Entre religion, politique, et mémoire : (Saint) Alexandre Nevski en Bulgarie (1878-2024 ?)

Partant d’un fait divers – le refus par une commission d’experts européens d’accepter la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski de Sofia en tant qu’emblème de la Bulgarie dans le parc Mini-Europe de Bruxelles –, cet article interroge le sens et les représentations attachées à saint Alexandre Nevski, un saint russe, en Bulgarie moderne et contemporaine. Nous commençons par établir le contexte dans lequel ce saint apparaît dans ce pays balkanique, à savoir la guerre russo-turque de 1877-1878, à la suite de laquelle la Bulgarie s’émancipe de l’Empire ottoman. L’adoption du saint correspond clairement au lien symbolique qu’il a avec l’empereur Alexandre II, « Tsar Libérateur », pour le jeune État bulgare : en tant que son saint tutélaire, Alexandre Nevski est intégré à certaines formes de vie politique, d’apparat, et surtout à une politique mémorielle allant de pair avec la construction d’églises-mémoriaux. Dans une deuxième partie, on passe en revue les églises-mémoriaux et simples chapelles érigées en Bulgarie post-ottomane et placées sous la tutelle de saint Alexandre Nevski. En scrutant les cas sous l’angle des acteurs, on constate une pluralité de logiques qui sous-tendent l’apparition de ces églises, à la fois lieux de culte et lieux de mémoire. La troisième et dernière partie est consacrée à la cathédrale saint Aleksandăr-Nevski de Sofia, dont le processus de construction et d’intégration au cœur de l’espace public de la capitale reflète une multitude d’enjeux ainsi que les jeux politiques changeants sur un demi-siècle. On démontre comment, en parallèle de la fonction mémorielle de la cathédrale (liée à la Russie), elle devient le symbole d’une émancipation politique puis religieuse et comment elle se charge de valeur patrimoniale, tout en restant disponible pour de multiples affectations.