Texte

Le numéro 2 de Nacelles met en pratique les ambitions des fondateurs de cette nouvelle revue. Il répond à la volonté de créer un lieu interdisciplinaire traitant de l’aéronautique et de l’espace dans leurs différentes dimensions aussi bien dans une perspective historique qu’avec le souci de présenter un état des lieux. Ainsi, ces articles ont été écrits à l’issue d’un colloque organisé par le laboratoire FRAMESPA en 2015, réunissant de jeunes chercheurs soucieux de décliner le thème de l’exploration spatiale.

Une interrogation traverse le présent numéro : celle du sens de l’exploration spatiale, indépendamment de ses réalisations. Une large part est faite à l’approche méthodologique et à la description des déterminants à l’origine de l’intérêt manifesté par le public, le chercheur en sciences humaines et sociales ainsi que les acteurs politiques. La notion d’exploration n’est donc pas traitée en tant que telle, mais plutôt comme un révélateur d’autres logiques à l’œuvre, analysées sous l’angle de l’histoire des sciences, celle des savoirs et de la science politique. On retrouve ici quelques-uns des grands axes actuels des recherches sur l’espace, auxquels il faut ajouter la sociologie, l’anthropologie, le droit et la géographie.

La profondeur historique des recherches sur l’espace commence à être désormais suffisante pour nourrir de nouveaux travaux : en octobre 2017, Spoutnik aura 60 ans tandis qu’en décembre 2018 seront célébrés les 50 ans du premier vol habité Apollo autour de la Lune. De son côté, l’Europe fêtera en 2019 les 30 ans du premier tir de la fusée Ariane. Si la NASA reste sans conteste l’acteur institutionnel ayant financé le plus grand nombre des travaux d’histoire (surtout américaine, mais pas seulement), l’Agence spatiale européenne a aussi à cœur d’assurer la préservation des sources écrites déposées à l’Institut européen de Florence, tout en conduisant un grand programme de sauvegarde des archives orales. Le premier projet historien conduit sous son égide, de 1990 à 2000, avait retracé au travers de 24 fascicules - connus sous l’appellation History Study Report - et d’un ouvrage en 2 tomes la construction de l’espace européen de ses débuts, en 1958, à 1987. Des ouvrages avaient ensuite complété cette vision globale par des études nationales parues de 2000 à nos jours.

Le nouveau « Projet histoire », que l’ESA lancera officiellement à Padoue en novembre 2017, acte la volonté de sensibiliser de nouveaux chercheurs aux problématiques spatiales. L’espace fait désormais partie de notre vie quotidienne, et bien des étudiants voient le début de l’ère spatiale, celui d’un âge héroïque, comme contemporain de la mémoire de leurs grands-parents, plus encore que de celle de leurs parents. Mais le changement de perspective ne touche pas que la perception de l’activité humaine dans l’espace. Bien entendu, la discipline historique a aussi évolué. Dès les années 1970, les historiens de la troisième génération des Annales avaient proposé de rompre avec une histoire totale à dominante économique et sociale, pour proposer de « Nouveaux objets, nouvelles approches, nouveaux problèmes ». Dans cette optique, un des concepts mis en lumière par Pierre Nora, l’événement1, se révèle être l’occasion de faire resurgir le passé dans le présent. Car l’espace n’échappe pas, dans sa dimension nationale, à la fameuse trilogie : mémoire-identité-patrimoine. On peut aussi enrichir la lecture des grandes dates de l’histoire de l’espace d’une réflexion inspirée des régimes d’historicité proposés par François Hartog. Le régime actuel serait le « présentisme », celui d’une valorisation du présent se déployant aussi bien en direction du futur que du passé2. Les publications sur le devenir de la conquête spatiale trouvent ici une résonnance qui mériterait d’être approfondie.

L’histoire d’aujourd’hui se veut globale, locale et interconnectée. Les recherches sont donc appelées à être encore plus interdisciplinaires et ouvertes à des objets divers, soucieuses de mettre en lumière les circulations entre communautés spatiales du monde entier, la coopération scientifique en étant un des vecteurs essentiels. La vision de l’histoire fragile, aléatoire et lacunaire qui prend forme grâce au récit de l’historien est tout à fait propice à de nouveaux travaux prêts à intégrer les apports des autres disciplines de sciences humaines et sociales. Les histoires du spatial doivent aussi s’enrichir de démarches pluridisciplinaires qui sont en elles-mêmes un défi. C’est cependant l’accumulation des angles de vue qui favorise la compréhension d'un domaine aussi divers que « l’espace ». Le second numéro de la revue Nacelles en laissant la parole à de jeunes chercheurs ouvre la voie. Espérons qu’il suscitera de nouvelles vocations pour l’exploration non plus de l’espace lui-même mais de ses histoires.

Notes

1 Nora Pierre, Les lieux de mémoire, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1984-1992. Retour au texte

2 Hartog François, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Le Seuil, 2003. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Isabelle Sourbès-Verger, « Éditorial », Nacelles [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 29 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/247

Auteur

Isabelle Sourbès-Verger

Directrice de recherche (Séminaire Histoire du Cosmos)

Centre Alexandre-Koyré UMR 8560

EHESS/CNRS/MNHN

isabelle.sourbes@cnrs.fr

Articles du même auteur