyser peu à peu les tenants et les aboutissants de la défaite infligée à l’armée de l’Air française.

2. De Vichy à l’historiographie d’après-guerre : liquider la défaite aérienne ?

2. 1. L’histoire écrite par ses acteurs

Dès la Libération, les hauts dignitaires, qui s’étaient abrités derrière la légalité vichyste et la culpabilité des chefs du Front populaire, Pétain en premier lieu, doivent à leur tour rendre des comptes. L’épuration entraîne la mise en jugement de ceux qui ont incarné la collaboration et ont été à l’origine de la mise en accusation de l’armée de l’Air née sous la Troisième République. Les anciens accusés, tels Pierre Cot et Guy La Chambre, peuvent parler librement et profèrent à leur tour des accusations contre leurs anciens accusateurs ; une commission parlementaire est chargée en 1946 d’enquêter sur Les Événements survenus de 1933 à 194513. Son entreprise, qui est initialement de nature politique et pas vraiment historique, permet cependant, par la variété des témoignages, de faire ressortir une vision nouvelle des faits, qui remet en cause les conclusions de la Cour suprême de Riom, et d’introduire le doute sur des certitudes prédéterminées par un pouvoir en place. Il ressort de ce premier travail d’investigation que l’armée de l’Air n’a pas démérité au combat et que sa défaite résulte, certes de l’insuffisance de ses moyens, mais aussi et surtout de l’incohérence des ordres donnés par la hiérarchie militaire.

La première étude sur la défaite aérienne de 1940 est l’ouvrage du général Hébrard intitulé Vingt-cinq années d’aviation militaire qui paraît en 194614. L’auteur, avec l’intention de réhabiliter l’armée de l’Air, s’y emploie à décrire les forces et les faiblesses des aviations française et allemande avant et pendant la guerre. Au début des années 1950, Henri Michel, résistant, est le fondateur d’un solide courant historiographique qui a multiplié les études sur la Seconde Guerre mondiale, notamment en créant la Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Dans le sillage de cette grande mouvance, l’histoire de l’aviation française est restée un genre mineur et s’est située pendant longtemps en marge de l’université française. Elle est demeurée l’apanage de quelques officiers supérieurs, observateurs avertis de l’histoire de l’aéronautique, qui ont lancé le débat sur le rôle de l’armée de l’Air sur la Meuse et dans le ciel de France en 1940, dans les colonnes de la Revue de Défense Nationale, de Forces aériennes françaises, revue créée en 1946, qui, dans son premier numéro, s’est efforcée de tirer des leçons de la guerre. À ce moment précis, la controverse est animée par des officiers tels que le général Gérardot, le colonel Lesquen, les lieutenants-colonels Rogé et Le Goaster, qui s’interrogent sur les causes profondes de l’infériorité de l’aviation de l’armée de l’Air pendant la campagne de France et s’empressent d’en tirer des conclusions constructives pour éviter de répéter les erreurs du passé dans le nouveau contexte de la guerre froide15. Tous ces officiers-aviateurs font l’historique du rôle de l’armée de l’Air en 1940 dans une optique doctrinale néo-douhétienne qui consiste à réhabiliter l’armée de l’Air et à la présenter comme un futur outil essentiel de la Défense nationale. L’« objectivité » historienne n’est pas encore appliquée en ces années 1950-1960.

En 1952, le débat est également lancé avec le livre iconoclaste du général D’Astier de La Vigerie qui s’insurge contre des idées reçues fortement assénées depuis Riom et forge à son tour une nouvelle interprétation : on a fait, dit-il, de l’armée de l’Air un bouc émissaire. D’Astier de La Vigerie défend ici l’honneur et le point de vue des chasseurs, dont il est issu. Quatre ans plus tard, on est au cœur de la controverse : Eddy Bauer, dans le numéro d’octobre 1956 de Forces aériennes françaises, présente les « Opinions sur la bataille aérienne de France, mai-juin-194016 ». La même année, le colonel Goutard publie une œuvre décisive, 1940 : la guerre des occasions perdues17, où il fait le tour de la question : il démontre que l’aviation française n’était pas dans une si grave situation d’infériorité par rapport à la Luftwaffe, et disloque point par point le mythe d’une armée de l’Air impuissante et passive. Le colonel Goutard contredit les « vérités » assénées à Vichy et ouvre la voie à l’historiographie des décennies suivantes pour un nouveau champ de réinterprétation possible sur le rôle tenu par l’arme aérienne française dans la bataille de 1940. L’aviation demeure toutefois un thème mineur dans la somme historique du colonel Goutard.

2. 2. L’aviation militaire, nouveau domaine de recherche pour les universitaires

Il faut attendre les années 1970 pour que l’histoire de l’armée de l’Air dans les années 1930 et la conduite de la bataille aérienne de 1940 soient étudiées également par des universitaires. En janvier 1969, la Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale consacre un numéro spécial à « l’Aviation française (1919-1940) », où sont abordés trois thèmes pouvant expliquer la défaite des aviateurs français en mai-juin 1940 : « La production aéronautique militaire jusqu’en 1940 » étudiée minutieusement par l’ingénieur de l’Air Jean Truelle ; « L’évolution de la doctrine d’emploi de l’aviation de 1919 à 1940 » exposée par le Colonel Le Goyet du Service historique de l’armée de Terre ; et « L’organisation de la coopération aérienne franco-britannique (1935-1940 » traitée par les jeunes chercheurs Jean Lecuir et Patrick Friedenson (futurs universitaires) pour le compte du SHAA18. Trois catégories d’« historiens » ont ainsi contribué à faire sortir l’histoire de l’aviation française pendant la Seconde Guerre mondiale du domaine confidentiel : d’une part les ingénieurs et les militaires, qui font œuvre d’« historiens » par leur apport en connaissances techniques, doctrinales et opérationnelles dans le domaine aérien sans se départir de certains préjugés « corporatistes » et « partisans » inhérents à la sphère d’influence de l’armée de l’Air, et, d’autre part, les universitaires et les chercheurs en histoire du CNRS, experts et praticiens de la méthodologie historique. Ces trois catégories forment trois strates complémentaires.

Le général Charles Christienne contribue, au milieu des années 1970, à promouvoir l’histoire de l’aviation militaire au rang de discipline à part entière en jetant un pont entre le SHAA, qu’il dirigeait, et l’Université. Il a eu recours à deux moyens pour mener à bien son ambitieux objectif : l’organisation de colloques internationaux avec le concours de l’Institut d’histoire des conflits contemporains, qui s’est substitué au Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale ; le recrutement de docteurs venant de l’université, Patrick Buffotot (chercheur en sociologie) et Patrick Facon (auteur d’une thèse sur l’armée française d’Orient pendant la Première Guerre mondiale), qui ont ajouté une nouvelle corde à l’arc du SHAA, celle de centre de recherche d’histoire aéronautique. Cette tentative de rapprocher l’histoire militaire de l’Université a abouti à une production fructueuse de travaux sur la bataille aérienne de 1940. Il faut d’abord noter les études fouillées de Patrice Buffotot, du général Christienne, de Patrick Facon sur l’aéronautique militaire de l’entre-deux-guerres qui jettent un éclairage nouveau sur les grands aspects de la politique aéronautique pratiquée en France de 1919 à 1939 (réarmement aérien, politique industrielle, politique du personnel et du matériel, réorganisation des forces aériennes et naissance de l’armée de l’Air, etc.) pouvant expliquer les déficiences de l’armée de l’Air en 194019. Pour décrypter les réalités de la bataille aérienne de 1940, l’étude de P. Buffotot et J. Ogier sur « L’armée de l’Air française pendant la bataille de France du 10 mai 1940 à l’armistice » apparaît indispensable, constituant la première analyse méthodique et systématique des aspects numérique et qualitatif du matériel de l’armée de l’Air en mai-juin 194020.

Cette ouverture du SHAA sur le monde universitaire s’accompagne, au cours des années 1980, de la publication de deux travaux de recherche solides relatifs à l’histoire de l’aéronautique : la thèse de troisième cycle de Robert Frank consacrée au Prix du réarmement en France (1935-1939), où une large part est réservée à l’évaluation et à l’interprétation du coût financier du réarmement aérien dans les années 1930, et la thèse d’État et un ouvrage du professeur Emmanuel Chadeau portant sur l’histoire de l’aéronautique en France dans la première moitié du xxe siècle21. Ce coup de projecteur braqué sur les années 1930 permet de mieux saisir les errements de la politique du ministère de l’Air et les difficultés innombrables qu’il a rencontrées pour édifier une armée de l’Air opérationnelle, née seulement en 1933, bien jeune et bien fragile.

Parallèlement, les historiens du SHAA ont fait paraître en 1980 une intéressante Histoire de l’aviation militaire française22, qui remonte aux origines de l’arme aérienne (Révolution française et guerre de 1914-1918) pour retracer son histoire jusqu’à nos jours. Cet ouvrage collectif donne une description minutieuse des opérations aériennes de 1940, privilégiant l’événementiel et apportant des éléments d’explication instructifs sur le déroulement de la bataille dans les airs. Dans les années 1980 et au début des années 1900, le SHAA publie plusieurs études sur l’aspect aérien de la bataille des Ardennes et sur la bataille de France, notamment dans la Revue historique des Armées. On peut mentionner parmi celles-ci un article de Philippe de Laubier sur « Le bombardement français de la Meuse, le 14 mai 1940 », plusieurs contributions du général Robineau, en particulier « L’armée de l’Air dans la bataille de France » dans le cadre du Colloque international sur « Les armées françaises pendant la Seconde Guerre mondiale », et « La conduite de la guerre aérienne contre l’Allemagne, de septembre 1939 à juin 194023 ».

Il convient également de mentionner les sommes historiques de Jean-Baptiste Duroselle, de Maurice Vaïsse et de Jean Doise, qui y évoquent l’histoire de l’aviation militaire. Dans La Décadence et L’Abîme de Jean-Baptiste Duroselle, et dans Diplomatie et outil militaire de Jean Doise et Maurice Vaïsse, le lecteur comprend toute l’importance du fait aérien dans les relations diplomatiques, notamment pendant la crise de Munich de septembre 1938, et dans les rapports de force au moment de la conflagration de 1940. L’Histoire militaire d’André Corvisier, paru dans les années 1980, a donné aussi un éclairage significatif sur le développement de l’arme aérienne24.

Parallèlement à ce courant historiographique et universitaire, il convient de mentionner l’existence d’une historiographie de l’aviation militaire que l’on peut qualifier, sans connotation péjorative, de « sentimentale25 », où se mêlent souvenirs de grands acteurs, ouvrages pour les passionnés de l’aviation et récit officiel de l’armée de l’Air qui vise à sa propre auto-promotion. La revue Icare, fondée en 1958 comme organe d’expression des pilotes de ligne, lui a servi de vecteur. Très rapidement, elle s’est intéressée à l’aviation militaire, et a consacré plusieurs numéros à son histoire. Avec une illustration iconographique remarquable, elle a réservé ses colonnes à une multitude de témoignages inédits d’anciens aviateurs de l’armée de l’Air, d’ingénieurs et de connaisseurs de l’aéronautique. Elle fournit aussi aux historiens de l’aviation une gamme de documents passionnants, qui relèvent du souvenir personnel, de l’anecdote, de la nostalgie d’un passé douloureux et parfois héroïque mais toujours vécu intensément. Pour 1940, et dans le même registre, il ne faut pas oublier les ouvrages de Jean Gisclon et de Casamayor. Dans la Désobéissance, le second raconte sous une forme romancée l’histoire tragique de l’engagement des Amiot 143 envoyés en mission de sacrifice sur Sedan26. Cette tendance historiographique a pour vertu de faire connaître au grand public les missions de sacrifice accomplies par les pilotes français et de démystifier quelque peu la légende de l’inertie de l’aviation militaire en 1940. Il est possible d’inclure dans cette tendance historiographique du souvenir les mémoires de certains personnages qui ont occupé le devant de la scène politique pendant les mois de mai et juin 1940 : on pense immédiatement à ceux du général Gamelin, qui fait tout pour se justifier, et à ceux de Paul Reynaud, qui était président du Conseil27.

Il faut noter aussi l’importance du groupe d’historiens qui s’est formé au sein du CNRS, à l’Institut du temps présent, qui a profondément renouvelé l’approche historiographique de l’étude des conflits sous les impulsions successives de François Bédarida (fondateur de l’IHTP, spécialiste de l’histoire de la Grande-Bretagne), Robert Franck (professeur d’histoire des relations internationales), Henry Rousso (directeur de recherche au CNRS), Fabrice d’Almeida (professeur à Paris X), Christian Ingrao (chargé de recherche au CNRS), Christian Delage (professeur à Paris VIII). Dans ce sillage, Robert Franck, spécialiste des aspects financiers du réarmement, en se demandant si « le Front populaire a perdu la guerre », réfute l’argumentation héritée directement ou indirectement de Vichy, déculpabilise le gouvernement de Léon Blum, souligne que l’infériorité qualitative et numérique de l’aviation française n’a pas été celle que l’on a imaginée28.

2. 3. Un décloisonnement historiographique ? Le tournant de la fin du xxe siècle

Dans les années 1990-2000, plusieurs historiens ont procédé à un renouvellement en profondeur de l’historiographie sur la question de la bataille aérienne de 1940. Plusieurs travaux de recherche ont ouvert de nouvelles perspectives. En premier lieu, ma thèse de doctorat, soutenue à l’Université Paris I en 1994 sous la direction de Maurice Vaïsse, relative à la politique aéronautique militaire de la France de 1933 à 193929. Mon travail évoque les dysfonctionnements de la sphère aéronautique et militaire (le ministère de l’Air avec diverses catégories de personnels parmi lesquelles les politiques, les fonctionnaires, l’armée de l’Air avec le haut commandement souvent en rapports conflictuels avec les représentants des ministères de la Marine et de la Guerre, l’École de l’air et ses pilotes, la sphère technicienne avec les ingénieurs de l’Air, l’industrie aéronautique et les avionneurs). Il est aussi question dans ma thèse des tiraillements entre ces différents acteurs dans la mise en œuvre de la politique aérienne, des errements du réarmement aéronautique, des fluctuations de la doctrine d’emploi de l’armée de l’Air liées aux rivalités entre stratèges de l’Air intégral (favorables au douhétisme) et stratèges « terrestres » ou « marins », favorables à une aviation de coopération, des errements de la « diplomatie aérienne » de la France, des tensions institutionnelles entre les trois ministères de la Défense nationale (Terre, Air et Marine), autant de facteurs explicatifs permettant de comprendre l’impréparation de l’outil militaire et de l’armée de l’Air avant la bataille décisive de mai juin-1940. L’armée de l’Air, si elle a bien subi un revers sérieux, n’a pas démérité lors de sa confrontation avec la Luftwaffe, notamment la chasse, qui a abattu de nombreux avions allemands, et n’a pas subi une défaite cuisante. En outre, deux de mes publications datant des années 1990, ainsi que les études récentes de Philippe Garraud et de Patrick Facon, démontrent l’inanité du mythe vichyste du ciel vide d’avions français en 1940 et de la responsabilité flagrante de l’armée de l’Air dans le désastre de la campagne de France, une armée de l’Air qui aurait complètement failli à sa mission, mais aussi le caractère infondé de la thèse des apologistes de l’arme aérienne défendant le mythe d’une armée de l’Air invaincue et aux « mille victoires30 ».

La thèse de Claude d’Abzac-Épezy sur l’armée de l’Air de Vichy31 a aussi démythifié l’idée reçue selon laquelle l’armée de l’Air aurait subi une cuisante défaite en laissant totalement la voie libre à la Luftwaffe dans le ciel français et aurait manqué d’avions en juin 1940. Elle note qu’en septembre 1940, les Italiens et les Allemands dénombrent « un peu plus de 2 800 appareils stockés sous leur contrôle en zone non occupée », ce qui signifie que beaucoup de « chasseurs, de bombardiers et d’appareils de reconnaissance français », que l’on considérait comme « détruits ont donc été préservés32 ».

Patrick Facon, dans son ouvrage sur l’armée de l’Air dans la tourmente, note que l’armée de l’Air, en dépit de son revers de mai-juin 1940, dispose en juin 1940, « de plus d’avions modernes qu’elle n’en a eus le 10 mai » et « un important potentiel aérien subsiste dans cette France vaincue de 1940 », paradoxe qui a permis aux thuriféraires de l’« Air intégral » de développer le mythe inverse de celui de Vichy, à savoir le mythe d’une armée de l’Air invaincue allant de pair avec le « mythe des 1000 victoires » qui auraient été remportées par l’aviation française contre la Luftwaffe et qui auraient permis aux Anglais d’être victorieux dans les Airs au moment du « Blitz » pendant l’été 194033.

Ce sont surtout les récentes études des historiens Philippe Garraud, Christian-Jacques Ehrengardt et Patrick Facon34, qui ont permis d’établir un diagnostic solide et approfondi sur l’état de l’armée de l’Air en 1940 et qui ont identifié, avec objectivité, la plupart des causes multifactorielles de la défaite de 1940. Ils renvoient dos à dos les tenants des deux thèses antinomiques en présence, la thèse vichyste instrumentalisée par des généraux de l’armée de Terre (à l’exemple des généraux Gamelin, Georges, Corap) pour se dédouaner du désastre de 1940 et la thèse des aviateurs, tels que le général d’Astier de La Vigerie, qui a développé l’idée d’un complot ourdi contre l’armée de l’Air, ou Jean Gisclon qui a forgé le mythe des « 1 000 victoires ».

Avec ces trois contributions historiques, le débat historiographique sur le rôle de l’armée de l’Air en mai juin 1940 a nettement progressé : il a débouché sur des conclusions solides, puisque de multiples facteurs explicatifs ont été explorés et inventoriés, dans toute leur complexité, aboutissant à une vérité médiane, tendant à une certaine objectivité. Philippe Garraud, professeur d’université et contribuant à de nombreux comités de lecture, résume bien le processus historiographique relatif au diagnostic de la bataille aérienne de 1940, qui est passé d’une phase de règlements de compte politiques et interarmées à une phase d’expertise historienne et de plus en plus technicienne, privilégiant les faits et excluant toute querelle passionnelle et partisane35. Pour sa part, Patrick Facon met en relief l’extrême complexité de l’évaluation du rôle de l’armée de l’Air, notamment en mettant en avant la querelle des chiffres entre experts quant au nombre de pertes subies par l’aviation française, et s’emploie à dépasser les mythes concernant le rôle de l’armée de l’Air dans la bataille aérienne de mai-juin 1940. Il montre que les causes de la défaite française de 1940 sont multifactorielles et relèvent d’un faisceau d’explications plus large qui ne se limitent pas à la seule sphère aérienne36. Les responsabilités de la défaite sont globales et renvoient à une myriade de facteurs structurels et conjoncturels propres à la société française de l’entre-deux-guerres. La focalisation des recherches historiques sur la sphère aérienne française de cette période n’est qu’un aspect du champ d’investigation des causalités, n’est qu’une pierre ajoutée à l’édifice monumental des travaux de recherche sur le désastre français de 1940.

3. L’interprétation historique de la bataille de France (mai-juin 1940)

3. 1. De l’infériorité numérique pendant la bataille de France

Juste après le choc de la défaite, le maréchal Pétain fait état de l’infériorité numérique flagrante de l’aviation française : l’aviation, dit-il, a dû se battre à un contre six. Deux arguments de poids sont invoqués par le régime de Vichy à l’appui de la thèse officielle : « l’égoïsme britannique » et la « détestable politique du Front populaire37 ». On reproche aux Anglais de ne pas avoir envoyé en France des moyens aériens suffisants et d’avoir conservé leurs forces pour mieux défendre les îles britanniques. On impute au Front populaire « le désordre et les lacunes de notre industrie aéronautique, aggravée, dit-on, par l’application de la loi sur la nationalisation des fabrications d’armements à cette industrie » ; on reproche également au gouvernement Blum et à Pierre Cot d’avoir livré des avions français à la République espagnole et d’avoir affaibli ainsi l’armée de l’Air à la veille de la guerre. La mise en accusation de l’aviation française se fonde, au début, sur deux leitmotivs : l’infériorité numérique et qualitative de l’armée de l’Air française et l’insuffisance de la production aéronautique pendant les années 1930.

À partir de 1951, le débat se place sur un autre terrain à l’initiative du lieutenant-colonel Rogé qui, sans sous-estimer l’infériorité numérique de l’aviation française, pose clairement la responsabilité de l’état-major dans la conduite de la bataille aérienne dans la Revue de la Défense nationale :

La puissance numérique indiscutable de l’aviation allemande n’était pas aussi forte qu’on a voulu le laisser croire. Ce qui a permis à la Luftwaffe de vaincre, c’est sa maîtrise technique, et surtout sa doctrine d’emploi []. La défaite du haut commandement français est avant tout une défaite intellectuelle, et la victoire allemande est une victoire de l’intelligence stratégique et tactique, d’organisation, de prévision et d’imagination38.

La vérité officielle instituée par Vichy, qui consistait à nier la responsabilité de la hiérarchie militaire dans la défaite et à accuser l’« esprit de jouissance » du monde politique et de la société civile, est transgressée. Le mot est lâché : « défaite intellectuelle », perçue déjà par Marc Bloch avec beaucoup d’intuition dans L’Étrange défaite. La discussion s’ouvre39. Quelques mois plus tard, dans la même revue, le colonel Lesquen prend le contre-pied du colonel Rogé en faisant l’apologie de la « doctrine d’emploi » du haut commandement qui avait, selon lui, des idées généralement saines40. Cet officier reconnaît cependant que l’armée de l’Air porte sa lourde responsabilité « dans la carence du matériel volant, dans le manque de rendements des parcs, des entrepôts et des écoles, dans le désordre de ses services ». Ainsi, la controverse historiographique s’élargit et s’enrichit41.

Le général d’Astier de La Vigerie, tout en faisant un plaidoyer pour l’armée de l’Air, s’ingénie à montrer en 1952, dans « Le ciel n’était pas vide », l’incompétence et l’imprévoyance du haut commandement terrestre et en particulier du général Gamelin, qui déclare en 1938 : « Qu’à cela ne tienne, nous ferons la guerre sans aviation » et qui interrompt en 1939 une conférence du général Crochu, professeur de tactique aérienne au Centre des hautes études militaires, en soulignant : « Il n’y a pas de bataille aérienne, il n’y a qu’une bataille terrestre42. » Une brèche s’ouvre dans la mythologie vichyste de l’aviation, qui reste cependant diffuse dans une bonne partie de l’opinion publique43. C’est le colonel Goutard qui, semble-t-il, est le premier à élaborer une synthèse globale de toutes les causes immédiates et lointaines du revers de l’armée de l’Air sur la Meuse et pendant la bataille de France. On pourrait même presque dire qu’il a trouvé les raisons essentielles et définitives de la défaite aérienne de 1940, et que sa perception des événements, qui date de 1956, n’est pas du tout démodée et demeure tout-à-fait valable aujourd’hui44.

La thèse officielle de Vichy, qui s’ingénie à prouver que le Front populaire n’a en aucune manière amélioré la capacité productive de l’industrie aéronautique et même l’a aggravée en nationalisant les entreprises des avionneurs en juin 1936, a perdu sa crédibilité dès la fin des années 1940, lorsqu’en 1949, deux ingénieurs de l’Air, Joseph Roos – dans un article sur « L’effort de l’industrie aéronautique française de 1938 à 1940 » – et Roland Maurice de Lorris – dans un article sur « La politique économique et industrielle du ministère de l’Air » – ont mis en évidence que les résultats de la production aéronautique se sont nettement améliorés à partir de 1939-1940 après une modernisation des infrastructures industrielles amorcées par le Front populaire45. Leurs études sont restées ignorées du grand public. Depuis, l’article de Jean Truelle paru en 1969 dans la Revue historique de la Seconde Guerre mondiale, la thèse d’Emmanuel Chadeau, et une étude de Robert Franck dans la revue mensuelle L’Histoire de juillet-août 1985 intitulée « Le Front populaire a-t-il perdu la guerre ? », ont attesté la véracité de l’amorce du redressement de l’industrie aéronautique à partir de 193646. À la lumière des contributions de ces historiens chevronnés, la nationalisation de l’industrie aéronautique, en apportant de l’argent frais dont les avionneurs avaient absolument besoin pour rénover leurs outillages et leurs infrastructures, a été beaucoup plus un stimulant qu’un frein ; d’autre part, les grèves et l’agitation ouvrière de 1936 n’ont eu que des effets secondaires et négligeables. En mars 1940, le rythme de production aéronautique en France a dépassé celui de l’Allemagne et de l’Angleterre. Le réarmement aérien, s’il n’a pas été satisfaisant au démarrage en raison des archaïsmes de l’industrie aéronautique et de l’absence d’une véritable politique industrielle, s’est accéléré sous l’égide de Pierre Cot et de Guy La Chambre, qui ont investi des sommes substantielles pour rénover l’outil de production. L’effort financier consenti par l’État, à partir de 1936, mais surtout à partir de 1938, s’est révélé cependant trop tardif. Ce retard en amont s’est répercuté en aval, mais il faut noter qu’à la fin de la bataille de France, c’est-à-dire à l’armistice, l’armée de l’Air pouvait engager autant, voire plus d’avions que le 10 mai, ce qui paraît assez paradoxal. Cela signifie-t-il que tous les avions n’ont pas été livrés à temps sur le front, ou que l’état-major ne les a pas tous utilisés ? Depuis 1945, la controverse a porté essentiellement sur la fameuse infériorité numérique et qualitative47 de l’aviation française en 1940. En 1971, Pierre Cot, dans la revue Icare, tout en défendant le bilan de la politique aérienne du Front populaire, qui a été tant dénigrée dès sa mise en œuvre en 1936 et au procès de Riom, réfute ce qu’il appelle la « prétendue infériorité numérique et qualitative » de l’armée de l’Air en 1940 et accuse l’état-major de ne pas avoir bien employé tous les moyens qui étaient à sa disposition au moment décisif48. Qu’en est-il réellement ? Pierre Cot passe d’un mythe à un autre. Tous les historiens s’accordent pour dire que la Luftwaffe avait beaucoup plus d’avions, mais que l’infériorité numérique doit être cependant relativisée par d’autres facteurs.

Le débat a provoqué, dès le Procès de Riom et pendant toute l’après-guerre, une querelle de chiffres. Les estimations avancées par les uns et les autres ont souvent été discordantes en raison de la diversité des sources et du flou de la terminologie usitée par les spécialistes pour comptabiliser les avions. En 1975, Jacques Ogier et Patrice Buffotot sont les premiers à mettre en évidence le manque de précision et la complexité des vocables utilisés pour désigner les situations des appareils en voie de finition, de livraison ou de première mise en service. Voici un échantillon de mots qui n’ont pas contribué à clarifier la querelle des chiffes : « avions en usines », « avions en entrepôts », « avions bons de guerre », « avions en première ligne », « avions de deuxième ligne ou indisponibles », « avions modernes ou anciens49 ». La terminologie s’apparente à un enchevêtrement de notions assez confuses dans leur acception.

En fixant un glossaire de quelques mots-clefs clairement définis, ils réussissent à régler la controverse de façon quasi définitive en comparant sur les plans qualitatif et quantitatif l’aviation française et la Luftwaffe : à l’aide des archives du Grand quartier général aérien (GQGA), ils étudient de façon très rigoureuse les pertes en matériel de l’armée de l’Air en élaborant des séries statistiques et des graphiques. Ils parviennent à établir avec minutie un « instantané numérique » de l’armée de l’Air le 10 mai 1940 et à décrire l’évolution du nombre d’appareils dont elle dispose pendant la bataille de France. S’appuyant sur des concepts soigneusement formulés, les deux historiens du SHAA constatent pour le 10 mai que « le nombre d’appareils aux armées est de 2 176 pour la France et de 4 500 pour l’Allemagne, soit environ un contre deux » et que le nombre d’avions en première ligne disponibles est de 1 368 pour les Français contre 3 500 pour les Allemands, « soit une proportion de deux contre cinq » au combat50. Ils en déduisent que le taux d’indisponibilité des avions français sur le front est relativement élevé (33 %) par rapport à celui de la Luftwaffe qui n’est que de 22 %. Ils remarquent qu’en pleine débâcle, l’armée de l’Air se renforce, malgré les pertes de matériel substantielles sur le plan numérique, en particulier grâce aux performances accrues des avionneurs. Du 10 mai au 10 juin 1940, 1 024 appareils ont été livrés aux armées et pris en compte, mais parmi ceux-ci, seule une partie a été affectée aux unités ; l’autre, se composant d’appareils non terminés, aux entrepôts. Le 10 juin, le nombre d’appareils atteint le chiffre de 2 343 (au lieu de 2 176 le 10 mai). « Mais ce renforcement est factice puisqu’une partie de ces 2 343 appareils n’est pas terminée, ou est indispensable dans les unités », la situation ne pouvant se comprendre qu’avec des « appareils effectivement reçus par les unités51 ». Le « recomplètement » des unités s’est révélé nettement insuffisant : du 10 mai au 5 juin, 581 appareils seulement leur ont été fournis ; ainsi, chaque jour, sur 32 appareils livrés aux armées, 22 seulement parviennent aux unités, et 10 restent à l’entrepôt. À la veille de l’offensive allemande sur la Somme, c’est-à-dire au début juin, le taux d’indisponibilité pour les appareils dans les unités est très élevé, puisqu’il atteint 70 %52. En fait, l’armée de l’Air n’a pas été en mesure de remplacer les pertes qu’elle a subies pendant la bataille de France, non pas parce que les appareils modernes n’existaient pas, mais parce qu’ils n’étaient pas terminés : 30 % d’entre eux, livrés aux armées, étaient incomplets. De nombreux témoins rapportent que des centaines d’avions neufs sont restés inutilisés. L’industrie aéronautique n’a pas failli à sa tâche ; au contraire, elle a atteint une cadence de production très importante. Patrick Facon souligne qu’« aussi incroyable que cela puisse paraître, la production aéronautique a été si importante que l’armée de l’Air a dû prendre en compte des appareils non achevés, que les industriels ne pouvaient plus conserver, faute de place, dans leurs usines53 ».

3. 2. De l’inadéquation de l’organisation de l’armée de l’Air et de sa doctrine aux formes nouvelles de la guerre

C’est surtout dans l’organisation du commandement et de la doctrine d’emploi de l’armée de l’Air que l’historiographie actuelle trouve la cause majeure de la défaite aérienne française de 1940. La structure d’ensemble du haut commandement paraît aberrante, en ce sens qu’elle est morcelée en plusieurs cellules de décision relativement cloisonnées. Le chef d’état-major de la Défense nationale, le général Gamelin, a son PC au château de Vincennes ; à la Ferté-sous-Jouarre se trouve le Grand Quartier général. Mais le GQG est scindé en deux. Le général Gamelin, qui se veut grand stratège et coordinateur des forces des trois armées, supervise depuis Vincennes les opérations et délègue ses responsabilités au général Georges pour le commandement du front du Nord-Est qui s’installe à la Ferté pour constituer son état-major, tandis que la seconde partie du GQG, relevant du général Gamelin et dirigée par le général Doumenc, s’installe au château de Montry, à mi-chemin entre Vincennes et La Ferté. Les liaisons entre ces trois centres sont mal assurées ; pour communiquer, les chefs de l’état-major disposent uniquement du réseau téléphonique. L’organisation du commandement de l’armée de l’Air revêt également une extrême complexité. Le général Vuillemin, chef d’état-major de l’armée de l’Air, est installé à Meaux. Le commandement aérien se présente comme un véritable labyrinthe sur le front Nord-Est : il est divisé en zones d’opérations aériennes (du nord au nord-est)

adaptées aux groupes d’armées, et recevant les ordres du commandant du groupe, en même temps que ceux, parfois contradictoires, du commandant des forces aériennes de coopération (général Têtu), placé sous les ordres du général Georges. De plus, le commandant des forces aériennes réservées (général Vuillemin) avait des formations qui agissaient dans les ZOA, sans être sous les ordres du commandant de la zone. Les commandants des groupes de chasse à la disposition des armées étaient eux-mêmes tiraillés entre les commandants des forces aériennes de l’armée et du groupement de chasse, dont les prérogatives étaient moins définies, ce qui leur valait de recevoir des contre-ordres… ou pas d’ordres du tout54.

L’armée de l’Air, dont l’organisation était calquée sur celle de l’armée de Terre, qui avait su faire prévaloir sa primauté, dépendait en réalité d’une double hiérarchie : celle des aviateurs et celle des terrestres, dont les compétences s’imbriquaient, se chevauchaient de façon confuse, ce qui rendait la chaine de transmission des ordres incohérente55.

Du point de vue doctrinal, l’état-major était en retard d’une guerre, s’en tenait au schéma du front continu de la guerre de position du premier conflit mondial, et, dans cette perspective obsolète, reléguait l’aviation à un rôle secondaire, celui d’arme auxiliaire, d’œil de l’armée de Terre. C’est ce que le colonel Goutard appelle « le conservatisme de la victoire56 ». Le haut commandement n’a pas su renouveler, malgré le souffle nouveau apporté en France par la théorie de Giulio Douhet au début des années 1930, sa conception d’emploi de l’aviation, restée frileuse, basée sur la défensive et sur le concept d’« aviation de coopération ». Disposée dans un souci défensif sur toutes les zones du front, y compris dans les zones d’opérations Sud et Est par crainte d’une attaque italienne – à l’époque, une précaution logique compte-tenu de l’évaluation de la menace de la puissance aérienne italienne, qui était grandement surestimée, ou de la Luftwaffe par la Suisse – la chasse s’est retrouvée dans une situation d’extrême dispersion : écartelée entre ses missions de protection des unités de bombardement et d’observation et ses obligations d’assurer la couverture aérienne du territoire national, cette arme, en dépit de sa valeur opérationnelle et de sa puissance d’ensemble, n’a pu être employée à plein rendement et est demeurée inefficace. Il est à noter que les performances et l’armement de ses appareils avaient certaines limites. Priorité a été donnée à la chasse et à l’aviation de reconnaissance et d’observation, tant sur le plan numérique et que sur le plan qualitatif, alors que l’aviation de bombardement a été sacrifiée. En sous-estimant l’utilité du bombardement, on s’interdisait presque une double action : procéder à des expéditions lointaines de bombardement stratégique destinées à anéantir les ressources matérielles et morales de l’adversaire sur son territoire ; intervenir efficacement sur le champ de bataille terrestre au moyen d’une aviation d’assaut, susceptible d’arrêter et de détruire les unités ennemies tout en appuyant les unités blindées amies.

La vétusté des bombardiers a rendu dérisoires les opérations de nature stratégique entreprises par les Français, qui ont laissé ce genre de missions aux Britanniques ; la doctrine de bombardement du côté français n’envisageait que de façon exceptionnelle l’intervention des avions sur les premières lignes de l’ennemi. Contrairement aux Allemands, les Français n’ont pas cru bon de mettre en service des bombardiers en piqué. Pourtant, pendant l’année 1938, le général Vuillemin, invité par le général Milch, avait assisté à une étonnante démonstration de bombardement en piqué. En outre, un prototype similaire au Stuka, le Loire-Nieuport, a été mis au point en France en 1938 : une commande de 120 appareils a été passée (70 pour la Marine, 50 pour l’armée de l’Air), mais le haut commandement aérien a annulé sa commande « pour des raisons non tactiques mais techniques57 ». L’état-major aérien et son homologue terrestre ont négligé ce mode de combat, ils ont privilégié le vol rasant. Ils ont décidé en conséquence la constitution d’une brigade de Breguet 691, mais dès sa première mission effectuée le 12 mai au-dessus de la Belgique, elle s’est montrée fort vulnérable face aux armes de petit calibre de la Flak. Aussi, lorsque la vague déferlante des Panzers franchit les Ardennes le 13 mai, appuyée par les Stukas qui ont préparé le terrain, c’est une grande surprise tactique et technique pour le haut commandement qui n’a songé à l’art de la manœuvre, à la guerre de mouvement que dans le cadre de la projection de forces françaises en Belgique.

La Luftwaffe adopte une organisation et des principes d’action qui se situent aux antipodes de la stratégie d’ensemble des Français. Au lieu de la dispersion des structures de commandement et des unités, elle a opté pour la concentration : tous les moyens du front Ouest sont rassemblés dans deux flottes aériennes « agissant dans la zone d’un groupe d’armées (A et B), mais sans être sous les ordres du commandement de groupe, et sans se laisser écarteler dans les mains pour répondre à tous les besoins de l’armée de Terre58 ». La réserve générale se trouve dans les mains du haut commandement qui peut la faire intervenir pour assommer l’ennemi à un moment précis et à un point strictement défini. Sur le plan opérationnel, elle s’est assignée comme objectif tactique la rapidité, l’action offensive en masse d’après le principe du Schwerpunkt, que le maréchal allemand Kesselring traduit en ces termes : « La condition de la victoire résidait dans la concentration des forces de l’aviation avec un seul objectif59 ».

La défaite aérienne française de 1940, même si l’on doit admettre qu’elle a été déterminée en partie par les insuffisances de la politique de réarmement d’avant-guerre et les défectuosités numériques et qualitatives de l’aviation française en 1940, s’apparente bien à un échec doctrinal, à une défaite intellectuelle du haut commandement français, comme l’a souligné avec une perspicacité prémonitoire le médiéviste Marc Bloch dans L’Étrange Défaite. Cette thèse apparaît comme une conclusion solide et définitive de l’historiographie contemporaine : aussi bien le colonel Goutard en 1956 qu’actuellement les historiens sont unanimes pour constater la médiocrité des chefs militaires en 1940 figés dans leur représentation désuète de la guerre. D’autres lacunes attestent le retard intellectuel de l’état-major français : la précarité de la logistique au fur et à mesure de l’avancée des troupes allemandes et de la perte de nombreux terrains d’aviation, le manque cruel d’effectifs dans le personnel navigant et non navigant, les déficiences du système de transmission qui, relié au réseau PTT (notamment dans le Nord-Est), retardaient la communication des ordres et des renseignements.

L’historiographie contemporaine, bénéficiant du recul du temps, a rétabli une certaine « objectivité » sur le rôle de l’aviation pendant le choc des Ardennes et la bataille de France en montrant que tout ne doit pas lui être imputé dans la faillite militaire de 1940, et certains généraux de l’armée de Terre (Huntziger, Georges, Corap), qui se sont empressés d’accuser l’aviation, ont beaucoup de choses à se reprocher. Le général Gamelin, qui minimisait, avec nombre de ses collègues, le rôle de l’aviation, porte une lourde responsabilité : il s’est contenté de « superviser » de loin la bataille, de déléguer ses responsabilités au général Georges, et n’a pris conscience de la gravité de la situation que fort tardivement. Le paradoxe veut aussi que le « lobby terrestre » ait appelé à la rescousse l’armée de l’Air pour arrêter les unités blindées adverses, une armée dont il sous-estimait l’importance et dont il fait immédiatement le procès à Riom, alors qu’elle s’était efforcée de remplir ses missions. L’état-major de l’armée de l’Air n’a pas non plus été irréprochable : malgré les leçons de la guerre d’Espagne et celles de la Pologne, où les Allemands ont déployé toute leur tactique, le général Vuillemin et son entourage se sont désintéressés du bombardement en piqué, de l’utilisation combinée des chars et des avions, et ont accepté d’autre part de subordonner l’arme aérienne à l’armée de Terre, se condamnant ainsi à disperser et à morceler les moyens aériens à sa disposition, à ne pas intervenir en masse à l’instar de la Luftwaffe, et à admettre l’existence d’une double hiérarchie complexe et inefficace par le chevauchement des compétences. Les querelles corporatistes interarmées, surtout sensibles entre les aviateurs et le ministère de la Guerre depuis la naissance de l’armée de l’Air (en 1933), n’ont guère favorisé le réarmement aérien de la France et ont contribué à semer un certain flou et dysfonctionnement dans les différents échelons de commandement.

3. 3. Du problème de la continuité décisionnelle de la classe politique française dans les années 1930

Constater le retard de l’état-major dans le domaine de la pensée stratégique et tactique en 1940 ne doit pas cependant disculper de toute responsabilité une partie de la classe politique du moment. Il convenait de montrer, comme l’a fait à juste titre l’historiographie, que le Front populaire a été choisi comme bouc émissaire par Vichy pour expliquer la défaite et que le redémarrage du réarmement aérien de la France s’est esquissé sous l’impulsion de Pierre Cot qui a nationalisé les industries aéronautiques et leur a permis, avec son successeur Guy La Chambre, de se moderniser. Toutefois, le pacifisme et l’optimisme d’un Marcel Déat (ministre de l’Air au début de l’année 1936), ou d’un Pierre Cot (ministre de l’Air en 1933, puis ministre de l’Air du Front populaire en 1936-1937) déclarant que l’aviation française est la meilleure du monde, contribuent à désorienter, voire à désinformer l’opinion publique française sur la force réelle de son aviation ; la passivité d’un Joseph Paul-Boncour en 1933, lorsqu’il s’agit d’inaugurer une coopération franco-soviétique ; la prudence excessive d’un Albert Sarraut lors de la remilitarisation de la Rhénanie au début de l’année 1936, ou d’un Léon Blum au début de la guerre d’Espagne ; l’irrésolution d’un Édouard Daladier, affaiblissent la position internationale de la France et ne permettent pas à l’armée de l’Air d’être utilisée au moment opportun et de la mettre au service d’une politique étrangère dynamique. L’inertie des décideurs politiques est accentuée par l’extrême complexité du mécanisme du pouvoir décisionnel : le comportement des décideurs politiques résulte d’une interaction avec la hiérarchie militaire qui les informe sur le potentiel opérationnel national et sur celui de l’adversaire. De plus, un obstacle majeur se dresse en matière de « diplomatie aérienne » : la collaboration France/URSS tant souhaitée par Pierre Cot, dès 1933 et en 1936, est rendue impossible, non seulement par l’hostilité du haut commandement français, mais aussi par le fait que les Soviétiques ne veulent pas d’une vraie coopération militaire, ils cherchent surtout à se procurer un savoir-faire technologique, comme l’attestent les travaux de l’historien David Burigana. Par ailleurs, le rigorisme financier de certains ministres des Finances empêche le décollage immédiat du réarmement aérien de la France. Les responsabilités sont, en fait, très diffuses, d’autant plus diffuses que le pouvoir décisionnel se dilue dans d’innombrables organismes, et c’est en fait l’ensemble des décideurs qui est en cause dans le désastre de la campagne de mai-juin 1940. Cependant, s’il est vrai que l’armée de l’Air a perdu la bataille du matériel en 1940, la défaite aérienne française s’apparente avant tout à une défaite intellectuelle : l’état-major, figé dans son conservatisme, a subi une véritable défaite tactique et stratégique qui a abouti concrètement à un véritable désastre militaire sur le terrain. L’interconnexion en matière d’informations militaires, tactiques et stratégiques, entre le pouvoir politique et le haut commandement, a dysfonctionné.

Conclusion

L’aviation est le révélateur parfait, depuis les chaines de production des avions jusqu’à leur utilisation au combat, des dysfonctionnements d’une société française en déclin, où l’indécision et l’instabilité du personnel politique et militaire se conjuguent avec l’inefficacité et l’absence d’innovation, rendant impossible la réalisation d’une politique aéronautique ferme et constante au cours des années 1930. L’historiographie française s’est aguerrie dans sa perception du rôle de l’aviation en 194060, mais les mythes ont la vie dure. Les historiographies anglo-saxonne et allemande61 sont venues compléter et corroborer ses conclusions désormais nuancées. Une confrontation avec les études des historiens étrangers lui permet et lui permettra sans nul doute d’affiner ses analyses sans pour autant procéder à des révisions déchirantes. Elle a atteint le stade de la maturité et doit s’insérer, à partir des enseignements tirés de la bataille aérienne de 1940, dans le champ d’investigation historique et géostratégique plus large de la guerre globale.

Notes

1 Franck Robert, « Où sont passés nos chars et nos avions ? », L’Histoire, n° 129, janvier 1990, pp. 52-62. Retour au texte

2 Vivier Thierry, « L’armée de l’Air et le problème du réarmement aérien au procès de Riom », Revue Historique des Armées, n° 2, 1990, pp. 92-102. Retour au texte

3 Béteille Pierre, Le procès de Riom, Paris, éditions Plon, 1973, p. 91 sq et Service historique de l’armée de l’Air (SHAA), 3D 491. Retour au texte

4 Service historique de la Défense, Vincennes (SHD) Air (AI), 3D 491, dépositions des généraux Blanchard, Réquin, Héring… Retour au texte

5 SHD AI 3D 491 et 3D 493. Retour au texte

6 SHD AI 3D 491-493. Retour au texte

7 Ibid. Retour au texte

8 Facon Patrick, « Chasseurs et bombardiers dans la bataille », Historia, n° 5, mai-juin 1990, pp. 34-35 ; Franck Robert, op. cit., pp. 52-53. Retour au texte

9 Voir Jalbert Jean, Les Erreurs fatales du ministère de l’Air, Paris, 1941 ; Maroselli André, Le Sabotage de notre aviation, Paris, 1941 ; Ingrand Louis, Les Malfaiteurs publics, Lyon, La nouvelle édition, 1943. Retour au texte

10 Cot Pierre, Le Procès de la République, Paris, éditions de la Maison française, 1944, 2 tomes. Voir Garraud Philippe, « La construction des données chiffrées à la construction d’un mythe. L’armée de l’Air invaincue », Histoire et mesure, éditions EHESS, XXV-2, 2010-Varia, pp. 3-23. Retour au texte

11 Serre Charles, Les Événements survenus en France de 1933 à 1945, Paris, Albin Michel, 1949, 10 tomes. Retour au texte

12 Général d’Astier de La Vigerie, François, Le Ciel n’était pas vide, Paris, Julliard, 1952. Retour au texte

13 Serre Charles, Les Événements survenus en France de 1933 à 1945, Paris, PUF, 1949, 2 volumes. Retour au texte

14 Hébrard Général, Vingt-cinq années d’aviation militaire (1920-1945), Paris, Albin Michel, 1946, Paris, 2 volumes. Retour au texte

15 Lieutenant-colonel Rogé, « Les aviations allemande, française, anglaise du 10 mai 1940 au 25 juin 1940 », RDN, p. 162-176 ; Colonel Lesquen, « L’action des forces aériennes dans la campagne de France (mai-juin 1940) », RDN, janvier 1953, pp. 74-84 ; Lieutenant-Colonel Le Goaster, « L’action des forces aériennes dans la campagne de France (mai-juin 1940) », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, juin 1953, pp. 135-149 ; Général Ely Paul, « La leçon qu’il faut tirer des opérations de 1940 », RDN, décembre 1953, pp. 563-582. Retour au texte

16 Bauer Eddy, « Opinions sur la bataille aérienne de mai-juin 1940 », Forces Aériennes Françaises, octobre 1956, n° 119, pp. 695-706. Retour au texte

17 Colonel Goutard, 1940 : la guerre des occasions perdues, Hachette, Paris, 1956. Retour au texte

18 Truelle Jean, « La production aéronautique militaire française jusqu’en juin 1940 », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, janvier 1969, pp. 75-110 ; Friedenson P. et Lecuir J., « L’organisation de la coopération aérienne franco-britannique (1935-mai 1940) », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, n° 73, janvier 1969, pp. 49-74. Retour au texte

19 Exemples d’études entreprises par le SHAA : Buffotot Patrice et général Christienne Charles, « L’aéronautique militaire de la France entre 1919 et 1939 », Revue historique des Armées, 1977, n° 2, pp. 9-40 ; Buffotot Patrice, « La doctrine aérienne du haut commandement français pendant l’entre-deux-guerres », Revue Internationale d’Histoire militaire, 1983, n° 55, pp. 169-184 ; Facon Patrick, « Aux origines du réarmement aérien français : Le Plan I, 1934-1937 », Aviation Magazine International, 1er février 1979, n° 747, pp. 66-91 ; 15 février 1979, n° 748, pp. 66-71. Retour au texte

20 Buffotot P., Ogier J., « L’armée de l’Air dans la campagne de France (10 mai-25 juin 1940) : essai de bilan numérique d’une bataille aérienne », Revue historique des armées, n° 3, 1975, p. 88-117. Retour au texte

21 Chadeau Emmanuel, État, entreprise et développement économique ; l’industrie aéronautique en France, 1900-1940, thèse. Puis Chadeau Emmanuel, L’Industrie aéronautique en France, 1900-1950. De Blériot à Dassault, Paris, Fayard, 1987, 555 p. Voir aussi Franck Robert, Le Prix du réarmement français (1935-1939), Paris, Publications de la Sorbonne, 1982. Retour au texte

22 Général Christienne Charles, Général Lissarague, Facon Patrick, Hodeir Marcelin, Histoire de l’aviation militaire, Paris, éditions Charles Lavauzelle, 1980. Retour au texte

23 Voir de Laubier Philippe, « Le bombardement français sur la Meuse : le 14 mai 1940 », Revue historique des Armées, n° 3, 1985, pp. 102-112 ; Général Robineau Lucien, « La conduite de la bataille aérienne contre l’Allemagne de septembre 1989 à juin 1940 », Revue historique des Armées, n° 3, 1989, pp. 102-112. Retour au texte

24 Voir Duroselle Jean-Baptiste, L’Abîme, Paris, Imprimerie nationale, 1979 et La Décadence, Paris, Imprimerie nationale, 1982 ; Doise Jean et Vaïsse Maurice, Diplomatie et outil militaire, Paris, Imprimerie nationale, 1987 ; Mysyrowicz Ladilas, Autopsie d’une défaite. Origines de l’effondrement militaire français, éditions de l’Âge de l’Homme, 1973 ; Paillat Claude, Dossiers de la France contemporaine, Tome 3 et 4, Paris, 1980-1981 ; Rocolle Pierre, La Guerre de 1940, Tome I : Les illusions (novembre 1938-mai 1940) ; Tome 2 : La défaite (10 mi- 25 juin 1940), Paris, Armand Colin, 1990 ; Masson Philippe, Une guerre totale (1939-1945) : stratégies, moyens, controverses, Paris, Tallandier, 1990 ; Carlier Claude, « Les causes de la défaite aérienne de 1940 », dans L’Europe en guerre (septembre 1939-juin 1940), Paris, Historiens et Géographes, 1990, p. 141-152 ; Crémieux-Brilhac Jean-Louis, Les Français de l’An 40, Paris, Gallimard, 1990, 2 tomes. Voir notamment Corvisier André, Pédroncini Guy, Histoire militaire de la France, de 1871 à 1940, tome 3, Paris PUF, 1988. Retour au texte

25 Voir les numéros des années 1970-1972 de la revue Icare consacrés à la bataille de France. On y trouve de nombreux témoignages. Retour au texte

26 Casamayor (Jean Fuster), Désobéissance, Paris, éditions du Seuil, 1969 ; Gisclon Jean, Ils ouvraient le bal, Paris, éditions France-Empire, 1965 ; Gisclon Jean, Des Avions et des hommes, Paris, France-Empire, 1972. Retour au texte

27 Voir les mémoires d’hommes politiques tels que Paul Reynaud, celles du général Gamelin ainsi que les ouvrages de Pierre Cot, ancien ministre de l’Air du Front populaire : Cot Pierre, L’armée de l’Air (1936-1937), Paris, Berger-Levraut, 1939. Cot Pierre, Le Procès de la République, New-York, éditions de la Maison française, 1944. Retour au texte

28 Franck Robert, « Est-ce que le Front populaire a perdu la guerre ? », L’Événement du Jeudi, n° 247, 2 juillet-2 août 1989, pp. 52-54. Retour au texte

29 Vivier Thierry, La Politique aéronautique militaire de la France, janvier 1933-septembre 1939, Thèse de l’Université de Paris I, deux tomes, 1994. Retour au texte

30 Vivier Thierry, « La bataille aérienne de 1940, une approche historiographique », colloque international, L’année 1940 en Europe, Caen, 29-30 novembre 1990, CRHQ-Université de Caen, Mémorial de Caen, 1990, pp. 37-56 ; « Le rôle de l’armée de l’Air, 50 ans d’historiographie française », Colloque, Ardennes 1940, Sedan, les Vieilles Forges, Arpège, mai 1990, Paris, Henri Veyrier, 1991, pp. 115-148. Voir aussi Garraud Philippe, « La construction des données chiffrées à la construction d’un mythe. L’armée de l’Air invaincue », Histoire et mesure, éditions EHESS, XXV-2, 2010-Varia, p. 3-23 ; Facon Patrick, Batailles dans le ciel de France, mai-juin 1940, éditions Pascal Galodé, 2010. Retour au texte

31 d’Abzac-Épezy Claude, L’Armée de l’Air de Vichy, 1940-1944, Université Paris-I Sorbonne, novembre 1996, multigraphié. Retour au texte

32 Passages de la thèse de Claude d’Abzac-Épezy explicités par Patrick Facon (directeur de la cellule recherche du SHAA des années 1970 au début des années 2000) dans son livre L’Armée de l’Air dans tourmente. La bataille de France 1939-1940, Paris, Economica, 2005, 2e réimpression, p. 260. Retour au texte

33 Ibid. Retour au texte

34 Garraud Philippe, « L’action de l’armée de l’Air en 1939-1940 : facteurs structurels et conjoncturels d’une défaite », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2001/2-3, n° 202-203, pp. 7-31. Ehrengardt Christian-Jacques, La guerre aérienne, 1939-1945, Paris, Tallandier, 1996. Facon Patrick, L’armée de l’Air dans tourmente, op. cit. Retour au texte

35 Ibid. Retour au texte

36 Facon Patrick, L’Armée de l’Air, op. cit., p. 263. Retour au texte

37 Duroselle Jean-Baptiste, La Décadence (1932-1939), Paris, Imprimerie Nationale, 1979, pp. 22-23 et 242-243. Retour au texte

38 Lieutenant-colonel Rogé cité par : Cot Pierre, « En 40, où étaient nos avions ? La préparation, la doctrine, l’emploi de l’armée de l’Air avant et pendant la bataille de France », Icare, n° 57, Printemps 1971, p. 38. Lieutenant-colonel Rogé, « Les aviations allemande, française, anglaise du 10 mai 1940 au 21 juin 1940 », Revue de la Défense Nationale, 1946, p. 162-176. Retour au texte

39 Sur « l’esprit de jouissance » et « l’esprit de sacrifice », cf. De La Gorce P.-M., La République et son armée, Paris, Fayard, 1969 et Michel Henri, Le Procès de Riom, Paris, Albin Michel, 1979. Retour au texte

40 Colonel de Lesquen, « L’armée de l’Air en 1940 », Revue de la Défense Nationale, janvier 1953, p. 74-84. Retour au texte

41 Idem. Retour au texte

42 Général D’Astier de La Vigerie, op. cit. Retour au texte

43 Idem. Retour au texte

44 Colonel Goutard, op. cit. Retour au texte

45 Cot Pierre, op. cit. Retour au texte

46 Franck Robert, « Le Front populaire a-t-il perdu la guerre ? », L’Histoire, juillet-août 1983, pp. 58-66. Retour au texte

47 À propos de la controverse entre historiens français sur l’infériorité numérique et qualitative de l’aviation française en 1940 : Shirer W. L., La Chute de la Troisième République, Paris, Stock, 1970, pp. 640-645 ; Buffotot Patrice et Ogier Jacques, op. cit. ; Franck Robert, « Où sont passés nos chars et nos avions ? », L’Histoire, n° 129, janvier 1990, pp. 52-62. Retour au texte

48 Cot Pierre, « En 40, où étaient nos avions ? La préparation, la doctrine, l’emploi de l’armée de l’Air avant et pendant la bataille de France », Icare, n° 57, printemps 1971, p. 38 sq. Retour au texte

49 Buffotot Patrice et Ogier Jacques, « L’armée de l’Air pendant la bataille de France du 10 mai 1940 à l’armistice. Essai de bilan numérique d’une bataille aérienne », Revue historique des Armées, n° 3, 1976, p. 88-117. Retour au texte

50 Idem. Retour au texte

51 Idem. Retour au texte

52 Buffotot Patrice et Ogier Jacques, op. cit., pp. 88-117. Retour au texte

53 Facon Patrick, « Aux origines du réarmement aérien français : le Plan I, 1934-1937 », Aviation magazine, 1er février 1979, n° 747, pp. 66-92 et 15 février1979, n° 748, pp. 66-71. Voir aussi Garraud Philippe, « L’action de l’armée de l’Air en 1939-1940 : facteurs structurels et conjoncturels d’une défaite », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2001/2-3, n° 202-203, pp. 7-31. Retour au texte

54 Buffotot Patrice, « La doctrine aérienne du haut commandement français pendant l’entre-deux-guerres », Revue internationale d’histoire militaire, 1983, n° 55, pp. 169-184. Retour au texte

55 Sur les problèmes de doctrine et d’organisation de l’armée de l’Air, sur l’inadéquation de ses structures et des principes d’action aux réalités de la guerre, voir les contributions suivantes : Buffotot Patrice, op. cit. ; Colonel Le Goyet Pierre, « Évolution de la doctrine d’emploi de l’aviation française entre 1919 et 1939 », Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, n° 79, janvier 1969, pp. 3-42 ; Colonel Goutard A., op. cit. ; Teyssier Arnaud, « L’armée de l’Air et l’aviation d’assaut (1935-1939) : histoire d’un malentendu », Revue historique des Armées, 1989, n° 1, pp. 98-109. Retour au texte

56 Colonel Goutard A., 1940 : la guerre des occasions perdues, Paris, Hachette, 1958. Retour au texte

57 Ibid. Retour au texte

58 Ibid. Retour au texte

59 Ibid. Retour au texte

60 Sur les travaux de Burigana David, voir notamment l’article suivant : « L’Unione sovietica e la tecnologia militare occidentale negli anni Trenta », in Guderzo M. (dir.), Le materie prime come problema internazionale : un approccio storico. Atti del convegno di Urbino, 11-12 dicembre 2002, Firenze, Polistampa, 2003, pp. 39-60. Sur les déficiences et les points forts de l’armée de l’Air au combat : Colonel Goutard, op. cit. ; Général Christienne Charles, Général Lissarague Pierre, Facon Patrick, Histoire de l’aviation militaire, op. cit. ; Michel Henri, La Défaite de la France (septembre 1939-juin 1940), Paris, PUF, pp. 49-51 et pp.  5-126 ; Michel Henri, La Seconde Guerre mondiale, Paris, PUF, 1968, Tome I, pp. 89-143. Pour une vue rapide sur l’historiographie relative à l’aviation militaire française pendant la Seconde Guerre mondiale, se reporter à : Astorkia M., « Les sources de l’histoire de l’armée de l’Air pendant la Seconde Guerre mondiale au Service historique de l’armée de l’Air », Revue d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, n° 110, avril 1978, pp. 115-130 ; Astorkia M., Facon Patrick, de Ruffray Françoise, Inventaire sommaire des archives du secrétariat à l’aviation et du secrétariat général à la défense aérienne (1940-1944), SHAA, Vincennes, 1980 ; Christienne Charles, Facon Patrick, Buffotot Patrice, Kennet Lee, A French Military aviation, a bibliographical guide, New-York and London, 1989, pp. 60-78 et pp. 195-216. Retour au texte

61 Jackson Julian, The Politics of Depresion in France 1932-1936, 2002; The Fall Of France ; The Nazi Invasion of 1940, 2003; La France sous l’Occupation, 2019. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Thierry Vivier, « La bataille aérienne de 1940 : Conjurer la défaite. Temporalités et dynamismes d’une historiographie française », Nacelles [En ligne], 10 | 2021, mis en ligne le 10 mai 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/1285

Auteur

Thierry Vivier

Docteur en histoire de l’aéronautique/HDR, auteur de plus d’une centaine d’articles et de cinq ouvrages historiques.
thierry-vivier@orange.fr