La période qui nous sépare du lancement du programme Phenix est de dix ans. Cette période, certainement très courte pour les historiens, correspond au temps de développement d’un avion et dépasse le temps de développement d’un satellite. Pour les éditeurs de plm, c’est très long ; deux ou trois versions ont été produites. Notre rythme de production industrielle et celui des fournisseurs de logiciels sont différents, ce qui oblige à de gros efforts d’alignement.
En 2007, lorsque Phenix est lancé, eads (European Aeronautic Defence and Space company) représente environ 50 % du marché. Si tout ce qui peut décoller du sol est dans notre business, le groupe est un assemblage d’organisations qui fonctionnent de façons autonomes avec des programmes utilisant leurs propres méthodes et outils. Une hiérarchie commune chapeaute l’ensemble des activités, mais celles-ci en réalité se connaissent peu. Elles s’exercent côte à côte. Au début des années 1980, une première consolidation de l’aéronautique européenne est initiée et réunit une constellation d’entreprises, dont certaines existent depuis cent ans ! Cette situation a des conséquences durables et laisse des traces jusqu’à nos jours, car les activités sont anciennes et éprouvées. Les compétences des sites Breguet, par exemple, même absorbés par Dassault, sont à l’œuvre en sous-traitance pour de grands groupes. À ces sociétés, on ne va apprendre comment faire des avions ! Les cultures industrielles sont très ancrées dans chacune des sociétés et même des sites. C’est cela qu’il faut unifier.
L’État est un puissant soutien à la synergie. La réduction des coûts, la visibilité au niveau mondial, l’intéressent au premier chef, car l’aérospatiale et la défense sont des industries de souveraineté nationale.
En 2000, eads réussit à regrouper quatre pays, ce qui n’a pas beaucoup d’équivalents dans le monde. Mais ce qui est incontestablement une réussite européenne s’accompagne sur le terrain de difficultés opérationnelles. Les sociétés sont des entités juridiques séparées. Il y a alors deux ceo, un français, Louis Gallois, et un allemand, Tom Enders, car l’effectif du groupe, qui compte environ 120 000 personnes (contre 140 à 150 000 aujourd’hui), comprend une majorité franco-allemande.
En 2007, le groupe très jeune est constitué de sociétés très anciennes. Louis Gallois assure seul sa direction. Celui-ci entreprend un travail de fond pour unifier des sociétés dont les fonctionnements diffèrent tant. Et c’est au niveau du groupe qu’il charge la direction technique, en la personne de Jean Botti, de lancer une initiative de poids. Ce seront les processus de conception qui seront visés. Cette volonté, chez Louis Gallois, avait un précédent : il avait été le P.-D.G. d’Aerospatiale de 1992 à 1996 et connaissait la culture de notre industrie. À cette époque déjà, il avait agi dans le sens d’une harmonisation, aidé en cela par sa capacité à rassurer les esprits tout en maintenant une certaine pression sur le management. Les facteurs extérieurs comme l’accident industriel de l’A380 ou la chute du prix de l’action ont été sans doute des éléments déclencheurs. Mais la volonté préexistait.
Sans anticiper sur les textes qui suivent, rappelons simplement que les outils du plm qui soutiennent les données techniques s’intègrent alors dans une informatique qui ne comprend ni big data, ni tablette, ni smartphone. Les pc sont le plus souvent fixes et les systèmes d’information fonctionnent en silos. Les éditeurs utilisent des produits qui évoluent sans cesse. Stabiliser les processus d’une part, et les outils d’autre part, ne sera pas chose aisée. La réussite n’en sera que plus méritoire.