Récits LGBT, injustice épistémique et fictions de progrès

  • Narrativas LGBT, injusticia epistémica y fantasías de progreso

Plan

Texte

1. INTRODUCTION1

Il est difficile de parler de l’histoire et de la mémoire des mouvements lgbt en Amérique latine sans penser en termes de progrès. Si nous considérons la trajectoire qu’ont parcourue les collectifs lgbt dans notre région depuis le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, nous observons des possibles qui étaient impensables auparavant et qui ont lieu maintenant au grand jour, des formes de pathologisation et de contrôle répressif qui ont disparu de nos cadres juridiques, et une présence de sujets de genres ou de sexualités non normatives dans des représentations plus ou moins positives (bien que discutables) de la culture et de la politique. Dans le Cône Sud en particulier, l’épopée de la « conquête des droits », qui met en avant les changements obtenus dans la sphère législative, est en vigueur depuis au moins le retour des démocraties. Cette épopée légitime à la fois les gouvernements et les organisations civiles qui, en dialogue avec eux et souvent en leur sein même, ont obtenu des réformes juridiques identifiées comme bénéfiques pour les personnes lgbt.

"Mes recherches ont porté en grande partie sur les limites de ces récits, dans la ligne des critiques contemporaines de l’idée de progrès en général. Or, la critique ici proposée reconnaît l’importance du rôle des récits de progrès pour les groupes historiquement marginalisés (y compris ceux dont le genre et la sexualité ne sont pas normatifs) et les risques auxquels ces groupes sont confrontés face à un tournant à droite de la rhétorique publique. Je cherche à poser un regard critique, d’une part, sur le fondement empirique que ces représentations ont dans la vie réelle des personnes qu’elles sont supposées décrire et, d’autre part, sur le rôle qu’elles jouent dans la vie politique des sociétés qui les soutiennent (dans ce cas, à la fois les collectifs LGBT et les gouvernements perçus comme progressistes, les institutions de l’État qu’elles administrent et les personnes qui militent en leur faveur).

Dans cet article j’ai décidé de me concentrer sur les récits de progrès qui sont prédominants dans le champ de l’activisme lgbt, en particulier dans l’activisme hégémonique : les grandes organisations qui, dans chaque pays, définissent l'agenda des objectifs du mouvement et la manière de les atteindre, souvent en réponse aux tendances internationales. Je m’en tiendrai au cas argentin parce que c’est celui que je connais le mieux, mais avec l’objectif d’apporter de futurs outils d’analyse qui permettraient de réfléchir à la possible existence de tendances similaires dans d’autres pays de la région et à leurs conditions d’émergence, en prenant en compte les particularités de chacun d’entre eux. Mon intention est d’identifier certaines des limites de ces récits et de les lire en parallèle de leur utilité et du rôle qu’ils jouent dans le contexte politique. Il y a des raisons pour lesquelles ces récits de progrès ont prévalu, et ces raisons sont liées, selon moi, au rôle politique qu’ils ont joué, mais aussi à la manière dont l’histoire et la mémoire collective sont produites par rapport au passé et, enfin, à ce que l’on entend réellement, – bien que de manière implicite et quelque peu embarrassée – lorsque l’on parle de la « communauté » LGBT. Mon objectif n’est pas de remettre en cause les représentations du progrès au sein du mouvement, mais de fournir, à partir de la philosophie de l’histoire, un ensemble d'outils critiques qui nous permettront de les lire en tenant compte de leurs éventuels effets négatifs et de certains des mécanismes d’exclusion qui les sous-tendent. Avec ces outils, nous pouvons ainsi réévaluer ces représentations et leur donner la place et la dimension qu’elles méritent.

2. DES RÉCITS SEXO-DISSIDENTS COMME HISTOIRES DE PROGRÈS

Quels sont ces « récits de progrès » et comment fonctionnent-ils ? Lorsque nous examinons les histoires conçues et diffusées au sein du mouvement lgbt argentin, et surtout – mais pas seulement – au sein du mouvement hégémonique, nous constatons une trajectoire évidente de progrès depuis un passé lointain de répression et de souffrance jusqu’à une période récente de plein accès aux droits et à une vie digne. Pour donner un seul exemple, un Front qui rassemble diverses organisations lgbt en Argentine a affirmé en 2022 qu’après une histoire faite de violences, « aujourd'hui, nous célébrons une nouvelle époque avec l'expansion et la reconnaissance des droits » (Frente Orgullo y Lucha, 2022).

Dans ces histoires, les problèmes des personnes lgbt en raison de leur sexualité ou de leur genre se conjuguaient au passé, étaient loin derrière et permettaient ainsi à cette population de vivre leur vie pleinement et dans des conditions quasiment égales à celles de « n'importe quelle » personne cis-hétéro. Cela était évident dans les récits de l'État (par exemple, dans les débats sur les projets de loi, dans les discours présidentiels, dans les campagnes publicitaires) ; dans le déclin ou la quasi-extinction des stratégies de confrontation des organisations, qui se concentraient de plus en plus sur des micro-aspects des vies lgbt ; dans l'apparition des personnes lgbt dans les médias ou les publicités ; dans les discours des représentant·e·s de diverses institutions de l’État ou du troisième secteur dans les organisations internationales ; et bien d'autres choses encore. Dans le contexte politique actuel, avec la récente arrivée au pouvoir d’un gouvernement qui défend avec ferveur le rejet explicite de ce qu’il appelle la « justice sociale », la même tendance se fait visible dans les discours qui affirment que c'est maintenant que la menace arrive, la radicalité et la brutalité du changement, la mise en péril – toute récente – de l’État comme allié et de tout ce qu’il a pu nous apporter en tant que tel.

L’accent que je mets sur la sphère étatique n’est pas fortuit, puisque – comme nous le verrons – l’étatisme est un élément clé dans la construction de ces récits de progrès. Par exemple, un document de l’Instituto Nacional contra la Discriminación (INADI), une institution publique qui couvre tout le spectre des formes de diversité, affirme que :

Depuis cette année [2006] et jusqu’à aujourd'hui, le mouvement en faveur de la diversité sexuelle a gagné en visibilité et en reconnaissance de la part de la société et, surtout, de l'État, ce qui a donné lieu à des dialogues, des rencontres et des alliances visant à garantir le respect et l'exercice réel des droits humains dans l’égalité des conditions et des opportunités (INADI, n/d, p. 54, italiques de l’autrice).

Toutefois, ce n’est pas seulement le cas des organismes officiels. La plus grande organisation lgbt du pays, la Federación Argentina LGBT, affirmait déjà, dans un document de 2013 :

En d’autres termes, nous pouvons dire qu’en ce qui concerne la diversité sexuelle, nous sommes passés d’un État qui a d'abord nié la légitimité du collectif LGBT en termes de citoyenneté et qui a même persécuté et réprimé les expressions de la diversité, à un État qui, après avoir franchi une étape que l’on pourrait qualifier de « tolérance », a fait un pas vers le respect et l’inclusion du collectif LGBT. (FALGBT, 2013, p. 14).

Je reviendrai sur ce sujet peu après pour tester quelques hypothèses sur les raisons qui donnent lieu cette tendance en Argentine. Pour l’instant, j’aimerais d’abord mentionner un seul aspect qui peut servir de cadre à la fois pour ce point et pour les suivants : l’alliance entre les mouvements lgbt et les mouvements féministes en Argentine. Ces derniers ont actuellement, dans ce pays, une énorme importance historique et un grand poids politique, au point que certains considèrent que nous vivons une « quatrième vague » de féminisme dont le pouls est donné par les mouvements latino-américains et/ou du Sud global. Pour une sphère comparativement marginale comme celle des lgbt, s’aligner sur le féminisme a signifié, entre autres, se plier aux significations et aux agendas qui donnent le cap des féminismes, lesquels, dans leurs versions les plus répandues, sont loin de se concentrer sur les sujets lgbt. En d’autres termes, souvent, les significations qui circulent autour de la situation du type de femmes qui dirigent l’agenda du mouvement féministe (femmes cis, urbaines, hétérosexuelles, blanches, etc.) colorent également la façon dont nous percevons la situation des personnes lgbt. Cette corrélation est, bien sûr, loin d’être empiriquement étayée. Et en rapport avec l’objet de cet article, les imaginaires qui donnent du sens aux récits féministes sont aussi des imaginaires de progrès, d’émancipation, de révolution, de changement générationnel et de marche triomphale vers l’avant.

3. DU RÉCIT A LA RÉALITE QUOTIDIENNE DES PERSONNES LGBT

Au-delà des changements que j’ai mentionnés plus haut et qui sont évidents, si nous examinons de plus près les données existantes, nous constatons que ces récits de progrès ne s’appliquent dans les conditions de vie réelles des personnes LGBT prises dans leur ensemble. Je vais me concentrer sur certains aspects de cette contradiction et essayer de comprendre en parallèle comment cette rhétorique du progrès peut être générée et soutenue dans le cas spécifiquement argentin.

Il existe de nombreuses façons d’examiner la manière dont nos récits ont pris cette forme. Dans cet article je vais en souligner trois : les aspects politiques, les aspects historiographiques et les aspects liés à la participation épistémique.

a. Lecture politique

L’un des marqueurs de progrès souvent cités dans le cas argentin est l’inclusion des voix lgbt dans les institutions de l’État : certains membres de ce collectif ont fait partie de ministères, pouvaient être appelé·e·s en tant que conseiller·e·s (même si, il faut le préciser, généralement sans rémunération) dans le cadre de l’élaboration de politiques spécifiques à ce secteur et peuvent aussi être gay ou lesbienne et faire partie du pouvoir législatif. Mais l’entrée dans l’État ouvert par les régimes perçus comme progressistes n’a pu se faire, peut-être comme dans beaucoup d’autres endroits, qu’à un prix élevé : les aspects les plus radicaux de l’agenda devaient être laissés à la porte, et la loyauté se retrouvait partagée entre l’identité et la ligne du parti. Une grande partie de l’élan transformateur qui a secoué les mouvements dans le passé se perdait, et les revendications ont été réduites à celles de nature essentiellement formelle (comme le droit de se marier) ou à d’autres qui subissent de toute façon les mêmes coupes que le reste de la sphère publique2. Dans le document de présentation institutionnel de la Federación Argentina LGBT, par exemple, la reconstruction de la trajectoire de cette organisation indique qu’elle assume « de s’engager à travailler pour atteindre « les mêmes droits avec les mêmes noms » » et que « c’est pour cela qu’[elle] a impulsé de nombreuses lois qui font aujourd’hui de l’Argentine un pays plus juste et égalitaire, à l’avant-garde dans le monde en ce qui concerne la reconnaissance des droits des personnes LGBT et de leurs familles » (FALGBT, n/d, p. 2-3). Le reste du document consiste en une liste de treize lois ou normatives dont elle a accompagné la discussion et l’adoption et de six lois et normatives qu’elle a présentées.

Ce genre de récits et les stratégies qu’ils représentent, caractérisées par l'assimilation entre l’activisme et l’État, sont à mon sens un des obstacles principaux à une avancée vers des changements radicaux dans la sphère sociale. La lecture étatique et légaliste constitue, de plus, un élément clé du maintien des récits de progrès lgbt. Il existe des tendances politiques qui expliquent la primauté de ce point de vue dans le contexte local et, par conséquent, la viabilité des représentations de progrès qui en découlent. Comme je l’ai mentionné plus haut, en Argentine – suivant une tendance générale que l’on retrouve dans le monde « occidental » – une approche légaliste a pris de plus en plus d’importance. Cette approche lit, entre autres, la situation politique et sociale en termes d’existence ou d’absence de lois : s’il existe une loi qui traite d’une certaine question, cette question est traitée ; s’il n’y a pas de loi, nous devons l’obtenir, il s’agit d'un « compte à régler ». Et vice versa : s’il existe un problème social auquel nous voulons répondre, nous avons besoin d’une nouvelle loi pour le faire. Compte tenu de l’histoire de l’Argentine, l’appareil juridique lié au cadre des droits humains revêt une importance particulière. Les améliorations sociales se mesurent à l’aune de l’existence de lois, et en particulier de celles qui se réfèrent à ce qui, à un moment donné, est identifié comme « un droit humain ». En outre, l’horizon de ce qui est désirable, de ce qui est possible et de ce qui est exigible doit être conforme à ce qui est envisagé dans le cadre des droits humains (et du type de sujets qui méritent cette recherche) à un moment spécifique.

Bien que je mette l’accent sur la lecture politique des récits, celle-ci comporte également un élément historiographique qui est tout aussi important : affirmer que le progrès existe, c’est donner rétrospectivement un sens aux événements du passé, ainsi qu’à ceux du présent, et pour cela nous aurions besoin de preuves. Dans ce cas, l’existence formelle de lois semble être une preuve suffisante pour attribuer ces significations et réaffirmer l’idée d’une trajectoire linéaire et progressive du temps. En ce qui concerne la question qui nous amène ici, celle des mémoires et des représentations lgbt, le présent peut être vu sous un jour positif parce qu’il est évalué en termes de cadre juridique existant. Même l’activisme est mesuré à l'aune de sa relation avec les lois. Un autre fragment publié par l’INADI illustre ce point. Il y est indiqué qu'après le débat et l'adoption des lois sur le mariage égalitaire en 2010 et sur l'identité de genre en 2012 :

Le mouvement LGBTI de notre pays s’est imposé comme un acteur social et politique important et a démontré sa capacité à mettre les revendications du collectif à l’ordre du jour de l’État et de la société, ainsi qu’à participer activement et visiblement à la garantie de l’accès aux droits obtenus (INADI, n/d, p. 55).

Ici est mise en évidence la manière dont la maturité et la capacité politique du mouvement se mesure en fonction de sa pénétration dans l’État et en particulier de sa capacité à impulser la promulgation de lois. La langue du droit sert, une fois de plus, à se féliciter mais aussi à tracer implicitement les limites de ce qu’est le changement social (et un mouvement qui lutte en sa faveur). Si nous creusons davantage, les mêmes personnes qui font partie de ces mouvements et même certains documents officiels, comme ceux de l’INADI, reconnaîtront que les lois ne sont pas réglementées, qu’elles ne sont pas appliquées et qu’elles ne résolvent pas dans les faits les problèmes qui les ont engendrées. Mais, sans aller à l’encontre de cela, l’appel du présent est de « célébrer » et de maintenir ce que l’État a « fourni » au collectif. À titre d'exemple, nous pouvons revenir sur le communiqué que j’ai mentionné antérieurement, publié pour la marche des fiertés 2022 par le « Frente Orgullo y Lucha ». Le document reconstruit en quelques lignes une trajectoire de libération, en soulignant le rôle qu’a joué l’administration étatique, et entre dans le présent avec une invitation à célébrer :

Aujourd’hui, nous célébrons une nouvelle époque avec l’expansion et la reconnaissance des droits. Nous célébrons le fait qu’avec la lutte, l’unité et la volonté politique du gouvernement national, nous avons obtenu le Decreto presidencial et la Ley de Cupo e Inclusión Laboral Travesti Trans, la reconnaissance des identités non binaires sur la carte nationale d’identité, le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit et un ensemble de politiques publiques avec une perspective de genres et de l’éradication des violences fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, qui viennent s’ajouter aux lois sur le mariage pour toustes et sur l’identité de genre. (Frente Orgullo y Lucha, 2022 ; italiques de l’autrice)

Déjà en 2022, une des organisations qui a ensuite pris part à ce Front accompagnait l’invitation d’un appel à « défendre ce qui a été obtenu » pour ne pas revenir en arrière :

...nous lançons un appel à la défense de l’institutionnalisation des politiques de genre et de diversité, la création du Ministerio de Mujeres, Géneros y Diversidad de la nation et de la province de Buenos Aires, et de toutes les zones provinciales et municipales (...) Nous célébrerons également [lors de la Marche des fiertés] les conquêtes historiques... (100 % Diversidad y Derechos, 2022, italiques de l’autrice)

Les discours hégémoniques qui ne reproduisaient pas ce modèle oscillaient entre la recherche d’un changement social qui s’inscrirait dans la ligne de ces changements politiques ou signaler « ce qui manquait », en restant toujours dans le domaine des lois : une loi qui n’existe pas mais dont le tour viendra. Ces activismes ne cherchent que peu de choses voire rien en dehors de la loi, et encore moins en dehors de l’État. Il était difficile de déterminer ce que l'avenir réservait pour un activisme dont le seul objectif semblait être de maintenir l’ordre obtenu. Ces dernières années étaient apparus de plus en plus d’avertissements face à la menace d’une « droite conservatrice », mais elle se situait toujours en marge du gouvernement. Dans le contexte politique actuel (fin 2023), alors que cette « droite conservatrice » a les commandes du pouvoir exécutif, il est évident que l’institutionnalisation de certaines politiques est en péril. Mais le problème qui m’intéresse ici est que cette menace n’a en réalité jamais été totalement extérieure à l’État. L’appel à « défendre ce qui a été obtenu », au contraire, a obturé pendant de nombreuses années la critique sur ce qui avait été fait et l’impulsion vers un changement plus profond et nécessaire : celui de l’amélioration des conditions de vie (au-delà de l’inclusion symbolique) des personnes lgbt marginalisées. La précarité même de l’institutionnalisation des politiques lgbt a sans aucun doute facilité son rapide démantèlement face à un tournant politique (connu et annoncé) qui considère la justice sociale, même dans ses versions les plus rhétoriques et édulcorées, comme un problème qu’il faut éradiquer.

b. Figurations temporelles

La philosophie de l’histoire, peut nous aider à identifier certains détails de ces discours et peuvent nous apporter des indices sur les différentes dimensions politiques et épistémiques des récits lgbt à un moment donné et dans lieu déterminé. Nous pouvons observer, par exemple, la manière dont l’histoire des collectifs lgbt est périodisée, quels jalons sont établis comme points de comparaison ou comme paramètres du bien et du mal, qui sont les sujets de ces récits et qui sont celleux laissé·e·s de côté, qu'est-ce qui est pris comme preuve d'un changement historique ou même qu'est-ce qui est considéré comme preuve du changement historique ou même qu’est-ce qui est considéré comme un changement qui mérite d'être rappelé et raconté.

Dans le cas de l'Argentine, il y a des questions liées, par exemple, à la périodisation et aux jalons temporels, qui ont été fondamentaux dans la manière dont nous construisons et reconstruisons l'identité du collectif lgbt local. Il est courant de prendre les dictatures militaires, et en particulier les deux dernières (1966-1973 ; 1976-1983), comme points de comparaison et de les couper nettement de ce qui les a précédées, de ce qui les a suivies et de ce qui s’est passé entre les deux. Comme l’indique un communiqué commun de divers groupes pour la convocation d’une manifestation à l'occasion de l'anniversaire du dernier coup d'État, « nous soutenons que le régime qui a débuté le 24 mars 1976 a instauré non seulement un autoritarisme politique mais aussi un autoritarisme moral » (100% Diversidad y Derechos, 2019 ; italique de l’autrice). Ces récits situent la répression étatique pendant les années de dictature, répression qui, en réalité, dans le cas de l’Argentine, avait des antécédents importants dans des gouvernements élus démocratiquement. C’est le cas de la persécution politique et de la violence d’État pendant le gouvernement précédant la dernière dictature, ou d’une série de razzias (entrées violentes des forces répressives dans un espace de socialisation gay, avec des arrestations massives) pendant le gouvernement élu du général Perón en 1954 et 1955 (Insausti, 2015 : 65).

Plus précisément, l’un des principaux thèmes qui sous-tendent ces trajectoires de progrès est la distinction entre une étape répressive (située dans la dictature militaire) et une étape d’acceptation (située dans la démocratie et in crescendo jusqu’à aujourd’hui). Cette distinction est maintenue pour le type de sujets qui ne sont pas atteints par la sélectivité du système répressif et pénal en démocratie. Comme l’a dit Gastón Brossio, alias Waikiki, poète du mouvement PVC (Pensadores Villeros Contemporáneos), « la dictature n’a pas disparu : elle a été déclassée » (communication personnelle, mars 2017). Pour les personnes lgbt pauvres, celles qui sont mises de côté en raison de la couleur de leur peau, celles qui vivent dans des quartiers marginaux, la vie n’est ni meilleure ni plus facile. Au contraire, ces mêmes récits triomphalistes ont conduit à un déclin de la masse critique de l’activisme lgbt lorsqu’il s’agissait de revendiquer, de protester ou d’accompagner des situations de marginalisation ou de violence, en particulier lorsqu’il y existe une affinité avec la gestion politique.

Mais il y a autre chose que nous ne devons pas perdre de vue. Si nous élargissons encore plus le cadre temporel, nous constatons que les paramètres de comparaison (qui permettent de parler de progrès culturel, symbolique et politique) se situent toujours au XXè et XXIè siècles. Cela signifie, entre autres, que les pratiques culturelles et politiques antérieures à l’invasion européenne du continent, ainsi que les formes d’agence et d’organisation politique dans les espaces de résistance comme les kilombos ou les palenques (Ramírez Beltrán, 2023), ne sont pas considérées comme faisant partie de l’histoire collective. Par conséquent, ils ne sont pas utilisés comme point de comparaison ou d’inspiration pour une vie politique autre, et ne sont pas inclus dans l’équation sur les dommages causés par la colonialité du genre (et, plus largement, par l’imposition d’un système de pensée binaire) sur ce que nous comprenons aujourd’hui comme des sujets lgbt.

En d’autres termes, élargir le cadre temporel et les groupes sociaux inclus dans ces récits implique d’affronter la réalité selon laquelle, en matière de lgbt, le progrès ne peut être maintenu, dans le meilleur des cas, qu’au sein d'un noyau très restreint de personnes. Par ailleurs, il peut seulement exister en comparaison avec les XXè et XXIè siècles, et en restant dans le cadre d’une lecture formelle des « droits conquis » dans la lettre de la loi et, dans une moindre mesure, dans les jugements du système judiciaire national.

c. Participation épistémique

En outre, un troisième point me semble fondamental pour comprendre comment ces histoires peuvent circuler, à l’encontre des preuves disponibles. J’en viens à l’axe des injustices épistémiques. Comme nous le savons, les injustices épistémiques se situent au carrefour de l’éthique, de la politique et de l’épistémologie, et désignent le préjudice injuste causé à certains sujets en raison de leur identité ou de la place sociale qu’iels occupent (López Cardona, 2022). Il s’agit d'un préjudice qui les affecte en tant que sujets épistémiques, c’est-à-dire dans leur capacité à générer des connaissances, à les transmettre, à participer à l’élaboration des paramètres permettant de déterminer ce qui est une connaissance et ce qui ne l’est pas, ce qui est une preuve, ce qui justifie que nous formions certaines croyances, et ainsi de suite. Un élément central de l’injustice épistémique est son impact sur les jugements de crédibilité et de capacité, qui constituent ensemble la fiabilité du sujet. Et si nous considérons l´injustice épistémique comme un phénomène précisément « injuste », c'est parce que cette baisse de fiabilité n’est pas due à des facteurs épistémiques, mais à des variables qui, en principe, devraient être extra-épistémiques, telles que l’identité, la couleur de peau, la classe, l’accent avec lequel nous parlons notre langue, etc. L’un des phénomènes découlant de l’injustice épistémique est la distribution inéquitable et injuste de la participation épistémique, par exemple dans ce que les théories postcoloniales ont appelé la « division internationale du travail intellectuel » (Chakravorty Spivak, 2003). Mais nous pouvons également l’envisager en termes de division sexuée du travail intellectuel, par laquelle certains sujets sont exclus, en raison de leur genre, des cercles légitimés de production de connaissances.

En ce qui concerne l’injustice épistémique, et les récits lgbt, mon hypothèse est que les récits de progrès au sein du collectif sont facilités par la distribution inégale de la participation épistémique à l’origine de leur création, c’est-à-dire par l’exclusion de certains groupes du cercle des sujets qui génèrent et racontent l'histoire collective. Les représentations auxquelles je fais référence ici proviennent généralement soit de fonctionnaires de l’État (qui ont en général eu un passé d’activistes lgbt en plus de leur affiliation politique), soit de membres d’organisations non gouvernementales qui ont également tendance à jouer un rôle important dans les politiques de l’État, voire à occuper un poste. L’absence de pluralité de positions politiques ou d’expériences diverses dans la relation avec l’État est problématique et le serait même s’il existait une pluralité identitaire. De toute manière, cette dernière est également rare : il y a, sans aucun doute, une prédominance d’hommes gays cis et de travestis, ainsi qu’une forte centralisation dans la ville de Buenos Aires (parfois partagé avec deux ou trois autres villes), de sorte que la plupart des récits historiques et des analyses politiques du passé et du présent lgbt sont générés dans un environnement urbain dans la zone centrale de l’Argentine, dont le contexte est très différent à celui d’autres localisations. Il y a également une absence presque totale de personnes souffrant de troubles mentaux ou de personnes racisées. Ces groupes créent généralement leurs propres espaces précisément en raison de la marginalisation qu’ils subissent dans l’activisme hégémonique et, bien sûr, dans les institutions de l’État. Mais cette compartimentation n’aide guère à l’élaboration d’histoires qui décrivent véritablement la manière dont les personnes lgbt ont vécu et vivent dans le pays, et des tâches qui les attendent. Enfin, l’alliance inégale que j’ai mentionnée au début entre les mouvements lgbt et les mouvements féministes signifie que les voix les plus répandues sont fréquemment celles du féminisme, généralement cis-féministe, qui apporte souvent des approches épistémiques et des catégories qui ne sont pas adéquates pour aborder la situation ou les besoins spécifiques de nombreux sujets lgbt3.

Les premiers développements sur l’injustice épistémique ont proposé de la considérer comme un phénomène basé sur l’identité, c'est-à-dire comme un problème qui affecte les sujets individuels parce qu’ils font partie – ou sont perçus comme faisant partie – d’un groupe socialement marginalisé. Une ressource souvent proposée comme solution à ce problème est donc d’inclure des personnes de ce groupe social dans les circuits de production de connaissances, afin qu’elles puissent apporter cette perspective qui a été ignorée jusqu’à présent. J’y vois plusieurs problèmes. Premièrement, l’identité (par exemple l’identité de genre) d’un sujet ne nous dit pas grand-chose de son positionnement par rapport à un certain contexte politique ou événement historique (Pérez, 2017). Par conséquent, inclure, par exemple, une personne racisée ne va pas nécessairement mettre en lumière le racisme persistant dans les politiques lgbt. Deuxièmement, il est important de comprendre l’identité comme un phénomène social complexe, à partir d’une approche multidimensionnelle, et pas seulement comme le fait d’avoir une identité (par exemple, une certaine orientation sexuelle). La représentation de l’identité est affectée par ce qu’Olufemi Taiwo (2022) appelle la « capture de l’élite », c'est-à-dire la façon dont, au sein d’un certain groupe identitaire (en l’occurrence les lgbt), les rôles politiques dominants et les lieux de décision sont souvent cooptés par les personnes les plus privilégiées de ce groupe (par exemple les personnes de la classe supérieure, les personnes neurotypiques, les personnes qui ne sont pas considérées comme dangereuses par le système répressif de l’État, etc).

Pour résumer, considérer simplement que « inclure des auteurités lgbt » dans nos dialogues afin d’obtenir des analyses plus adéquates et des récits plus fiables (et donc plus utiles pour déterminer les prochaines étapes vers la justice sociale), c’est oublier la manière dont les identités fonctionnent réellement dans notre société. C’est-à-dire que cela revient à oublier qu’elles servent la cooptation des institutions, tant nationales qu’internationales, dans la désarticulation des courants les plus radicaux des mouvements et leur réorientation vers des projets plus digestes et plus compatibles avec les hiérarchies sociales existantes.

4. MULTIPLIER LES PASSÉS POUR ÉTENDRE LES FUTURS

Dans cet article, j’ai orienté ma recherche sur les facteurs politiques, historiographiques et épistémiques qui peuvent nous aider à comprendre comment les récits de progrès lgbt sont entretenus. Nous avons vu comment l’hégémonie politique et l’hégémonie épistémique se combinent pour produire des représentations qui ont des effets néfastes sur les personnes les plus vulnérables au sein des collectifs sexo-dissidents, en obturant de réelles politiques de changement et des stratégies communautaires non étatiques de transformation sociale. Dans le cas de l’Argentine, la récente arrivée de l’extrême-droite au pouvoir exécutif national met en évidence la profondeur des graves conséquences de ces stratégies et le danger encouru en les ayant soutenues depuis les mouvements sociaux durant des années.

Au-delà du contexte actuel, le décalage entre les représentations qui circulent sur notre contexte et les conditions de vie réelles de nombreuses personnes ne peut se réduire à une simple curiosité académique. Il a eu et aura de graves conséquences sur la vie de nombreuses personnes. Cela est visible de manière très évidente dans un thème qui a acquis un protagonisme considérable ces dernières années : celui du prison turn au sein des féminismes et du mouvement lgbt. Le cadre étatique et légaliste que j’ai mentionné précédemment est souvent axé sur le domaine pénal. En lien avec l’agenda féministe, de nombreuses organisations et activistes lgbt ont investi le système pénal public comme réponse à certains des problèmes qui marquent leur agenda : la discrimination, la violence basée sur la haine. Cependant, la croissance de l’appareil carcéral a également servi à conduire davantage de personnes lgbt en prison, en particulier celles qui, en raison des conditions marginales dans lesquelles elles vivent (en partie à cause de leur identité ou expression de genre), doivent recourir à des activités illégales pour avoir des revenus. Cela est démontré, en partie dans un projet de recherche mené en 2019 sur les femmes trans et travesties emprisonnées dans des espaces qui leur étaient dédiés, sous l’égide du Servicio Penitenciario Federal et celui de la province la plus peuplée d’Argentine, Buenos Aires (Giménez, 2019). Cette étude a identifié une majorité de migrantes latino-américaines (principalement du Pérou, de l’Équateur et du Paraguay) qui ont migré en Argentine à la recherche de ce rêve dont elles avaient entendu parler, d’un endroit où les personnes trans pouvaient vivre librement en accord avec leur identité, avoir accès à des traitements médicaux gratuits pour l’affirmation de leur genre, à un changement d’état civil, au quota pour l’accès au travail, entre autres. Au lieu de cela, elles se sont heurtées à un système répressif finement réglé qui a été beaucoup plus rapide à les capturer qu’à leur permettre d’accéder à ces autres droits. Loin du modèle d’inclusion et du plein développement de leurs capacités et de leurs désirs, les trois étapes de leur passage en Argentine ont souvent été : l’immigration, l’enfermement (dans des conditions inhumaines) et la déportation.

Derrière tout cela, mais aussi parmi les conséquences, nous percevons certains des usages politiques de l’histoire et de la mémoire pour légitimer à la fois les mouvements et les institutions, et pour nous situer en tant qu’agents actuels dans des lieux symboliques et matériels particuliers. C’est pour cette raison que j’insiste sur l’importance de considérer l’histoire et la mémoire comme des facteurs permettant d’explorer les rouages de l’activisme, en l’occurrence l’activisme LGBT, et la formation d’une identité collective. Nous retrouvons les mêmes mécanismes dans le contexte actuel lorsqu’il est affirmé, depuis des espaces progressistes, que – suite au changement de gestion étatique – « la résistance commence maintenant ». Une rupture nette est établie avec un passé dans lequel il semble n’y avoir rien eu contre quoi résister.

Dans la lecture que j’ai présentée ici, je soutiens que ce que nous faisons, c’est produire et faire circuler des récits qui sont censés être représentatifs d’un collectif, et qui sont formulés en termes de progrès, sans tenir compte du fait que pour de nombreux sujets, il ne s’agit pas du tout d’un progrès, mais peut-être simplement d’une sophistication des formes d’exclusion. Mais, qu'est-ce que tout cela nous apprend sur l’avenir ? Les récits du passé sont, entre autres, des passerelles vers le futur, dans le sens où ils indiquent ce que nous espérons voir et ne pas voir se concrétiser dans l’avenir. Ils jouent un rôle fondamental dans la détermination des sujets qui auront leur place dans cet avenir que nous imaginons et pour lequel nous agissons dans le présent. Dans les cas que nous avons analysés, ce qui est fait indirectement, c’est l’exclusion de ces sujets du collectif, dans la mesure où nous pouvons encore une fois affirmer un progrès historique, et encore une fois appliquer des tactiques légalistes, punitives et étatiques, même si nous savons que de nombreux sujets qui s’identifient comme lgbt vont être affectés par ces mesures ou leurs conséquences indirectes. Dans d'autres cas, ils sont renvoyés encore et encore au futur, à la salle d’attente de l’histoire où « leur tour viendra » d’accéder à une vie digne comme celle de leurs pairs plus privilégié·e·s.

Ces décisions dessinent en quelque sorte ce que nous imaginons comme la démographie de l’avenir du collectif. C’est en ce sens que pour peupler l’avenir d'une réelle diversité et pluralité de modes de vie, de formes d’affect, de cultures et de cosmovisions, nous devons multiplier les récits, ouvrir nos histoires à la complexité de tout collectif social traversé par des identités multiples, pas seulement de sexe-genre. Et parier sur des formes qui permettent de changer radicalement nos modes d’organisation politique. La manière dont nous revenons sur le passé, le reconstruisons et le racontons, et la manière dont nous le ramenons au présent par l’analyse et l’évaluation des avancées et des reculs, jouent un rôle fondamental dans l’ouverture de ces futurs à des possibilités de plus en plus nombreuses4.

Bibliographie

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Táíwò, Olufemi, Elite capture: How the powerful took over identity politics (and everything else), Chicago, Haymarket Books, 2022.

Notes

1 Cette contribution est une version révisée de la présentation faite lors de la table ronde "Mémoires et futurs des luttes trans* et sexo-dissidentes. Représentations et injustice épistémique" qui s'est tenue à l'Université de Toulouse en mars 2023. La présentation originale a été faite avant le processus électoral en Argentine qui a finalement abouti à l'accession au pouvoir d'une alliance entre l'ultra-droite et des secteurs de la droite conservatrice traditionnelle. Bien que le texte qui suit présente quelques changements qui répondent à ce nouveau contexte, le contenu est en grande partie le même et se réfère aux périodes gouvernementales précédentes, car il n'est pas encore possible d'anticiper ce qui se passera sous le nouveau gouvernement, qui a pris ses fonctions le 10 décembre 2023, c'est-à-dire peu de temps avant la publication de ce Dossier. Retour au texte

2 Pour ne mentionner qu’un exemple, en 2021, l’approbation de la Ley de Cupo Laboral Trans dans la fonction publique (Ley 27636, juillet 2021) a été célébrée. Cependant, la mise en place de cette législation est restée très en deçà de ce qui était prévu (Observatorio InformARt, 2023). Actuellement, elle coexiste avec un décret présidentiel de 2022 (Decreto 426/2022) qui interdit l’incorporation d’un nouveau personnel d’État. De plus, un haut pourcentage de personnes employées par l’État le sont de manière précaire et pour de courtes périodes qui peuvent être renouvelées ou non. Cela les rend facilement éjectables dans des périodes d’ajustement et de réduction des dépenses de l’État, comme le propose la nouvelle gestion entrée en 2023 qui se situe, par ailleurs, ouvertement contre tout ce qui est en lien avec le genre et l’inclusion de la population lgbt. Retour au texte

3 Sur ce point je renvoie au travail de Blas Radi (voir, par exemple, Radi, 2020a), et en particulier à son analyse de la manière dont le problème que je reconstruis ici a été exprimé dans les débats sur l’interruption volontaire de grossesse (Radi, 2020b; Pérez y Radi, 2018). Retour au texte

4 Je remercie Luciana Wisky pour sa lecture attentive et ses suggestions sur une version précédente de cet article Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Moira Pérez, « Récits LGBT, injustice épistémique et fictions de progrès », Sociocriticism [En ligne], XXXVII-2 | 2023, mis en ligne le 03 janvier 2024, consulté le 02 mai 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/sociocriticism/3631

Auteur

Moira Pérez

Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (CONICET), Argentina

Moira Pérez (elle) est Docteure en Philosophie (UBA), Chercheuse Associée au Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (CONICET) et enseignante à l’Université de Buenos Aires (Département de Philosophie, Faculté de Philosophie et Lettres). Elle a été professeure ou chercheuse invitée au Chili, en Uruguay, aux États-Unis, en France et en Allemagne. Ses recherches croisent les contributions de la philosophie pratique, de la théorie queer, et les théories anticoloniales pour explorer les relations entre violence et identités, en interrogeant en particulier la violence épistémique et la violence institutionnelle. Elle dirige le groupe de recherche en philosophie appliquée et Politiques queer(@PolQueer).

mperez@filo.uba.ar

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Traducteur

Nadège Guilhem-Bouhaben