Dans un article publié dans la revue Ningen to kyōiku 人間と教育 (L’Homme et l’éducation), j’écrivais que si notre « autodiscipline » (jishuku 自粛)2 nous avait certes poussés à nous confiner, notre esprit demeurait, lui, ouvert sur le monde. Après un an et demi de confinement, toutefois, force est de constater que notre esprit a lui aussi été profondément affecté. Notre perception du temps et de l’espace s’est troublée. Quand on vit dans une résidence pour personnes âgées où l’autodiscipline est d’autant plus stricte, la dépression est inévitable. Le besoin de contact physique reste, pour les personnes âgées également, une nécessité fondamentale. Il est certain que notre rapport au temps et à l’espace – à l’instant présent, à l’avenir, au proche et au lointain – est profondément altéré par l’expérience physique du confinement et par l’interdiction des contacts. Ce phénomène se mêle à des réflexions existentielles sur le temps, l’espace, et sur la conscience, devenue plus aiguë avec l’âge, de la vie et de la mort.
Heureusement – ou malheureusement ? Non, heureusement –, j’ai encore la possibilité de sortir chaque jour pour me promener sur les chemins isolés de mon quartier ou en forêt, d’apercevoir des fleurs sauvages, de fredonner des chansons françaises et de ressentir le passage des saisons. Par ailleurs, je consacre mon temps à la rédaction d’un ouvrage citoyen portant sur la Convention relative aux droits de l’enfant3, ainsi qu’à l’élaboration d’un livret intitulé Charte pour la paix sur la planète – une proposition de la part du Japon4, en collaboration avec plusieurs ONG. Mon quotidien est rythmé par des engagements bénévoles, entre travail sur ordinateur, correspondance électronique et réunions via Zoom. Pourtant, malgré cette activité, ma perception du temps et de l’espace a profondément changé. Le présent demeure lié au passé, mais l’avenir n’est qu’une obscurité diffuse, d’où n’émerge plus qu’une très incertaine lueur d’espoir. C’est ainsi que je ressens le « maintenant ». Le désir de vivre est intimement lié à l’espérance. Quel espoir peut-on encore concevoir dans l’après-COVID ? Reprenons ici ce que j’écrivais alors.
L’amour de soi et des autres
Dans le flot ininterrompu des informations relatives à la pandémie de COVID-19 en provenance du monde entier, je vis, en tant que personne âgée et diabétique, confiné par autodiscipline. Mon esprit, néanmoins, demeure ouvert sur le monde. L’autodiscipline ne saurait conduire à un repli sur soi, pas plus que la distanciation sociale ne devrait se muer en isolement. Se protéger soi-même, c’est également protéger les autres ; l’amour de soi et l’amour d’autrui ne sont pas opposés, mais indissociables. Nombreux sont sans doute celles et ceux qui ont saisi cette vérité non par les discours, mais à travers leur propre expérience corporelle. Cependant, lorsque des dirigeants qui affirmaient la nécessité d’organiser coûte que coûte les Jeux olympiques en viennent à prôner et à imposer par la force une « autodiscipline sans tests de dépistage ni soutiens financiers », peut-on encore parler d’autodiscipline ? La peur engendre des comportements de surveillance mutuelle. Une autodiscipline placée sous contrôle externe devient une forme de contrainte ; son intériorisation modifie le regard porté sur autrui, nourrissant hostilité et discrimination. L’apparition de « policiers de l’autodiscipline » (jishuku keisatsu 自粛警察)5 en est l’une des manifestations les plus symptomatiques. L’attitude d’exclusion envers les professionnels de santé constitue, à cet égard, un exemple particulièrement révélateur de ce dévoiement6.
La peur de contracter le virus, celle de le transmettre, l’incertitude quant à la durée de la crise, à la possibilité de poursuivre une activité professionnelle, voire de simplement survivre : nos angoisses sont multiples. Ce dont nous avons besoin, ce sont d’enquêtes épidémiologiques rigoureuses et de tests appropriés ; notre autodiscipline doit être soutenue par des mesures d’accompagnement adéquates, ainsi que par des mises en quarantaine des patients conçues non comme des actes d’exclusion, mais comme des mesures de protection. Ce qu’exige la situation, c’est une analyse scientifique sincère et une explication rigoureuse des zones d’incertitude. Or, entendre des responsables politiques incompétents se contenter d’exiger l’autodiscipline individuelle sans mesures concrètes est épuisant et ne fait qu’accroître notre anxiété et notre frustration.
Face à la pandémie de COVID-19, tous les êtres humains sont égaux. Cela est indéniable. Toutefois, selon les pays, les régions et les tranches d’âge, l’ampleur des dommages, la vitesse de propagation du virus et les mesures mises en œuvre varient considérablement. Les disparités entre les systèmes de santé et de protection sociale apparaissent désormais au grand jour. Dans les pays qui, au nom de la compétition et de la recherche du profit, ont cédé aux logiques néolibérales en sacrifiant les soins de santé et le bien-être social, l’effondrement des infrastructures médicales s’est accéléré, révélant un taux d’infection et de mortalité particulièrement élevé parmi les populations vulnérables, étroitement corrélé aux niveaux de pauvreté. Ces inégalités se manifestent également dans l’organisation de funérailles dépourvues de toute dignité humaine.
La pandémie de COVID-19 met en lumière, à l’échelle mondiale, les structures discriminatoires liées à la pauvreté et aux inégalités. Enjoindre les populations à se laver les mains alors qu’elles n’ont pas même accès à l’eau relève de l’absurde, et l’explosion des contaminations dans de telles conditions est inévitable. Ignorer la situation particulière des femmes et des enfants, maintenir les dépenses militaires et poursuivre la recherche du profit en appliquant la stratégie du choc témoignent d’une profonde incohérence, qui n’en demeure pas moins l’une des réalités saillantes de la société contemporaine à l’ère de la COVID-19.
L’industrie des technologies de l’information (IT) est en plein essor, et la numérisation accélère la marchandisation de l’enseignement, menaçant de démanteler l’éducation publique. Moins qu’en raison du contrôle autoritaire [de l’État, comme c’était le cas jusqu’ici], les écoles sont aujourd’hui en danger de se dissoudre sous l’effet de leur « informatisation ».
D’un autre côté, toutefois, une solidarité internationale s’est développée, fondée sur la conviction que science et médecine ne connaissent pas de frontières. Les consciences ont évolué : l’expression de gratitude envers les soignants et le personnel médical s’est finalement généralisée, et l’idée que supporter des restrictions pour soi-même revient à protéger les autres et à lutter contre une pandémie mondiale a ravivé un sentiment de solidarité humaine. Cette évolution s’accompagne d’une prise de conscience de la nécessité d’un gouvernement fondé sur la participation et la confiance des citoyens, et de politiques reposant sur l’expertise scientifique et la transparence, prenant en compte les générations futures.
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé à plusieurs reprises, depuis mars 2020, à un cessez-le-feu mondial et à une coopération avec l’OMS pour fournir un soutien international aux populations pauvres et aux réfugiés. Il a plaidé pour une solidarité humaine dans cette époque planétaire.
Le président Trump a critiqué l’OMS pour sa proximité avec la Chine et ses erreurs initiales dans la gestion de la pandémie, annonçant le retrait de la contribution financière des États-Unis. Il a également renforcé ses accusations contre la Chine, affirmant que le virus provenait du laboratoire de recherche épidémiologique de Wuhan. Pourtant, Trump a lui-même sous-estimé le virus, affirmant que les États-Unis comptaient peu de cas et qu’il serait possible, grâce au Premier ministre Abe Shinzō 安倍晋三, d’organiser les Jeux olympiques. Depuis mars, cependant, la situation s’est aggravée : le virus s’est propagé en Amérique, frappant notamment New York, et les États-Unis sont devenus le pays comptant le plus grand nombre d’infections et de décès. L’absence de couverture médicale et le grand nombre de victimes parmi les populations pauvres et les immigrés hispaniques, exclus de l’accès aux soins, révèlent la réalité d’un « pays riche » dominé par les principes du néolibéralisme, marqué par les inégalités sociales et les discriminations. Les citoyens américains éclairés peuvent sans doute faire la distinction entre les efforts du gouverneur de New York, Cuomo, et l’attitude de Trump, davantage préoccupé par les élections que par la gestion de la crise. Des remarques ironiques circulent sur la politique « America First », au regard des ravages causés par la COVID. Mais Trump, lui, se contente d’en rejeter la responsabilité sur la Chine et l’OMS.
Dans ce contexte, les prises de position de Bernie Sanders, qui défend le principe d’un socialisme démocratique, apparaissent comme une source d’espoir. L’assassinat de George Floyd par les forces de police a mis en lumière certains des aspects les plus sombres de la société américaine, tandis que le mouvement de protestation non violent contre le racisme s’est progressivement élargi pour devenir un mouvement de solidarité internationale contestant l’impérialisme et les héritages de la domination coloniale. La défaite de Donald Trump et l’élection de Joe Biden témoignent de la résilience des institutions démocratiques américaines, mais un doute subsiste quant à savoir jusqu’à quel point le nouveau président saura entendre et intégrer les aspirations exprimées par les citoyens.
Des différences dans la manière de faire face
La manière dont les populations réagissent face à la pandémie de COVID-19 varie selon les pays. En Europe, l’Allemagne, et en Asie, Taïwan et la Corée du Sud, sont souvent cités comme exemples de réussite. Ces pays partagent plusieurs caractéristiques : la rapidité des décisions gouvernementales fondées sur des connaissances scientifiques, la transparence des autorités, ainsi que le recours aux tests de dépistage, à l’auto-confinement et à des mesures de compensation financière. Bien que moins médiatisée, la réponse du Costa Rica, qui a renoncé à une armée au profit d’investissements dans l’éducation et la santé, mérite également d’être soulignée. Les efforts de la Suède, du Vietnam et de la Nouvelle-Zélande, ainsi que la situation en Chine et à Taïwan, justifieraient également une attention approfondie. Les différences dans la gestion de la crise soulèvent des interrogations sur la démocratie et sur les modalités de son exercice. Elles mettent également en lumière d’importantes disparités régionales, et la question se pose notamment de savoir pourquoi l’Asie est moins touchée.
Dans un contexte d’effondrement des systèmes de santé, devoir choisir – trier – entre des vies humaines devient inévitable. Médecins, familles et individus se trouvent ainsi confrontés à une souffrance d’une intensité extrême. La relation entre l’homme et la nature ainsi que notre manière d’aborder la vie et la mort s’en trouvent remises en question.
Les résultats d’une enquête menée par l’équipe du professeur Miura Ayako 三浦綾子 de l’université d’Ōsaka, posant la question « Pensez-vous que l’infection par la COVID relève de l’auto-administration ? [i.e. est imputable à l’individu infecté] » dans plusieurs pays, se révèlent particulièrement éclairants. Aux États-Unis, seulement 1 % des personnes interrogées ont répondu par l’affirmative, contre 2,5 % en Italie, 4,8 % en Chine, et surtout 11,4 % au Japon (Yomiuri shinbun 読売新聞 du 29 juin 2020)7. « C’est de ta faute », « c’est de ma faute ». De telles attitudes expliquent en partie pourquoi il existe tant de pression sociale au Japon en faveur du respect des mesures de confinement et pourquoi les « policiers de l’autodiscipline » y sont si nombreux.
Le retard du Japon dans la mise en place des tests PCR, le refus d’entreprendre les actions nécessaires, ainsi que la pression exercée au travers de la seule responsabilité individuelle, contrastent avec l’empressement du gouvernement à promouvoir, malgré les catastrophes naturelles et la crainte liée à la COVID-19, la campagne « Go To Travel »8. On peut surtout y voir le signe patent de l’échec des politiques publiques. Les voix des citoyens dénonçant une catastrophe d’origine humaine résonnent, en réalité, comme la voix du Ciel. La crise d’effondrement du système de santé se manifeste à travers les cris de détresse fondés émanant du terrain. Le nombre limité d’articles scientifiques et épidémiologiques concernant la COVID-19 publiés au Japon s’explique par l’insuffisance des tests réalisés, le manque de données fondamentales et l’absence de fiabilité des informations, autant de facteurs qui entravent considérablement le travail des chercheurs. Où est donc passée l’avance scientifique du Japon ?
Les citoyens ont respecté les mesures de confinement et ont fait preuve de patience. Le gouvernement, en revanche, s’est obstiné à maintenir l’organisation des Jeux olympiques, se limitant à prôner la retenue sans prendre de mesures concrètes. L’émergence d’une quatrième vague de contaminations était dès lors inévitable. Les Jeux olympiques de la « reconstruction après la catastrophe [de Fukushima] » se sont transformés en une lutte (sans victoire) contre le coronavirus. Le relais de la flamme olympique et la campagne de vaccination ne sont toutefois que des opérations de façade. La tenue des Jeux risque d’accélérer l’effondrement du système de santé et de favoriser une propagation accrue de la pandémie. Le temps de la propagande fondée sur l’apparence est révolu. Tout cela doit cesser.
La découverte de la « société »
L’état d’urgence et le confinement prolongé remettent en question la manière dont l’existence humaine et la vie quotidienne se déploient, ainsi que le sens de la coexistence entre les individus. Le Premier ministre britannique Boris Johnson, lui-même atteint par la maladie, a reconnu ce qu’il avait, à la suite de l’ancienne Première ministre Margaret Thatcher, partisane comme lui du néolibéralisme, jusque-là nié : l’existence de la société9. Il a admis qu’entre l’État et l’individu existe également une dimension collective, celle de la société. Ainsi, les principes du néolibéralisme et de la responsabilité individuelle se trouvent remis en cause. Derrière le phénomène du mondialisme émerge progressivement, au travers des expériences individuelles et collectives, une conscience accrue de notre appartenance à une ère planétaire, fondée sur la solidarité humaine et la cohabitation avec la Terre. Cette planète n’appartient pas uniquement à la génération présente : elle porte aussi le poids du passé et appartient surtout aux générations futures.
Je songe à l’explorateur océanographique Jacques-Yves Cousteau, qui a alerté sur la pollution des océans, dénoncé les essais nucléaires français et plaidé devant l’ONU en faveur des « droits des générations futures ». Je pense également à Greta Thunberg, cette jeune Suédoise qui, jugeant qu’il n’y avait « rien de pire que des adultes qui se contentent de faire semblant de débattre », a choisi de passer à l’action.
Au cœur des liens qui unissent les individus se trouvent les enfants et les jeunes. De même que les personnes âgées et les personnes handicapées. Et il y a également tous ceux qui font fonctionner la société, mais que l’on ne voit pas ou que l’on ne veut pas voir. Si le confinement et la distanciation sociale permettent de protéger des vies, il faut également reconnaître qu’ils entraînent la perte de certaines existences et que d’autres individus en viennent, eux, à perdre le sens de leur propre vie. Tout le monde n’a pas la possibilité de travailler en ligne et de nombreuses personnes se retrouvent privées de leur quotidien et exposées à des risques vitaux. La prise de conscience de l’importance des travailleurs essentiels, ainsi que la gratitude à leur égard, sont devenues une dimension centrale de la redéfinition de nos priorités.
L’expansion mondiale de la pandémie de COVID-19 met en lumière l’aggravation de la pauvreté et des inégalités engendrées par la mondialisation économique, ainsi que les dérives de la politique internationale à l’origine des conflits régionaux et des flux migratoires. Amazon, l’une des entreprises multinationales ayant tiré le plus grand profit de la pandémie, a été confrontée à des mouvements de grève dans plusieurs pays, ainsi qu’à une augmentation du nombre de ses syndiqués. Et il est inévitable que de tels mouvements pour des conditions de travail plus humaines se développent partout.
L’école et la vie des enfants remises en question
Pour les enfants en particulier, dont le développement est encore en devenir, le « présent » est intimement lié à l’avenir et à l’espoir que représente la société. Leur retirer leur espace de jeu, fermer leur lieu d’apprentissage engendrent une double peine : une souffrance de l’instant et une angoisse pour l’avenir. Les mesures de confinement qui imposent l’isolement les privent de leur « société ». Dans le même temps, la pandémie a mis en évidence que les classes surchargées de plus de quarante élèves constituaient des communautés surpeuplées, et que des classes de vingt élèves étaient beaucoup plus propices pour créer un environnement d’apprentissage sain. Les écoles doivent changer.
Ni les enseignants, ni les parents, ni les comités d’éducation locaux ne devront oublier que la décision unilatérale du Premier ministre Abe de fermer les écoles a été prise le 27 février 2020 sans aucun fondement juridique et sans considération pour les droits des enfants, que les comités d’éducation ont été privés de leur responsabilité de prendre des décisions indépendantes, que les établissements scolaires ont été plongés dans le chaos et que les écoles sont devenues des bâtiments vides, sans enfants. Ces derniers n’oublieront pas non plus l’absence de cérémonies de remise des diplômes, de rentrée scolaire, de festivals culturels et de fêtes du sport. Une fois les écoles réouvertes, les adultes se sont uniquement inquiétés du retard scolaire. Les nouveaux élèves qui sont entrés en 1re année de l’école élémentaire durant la quatrième vague se retrouvent entourés d’enseignants et de camarades tous masqués et prennent conscience qu’ils portent eux-mêmes un masque. Comment se faire des amis dans ces conditions ?
Les conséquences subies par les enfants sont les mêmes partout sur la planète. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a publié une déclaration appelant les pays à prendre en compte l’importance du respect des droits de l’enfant. Cette déclaration inclut également une mise en garde contre une numérisation et une distanciation excessives de l’éducation.
Les enfants du monde
Abordons à présent la situation des enfants dans le monde, ainsi que la déclaration du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.
Bien que de nombreux États affirment la nécessité de concilier impératifs économiques et préservation de la vie, les politiques mises en œuvre prennent encore rarement en compte le point de vue des enfants. Même lorsque la sauvegarde des vies est affichée comme priorité, les enfants – perçus comme moins vulnérables au COVID-19 – sont fréquemment relégués au second plan. De plus, les mesures de confinement ont presque systématiquement entraîné la fermeture des établissements scolaires. Au Japon, cette décision avait même été anticipée par une fermeture soudaine des écoles ordonnée par le Premier ministre le 27 février 2020. Selon une enquête de l’UNESCO, à la date du 29 avril 202010, les fermetures d’écoles concernaient cent quatre-vingt six pays et territoires, affectant plus de 1,2 milliard d’enfants contraints de se confiner. L’UNICEF a également exprimé très vite son inquiétude face aux difficultés croissantes pour assurer les mesures habituelles de protection de la santé des enfants (déclaration du 9 septembre)11.
Auparavant, le 8 avril 2020, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies avait publié une déclaration alertant sur les « graves conséquences physiques, émotionnelles et psychologiques de la pandémie de COVID-19 sur les enfants, appelant les gouvernements à garantir la protection de leurs droits fondamentaux. »12 Ce document, au titre particulièrement long, formule en détail onze recommandations. Il souligne en premier lieu que « de nombreux enfants sont gravement affectés dans leurs santé physique, émotionnelle et psychologique, notamment dans les pays qui ont déclaré l’état d’urgence sanitaire et/ou le confinement obligatoire ». Il reconnaît ensuite que « le droit international des droits de l’homme autorise exceptionnellement des mesures susceptibles de restreindre la jouissance de certains droits de l’homme afin de protéger la santé publique ». Toutefois, il insiste sur le fait que « ces restrictions doivent être imposées uniquement en cas de nécessité, être proportionnées et limitées au minimum absolu » et toujours envisagées en tenant compte du « principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Le Comité appelle ainsi les États à mettre en place des alternatives créatives permettant de garantir aux enfants leurs droits au repos, aux loisirs, aux activités récréatives, ainsi qu’à l’accès à la culture et aux arts. Il insiste également sur l’importance d’autoriser, sous la supervision d’adultes, au moins une sortie quotidienne à l’extérieur – l’ensemble de ces dimensions pouvant être regroupées sous le concept fondamental du jeu.
La question de l’apprentissage en ligne fait l’objet d’une section spécifique, dans laquelle il est clairement stipulé que son développement ne doit pas accentuer les inégalités déjà existantes, et qu’il ne saurait se substituer à la relation directe et interactive entre les élèves et les enseignants. Le Comité souligne en outre la nécessité de proposer des alternatives pédagogiques accompagnées d’un soutien individualisé, en particulier pour les enfants disposant d’un accès limité aux outils numériques.
Le document souligne également la nécessité de garantir le respect du droit des enfants à ne pas subir de discrimination, en particulier pour ceux issus de milieux défavorisés, en situation de handicap, migrants, réfugiés, appartenant à des minorités, ou encore pour les enfants placés en détention ou vivant dans des camps. Il insiste sur l’importance de mettre en œuvre des mesures spécifiques destinées à protéger les enfants les plus vulnérables, dont les droits sont particulièrement exposés à des violations.
Enfin, la déclaration conclut en réaffirmant le droit fondamental des enfants à participer aux décisions qui les concernent : « Les enfants doivent comprendre ce qui se passe et avoir le sentiment de participer aux décisions prises en réponse à la pandémie. »
Dans le prolongement de cette déclaration, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a également reçu, le 15 juin 2020, un rapport présenté par le Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation, intitulé Effets de la pandémie de maladie à coronavirus sur le droit à l’éducation − préoccupations, enjeux et perspectives13. Ce rapport met en garde contre les risques associés à une numérisation excessive et à une privatisation croissante de l’éducation, favorisées par la crise sanitaire (voir l’article de Yotoriyama Yōsuke 世取山洋介 dans le bulletin no 20 du Bulletin de l’Association des citoyens et des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant14).
Au Japon, dans la continuité des gouvernements Abe, le numérique a été promu comme un moyen de lutte contre la COVID-19, et la création d’une Agence du numérique ou Agence IT (Dejitaruchō デジタル庁, ITchō IT庁) est prévue pour septembre 202115. Après la mise en place de cours en ligne dans un contexte marqué par de fortes inégalités d’accès au numérique, et en prenant acte de l’inéluctabilité de l’introduction de l’informatique dans l’éducation, notamment à travers le projet GIGA School16, il apparaît indispensable de porter une attention rigoureuse aux modalités de cette transformation. Face à une réforme éducative conduite par le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, ainsi que par la future Agence du numérique, et face à la privatisation croissante de l’éducation par l’industrie de l’information et de la communication, un certain nombre de questions fondamentales doivent être soulevées. Qu’est-ce que l’éducation ? Qu’est-ce qu’une école ? Que signifie l’éducation publique ? Qui détermine les contenus éducatifs ? En quoi consiste l’expertise d’un enseignant ? Il est essentiel de reconsidérer l’ensemble de ces questions, en mettant l’accent sur le droit de chaque enfant à se développer et à grandir, et en visant à construire des écoles fondées sur l’étude, l’apprentissage mutuel et la participation active des élèves. La « théorie du droit à l’éducation et du droit au développement et à l’apprentissage des citoyens » (kokumin no kyōikuken to hattatsu-gakushūken ron 国民の教育権と発達・学習権論) pourrait servir de base à cette réflexion17
Par ailleurs, la réforme éducative visant à « former des ressources humaines pour une Société 5.0 » tire parti de la crise de la COVID-19 pour accélérer son déploiement. À cet égard, les analyses de Kodama Yōsuke 児玉洋介18, ainsi que la conférence de Komikawa Kōichirō 児美川幸一郎19, offrent des éclairages particulièrement précieux.
Plus récemment, il convient de souligner que le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies (CRC) a, dans son Observation générale no 25 publiée le 2 mars 2021, appelé à porter une attention particulière à la réduction des inégalités d’accès aux environnements numériques, afin de garantir des conditions de développement équitables pour tous les enfants20.
Au Japon, l’Association des citoyens et des ONG pour la Convention relative aux droits de l’enfant a publié en 2020 un ouvrage intitulé La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et l’enfance au Japon21 qui présente les observations et recommandations finales du Comité des droits de l’enfant de l’ONU à l’égard du gouvernement japonais (valant quatrième et cinquième rapports périodiques22). De plus, l’Association pour l’article 31 de la Convention relative aux droits de l’enfant (Kodomo no kenri jōyaku sanjūichi no kai 子どもの権利条約31条の会)23 continue d’informer sur la réalité de la vie des enfants en période de pandémie et sur l’importance du jeu dans leur développement.
Dans le même temps, la métropole de Tōkyō a adopté à l’unanimité une « Ordonnance fondamentale relative aux enfants » (Kodomo kihon jōrei こども基本条例) fondée sur « l’esprit de la Convention relative aux droits de l’enfant »24. Ce texte reconnaît explicitement « le droit des enfants à vivre, à se développer, à être protégés et à participer », tout en garantissant leur « droit à l’éducation » et en prévoyant également qu’ils « seront consultés lors des révisions de l’ordonnance ». C’est là une avancée majeure qui doit être signalée.
La découverte d’une nouvelle façon d’apprendre
La pandémie a eu des répercussions particulièrement lourdes sur les enfants. Les nouveaux-nés ont souvent été séparés de leur mère, tandis que les plus âgés ont grandi dans un environnement peu propice aux échanges, entourés d’adultes masqués, dont la parole s’est faite rare. Comment ces enfants ont-ils vécu cette situation inédite ? Certains pères ont mis à profit cette période pour renforcer leur présence auprès de leurs enfants, alors que d’autres ont exprimé leur frustration, parfois de manière délétère. La privation des interactions avec leurs camarades de jeu a également laissé chez de nombreux enfants un vide relationnel profond.
Toutefois, cette période a également constitué pour les enfants une opportunité d’apprentissage à travers les expériences vécues. Nombre d’entre eux ont pu redécouvrir un véritable « sens du merveilleux » (sense of wonder), que ce soit en prenant plaisir à jardiner avec un proche disponible, ou en observant les fleurs sauvages au cours de promenades. Retrouver leurs amis après une longue séparation a sans doute également été une source de joie intense.
Il s’agit là d’opportunités précieuses d’apprentissage global, fondées sur l’articulation entre jeu et découverte. Encore faut-il que les adultes en aient pleinement conscience, qu’ils soient eux-mêmes en mesure d’en tirer des enseignements, et que parents comme enseignants encouragent activement cette manière d’apprendre. La pandémie elle-même constitue une source d’apprentissage. La tenue d’un journal personnel sur la COVID-19, son partage et sa discussion en groupe peuvent en constituer un vecteur particulièrement pertinent.
En plaçant la pandémie au centre des apprentissages quotidiens, les enfants développeront une conscience accrue de la vie, de la santé et de leur propre corps ; la prise de conscience des relations entretenues avec leurs amis s’élargira progressivement à une compréhension plus large de la société dans son ensemble. L’histoire de la coexistence de l’humanité avec les grandes épidémies – peste, choléra, grippe espagnole, variole, lèpre, tuberculose, entre autres – favorisera en eux un sentiment de solidarité et d’empathie envers les peuples du monde. Ils pourront également nourrir un sentiment de gratitude à l’égard de grandes figures du passé, telles qu’[Edward] Jenner25 ou Ogata Kōan26.
L’histoire de la construction du Grand Bouddha de Nara, entreprise dans le contexte des épidémies de l’ère Tenpyō (729-749) – notamment celle de la variole, qui emporta près d’un tiers de la population –, témoigne de la quête de salut par la prière adressée au Bouddha. Sa connaissance permettra aux enfants d’enrichir leur compréhension du monde. Ils ne percevront plus les images contemporaines des hindous se baignant dans le Gange en Inde comme de simples scènes lointaines, mais les intégreront dans une réflexion plus profonde sur les relations entre religion et science.
En portant des masques et en se lavant les mains, les enfants prennent conscience que l’hygiène vise à « protéger la vie », et que protéger sa propre vie protège également celle des autres. L’idée selon laquelle l’amour de soi et l’amour d’autrui ne font qu’un devient ainsi une réalité tangible. C’est également pour eux l’occasion de comprendre que ces pratiques s’opposent radicalement aux comportements des « policiers de l’autodiscipline », aux pratiques d’exclusion et aux diverses formes de harcèlement.
Il apparaît également clairement que la pauvreté et les inégalités dans la société contemporaine sont interconnectées et se propagent à l’échelle mondiale, à l’instar du réchauffement climatique et de la pollution. En plaçant la dignité de chaque individu au cœur de leurs préoccupations, les enfants développeront un sens aigu de la souveraineté, un intérêt pour la politique et, en adoptant une perspective mondiale, commenceront à entrevoir l’espoir d’un avenir renouvelé.
Il est nécessaire, avec la collaboration et le soutien des parents, de mobiliser les compétences pratiques des enseignants, ainsi que leur capacité à faire émerger et relier les thématiques qui suscitent l’intérêt des élèves. Il convient également de rechercher de nouveaux types de « liens » éducatifs. Les enseignements tirés de catastrophes passées, telles que le Grand tremblement de terre de l’est du Japon [i.e. la triple catastrophe de Fukushima] ou d’autres désastres locaux, doivent être mis à profit. Prolonger les stratégies inventées pour surmonter les épreuves présentes constituera une ressource précieuse face aux défis futurs.
S’agissant de l’école, il ne sert à rien de mettre en œuvre des dispositifs pédagogiques reposant sur les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) dans des classes de quarante élèves, où ces outils ne feront que renforcer la compétition, accentuer la responsabilisation individuelle et aggraver les inégalités existantes. Il convient au contraire de privilégier des classes à effectifs réduits, où le numérique serait mobilisé comme un appui pédagogique, permettant aux enseignants de consacrer davantage de temps à leurs élèves et à ces derniers de coopérer et de construire collectivement leurs apprentissages. L’école et l’éducation ne doivent pas simplement retrouver leur forme antérieure : elles doivent se transformer. Nous avons aujourd’hui l’opportunité de le faire. De la même manière, la politique et la société ne doivent pas revenir en arrière, elles doivent elles aussi s’engager résolument à changer.
Les longues années de mobilisation des acteurs de terrain en faveur de la réduction des effectifs par classe ont finalement conduit à une réponse favorable de la part de la Société des sciences de l’éducation (Kyōiku gakkai 教育学会) et, après quarante années d’attente, le gouvernement et le ministère de l’Éducation ont fini par modifier la loi et à abaisser la taille des classes de quarante à trente-cinq élèves. Malgré cela, toutefois, il reste encore beaucoup à faire, à commencer par augmenter le nombre d’enseignants.
Conclusion – Pour une nouvelle conception de l’humanité et de la société, de la Terre et du monde à l’ère planétaire
L’année 1945 constitue un tournant historique, marquant le début de ce que l’on appelle communément l’époque contemporaine, mais que je considère, pour ma part, comme l’entrée dans « l’ère planétaire » (chikyū jidai 地球時代). Le terme « globalisation » est généralement employé pour la désigner, mais il ne me semble refléter qu’un des aspects de cette « ère planétaire ». En 1945, la Seconde Guerre mondiale – guerre totale – s’est achevée par l’utilisation de l’arme nucléaire, bouleversant de manière radicale la compréhension que l’humanité avait d’elle-même et de la Terre. J’ai toujours considéré cette année comme celle de la redécouverte simultanée de la Terre et de l’humanité. Dans le contexte de crise provoqué par la guerre et l’émergence de la menace nucléaire, la paix, les droits de l’homme, la libération et l’indépendance des pays colonisés, ainsi que la coexistence entre la nature et l’humanité, se sont imposés comme des défis majeurs.
Du fait que le monde réel était divisé en deux blocs dans le cadre de ce que l’on a appelé le système de la guerre froide, les conflits régionaux étaient incessants et les conditions d’une paix véritable demeuraient irréalisables. Toutefois, l’idéal de la nouvelle époque, symbolisée par l’année 1945, s’est cristallisé dans la Charte des Nations Unies et dans la Charte de l’UNESCO, tandis que la Constitution japonaise, adoptée dans le même esprit, est allée encore plus loin dans l’affirmation de ces principes. Tous ces textes peuvent être considérés comme marquant le commencement de l’« ère planétaire ».
Pour définir cette ère, je dirais qu’il s’agit d’une période caractérisée par le développement, à l’échelle planétaire, d’une conscience de la crise qui touche la Terre et le genre humain, dans laquelle tous les êtres humains, toutes les choses, la nature elle-même, ainsi que la relation entre l’homme et la nature, apparaissent liés par un destin commun. Il ne s’agit pas seulement d’une prise de conscience diffuse, mais d’une réflexion partagée à l’échelle mondiale. C’est en ce sens que la période contemporaine, ouverte après 1945, peut être perçue comme le début de cette ère planétaire.
Redécouvrir l’humanité et la Terre a consisté à comprendre que toutes deux étaient confrontées à des crises interdépendantes. La question qui se posait alors était de savoir comment relier les enjeux relatifs aux écosystèmes naturels à ceux des systèmes sociaux. S’agissant des écosystèmes, les activités humaines, en termes marxistes, relèvent précisément d’un métabolisme matériel ; elles soulèvent également des interrogations fondamentales sur la relation entre l’homme et la nature, ainsi que sur l’articulation entre écosystèmes naturels et systèmes sociaux. L’accumulation des richesses depuis la révolution industrielle ne peut plus être comprise sans prendre en compte non seulement l’exploitation du travail, mais également celle de la nature. Lorsque l’on affirme que les catastrophes naturelles contemporaines sont, en réalité, des catastrophes provoquées par l’homme, il s’agit d’une mise en lumière des tensions existant entre la dégradation des écosystèmes naturels et la nature de nos systèmes sociaux. L’état critique de l’environnement est le résultat direct de l’exploitation de la nature par l’homme, et cette réalité ne peut désormais plus être ignorée.
Par ailleurs, au-delà des risques de guerre atomique, les essais nucléaires, les centrales nucléaires et les accidents qu’elles ont provoqués constituent à eux seuls des manifestations emblématiques de la crise que traversent l’humanité et la planète. Il en va de même pour le changement climatique et le réchauffement global. L’on pourrait également considérer la pandémie de COVID-19 comme une autre expression de cette même crise globale.
Dans un contexte de catastrophes, que signifient réellement les notions de « reconstruction » (fukkō 復興) et de « rétablissement » (ou de « retour en arrière », kaifuku 回復) ? Que recouvre cette capacité à se « rétablir » et que faut-il rétablir, et comment ? Le rétablissement ne saurait se réduire à un simple retour à l’état antérieur. En sciences environnementales contemporaines, on utilise le terme de « résilience » (rijiriansu リジリアンス) pour exprimer cette idée. Dans le cas des accidents nucléaires, il ne peut être question d’un « retour à la normale ». De même, à propos de la pandémie de COVID-19, il est souvent question de l’importance d’instaurer un « nouveau mode de vie » ; mais en quoi celui-ci consiste-t-il réellement ? Par ailleurs, lorsqu’il est question à l’école de « rattraper le retard » accumulé par les enfants durant les mois de fermeture des écoles, peut-on véritablement considérer cela comme une forme adéquate de rétablissement ou de reconstruction ?
L’ensemble de ces phénomènes, y compris l’histoire des épidémies, peut également être analysé en lien avec les systèmes sociaux et les écosystèmes naturels. Toutefois, dans le contexte contemporain, la communication humaine – échanges et transmissions – est devenue globale : la COVID-19 s’est propagée dans le monde entier et, parallèlement, les informations la concernant sont partagées à l’échelle planétaire. Il est parfois avancé que la COVID-19 serait « égalitaire » en ce qu’elle affecterait l’ensemble des êtres humains. Mais cette affirmation est-elle réellement fondée ? La mondialisation de la pandémie a en effet surtout révélé de profondes inégalités, tant au niveau international que national. Dès lors, plutôt que de traiter certains individus comme des indésirables et de les exclure, il est nécessaire d’adopter une posture fondée sur la solidarité et la protection mutuelle.
Au Japon, où le conformisme social est fort, la logique d’exclusion tend à se manifester de manière particulièrement virulente. Il est dès lors nécessaire de s’interroger sur la relation entre les intérêts et les inconvénients personnels, la dignité des individus et l’intérêt commun (le common interest de la communauté). Cette problématique est également liée à la distinction entre le bien-être et la satisfaction personnels (well-being) et le bien-être social (welfare). Elle constitue l’un des aspects fondamentaux de l’articulation entre écosystème naturel et système social, et invite, en définitive, à une réflexion sur la structure même de la conscience humaine.
Durant cette période, face à la menace du coronavirus, ma conviction quant à l’importance d’adopter une perspective propre à l’« ère planétaire » s’est trouvée renforcée, en particulier en ce qui concerne la nécessité de la coexistence entre la nature et l’humanité. Cette perspective a également été affirmée collectivement dans la Charte pour la paix sur la planète – une proposition de la part du Japon, que nous avons publiée en 202127.
Le « droit de vivre en paix » a vu son sens renforcé par l’adoption et l’entrée en vigueur du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Notre défi actuel est du même niveau : il nous faut prendre en compte les crises liées au changement climatique et à la nouvelle pandémie de coronavirus pour établir un nouveau type de coopération et de solidarité humaines afin de résister à la mondialisation néolibérale génératrice d’inégalités économiques croissantes. Il ne s’agit pas de revenir au statu quo ante, mais de créer un nouveau quotidien fondé sur de nouvelles relations.
La réalité de la pandémie de COVID-19 nous contraint également à reconsidérer notre conception des droits de l’enfant, en particulier son droit à la croissance et au développement, son droit au jeu, ainsi que son droit à l’apprentissage. Ces droits doivent être enrichis en intégrant les dimensions du droit à la paix et du droit à l’environnement, afin d’approfondir la réflexion sur l’ensemble des droits humains. Pour ma part, j’ai ressenti avec une acuité renouvelée l’importance de s’épanouir dans l’instant présent.
J’ai également pris conscience que cet épanouissement ne pouvait pleinement se réaliser qu’à travers les liens tissés avec autrui et en étant porteur d’une espérance en l’avenir.
Allons-nous continuer à vivre dans une société fondée sur la « responsabilité individuelle » (jiko sekinin 自己責任), la « compétition » (kyōsō 競争) et l’« exclusion » (haijo 排除), une société qui divise les êtres humains ? Ou bien choisirons-nous de reconnaître que l’amour de soi et l’amour des autres ne font qu’un, et de construire une société fondée sur les liens, la solidarité et le partage ? Il ne s’agit plus simplement de ne nous intéresser qu’à nous-mêmes ou à notre seul pays : il s’agit désormais d’élargir notre regard à l’ensemble de l’humanité et à la planète, et de former des individus capables d’agir en solidarité. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’une nouvelle conception de l’être humain et du Monde.
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Cinq ans après
La pandémie de Covid-19 est aujourd’hui terminée, mais lourdes sont ses séquelles – y compris celles liées aux vaccins. Les liens sociaux (les relations humaines) qui ont été défaits ont laissé une empreinte profonde jusque dans les écoles, contribuant à l’augmentation des cas de refus scolaire et de harcèlement.
La pandémie a également aggravé les inégalités à l’échelle mondiale. Les guerres qui ont débuté pendant la crise du Covid sont toujours d’actualité : Russie-Ukraine, Israël-Palestine (Gaza), et aujourd’hui Inde-Pakistan... les conflits perdurent. L’expérience de la pandémie doit pourtant nous faire réfléchir au sens véritable du mot « paix » et nous pousser à faire un examen critique d’une globalisation qui ne fait qu’accroitre les injustices.
Toutes choses qui nous obligent à protéger toujours plus le caractère pacifique de la Constitution japonaise (Préambule et article 9) et à diffuser largement l’esprit de la Charte des Nations Unies, de la Convention relative aux droits de l’enfant et du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
