L’aviation c’est du sport ! Images et représentations de l’aéronautique dans la presse sportive de la Belle Époque. L’exemple de La Vie au Grand Air (1900-1914)

  • Aviation, that’s Sports ! Imagery and representations of aeronautics in the sports press at the times of ‘‘Belle Époque’’. An example : ‘‘La Vie au Grand Air’’ (1900-1914)

Résumés

Après l’essor du cycle et de l’automobile, l’aéroplane constitue au début du XXe siècle une étape majeure dans l’invention des techniques de la mobilité, ouvrant la voie à de nouveaux exploits et de nouveaux records. Nous analysons dans cet article la portée de cet élan et la construction d’un nouvel imaginaire. Notre projet consiste à aborder la conquête de l’air au travers des représentations que la presse, elle-même en pleine expansion, a pu participer à élaborer avant 1914. Nous questionnons plus spécifiquement les représentations qui font de l’aviation de la Belle Époque un sport. La revue choisie, La Vie au Grand Air, contribue largement à forger et/ou renforcer l’image sportive de l’aéronautique et de ses usages. Elle participe également à véhiculer l’image du pilote, nouveau héros sportif, alors même que le sport constitue au tournant des XIXe et XXe siècles l’une des figures marquantes de la modernité culturelle et sociale.

Subsequent to the increasing popularity of both cycling and motoring, at the turn of the 20th century, flying comes as a major step in the invention process of the mobility techniques thus opening the way to new feats, new records. In this article we shall analyse the impact of such momentum and the construction of a new imaginary world. Our purpose is to focus on the conquest of skies through representations which a strongly expanding press contributed to create before 1914. More specifically we call into question those representations of flying as a sports activity at the ‘‘Belle Époque’’. We have chosen ‘‘La Vie au grand Air’’ as it proved active in building and/or reinforcing the sports image of aeronautics and its usual practices. It also participated in promoting the image of pilots, new sports heroes, even though at the turn of 19th and 20th centuries sports are rather among the most prominent figures of cultural and social modernism.

Plan

Texte

On attribue à Foch, qui assistait aux envolées des premiers pilotes en 1910 (Circuit de l’Est), une sentence définitive : « Tout ça voyez-vous c’est du sport mais, pour l’armée, l’avion c’est zéro ! » Prononcée ou imaginée par la presse du temps, cette remarque du directeur de l’École de Guerre témoigne surtout de la culture aéronautique d’avant 1914, moins préoccupée par l’utilité future des aéroplanes que par l’esprit sportif et le culte de l’exploit individuel. Pour l’immense majorité des contemporains de Foch, il ne fait en effet aucun doute que l’aviation est un sport, « le plus sûr des sports », déclare encore en 1913 l’aviateur Henri Farman (1874-1958), malgré les nombreuses morts violentes qui sont rapidement venues endeuiller les envolées des pionniers.

Il est vrai que l’épopée sportive, largement nourrie par les aventures du cycle puis de l’automobile, a trouvé dans l’essor des nouvelles machines matière à susciter des prouesses inédites. Du reste, bien des aviateurs de la première heure sont passés par la vélocipédie et l’automobilisme avant de s’attaquer aux ascensions aérostatiques et à l’aéroplane. Amateurs, expérimentateurs, inventeurs partagent ainsi un fonds culturel commun indexé sur les progrès des hommes et des machines et il n’est pas jusqu’aux pionniers de l’industrie aéronautique comme Clément Ader, inventeur des bandages en caoutchouc pour bicyclette ou aux frères Wright, passionnés par les problèmes techniques du cycle, qui n’aient goûté aux plaisirs de perfectionner les engins mécaniques liés au développement du sport moderne1. La quête de performances traduit également pour la « classe de loisir2 » rassemblée depuis 1898 au cœur du très sélect Aéro-Club de France, le souci de demeurer à la pointe de l’innovation, d’incarner le sens du changement3. Elle constitue le cadre culturel original à l’intérieur duquel composent et sont valorisées les qualités spécifiques (courage, sang-froid, dépassement de soi) qui distinguent le sportsman de la masse. Voler en ballon, en dirigeable, en aéroplane, ne constitue pas en soi pour les acteurs, pionniers et/ou privilégiés du rang ou de la fortune, un ensemble disjoint, hétérogène, mais bien au contraire un tout culturel cohérent qui s’inscrit dans les usages distinctifs du temps. L’aéronautisme4 est un sport en tant que forme d’agrément : un art de vivre en même temps qu’une course au progrès qui a ses promoteurs, ses figures chevaleresques et bientôt ses martyrs et ses mythes.

Simultanément, l’image sportive de l’aviateur doit beaucoup aux médias, qui ont largement contribué à produire et diffuser la figure du champion des airs, au moment où la mise en récit et en image de l’aventure sportive devenait un investissement prometteur5. En effet, durant le dernier tiers du xixe siècle, le sport intègre le développement d’une culture de masse et confirme son statut d’objet médiatique6. Ce faisant, il participe à l’essor d’une presse moderne, grand public qui, à l’instar du modèle de référence anglo-saxon, privilégie l’adhésion de lectorats désormais plus sensibles au reportage, à la petite actualité et au divertissement7. Dans ce contexte, l’aéronautique représente un ingrédient de choix. L’émotion inouïe suscitée par les premiers aviateurs devient un élément crucial de la médiatisation sportive. Dans la presse généraliste, nationale et régionale, le traitement de la conquête de l’air adopte un nouveau ton, privilégiant le côté sensationnel des envolées au détriment de l’analyse purement technique ; l’information aéronautique s’enracine plus nettement dans les colonnes sportives8. Les encouragements financiers de la presse à gros tirage accélèrent cette transformation. En créant l’événement autour de prix fabuleux comme la traversée de la Manche en aéroplane (1909), les grands quotidiens inventent littéralement la condition sportive du vol humain. Les journaux sportifs réservent leur « une » aux prouesses extraordinaires des hommes volants. La presse d’information scientifique et technique (L’Aérophile, L’Aéronaute) adopte, quant à elle, un nouveau vocabulaire, allant jusqu’à évoquer les « records » de durée et d’altitude réalisés par des hommes de science et des expérimentateurs, transformant les austères savants en habiles sportsmen. Il n’est pas jusqu’au cinéma qui, en s’emparant du thème aéronautique, contribue à populariser encore un peu plus l’idée d’une pratique dont le caractère sportif intègre un style de vie nouveau, celui de l’homme moderne. Dans Max pratique tous les sports (1913), le cinéaste et acteur Max Linder met ainsi en scène les prouesses d’un jeune homme de bonne famille qui, pour conquérir sa belle, doit faire preuve de talents dans tous les domaines de la vie sportive : l’aviation figure en bonne place dans ce parcours, entre l’équitation, l’escrime, la natation et la course automobile.

Ce mouvement d’ensemble confirme l’existence d’un puissant prisme culturel au travers duquel la société de la Belle Époque appréhende la conquête de l’air, développant une lecture singulière de l’exploit aérien, entre technologie triomphante et quête sportive.

Notre projet consiste dès lors à mettre en lumière cette problématique de l’identité sportive et technique de la conquête de l’air et, plus spécifiquement, de l’aviation naissante, en analysant les représentations que la presse a pu participer à élaborer avant 1914. Notre étude porte plus spécifiquement sur un corpus d’articles de la revue La Vie au Grand Air publiés entre 1905 et 1913. Important média de l’actualité sportive avant 1914, illustré de manière souvent avant-gardiste, rompant avec les codes classiques du récit, La Vie au Grand Air contribue largement à forger et renforcer l’image sportive de l’aéronautique et de ses usages.

Médias et sport : le sens du changement

L’esprit sportif souffle sur la conquête de l’air

À partir des années 1890, un certain nombre de signes montrent de quelle façon la conquête de l’air est appréhendée, décrite, mise en récit, sous l’angle de l’exploit, de la mesure, de la comparaison et du classement, c’est-à-dire en utilisant les catégories qui définissent les usages du sport moderne naissant. La notion de record est un bon exemple de cette mutation culturelle. Dès 1893, alors que la pratique des voyages au long cours, préfigurant les usages touristiques du ballon, accompagne les développements de la navigation aérienne et la pratique savante des ascensions (observation de la haute atmosphère, relevés physiologiques, etc.), le terme de « record » vient alimenter les débats des cercles aéronautiques9. En « classant » les aéronautes et leurs équipages scientifiques, cet usage nouveau projette l’ascension bien au-delà des formes de légitimité expérimentales et académiques10. La notion de « course » fait également son apparition. D’une manière plus générale, l’idée de performance, d’exploit plus ou moins gratuit, s’impose progressivement au cœur du récit aéronautique, concurrençant sans les nier, les formes plus utilitaristes du discours savant.

La presse sportive joue dans ce processus un rôle fondamental. En s’emparant de la nouveauté aéronautique, comme elle l’a fait pour le cycle et l’automobile, elle stimule la compétition à l’aide de prix faramineux et développe ses propres ventes en créant l’événement. Les acteurs du triangle magique « presse, industrie, sport », à l’image du comte Jules-Albert de Dion (1856-1946)11, industriel du cycle et de l’automobile, patron de presse et personnage largement impliqué dans la création des structures fédérales nationales de l’automobilisme et de l’aéronautique, sont les premiers à renforcer l’image sportive de la technique et l’image technique du sport. Sous leur contrôle, la création d’institutions dont les buts sportifs recoupent les développements techniques et industriels de la locomotion, comme le Touring-Club (1890), l’Automobile-Club de France (1895), puis l’Aéro-Club de France (AéCF, 1898), consolide et dynamise ce processus à double entrée : l’aéronautique ouvrant au sport un champ d’exploits inédits, pendant que le sport s’impose comme un remarquable banc d’essai pour les nouvelles machines et leurs pilotes.

Les plus inventifs et les plus visionnaires des constructeurs, comme l’industriel Henry Deutsch de la Meurthe (1846-1919), impliqués dans les développements aéronautiques (Société Astra) et sportifs (AéCF), ont bien compris que l’avenir des nouvelles énergies comme le pétrole passerait par le développement des machines, donc par la valorisation médiatique des exploits qui donnent corps à l’invention de nouveaux usages. Impliqué dans la société Shell, Deutsch de la Meurthe n’a de cesse que d’encourager, à l’aide de prix extraordinaires, la réalisation de performances techniques qui, compte tenu des conditions matérielles, symboliques et institutionnelles de leur réalisation, deviennent de véritables exploits sportifs. Le Prix Deutsch de la Meurthe gagné par le Franco-Brésilien Alberto Santos-Dumont (1873-1932) en octobre 1901 à bord d’un dirigeable dans des conditions de précision (mesure du temps, du trajet, rigueur du règlement) est un bon exemple de cette mutation sportive des technologies émergentes dans le domaine de la mobilité et des transports12. On peut parfaitement saisir de quelle manière la logique sportive l’emporte alors sur tout autre système de validation en matière de performance : l’Aéro-Club devenant le garant du respect des règles. Santos-Dumont renouvelle l’exploit en 1906, cette fois-ci lors d’un vol en aéroplane dont l’altitude, la distance et la durée, mesurées avec précision, sont immédiatement transformées en records sous l’éclairage des médias. C’est une même logique sportive implacable qui permet d’évaluer et de légitimer l’exploit du Français Henri Farman, en janvier 1908 pour le premier vol en circuit fermé à bord d’un aéroplane. La venue de Wilbur Wright, au Mans en novembre 1908, renforce encore cette dynamique de compétition normée au moment où l’inventivité américaine, face aux caméras des reporters, pulvérise les records d’altitude, de durée, de distance.

Inscrite dans un double projet de visibilité et d’efficacité soumise aux exigences industrielles et sportives, l’aéronautique incarne la modernité d’un siècle en mouvement dont elle devient à la fois l’objet de désir (l’envol, le héros), le produit d’appel médiatique (images, récits et sensations) et le moteur (technique et progrès).

Parmi les organes de presse qui s’emparent de cet élan aéronautique et sportif au tournant des xixe et xxe siècles, inventant un langage, une théâtralité de l’exploit, pour mieux rendre compte de cette course au progrès et capter un lectorat avide de sensations, La Vie au Grand Air occupe une place particulière.

La Vie au Grand Air : une texture médiatique innovante

La revue La Vie au Grand Air est fondée en 1898 par le Bordelais Pierre Lafitte (1872-1938) qui installe ses bureaux à Paris, dans un hôtel particulier, avenue des Champs-Elysées13. Lafitte sportif, passionné de cyclisme, est un homme entreprenant, doublé d’un visionnaire, comme le montrent les choix éditoriaux et artistiques qui permettent aujourd’hui de le considérer comme l’un des précurseurs des formes graphiques des années 1920-1930.

Il est venu au journalisme très jeune, en débutant à l’Écho de Paris, comme rédacteur sportif. La Vie au Grand Air est son premier projet d’envergure : « À 22 ans, j’ai fondé La Vie au Grand Air, premier journal sportif français, quatre ans plus tard, Excelsior14.  »

Naturellement, La Vie au Grand Air n’est pas le premier journal sportif15, comme feint de croire celui qui fut également le créateur de nombreux autres journaux et revues de la presse de masse appelés à connaître un succès certain, comme Fémina, Je sais tout, Musica, Excelsior, ainsi que l’éditeur des aventures romanesques d’Arsène Lupin (Maurice Leblanc) et de Rouletabille (Gaston Leroux). En revanche, il est certain que cette publication, devenue en 1914 une revue sportive majeure, tranche par son originalité et par les nombreuses innovations qui la caractérisent, tant sur le fond que sur la forme. Cet ensemble de qualités permet à La Vie au Grand Air de survivre au déclin éditorial et commercial lorsque Pierre Lafitte, victime de revers financiers, est contraint, en 1916, de vendre ses revues et ses éditions à Hachette.

L’originalité de La Vie au Grand Air repose d’abord sur la volonté d’accueillir dans ses pages toute la diversité des pratiques sportives. Le magazine, d’un prix relativement élevé16, se positionne sur le marché de l’information sportive comme la « revue illustrée de tous les sports ». Les rubriques et les thématiques permettent de suivre l’actualité sportive (compétitions, résultats, classements) tout en proposant des éclairages sur les pratiques les plus en vue (des sports athlétiques aux sports mécaniques), sans écarter les activités plus confidentielles ou appelées à ne connaître qu’un succès éphémère.

Au cœur du projet éditorial domine le souci de saisir l’instant remarquable, ce que l’œil du photographe et la plume du reporter vont pouvoir retransmettre d’une rencontre, d’une prouesse dans sa singularité, sa dangerosité, son coût, sa difficulté, bref dans son essence exceptionnelle, rare. Un style se développe ainsi autour de l’exploit et de la figure du champion, qui deviennent les éléments incontournables de l’imagerie sportive développée par la revue pour un lectorat que l’on familiarise par ailleurs avec le développement d’une véritable culture visuelle. L’emploi de très nombreuses illustrations, dessins et surtout photographies constitue en effet le deuxième élément singulier de cette publication. Pierre Lafitte est l’un des premiers journalistes à saisir l’importance et le rôle que la photographie sera amenée à jouer dans la presse. Il s’inspire de ce qui est publié outre-manche, comme le tabloïd Daily Mirror d’Alfred Harmsworth, vicomte de Northcliffe (1865-1922)17. Les modèles étrangers, en particulier anglo-saxons et allemands, exercent une influence déterminante sur sa vision de la presse et sur la manière de capter un lectorat déjà sensible au fait sportif mais peu habitué à « voir » le sport et, littéralement, à sentir l’esprit et le souffle de l’exploit. La dynamique du reportage, à la fois écrit et imagé, constitue un atout éditorial décisif : « Nos photographes sont partout ; il n’est pas un habitué des terrains de football, des matchs de boxe, des réunions de courses, des vélodromes, des circuits automobiles ou des champs d’aviation qui ne connaisse la fameuse équipe de La Vie au Grand Air18. » Désireux d’accentuer ce trait visuel, en 1899, Lafitte recrute un directeur artistique, Lucien Faure. Celui-ci est chargé d’imprimer à la revue un style, une esthétique particulière. Sous l’impulsion des deux hommes, La Vie au Grand Air se transforme rapidement, dépassant le modèle du texte journalistique illustré pour se muer en véritable magazine19.

La surface illustrée occupe jusqu’à 70 % de la revue, ce qui est remarquable pour l’époque. L’utilisation de l’iconographie revêt un aspect particulièrement intéressant. Car il ne s’agit plus seulement d’imager, à proprement parler, les sports qui font l’actualité mais bien d’inventer un langage, un mode de représentation qui permette de plonger le lecteur au cœur de l’aventure sportive20. La sélection des sujets, le choix des angles photographiques, l’utilisation et la mise en page originales des images, les lignes et les cadres, les incrustations d’images dans l’image donnent l’illusion du mouvement. Les séquences de jeu et les trajectoires sportives débordent fréquemment l’espace encore figé du cadre de l’image photographique pour renverser une perspective ou suggérer des lignes de fuites audacieuses. Ici, le ballon s’évade de la page, traverse le texte, comme s’il transperçait la revue. Là, le gros plan d’une hélice, préfigurant le reste de la carlingue, plonge le lecteur dans une perspective fuyante qui donne un effet dynamique à la page… L’ensemble des procédés graphiques amène à appréhender différemment la dynamique des gestes, des hommes et des machines en pleine course, précipitant le lecteur au cœur de l’action, tout en lui permettant d’accéder à un univers moderne marqué par la force, la violence de l’effort, des chocs, la vitesse et les vertiges de l’accélération.

Le rendu de ces effets est accentué par le choix, la mise en correspondance et la qualité des textes. Car l’écrit demeure primordial. Des « plumes » signent les papiers qui alimentent la revue. Victor Breyer (1869-1960) ou Jacques Mortane (1883-1939) déjà connus pour leurs articles publiés dans différents organes de la presse sportive, François Peyrey (1873-19**) mais également Maurice Martin (1861-1941), journaliste sportif officiel de la Petite Gironde21, pionnier du cyclisme girondin et inventeur touristique de la Côte d’Argent, ami personnel de Pierre Lafitte, ainsi que de nombreux sportifs venus à l’écriture22, complètent de leurs traits précis, poétiques et acérés à la fois, la construction médiatique d’une aventure marquée par l’exploit et la figure du champion. Des correspondants spéciaux, basés à l’étranger, souvent membres de rédactions importantes, permettent de donner un surcroît de crédibilité à la revue23.

Enfin, des rubriques distinctes, clairement identifiables, donnent un rythme particulier à la lecture ; elles permettent d’identifier immédiatement le format d’un article, fidélisant le lectorat sur un style : carnet du sportsman, bloc-notes, articles, dossiers, planches hors-texte, portraits, rubriques techniques, numéros spéciaux. C’est dans ce cadre éditorial qu’il convient maintenant, d’aborder le cas plus précis du traitement de l’aéronautique.

Le thème aéronautique dans La Vie au Grand Air

Recueil et traitement des données

Le lecteur qui se trouve plongé dans les pages de La Vie au Grand Air peut très rapidement apprécier l’importance du thème aéronautique, voire sa profusion, au cours des années 1908-1913. Rien d’étonnant à cela si l’on considère l’actualité du moment et les évolutions rapides accomplies par les hommes et les machines sur ces quelques années : exploits pionniers de Henri Farman et vols des frères Wright en France et aux États-Unis (1908), premiers meetings aériens, première traversée de la Manche en aéroplane (1909), premiers vols de ville à ville (1909-1911), ou encore premiers grands raids aériens (1912-1913).

La collection des numéros disponibles, assez riche, quoique lacunaire pour certaines années, permet de privilégier une approche croisant une lecture quantitative et une lecture qualitative. La période 1900-1914 a donc fait l’objet d’un dépouillement systématique permettant de recenser l’ensemble des articles par thèmes sportifs (athlétisme, natation, football, aéronautique). Dans un second temps, nous avons cherché à comprendre comment se répartissait l’information aéronautique dans la structure des numéros : couvertures en couleurs, couvertures intérieures noir et blanc, articles, dossiers, numéros spéciaux, brèves. Enfin, nous avons procédé à une analyse plus qualitative de cette production d’articles en privilégiant, par la technique du sondage, le deuxième semestre des années 1905, 1909, 1913. L’intérêt de l’analyse par tranches de quatre années est double : ne pas se focaliser sur certains pics médiatiques, comme celui de l’année 1908, qui, de par l’actualité aéronautique exceptionnelle, pouvait inciter à une surinterprétation du thème ; saisir de manière plus nette, plus contrastée, le sens d’une évolution, d’un mouvement des idées et des représentations.

Au cœur de l’information sportive

Comment La Vie au Grand Air produit-elle une image « sportive » de l’aviation ? Tout d’abord en intégrant quantitativement l’aéronautique au nombre des activités sportives qui comptent, puis en laissant une place croissante à cette thématique en pleine éclosion. D’un point de vue strictement chiffrable, cette progression est incontestable. La production d’articles, toutes catégories confondues, passe de 5,07 % du corpus consacré au thème aéronautique en 1906 (plutôt sur des petites rubriques et des « brèves »), à 12,27 % en 1908, 35 % en 1909, culminant à 41,09 % en 1910 (alors que se sont multipliés articles de fond et couvertures en « une »), avant de décroître lentement, 39,7 % en 1911, 29,03 % en 1912 pour se stabiliser à près de 25 % d’articles en 1913. Le thème aéronautique conserve à la veille de la guerre une force peu discutable. D’autant moins discutable d’ailleurs, que les militaires eux-mêmes, intégrant l’importance potentielle de l’aéroplane comme élément tactique, commencent à s’intéresser à l’activité (participation aux meetings aériens, raids pionniers) et alimentent, par leurs exploits, la chronique sportive24. Autrement dit, les pratiques aériennes (aérostation, puis aviation) apparaissent clairement intégrées au corpus de pratiques culturelles que les éditeurs et les lecteurs identifient comme pratiques sportives. La progression et la relative stabilité du thème montrent en outre qu’il ne s’agit pas d’une folie passagère, ni d’une approche marginale. Le choix des espaces de publication dans la revue donne un ensemble d’indications précieuses sur la place et la prépondérance accordée à l’aéronautique durant ces années : couverture externe, en couleur, avec rappel-article à l’intérieur ; couverture intérieure, en noir et blanc, avec rappel intérieur ; dossier (2 ou 3 pages) ; article en pages intérieures (une page) ; suppléments ; planches hors-texte (type « Nos champions ») ; rubrique humoristique, agenda, carnet du sportsman, bloc-notes (information sportive de type « brèves ») ; dossiers spéciaux (type « Numéro de Noël »).

Dès 1900, l’index thématique de La Vie au Grand Air mentionne l’existence d’une rubrique « aéronautique » au même titre que les rubriques « sports athlétiques », « football », etc. Il s’agit au départ d’indications concernant la pratique de l’aérostation sous la forme de petites notes que l’on peut retrouver par exemple dans le « Carnet du sportsman » (qui devient au fil du temps l’agenda sportif, puis le bloc-notes). Puis quelques articles, en nombre de plus en plus important, viennent éclairer la pratique de l’aérostation et les usages sportifs du ballon dirigeable, entre 1901 et 1908. À cette date, l’aviation naissante, occupant souvent la page de couverture et les espaces centraux de la publication, tend à supplanter, sans la faire disparaître, l’actualité attachée aux développements sportifs de l’aérostation. Celle-ci conserve néanmoins des espaces de visibilité importants, lors des grandes compétitions (coupe Gordon Bennett, prix de l’Aéro-Club de France) ou plus dramatiquement lors des accidents qui endeuillent la pratique des ascensions et plus particulièrement encore les essais de ballons dirigeables. Ainsi, malgré la brièveté des premières rubriques consacrées à l’aérostation, la régularité de l’information et l’accroissement de sa surface de visibilité tendent en quelque sorte à acclimater l’aéronautique au monde des sports. La conquête de l’air, à travers ses figures, ses exploits, devient un élément usuel du paysage sportif avant d’en devenir le point culminant dans les années 1910.

En s’attachant par exemple à l’espace très symbolique et communicationnel des couvertures en couleurs et des couvertures intérieures (noir et blanc), et en croisant données quantitatives et qualitatives, on peut approcher le sens d’une évolution : celui du succès grandissant de l’aviation naissante et des records qui ponctuent cette progression « sportive ». Pour 24 numéros-année, la répartition est la suivante : en 1905, une seule couverture couleur, 3 couvertures intérieures noir et blanc, dont une représentation précoce du biplan Wright ; en 1909, 15 couvertures couleur, dont le numéro « Spécial de Noël », 15 couvertures intérieures noir et blanc ; en 1913, 10 couvertures, dont un numéro spécial aviation et un numéro de Noël, 13 couvertures intérieures en noir et blanc. L’inscription de l’aéronautique dans une forme de représentation sportive de l’exploit aérien s’appuie ainsi sur une expansion quantitative (davantage d’articles) et qualitative (davantage de visibilité, une couverture médiatique occupant des espaces symboliques essentiels). Il nous faut donc maintenant explorer plus distinctement les thématiques qui constituent la structure du langage médiatique tel qu’il se construit dans l’imaginaire de La Vie au Grand Air, et tel qu’il se communique à ses lecteurs.

La construction d’un imaginaire

Pascal Ory a bien montré de quelle manière toute une mythologie s’enracine dans la pratique contemporaine du vol humain (le héros, le vol, le public)25. Fort de cet éclairage, nous avons cherché à comprendre quels pouvaient être les thèmes qui structurent la mise en écriture et en image de la conquête de l’air. Plusieurs lectures flottantes de La Vie au Grand Air, dans un premier temps, puis des analyses séquentielles, dans un second temps, nous ont permis d’identifier des termes-clés rassemblés sous quatre axes fondateurs : le pilote (héros et/ou champion sportif) ; la femme (passagère ou pilote ; le féminin / le masculin) ; l’épreuve (la performance, l’exploit, la compétition : record, mesure, comparaison) ; la machine (techniques et imaginaires). À partir de l’analyse de ces catégories, faite selon une investigation systématique de trois moments successifs de la publication (1905, 1909, 1913), nous proposons de rendre compte succinctement des représentations qui structurent le langage médiatique dans ce qui se révèle être une construction de la conquête de l’air comme un phénomène sportif.

Le pilote : du sportsman distingué au champion sportif

Entre 1905 et 1913, la construction du discours médiatique (mise en écriture et images) permet de distinguer trois phases distinctes au cœur desquelles le rapport à l’aéronautisme change de nature. Emergent alors trois figures idéales-typiques du sportif de l’air : le sportsman, aéronaute distingué ; le pionnier aviateur ; le pilote expert, aventurier du lointain.

1905 : L’aérostation des sportsmen et la quête de l’excellence

En 1905, alors que l’Europe ignore encore les exploits des Wright aux États-Unis, l’aérostation demeure l’expression la plus concrète de la conquête de l’air. Elle est aussi la forme la plus sélecte des pratiques d’agrément partagées par les sportsmen et par l’élite sociale rassemblée dans des cercles très fermés, comme l’Aéro-Club de France. Fidèle à sa volonté de traiter à égalité l’ensemble des sports26, La Vie au Grand Air réserve une large place à la pratique des ascensions en ballon et publie plusieurs articles sur les concours organisés à Paris ou en province (Les grands prix du sport)27 sans négliger les épreuves qu’elle contribue à créer (Les coupes de La Vie au Grand Air)28. La composition de la couverture de Noël pour laquelle on a choisi de faire figurer le portrait de l’aéronaute Jacques Faure aux côtés des champion(ne)s des autres sports, montre bien de quelle manière l’identité sportive de l’aérostation ne fait guère débat29. Cette évidence sportive s’enracine dans un ensemble de convictions. Comme le souligne explicitement le Carnet du sportsman30, le véritable sportif est celui qui s’est impliqué dans l’ensemble des sports. Les exercices se situant à la pointe du progrès technique comme la vélocipédie, l’automobilisme, le motonautisme et les pratiques aéronautiques, constituent le summum de cette trajectoire sportive quasi-initiatique31. Un certain nombre d’aéronautes comme le Bordelais Étienne Giraud, membre éminent de l’Aéro-Club de France (AéCF), tennisman, boxeur, lutteur, yachtman, automobiliste, aéronaute confirmé32, incarnent alors pour la revue la figure du vrai sportsman33.

Cette qualité sportive renvoie ensuite aux formes d’excellence plus concrètes que supposent, selon la revue, la pratique avérée des ascensions et la capacité du pilote à surmonter valeureusement le danger. Le sportsman affronte le risque en toutes circonstances pour démontrer sa maîtrise et son sang-froid. Jacques Faure qui accomplit une traversée aérienne de la Manche, trouvant suffisamment d’aplomb et de contrôle de soi pour écrire un journal de bord que La Vie au Grand Air s’empresse du publier34, représente à cet égard le nec plus ultra en matière de sportivité aéronautique. La notion de record vient ajouter, à la valeur de l’audace et du courage, celle de la recherche du dépassement constant des limites. Le comte Henry de la Vaulx, membre fondateur de l’AéCF, est ainsi présenté par la revue comme le recordman absolu35 en matière d’ascensions - durée, distance.

(Fig.1).

(Fig.1).

L’aérostation des sportsmen : Le comte Henry de la Vaulx, La Vie au Grand Air, 1905.

Crédits : Photo de l’auteur

Il existe enfin une dernière figure sportive incontournable dans la construction du discours médiatique : l’expérimentateur, c’est-à-dire le pilote dont les qualités sportives ne se limitent pas à la pratique accomplie du vol, mais vont bien au-delà, dans la maîtrise des engins nouveaux, dans l’innovation et la prise de risque liée aux essais et à la production de performances. C’est bien l’association entre le flegme, le mépris du danger et le souci d’inscrire ses actes dans le sens d’une modernité susceptible d’être mesurée à l’aune du progrès technique, qui confère à la conquête de l’air son caractère sportif. En ce domaine, le Franco-Brésilien Alberto Santos-Dumont fait figure de pionnier. La capacité inventive de l’homme, alliée à un courage et un sang-froid incontestables, font les délices de La Vie au Grand Air qui détaille et illustre les phases de préparation de ses expériences et s’empresse de rapporter chacune de ses tentatives (aérostation, dirigeable, bientôt aéroplane) : « Il va sans dire [écrit le journaliste à propos des essais du modèle Santos-Dumont n° XIII, dit aéro-montgolfière] que ce projet fort intéressant demande un aéronaute aussi habile qu’audacieux36. »

1909 : la conquête des « prix » et l’héroïsation sportive des pionniers

« Blériot remporte le prix du voyage » : la photographie, qui s’étale sur deux pleines pages, montre l’aéroplane de Louis Blériot doublant littéralement le train qui file d’Étampes à Orléans, symbole technique et industriel d’une modernité en train de se réinventer. La mise en page est saisissante par ce qu’elle installe en termes de rupture : la vitesse, le voyage au long cours dans une machine plus lourde que l’air, la maîtrise technique, l’exploit aérien sublimé... Les commentaires imposent un style, évoquant le brillant succès, le danger, la performance d’un homme ayant « couvert 41 km 200 en 44 minutes » en se maintenant « entre 25 et 50 mètres d’altitude37 ». Le record est technique, humain, sportif ; l’homme devient le héros d’une aventure qui puise aux sources de l’exploit et de l’innovation. Pourtant, la composition médiatique tronque la réalité. Car Louis Blériot, qui a d’abord fait carrière dans l’industrie des phares pour automobile avant de passer à l’aviation, ne s’est jamais considéré comme sportif, encore moins comme un sportsman mondain. Il n’a jamais caché les raisons strictement commerciales et industrielles qui l’ont poussé à s’engager personnellement dans la compétition, malgré de sévères blessures, laissant aux journaux comme La Vie au Grand Air le soin de façonner l’image du héros sportif38. Mais ce costume de champion, plus ou moins bien endossé par le Français, n’est qu’une réactualisation médiatique de la tenue héroïque patiemment tissée par les médias depuis les premiers mois de l’aviation naissante. Quelques étapes et portraits emblématiques jalonnent ce cheminement. En janvier 1908, Henri Farman, ancien athlète, cycliste et automobiliste, réalise le premier vol officiel en circuit fermé d’un kilomètre, d’une durée de 1 minute et 28 secondes. Il remporte ainsi le prix Archdeacon-Deutsch de la Meurthe39, puis, le 22 mars, Farman gagne le prix Michelin de la distance40 et enchaîne en novembre avec le prix de la hauteur offert par le journal L’Auto, devenant pour La Vie au Grand Air : l’intrépide aviateur41. Dès l’automne 1908, son concurrent direct, l’Américain Wilbur Wright, établit au Mans des records42 dans tous les domaines (durée, altitude, distance) avant de se rendre à Pau, en 1909, pour former ses premiers élèves43 : la revue présente alors celui-ci comme « l’aigle royal de l’aviation44 ». En août 1909, l’organisation du premier grand meeting aérien, à Reims, s’accompagne d’une profusion de prix destinés à récompenser ceux que la presse ne cesse de présenter comme les nouveaux champions : prix de la vitesse, de la hauteur, de la durée, du premier tour de piste45.

C’est dans la deuxième moitié de l’année 1909, au moment où se profilent des épreuves d’un nouveau genre, que se transforme plus nettement le regard porté sur les pilotes. Le meeting de Reims a certes consacré Henri Farman comme » grand triomphateur » du concours aérien, applaudissant aux records du monde de distance et de durée46 de l’aviateur français. Mais d’autres événements, comme le prix du Daily Mail pour la traversée de la Manche en aéroplane, remporté par Louis Blériot le 25 juillet 1909, rythmé par les déboires de son concurrent direct, l’aviateur Hubert Latham, plusieurs fois repêché en mer47, ou encore, sur d’autres terrains, la mort accidentelle d’Eugène Lefèbvre, premier aviateur au monde à se tuer en aéroplane, ont donné aux journaux l’occasion de franchir une étape supplémentaire dans la construction émotionnelle de la geste aéronautique et sportive. Blériot a volé et vaincu, malgré de sévères brûlures ; Latham a tenté et échoué, non sans faire preuve de courage voire de panache et de flegme ; Lefèbvre a fait don de sa vie… Ces figures intègrent une forme de dramaturgie des airs. Elles incarnent une typologie de l’héroïsation sportive48. La Vie au Grand Air, qui n’a cessé d’accoutumer ses lecteurs au caractère sportif des envolées (concours d’aviation, records, grands prix), entre progressivement dans l’écriture de ce feuilleton héroïco-sportif. Pour ce faire, elle donne à chaque événement une mesure émotionnelle inédite, grâce à des reportages rendus remarquables par les moyens mis en œuvre : le rythme des récits et la modernité des représentations graphiques insufflent à cette réalité fantastique un aspect dramatique vécu collectivement par les lecteurs.

En octobre 1909, le comte de Lambert est le premier aviateur à survoler Paris en aéroplane49, devenant l’un des « champions de l’année » et surtout « le héros du voyage aérien au-dessus de Paris50 ».

(Fig. 2).

(Fig. 2).

Le comte de Lambert. La Vie au Grand Air, 1909.

Crédits : Photo de l’auteur

L’acte ne manque pas de panache et pourrait laisser croire à une étape nouvelle de cette héroïsation sportive. En réalité, il s’agit là, bien davantage, d’un chant du cygne puisque c’est l’exploit d’une noblesse en perte de vitesse qui considère encore l’aviation comme un art d’agrément. Le survol au-dessus de Paris est l’expression ultime de l’excellence aristocratique face aux compétences de nouveaux champions, anciens mécanos devenus les héros de cette conquête sportive des airs qui, au-delà des symboles, offre aussi de substantielles récompenses en matière de prix. Si pour Pierre Lafitte l’aviation est, en 1909, « le sport à la mode »51, le reportage que sa revue consacre à la première génération d’aviateurs, amateurs et professionnels confondus, récompensés par la Légion d’honneur, montre et démontre l’ampleur considérable que ces exploits ont acquis dans l’opinion publique et aux yeux de l’État.

1913 : le pilote expert, aventurier du lointain

En 1913, Brindejonc des Moulinais, « le merveilleux champion du Morane-Saulnier » donne une interview à La Vie au Grand Air52. Son discours, toujours émaillé de considérations classiques sur l’exceptionnalité du fait aéronautique, est aussi empreint d’un certain désenchantement. Ce qui pourrait sembler contradictoire est en réalité la marque d’un changement dans la manière de considérer l’aviateur, dont l’image bascule progressivement du héros merveilleux (et quelque peu irresponsable dans son rapport à l’exploit à tout prix), au pilote compétent voire prudent. La dimension sportive de cette aventure (qui devient celle de l’endurance, du courage face au lointain et à l’ailleurs) se pare de nouvelles vertus au fur et à mesure que la conquête de l’air devient une aventure marquée par l’extension des possibilités en termes du durée, de distance, d’altitude, et au fur et à mesure que s’inventent de nouveaux usages de l’aviation par rapport aux possibilités d’exploration, au développement du tourisme aérien, au franchissement des obstacles. Loin du héros un peu inconscient qui traversait les mers sur une libellule, le champion des airs de 1913 est un expert qui ne saurait s’engager à la légère dans une entreprise sans lendemain :

« Je vous dirai d’ailleurs qu’à mon avis, l’aviation subit en ce moment une crise. Elle est en panne. Il faut quelque chose de nouveau pour engager tous les jeunes gens à s’y consacrer sans danger. S’ils montaient un Morane-Saulnier-Gnome comme le mien, ils se passionneraient aussitôt pour ce sport admirable si fertile en émotions diverses et en joies délicieuses53. »

Les pilotes expérimentés acquièrent alors leur véritable réputation en fonction d’exploits accomplis plus rationnellement qu’auparavant. Eugène Gilbert devient ainsi, par exemple, « le spécialiste des vols sans escale54 ».

Il est vrai, que simultanément, les représentations sportives de l’aviation véhiculées par La Vie au Grand Air consacrent au moins deux autres visions des exploits en vol. La première est celle de l’acrobatie aérienne, dans laquelle s’illustre notamment Adolphe Pégoud, l’un des inventeurs du looping. » L’amateur de péril »55 constitue donc a contrario une composante vivace de la figure sportive du pilote. Celle-ci est d’autant plus vivace, que la représentation de l’exploit est parfaitement transcendée par la mise en page de la revue. Pour amener les lecteurs à apprécier l’audace du premier looping, celle-ci n’hésite pas à innover : au centre de la page, le portrait en pied de Pégoud. Tout autour, en une succession de clichés reprenant les différentes phases de la figure acrobatique, le lecteur suit, seconde après seconde, le renversement si surprenant pour l’époque, de l’appareil et du pilote dans les airs56.

(Fig. 3).

(Fig. 3).

Pégoud, l’amateur de périls. La Vie au Grand Air, 1913.

Crédits : Photo de l’auteur

À la même période, le lecteur peut suivre les exploits du « défricheur » Roland Garros, vainqueur de la Méditerranée, lors de sa traversée de Saint-Raphaël à Bizerte (Tunisie)57. Une double page couleur rend compte de l’exploit58 et de quelques autres pilotes : « merveilleux raids accomplis par mes camarades Roland Garros, Brindejonc des Moulinais, Gilbert et tant d’autres qui, à l’époque de leurs exploits sensationnels ont étonné le monde » écrit, fin 1913, l’aviateur Marc Pourpe59.

(Fig. 4).

(Fig. 4).

Roland Garros traverse la Méditerranée, La Vie au Grand Air, 1913.

Crédits : Photo de l’auteur

La dimension sportive redevient celle de l’aventure et la figure de l’aviateur celle du pilote aguerri, sportif dans sa conquête de l’ailleurs mais néanmoins tourné vers l’utilité de l’effort : « il me semble que toute cette gloire et les avantages qu’il [le héros d’un aussi audacieux exploit] nous procurerait ne sont pas en proportion avec les avantages évidents et les risques que courrait le hardi pilote », poursuit Marc Pourpe évoquant pour La Vie au Grand Air la traversée de l’Atlantique en avion. D’une certaine manière, la figure du sportif en aviation telle que le pionnier l’avait imposée dans sa quête de l’exploit à tout prix, semble désormais s’évanouir, remplacée par celle de l’aventurier expert, de l’aviateur compétent, entrepreneur du risque calculé.

La femme, de l’aéronaute à l’aviatrice : une transgression des assignations de genre ?

Au tournant des xixe et xxe siècles, l’aéronautique et le sport moderne sont essentiellement affaires d’hommes. Pour autant, certaines femmes, de milieux sociaux plutôt aisés, se trouvent rapidement confrontées à ces pratiques. La Vie au Grand Air participe à cet élan et crée en 1902 une coupe d’aérostation réservée aux dames. Quelques années plus tard, la naissance à Paris du premier aéro-club féminin au monde, la Stella (1909), ne semble pas mobiliser l’attention de la revue qui ne s’attarde guère sur cette nouveauté pourtant surprenante60. La représentation des sports aériens au féminin se construit ainsi de manière très contrastée. Le nombre assez faible d’articles consacrés aux femmes aéronautes et aux aviatrices par le média témoigne a minima de la difficulté à représenter la nouveauté émancipatrice que constitue l’aéronautique au féminin, tout en refusant pourtant de la passer totalement sous silence, précisément au nom de la modernité que revendique une revue tournée vers la performance et l’innovation. S’affrontent ainsi deux forces : l’une, plus conservatrice, tend à relativiser l’essor sportif et aéronautique de la femme moderne, usant à cet égard de positions condescendantes ; l’autre, davantage ancrée dans la réalité changeante d’une société confrontée aux modèles étrangers ainsi qu’à la modernité culturelle et sportive, participe à définir progressivement le profil d’une femme pilote plus aguerrie, sans toutefois confondre le caractère exceptionnel d’une féminité conquérante et la représentation d’une féminité attendue.

1905 : l’aérostation, le sport du « sexe aimable »

La femme aéronaute des années 1905 appartient au même milieu social que le sportsman aéronaute dont nous avons précédemment dressé le portrait. Elle en constitue d’une certaine manière le reflet féminin, quoiqu’il nous faille rapidement nuancer cette affirmation. Car, au-delà d’un accord de principe qui entend faire le meilleur accueil aux velléités des dames en matière d’ascensions, la représentation qui caractérise l’expression de la féminité aéronautique et sportive au cœur de la revue est d’abord celle de l’incapacité. Certes, l’aérostation féminine est une réalité. Mais cette réalité renvoie à l’image que les hommes se font des femmes et de leur propension à maîtriser l’exercice périlleux du vol en ballon. La fragilité féminine, une moindre facilité à appréhender les questions scientifiques et techniques liées au vol, l’impossibilité de gérer seule la maîtrise du risque, constituent quelques-uns des stéréotypes de genre véhiculés par La Vie au Grand Air.

L’éternel féminin, qui s’inscrit dans une représentation de la beauté, de la grâce, de la douceur, est le premier angle d’attaque en matière d’assignation de genre. La pratique des ascensions est en elle-même suffisamment transgressive (risque, force, technicité) pour ne pas s’accompagner, par contraste, d’une revue des qualités typiquement féminines que « les amazones des airs » sont supposées véhiculer. Ainsi, alors que La Vie au Grand Air crée en 1902 une Coupe des femmes aéronautes qui connaît deux éditions successives, les articles qui commentent cette coupe sont autant d’occasions de revenir sur le caractère si « délicieux » des « gracieuses championnes des airs61 ». Ces femmes, que leur courage presse à affronter les cieux en ballon demeurent, pour les rédacteurs masculins de La Vie au Grand Air, les « aéronautes du sexe aimable62 ».

Le deuxième aspect fondamental est le caractère éminemment condescendant que les hommes portent sur ce sport féminin en train d’éclore ; un sport dont les dimensions techniques et savantes échapperaient par principe à l’intelligence si peu masculine des femmes ! Voici un exemple caractéristique de cette attitude :

« Tel est également le cas de la coupe des femmes aéronautes. Cette coupe était remise à l’aéronaute du sexe aimable qui avait franchi la plus grande distance mesurée, du point de départ au point d’atterrissement, sur un arc de grand cercle, au niveau des mers. Voilà, certes, une définition bien ardue pour une coupe féminine63. »

Enfin, l’incapacité des femmes aéronautes se lit dans l’assujettissement de leur condition aéronautique au pouvoir bienveillant des hommes. La sportswoman est ainsi constamment présentée en compagnie des chaperons masculins qui ont rendu possible son accès à la nacelle du ballon, et donc à la performance. Autrement dit, il n’existe guère de moments durant lesquels l’exploit féminin est envisagé comme appartenant en totalité à la femme qui le réalise. Chaque ascension est montrée comme émanant obligatoirement d’un parrainage masculin : la femme ne devient à ce titre que la courageuse passagère d’une aventure qu’elle ne saurait entièrement maîtriser. Le portrait de Miss Moulton, « détentrice de la Coupe de La Vie au Grand Air », apparaît ainsi dans la revue, soigneusement encadré par ceux de Monsieur André Legrand et du comte de Castillon de Saint-Victor, propriétaire du ballon le Centaure à bord duquel, le 13 octobre 1903, Miss Moulton franchit 1 072 kilomètres en 19 heures64.

1909 : une émancipation en trompe-l’œil

Cette performance féminine placée sous tutelle sportive masculine est caractéristique des représentations de l’exploit aéronautique et de l’accomplissement sportif féminin jusque dans les années 1912-191365. Nous pourrions dire que les commentaires qui accompagnent la performance féminine aéronautique à partir de 1909 ne varient guère sur ce plan. Il reste cependant surprenant de constater l’absence d’articles consacrés à la création de l’aéro-club féminin la Stella. Certes, ici encore, nous assistons à l’émergence institutionnelle d’un sport féminin placé sous tutelle masculine : l’émancipation aéronautique des « stelliennes » ne vaut que replacée dans le contexte de bienveillance masculine à leur égard qui sied à son éclosion au cœur des milieux sociaux favorisés66. De même, il reste surprenant de constater l’absence de commentaires concernant les performances de quelques femmes particulièrement engagées dans les sports en général, et dans l’aérostation ou l’aviation en particulier. On pense ici notamment aux exploits de Marie Marvingt (1875-1963), la « fiancée du danger ». Le fait est d’autant plus surprenant que d’autres revues moins sportives, comme L’Aérophile, n’ont pas hésité à dresser, à la même époque, le portrait de ces intrépides voyageuses.

Que faut-il conclure sur cette absence ? Dans ce silence relatif, la femme redevient pour La Vie au Grand Air l’épouse attentive du pilote victorieux. Celle qui, à l’instar de Madame Blériot, applaudit au succès de son mari et couronne de laurier le vainqueur67.

C’est dans la période suivante qu’un modèle mieux défini d’héroïne sportive prend force à travers les exploits de quelques aviatrices.

1913 : de la passagère à la pilote sportive

La passagère et la pilote sportive aguerrie constituent les deux figures dominantes autour desquelles s’organisent les représentations de la femme sportive à la veille de la guerre.

Le premier modèle ne constitue pas seulement le prolongement de la domination sportive masculine sur les exploits féminin. Il en est en réalité une variante singulière. L’aviation a imposé un nouveau rythme, de nouveaux exploits, de nouveaux usages, même s’ils ne sont encore que faiblement partagés. Par son illustration du surprenant voyage en aéroplane que réalise Mademoiselle Juliette Marchal, de l’Opéra-comique, en compagnie du pilote Alfred Leblanc, La Vie au Grand Air nous permet de saisir une réalité complexe, à l’articulation de deux discours. La photographie est surprenante68. D’un côté, l’aviatrice nous est présentée dans la modernité triomphante de l’aéroplane, en tenue de cuir et casque bouilli, amazone conquérante des temps nouveaux69, qui n’hésite pas à se rendre sur les lieux de ses prestations artistiques (elle est cantatrice) en aéroplane. De l’autre, cette transgression inouïe, qui combine progrès technique, nouveaux pouvoirs en matière de mobilité, d’autonomie, de risque, accoutrement typiquement masculin (s’opposant à l’esthétique traditionnelle du costume féminin), est nuancée au cœur même de la composition photographique par l’incrustation du deuxième temps du vol, l’atterrissage, et le moment où la femme redevient femme, en se poudrant le nez et en reprenant forme esthétique féminine (coiffure, toilette, gestuelle). Cette coquetterie rassurante, qui succède à l’outrecuidante modernité du vol, est particulièrement caractéristique des représentations dans lesquelles La Vie au Grand Air magnifie un « entre deux » pour la femme moderne, dont l’ordinaire ne saurait s’organiser uniquement autour de l’exploit aérien, nécessitant un retour obligé à la vie « normale ».

(Fig. 5).

(Fig. 5).

Femme et sportive à la fois. La Vie au Grand Air, 1913.

Crédits : Photo de l’auteur

De l’autre côté, le second modèle, celui de l’aviatrice en titre, nous est présenté sous le jour d’une femme volontaire, aux traits francs et au visage décidé. Élise Deroche, dite baronne Delaroche, ou encore une autre sportswoman, Mademoiselle Pallier, sont vêtues de leur tenue d’aviatrice, généralement aux commandes de leur appareil, comme la plupart des pilotes masculins. Chacune des aviatrices est indépendante : nul homme ne siège à ses côtés. Le commentaire est généralement élogieux et donne un aperçu des performances accomplies : « Madame Pallier, l’excellente aviatrice, a remporté la coupe Fémina pour l’année 1913, couvrant 280 kilomètres en 3 h. 40 mn70. » Cette femme, dont le profil devient moins rare à l’approche de la guerre, bénéficie de formes d’héroïsation similaires à celles qui ont marqué, quelques années plus tôt, les exploits masculins, atteignant à une forme de visibilité comparable dans sa forme (couvertures de La Vie au Grand Air) quoique moins importantes par le nombre71.

Cependant la revue ne confond pas les deux modèles de sportives : la femme aviatrice, compétente, indépendante, l’héroïne sportive, demeure une exception que ne saurait imiter l’ensemble des femmes. Ainsi, la passagère mondaine, qu’un séjour dans les airs distingue sportivement et magnifie, ne dispose que d’un temps aérien qui reste compté et qui n’intègre la dimension sportive, précisément, qu’au travers du voyage qu’elle accepte de partager avec l’homme dont les performances reconnues assurent une maîtrise et une incontestable légitimité.

Performances et records

Au tournant des xixe et xxe siècles, les ascensions en ballon, puis les envolées en aéroplane, constituent des occasions sportives sans précédent : la création d’épreuves, de coupes, de prix, transforme la pratique des voyages aériens en périples audacieux qui deviennent autant d’occasion de records, donnant lieu à une représentation spécifique de la mesure et de l’espace. L’aviation, dans son rapport à la vitesse, à l’accélération et aux espaces lointains devient également le territoire de nouvelles prouesses humaines et techniques : un excellent banc d’essai pour tester les hommes et les machines…

1905 : Coupes et épreuves aérostatiques, au gré des vents

L’aérostation des sportsmen est d’emblée marquée par un rapport spécifique à l’espace et au temps dont La Vie au Grand Air rend compte en utilisant divers procédés textuels et graphiques. Titres et sous-titres reprennent inlassablement les caractéristiques remarquables des voyages aériens au point de réduire bien souvent l’ascension à quelques chiffres : la distance du vol, l’altitude moyenne et les pics de hauteur, la durée. Cette grille de lecture permet, comme nous l’avons souligné auparavant, une comparaison et un classement immédiats des performances et des pilotes : « 1 000 km. En ballon – Le célèbre Henry de La Vaulx, recordman du monde de la distance et de la vitesse en ballon72. » Bien souvent, l’exploit tient autant à la distance parcourue qu’aux conditions dans lesquelles le voyage s’est effectué : franchissement de montagnes, de mers, survol d’étendues désertiques, tempêtes, etc. Bien que les vents ne soient guère maîtrisables par l’aéronaute, certains parcours, sous l’éclairage médiatique, se constituent progressivement en « classiques ». Il en va ainsi, par exemple, de la traversée aérienne de la Manche, qui donne l’occasion d’établir sur Londres-Paris, des records fameux73.

Graphiquement, le traitement de la performance n’est pas moins saisissant. À l’endroit où le texte participe souvent à mettre le récit en équation avec la performance, l’image vient réinstaller un visuel qui constitue une autre forme de déréalisation sportive74. En effet, sauf en quelques occasions (départs, arrivées, photos prises depuis l’intérieur de la nacelle), les prises de vues sont relativement rares. En revanche, La Vie au Grand Air utilise le procédé des cartographies illustrées qui permet de remettre en perspective l’espace, le relief et les distances. Le lecteur est ainsi projeté visuellement au cœur de la performance. Il appréhende à travers les trajectoires des ballons une géographie nationale souvent mal connue et, au-delà des frontières, un lointain, parfois teinté d’exotisme (atterrissages des ballons en Russie), que seul l’aéroplane, à la veille de la guerre, permettra de revisiter à l’aune de nouvelles aventures sportives.

1909 : la segmentation sportive et technique de l’exploit aérien

L’essor de l’aéroplane marque plus sûrement encore le lien instauré entre sport et technique. La vitesse, la durée, l’altitude, les distances demeurent plus que jamais les repères dans lesquels s’inscrivent performances techniques et sportives à l’âge de l’industrialisation naissante de la mobilité et des transports. La Vie au Grand Air participe à la promotion de cet univers dans lequel la technologie aviatrice ouvre de nouveaux horizons performatifs, pendant que le sport donne la mesure des nouvelles machines. Ce calibrage technico-sportif trouve à s’exprimer de différentes manières. D’une part, des distances étalons se sont progressivement installées dans l’imaginaire sportif des lecteurs, au fil des pages. Il en va ainsi du fameux Paris-Bordeaux, grande « classique » du pédestrianisme, du cyclisme, de l’automobilisme… et bientôt de l’aviation75. Cette segmentation technique de la performance qui, progressivement, conduit à construire des outils de mesure de plus en plus fins, trouve à s’exprimer graphiquement dans un monde d’images peuplé de machines que l’on va successivement replacer dans différents contextes supposés donner du sens aux performances : mesurer l’altitude atteinte en aéroplane par comparaison avec la hauteur d’une cathédrale, puis de la Tour Eiffel voire des Pyramides d’Égypte76.

(Fig. 6).

(Fig. 6).

À 155 m. dans les airs. La Vie au Grand Air, 1909.

Crédits : Photo de l’auteur

On peut encore placer la performance au centre d’un cercle géographique imaginaire : « Les villes que Farman aurait pu visiter [s’il n’avait pas tourné en rond dans le cadre du meeting aérien]77. » L’imagerie s’empare également des machines, de leurs profils si caractéristiques, pour mieux les replacer dans un ciel artificiel balisé, quadrillé, où chaque mètre compte, où chaque appareil se positionne en fonction des résultats de la compétition.

De manière assez constante, le terme de record imprime à l’écriture des articles une marque essentielle : « À l’assaut des records !78 » ; « Sommer bat le record de la durée79 ». La Vie au Grand Air fait également une large place à la promotion de prix créés par les industriels, lesquels participent à l’élaboration des normes compétitives en proposant de nouvelles épreuves destinées à prolonger cet idéal du dépassement. Le groupe Michelin, par exemple, crée une épreuve destinée à récompenser « le pilote qui avant le 31 décembre, au coucher du soleil, aura parcouru la plus grande distance en circuit fermé et sans contact avec le sol. Cette distance devra être au minimum de 20 km ». Michelin crée aussi un grand Prix destiné à récompenser :

« Le pilote du premier appareil à deux places occupées qui établira avant le 1er janvier 1918 le record suivant, homologué par l’Aéro-Club de France. L’envolée d’un point quelconque des départements de la Seine ou de la Seine et Oise. Faire un cercle complet autour de la verticale de l’Arc de triomphe. Ensuite et de même autour des flèches de la cathédrale de Clermont-Ferrand et venir se poser au sommet du Puy de Dôme (altitude 1465m.) dans un délai moindre de 6 heures80 »

Notion cardinale du récit aéronautique et sportif, le record est aussi le terme qui permet bientôt de nationaliser la performance aviatrice en instaurant une concurrence entre pilotes de différents pays, ouvrant à une lecture patriotique, voire chauvine, de la performance. La France est ainsi classée, en 1909, par La Vie au Grand Air, championne de l’aviation :

« L’envol de nos aéroplanes prouve qu’il faut chercher plus profondément les raisons de cette prépondérance prise en aviation par la France. C’est à notre faculté d’invention, à notre enthousiasme, pour ce qui est nouveau et qui s’annonce merveilleux, à la faculté que nous avons de faire donation de nous même lorsque nous tenons à cœur de causer le triomphe d’une idée, enfin tout ce qui caractérise notre génie national, que nous devons la gloire d’être les premiers dans l’ascension vers l’idéal prodigieux : la maîtrise des airs81. »

Mais cette lecture médiatique du vol en aéroplane, qui peuple l’imaginaire des lecteurs de vols mesurés, scrutés, comparés, ne se fait encore qu’à petite échelle. À cette époque, la performance reste contenue dans un espace proche, visible, dont le spectateur, convié au meeting aérien, peut encore appréhender la proximité. Au-delà de la traversée de la Manche accomplie par Blériot, l’aéroplane s’évade de l’espace familier pour aborder de nouveaux horizons. L’échelle de mesure et de représentation des performances change. Cette interprétation de l’ailleurs, du lointain, devient progressivement le filtre à travers lequel s’étalonnent de nouveaux records.

1913 : Repousser les limites

Après la période des meetings, des premiers vols de ville à ville, l’aéroplane s’est progressivement affranchi du cercle étroit des performances domestiques. Le raid aérien, avalant des distances jusqu’alors impensables, est devenu l’épreuve à l’aune de laquelle s’accomplit la prouesse aviatrice. « L’avion peut-il traverser l’Atlantique ? » écrit en 1913 un collaborateur de la revue, s’interrogeant, à travers la faisabilité de l’entreprise, sur les aspects » insensés » d’un « fantastique voyage82 ». La tonalité de l’article est tout à fait caractéristique des enjeux et des horizons nouveaux que l’exploit sportif intègre dans cette course sans cesse reconduite vers le progrès, vers l’extension théoriquement infinie des pouvoirs techniques et des possibilités humaines. Le texte est d’autant plus intéressant qu’il hésite à donner une réponse ferme et tente de mettre en balance la symbolique des performances sportives avec la dimension plus concrète des perspectives commerciales et industrielles auxquelles renvoie la production de l’exploit. À quoi bon persévérer ? Jusqu’où faudra-t-il voler et, éventuellement, chuter pour satisfaire quelle soif de conquête ? Cette tendance à se projeter vers le lointain à bord d’une machine, quitte à prendre un risque toujours plus grand face à l’inconnu, questionne autant qu’elle passionne.

D’une certaine manière, comme le suggère la mise en page de la revue, qui use d’illustrations en couleurs où les bleutés du lointain dominent, et redouble d’inventivité pour donner la mesure des nouvelles performances, c’est bien une conquête de l’ailleurs qui se met en place, au fur et à mesure que les voyages les plus audacieux se réalisent. Alors que Roland Garros franchit la Méditerranée en septembre 1913, marquant l’imaginaire de ses contemporains par l’audace que constitue non seulement la distance, mais également le survol toujours risqué de l’obstacle marin, l’aviateur Seguin accomplit un raid de 1 350 kilomètres (de Biarritz à Brême, avec une étape à Buc en région parisienne) et le Suisse Oskar Bider franchit les Alpes. Cet appel du lointain bénéficie par ailleurs des progrès techniques et de l’innovation qui viennent redoubler l’essor des performances. Les premières courses d’hydro-aéroplanes, de ville à ville, par exemple, en offrant le confort de l’amerrissage, ouvrent des perspectives aviatrices inédites. On projette de grandes courses et de prodigieuses bases d’hydro-aéroplanes un peu partout dans le monde.

En cette fin d’année 1913, La Vie au Grand Air se prend à rêver aux possibilités fantastiques qui se présentent alors pour le monde. La revue publie un numéro spécial, consacré aux progrès de l’aviation : « Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? », titre la rédaction. Sur la couverture couleur, un aéroplane aux performances magnifiées dessine un cercle autour du globe terrestre, symbolisant l’extension inouïe des possibilités humaines et semblant annoncer des lendemains prometteurs en matière d’exploration céleste83.

(Fig. 7).

(Fig. 7).

Où en sommes-nous ? Où allons-nous ?, La Vie au Grand Air, 1913.

Crédits : Photo de l’auteur

La machine

S’il est un domaine dans lequel s’expriment les fantasmes et les passions d’une époque, c’est bien l’univers de la machine… Il s’agit d’un lieu traversé par un étrange mélange de rêve et de technicité : deux faces indissociables du projet de perfectionnement qui marque l’avènement d’un formidable pouvoir sur les éléments. On comprend dès lors combien le rêve de puissance et de gloire qu’incarne, à l’âge industriel, l’essor du sport moderne servi par les technologies de la mobilité triomphante, puisse à la fois être source d’un progrès avéré, mesurable, et constituer le socle autant que le moteur d’une injonction permanente : faire mieux, faire plus, toujours plus haut, plus loin, plus fort.

1905-1909 : la quête aviatrice, entre mythes et réalités

En 1905, la machine volante est encore constituée de toile et d’osier. Le sphérique, source de performances majeures, règne en maître dans les cieux et impose sa silhouette dans les pages de La Vie au Grand Air : grandes bulles majestueuses qu’un projet de dirigeable à hélices vient à peine perturber de temps à autre. L’aéroplane n’est encore en Europe qu’une idée en devenir, machine de rêve à peine esquissée : figure fugace, vision déformée du biplan Wright dont on ne sait alors s’il existe réellement ou s’il ne relève pas du coup de bluff84. La poésie et le théâtre, même, parviennent à capturer le mouvement immobile des ballons et à emprisonner l’idée du plus lourd que l’air pour mettre en scène le rêve aérien. Une pièce écrite et présentée par quelques sommités de la vie aéronautique française obtient ainsi les faveurs de la revue qui lui consacre une pleine page illustrée, curieux amalgame de technicité et d’illusion85. Dans le compte rendu du Concours d’aviation organisé en 1905, La Vie au Grand Air expose une autre facette du rêve et montre à travers quelques figures techniques fort saisissantes de quelle manière la machine entretient avec le réel – c’est-à-dire, en l’occurrence avec le modèle naturel, l’oiseau – des liens, des connivences étroites : « Cet étrange volatile en cartonnage, assez difficile à classer, est dû à M. Gellit qui a poussé la conscience jusqu’à figurer d’un pinceau appliqué la moindre penne. Au-dessous est apparu un châssis en tubes d’acier, supportant l’effigie réduite d’un aviateur86. »

Puis progressivement l’ère technique du vol motorisé s’affirme, au point de devenir l’essence même de la compétition technique et humaine… voire la base d’une transformation possible de l’homme, devenu lui-même le cœur et l’âme de la machine. L’aviateur Louis Blériot traverse la Manche et devient, l’espace d’un instant, l’homme machine de l’avenir : assemblage inédit de tôles, de rouages, d’ailerons et de membres humains que la revue présente dans son numéro de Noël. L’essor technique de l’aviation, les performances sportives et les records s’inscrivent dans cette hallucinante transmutation du pilote en être hybride : un corps métallique, fuselé, d’où s’échappent deux mains enserrant des volants d’acier, deux ailes, une hélice propulsive et des roues à la place des pieds, le fier profil gaulois de l’aviateur conquérant tendu vers l’horizon87.

(Fig. 8).

(Fig. 8).

Blériot, l’homme-machine, La Vie au Grand Air, 1909.

Crédits : Photo de l’auteur

Cette composition rend compte de l’intersection majeure entre sport et technique, de la puissance technologique incarnée dans un homme, un projet, une performance. Mais elle est plus que cela encore : la résultante d’une longue tradition d’invention, de bricolage, de machines rêvées, essayées, détruites, adulées, capturées par l’objectif du photographe. Pour ne prendre que l’exemple de Louis Blériot, il n’est pas anodin de constater combien la revue suit la trajectoire de l’inventeur et du pilote ; elle publie des pages significatives à propos de ses « expériences d’aviation » en mettant en scène les étranges créatures mécaniques dont le nom bien souvent se réduit à un numéro ou un matricule : « Du n° I au n° XI – par Louis Blériot »88. Progressivement, par le jeu des illustrations, des récits, en multipliant ses approches par le nombre croissant d’expérimentateurs et de projets, La Vie au Grand Air participe à introduire, dans l’imaginaire, ce bestiaire mécanique, à acclimater le lectorat à l’univers technique du vol, même si par ailleurs la dimension théorique et savante en matière d’aérodynamique échappe totalement au public.

Mais sur ce point encore, il convient de nuancer. Car c’est précisément à partir des années 1909-1910, dans le sillage des premiers exploits mécaniques des sportifs de l’air, que de nouvelles rubriques tentent, simultanément, de rendre compte des performances sportives et de renseigner les lecteurs, de manière plus approfondie, sur les questions strictement techniques.

1909-1913 : une pédagogie du vol ?

À partir de 1909, une forme de « désir didactique » accompagne l’évolution technologique et sportive pour se matérialiser durablement dans une nouvelle approche éditoriale. La machine est au cœur de bien des questionnements et, sans se substituer aux revues scientifiques et techniques plus spécialisées, La Vie au Grand Air tente de décrire les principaux aspects de l’aviation, d’expliquer le fonctionnement d’un moteur, les sensations du vol… Dans une optique de vulgarisation, la revue cherche à répondre aux questions les plus fréquentes, y compris celles relatives au domaine des apprentissages : comment construire un aéroplane, comment devenir pilote ?

Cette tendance nouvelle se matérialise dans un ensemble de rubriques dont le côté technique ne cède jamais la place aux aspects sportifs : la performance, la machine, son fonctionnement ne sauraient être disjoints de la dimension technique et sportive de la compétition qui accompagne l’essor de l’aviation et sa réception dans le public. Il y a là un tout culturel dont la revue accompagne médiatiquement la construction.

Des fiches techniques voient le jour, comme cette planche, destinée à bien décrypter la mécanique d’une victoire, intitulée « L’appareil qui traversa la Manche89 », ou celle-ci, consacrée au problème vestimentaire et titrée : « Comment on doit s’habiller pour pratiquer l’aviation90 ». Chacune renvoie aux transformations inouïes qu’introduit dans un quotidien en mouvement la rupture liée aux usages de la machine, aux brûlures dues aux projections d’huile et autres désagréments de la vitesse :

« Avec l’aéroplane, la position du conducteur est de beaucoup différente et aussi désavantageuse que celle d’un mécano sur sa voiture. L’aviateur sur son siège est exposé de toutes parts, non seulement à l’air ambiant qui peut souffler en tempête, mais au courant autrement dangereux de l’hélice…91 »

La publicité vient également familiariser le lectorat de la revue avec toute une panoplie d’instruments, d’outils, de pièces mécaniques, d’éléments de moteurs, d’appareils même, intégrant dans la publication le projet si séduisant du « devenez aviateur » et de cette rencontre toujours possible avec la machine volante, les sensations du vol et le frisson de l’exploit.

La rubrique « Petit dictionnaire sportif – Réponses aux questions posées » vient ajouter, en 1913, à ce projet didactique : des entrées sous la forme de questions et de réponses sur des problèmes d’ordre technique (« Pour être aviateur et pilote d’aéronat » ; « Pour augmenter la puissance d’un moteur »), permettent aux lecteurs de se familiariser avec les nouveaux sports et leurs usages techniques. La revue fait ainsi doublement recette en permettant que s’établisse avec son lectorat un lien plus serré, basé sur la sollicitation d’experts et sur le dialogue. Enfin, l’association entre résultats techniques et résultats sportifs n’est jamais aussi forte que dans les légendes des illustrations qui associent systématiquement les deux termes : sportif et technique. Au même moment, renversant la perspective de l’exploit, la page des résultats sportifs de la semaine, prend le titre étonnant de « Résultats techniques92 ». L’aviation, expression sublimée de la vitesse à l’heure de la modernité sportive, est désormais devenue l’instrument majeur de la compétition technique mondiale.

Conclusion

L’analyse des articles de La Vie au Grand Air montre combien l’aviation fut une utopie vécue sur le mode collectif, spectaculaire, héroïque, bref, sportif, avant que la guerre ne se charge de réarmer le bras séculaire de la technique et du progrès, réorientant les logiques de la compétition vers des affrontements beaucoup moins symboliques. L’aéronautique, comme le cycle ou l’automobile, introduit à la vitesse, à l’exploit, au sport ; elle est un sport, sans doute un sport majeur de la Belle Époque, avant de devenir l’instrument d’une rationalisation du monde beaucoup moins enchanteresse.

Cette dimension héroïque et sensationnelle de l’aéronautique irrigue les canaux de la culture de masse émergente : médias, presse et cinéma, sport. Elle traverse le langage médiatique de La Vie au Grand Air qui offre à ses lecteurs une approche imagée de la conquête sportive comme épure de la conquête du monde moderne. De l’aérostation des sportsmen à l’essor performatif de l’aviation, tout montre en effet comment se développe une tendance systématique à traiter l’actualité aéronautique sur le mode de l’engagement sportif : exploits, records, héroïsation du pionnier, du champion. Cette image sportive introduit à une forme d’universalité assumée, dans la mesure où son principe même participe de l’essor d’une société en train d’inventer et/ou de réinventer ses codes culturels et ses propres mythes : le franchissement de limites sans cesse repoussées au nom du progrès indéfini, la construction de figures héroïques, le spectacle de masse et la communion des foules, la médiatisation de l’aventure et l’exploration de l’inconnu. Mais cette représentation de la perfection en mouvement élabore ses propres filtres. Elle développe en particulier une image exclusive, largement masculine (la figure sportive de la pionnière n’est envisageable que dans le sens de l’exception et non du modèle) et fortement franco-centrée de la conquête de l’air. Elle « naturalise » l’exploit qui demeure l’apanage d’une classe sociale et/ou d’une caste spécifiquement dotée de qualités prétendument innées.

Plus généralement, l’analyse de la production journalistique confirme la symbiose culturelle, technique et médiatique qui puise son origine dans les formes industrielles de la production et de la compétitivité : la matrice sportive domine l’univers technique pendant que le progrès technique offre de nouveaux possibles en matière de prouesses sous l’éclairage d’une presse populaire en expansion. Dès lors, l’imaginaire de la conquête de l’air se nourrit de cette dynamique sportive, qui constitue simultanément une grille de lecture adéquate pour lire les progrès de l’humanité à l’heure de l’exploration mesurée et « recordisée » du monde. Une boucle se tisse progressivement, de l’espace proche (quelques centaines de mètres d’altitude pour des pilotes tournant en rond au cœur des meetings) aux contrées plus lointaines, alors que l’expert et sa machine intègrent la quête d’un ailleurs fantasmé, vers des cieux de plus en plus inaccessibles, franchissant mers, montagnes et déserts…

Faut-il situer une limite à la symbolique de cet essor ? La guerre marque sans doute la fin de l’aviation purement sportive. Car rien ne sera plus comme avant. Et si, dans La guerre aérienne, le journaliste sportif Jacques Mortane, membre de l’équipe de La Vie au Grand Air peut encore écrire sur le « grand match » que se livrent désormais les soldats-aviateurs93, l’image de l’aéroplane, devenu avion, ne sort pas indemne de ce théâtre de mort et d’atrocité qui marque l’entrée véritable dans le xxe siècle. Devenue l’horizon de son propre développement, une technique pour la technique, l’aviation entre alors dans l’âge du miracle ordinaire, délaissant progressivement la part de rêve qui accompagnait ses soubresauts héroïques à la « Belle époque » des aéroplanes.

Bibliographie

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Wolgensinger Jacques, L’Histoire à la une. La grande aventure de la presse, Paris, Gallimard, 1989, 192 p.

Notes

1 THIBAULT Jacques, Sport et éducation physique, 1870-1970, Paris, Vrin, 1972. Retour au texte

2 VEBLEN Thorstein, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, (1899) 1970. Retour au texte

3 robÈne Luc, L’homme à la conquête de l’air. Des aristocrates éclairés aux sportifs bourgeois (t.2), Paris, L’harmattan, 1998. Retour au texte

4 Aéronautisme : terme forgé pour rendre compte des usages sportifs, mondains et compétitifs de la conquête de l’air (aérostation, aviation) durant la période 1880-1914. Voir robÈne Luc, L’homme à la conquête de l’air. Des aristocrates éclairés aux sportifs bourgeois (t.2), op. cit., p. 253 et suiv. Retour au texte

5 robÈne Luc, BOdin Dominique « Le feuilleton aéronautique à la Belle Époque », Le Temps des Médias, 2008, n° 9, pp. 47-62. Retour au texte

6 CLASTRES Patrick, mÉadel Cécile, dossier spécial « La fabrique des sports », Le temps des Médias, n° 9, 2008. Retour au texte

7 WOlgensinger Jacques, L’Histoire à la une. La grande aventure de la presse, Paris, Gallimard, 1989. Retour au texte

8 robÈne Luc, BOdin Dominique « Le feuilleton aéronautique à la Belle Époque », op. cit., p. 53. Retour au texte

9 robÈne Luc, BODIN Dominique, hÉas Stéphane, « Le bonheur est dans les airs. L’aérostation 1880-1914 », Terrain, n° 46, 2006, pp. 123-136. Retour au texte

10 Voir par exemple les comptes rendus publiés dans L’Aérophile tout au long de l’année 1893. Retour au texte

11 Le comte de Dion, qui réalisa dans les années 1880 un certain nombre d’ascensions aux côtés des aéronautes de la Société Française de Navigation Aérienne (SFNA) à bord du ballon Horizon, est à la fois un sportsman de talent impliqué dans les développements de l’aéronautisme et de l’automobilisme, le premier président de l’Aéro-Club de France, le président du syndicat des industriels de l’aéronautique, un industriel avisé dans le domaine du cycle et de l’automobile, l’un des actionnaires principaux de journaux sportifs comme Le Vélo, puis L’Auto-Vélo, puis L’Auto, ancêtre de L’Équipe. Retour au texte

12 Henry Deutsch de la Meurthe offre 100 000 francs à quiconque réussira, en moins de 30 minutes à faire un vol aller-retour avec contournement de la tour Eiffel, au départ du parc de l’Aéro-Club de France, à Saint-Cloud. Retour au texte

13 L’organe sportif, créé en 1898 (le premier numéro paraît le 1er avril 1898), devient hebdomadaire à partir de février 1899. Il cesse de paraître en 1914 pour revenir courant 1916, sous une forme trimestrielle, avant de disparaître de nouveau en 1922 (dernier numéro – n° 876 – le 15 avril 1922). À cette date, la revue change de nom pour devenir Très Sport. C’est à cette adresse que Pierre Lafitte domicilie également l’édition des autres revues qu’il dirige, comme Fémina, et qu’il crée un théâtre du même nom, le « Fémina ». Voir : guÉrin Retour au texte

Jean, guÉrin Bernard (dir.), Des Hommes et des activités. Autour d’un demi-siècle, 1889-1957, Lormont, Société bordelaise d’éditions biographiques, 1957, p. 403.

14 Presse Publicité, n° 2, mars 1937, p. 4. Retour au texte

15 tÉtart Philippe, VIllaret Sylvain (dir.), Les Voix du sport. La presse sportive en France à la Belle Époque, Biarritz, Atlantica, 2010. Retour au texte

16 50 centimes le numéro. Retour au texte

17 Lord Northcliffe crée le prix du Daily Mail pour la traversée de la Manche en aéroplane, remporté le 25 juillet 1909 par Louis Blériot. Retour au texte

18 « À nos lecteurs », La Vie au Grand Air, 1913, n° 784, p. 802. Retour au texte

19 De ce point de vue, Thierry Gervais a bien montré qu’il s’agit moins de considérer La Vie au Grand Air comme une revue illustrée que comme un magazine moderne. Un magazine que l’on peut feuilleter et qui, par conséquent, présente d’autres attraits que le simple texte pour retenir l’attention des lecteurs. GERVAIS Thierry, « L’invention du magazine », Études photographiques, 2007, n° 20, pp. 50-67. Retour au texte

20 En 1905, Pierre Lafitte écrit : « Après sept années d’existence, La Vie au Grand Air reste la seule revue illustrée de tous les sports. Les innombrables concurrents qui lui ont été opposés n’ont pu lui enlever une parcelle de son succès et de son autorité. Le nombre des pages est augmenté. La qualité du papier améliorée et la présentation modifiée : de nombreux encarts en couleurs. Des compositions des artistes les plus célèbres, des articles des écrivains spéciaux les plus réputés, des photographies admirables feront la joie de nos lecteurs […] », n° 347, p. 360. Retour au texte

21 robÈne Luc, « La Petite Gironde et l’information sportive dans le Sud-Ouest (1872-1893) » in tÉtart Philippe (dir.), Le sport dans la presse régionale quotidienne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, pp. 163-192. Retour au texte

22 On y retrouve notamment de nombreux aéronautes et aviateurs. En 1913, La Vie au Grand Air dresse une liste assez complète des « chroniqueurs les plus goûtés, écrivains sportifs les plus compétents », n° 784, p. 802. Retour au texte

23 « En outre nous aurons à l’étranger des correspondants spéciaux qui nous tiendront au courant du mouvement sportif de leur pays et écriront pour nos lecteurs les plus attachantes chroniques […] pour l’Amérique, Dan Mac Ketricke, rédacteur à l’Evening World ; John Kelly, rédacteur au Philadelphia Times […] pour l’Angleterre les fins chroniqueurs et célèbres joueurs H.-F. Lappwerth et Gwyn Nicholls […] ». La Vie au Grand Air, 1909, n° 588, p. 478. Retour au texte

24 robÈne Luc, « Les sports aériens : de la compétition sportive à la violence de guerre », Guerres mondiales et Conflits contemporains, n° 251, 2013, pp. 25-43. Retour au texte

25 ORY Pascal, La Légende des airs, Paris, Hoëbeke, 1991. Retour au texte

26 « Sans favoriser un sport plus qu’un autre, les faveurs de La Vie au Grand Air vont à tous. N’est-elle pas la revue illustrée de tous les sports ? », La Vie au Grand Air, 1905, n° 331, p. 27. Retour au texte

27 La Vie au Grand Air, 1905, n° 331, p. 47. Retour au texte

28 La Vie au Grand Air, 1905, n° 331, p. 27. Retour au texte

29 La Vie au Grand Air, couverture couleur du n° 380 – n° de Noël, 22 décembre 1905. Retour au texte

30 La Vie au Grand Air, 1905, n° 358, p. 602. Retour au texte

31 « Quel est le véritable sportsman ? Est-ce celui qui se passionnant pour un sport le pratique avec ardeur, ou celui qui, s’intéressant à tous en pratique le plus grand nombre possible ? », écrit en préambule de son article le rédacteur de La Vie au Grand Air, 1905, n° 337, pp. 146-148. Retour au texte

32 Il s’est illustré dans plusieurs compétitions, notamment au grand concours de Bordeaux en 1901, à bord de son aérostat Rolla. Retour au texte

33 « Il est difficile de mieux résumer un homme en un mot que je ne vais le faire ici pour M. Étienne Giraud en vous le présentant comme un sportsman » écrit le journaliste de La Vie au Grand Air, 1905, n° 337, p. 146-148. Retour au texte

34 faure Jacques, « De Londres à Paris en ballon – Mon carnet de bord », La Vie au Grand Air, 1905, n° 336, pp. 129-130. Retour au texte

35 « 1 000 km en ballon », La Vie au Grand Air, 13 avril 1905, n° 344, p. 285. Retour au texte

36 La Vie au Grand Air, 1905, n° 330, p. 7. Retour au texte

37 La Vie au Grand Air, 1909, n° 570, p. 128-129. Retour au texte

38 Voir notamment : « Du n° I au n° XI » par Louis Blériot, La Vie au Grand Air, n° de Noël 1909. Retour au texte

39 La Vie au Grand Air, 1909, n° 570, p. 121. Retour au texte

40 La Vie au Grand Air, couverture du n° 497, du 28 mars 1908. Retour au texte

41 La Vie au Grand Air, couverture intérieure du n° 529, 7 novembre 1908. Retour au texte

42 La Vie au Grand Air, 1908, p. 229 (suppl. au n° 523 du 26 septembre 1908). Retour au texte

43 robÈne, Luc, L’homme à la conquête de l’air. Des aristocrates éclairés aux sportifs bourgeois, t. 2, op. cit., p. 409 ; robÈne Luc, HÉAS Stéphane, boDIN Dominique, « Pau, berceau des ‘hommes-oiseaux’ (1908-1914) », Le Festin, 2008, n° 64, pp. 60-65. Retour au texte

44 La Vie au Grand Air, n° 586, n° de Noël 1909. Retour au texte

45 La Vie au Grand Air, 1909, n° 570, p. 141. Retour au texte

46 La Vie au Grand Air, 1909, n° 572, p. 160. Retour au texte

47 La couverture couleur du n° 567, 31 juillet 1909, magnifie l’image du héros Louis Blériot mais stipule en sous-titre : « Ce numéro contient un supplément de deux pages sur la chute de Latham en vue de Douvres ». Retour au texte

48 Duret, Pascal, 1993. Retour au texte

49 La Vie au Grand Air, 1909, n° 579, pp. 298-300, ainsi que couverture couleur. Retour au texte

50 La Vie au Grand Air, supplément couleur, n° de Noël 1909. Retour au texte

51 La Vie au Grand Air, 1909, n° 580, p. 322. Retour au texte

52 « Mes idées sur l’aviation » par Brindejonc des Moulinais, La Vie au Grand Air, 1913, n° 772, p. 524. Retour au texte

53 Ibid. Retour au texte

54 La Vie au Grand Air, ill. non paginée, 6 décembre 1913, n° 794. Retour au texte

55 La Vie au Grand Air, 1913, n° 784, p. 805. Retour au texte

56 La Vie au Grand Air, 1913, n° 784, p. 805. Un même procédé graphique est repris plus tard pour les exploits acrobatiques des aviateurs Peureyon et Chanteloup. Retour au texte

57 La Vie au Grand Air, 1913, n° 784, p. 816. Retour au texte

58 La Vie au Grand Air, 1913, supplément couleur cartonné, non paginé. Retour au texte

59 La Vie au Grand Air, 1913, n° 797, p. 1124. Retour au texte

60 robÈne Luc, « Le mouvement aéronautique et sportif féminin à la Belle Époque : l’exemple de La Stella (1909-1914) », in LEBECQUE Pierre-Alban (dir.), Sports, éducation physique et mouvements affinitaires au XXème siècle. Valeurs affinitaires et sociabilités, Paris, L’Harmattan, 2004, t. 1, pp. 219-233. Retour au texte

61 La Vie au Grand Air, 1905, n° 331, p. 27. Retour au texte

62 Ibid. Retour au texte

63 Ibid. Retour au texte

64 La Vie au Grand Air, 1905, n° 330, p. 16. Retour au texte

65 ROBÈNE Luc, « Vers la création d’un sport féminin : des filles de l’air aux aéronautes » in ARNAUD Pierre, TERRET Thierry (dirs.), Histoire du sport féminin, Paris, L’Harmattan, 1996, t. 1, pp. 165-184. Retour au texte

66 robÈne Luc, « Le mouvement aéronautique et sportif féminin à la Belle Époque : l’exemple de La Stella (1909-1914) » in LEBECQUE Pierre-Alban (dir.), Sports, éducation physique et mouvements affinitaires au 20ème siècle. Valeurs affinitaires et sociabilités, Paris, L’Harmattan, 2004, t. 1, pp. 219-233. Retour au texte

67 La Vie au Grand Air, 1909, n° 567, p. 78. Retour au texte

68 La Vie au Grand Air, 13 septembre 1913, n° 782. Retour au texte

69 La légende nous apprend notamment que Mademoiselle Marchal a déjà accompagné Alfred Leblanc comme passagère dans le Grand prix de l’Aéro-Club. Retour au texte

70 La Vie au Grand Air, 1913, couverture intérieure, n° 792, 22 novembre 1913. Retour au texte

71 Ibid. Retour au texte

72 La Vie au Grand Air, couverture intérieure, 13 avril 1905, n° 344. Retour au texte

73 La Vie au Grand Air, 1905, n° 336, p. 129. Retour au texte

74 L’une des caractéristiques du sport moderne est sa capacité à déréaliser les espaces naturels dans lesquels il prend initialement forme. En athlétisme, par exemple les haies naturelles ont rapidement été remplacées par des haies artificielles, obstacles normés, standardisés. Cette déréalisation sportive est ici redoublée par celle que l’image cartographiée introduite comme forme de représentation stylisée et codifiée du réel. Retour au texte

75 Le premier Paris-Bordeaux en aéroplane est réalisé en plusieurs étapes, du 1er au 3 septembre 1910 par Jean Bielovucic. Voir robÈne, Luc, L’homme à la conquête de l’air. Des aristocrates éclairés aux sportifs bourgeois, t. 2, op. cit., p. 419. Retour au texte

76 La Vie au Grand Air, 1909, n° 571, p. 179. Voir également : « Les records de la hauteur », double page non paginée. Retour au texte

77 La Vie au Grand Air, 1909, n° 571, p. 171. Retour au texte

78 La Vie au Grand Air, 1909, n° 568, p. 103. Retour au texte

79 La Vie au Grand Air, couverture intérieure, 14 août 1909. Retour au texte

80 La Vie au Grand Air, 1909, n° 570, p. 138. Retour au texte

81 La Vie au Grand Air, 1909, n° 570, p. 125. Retour au texte

82 La Vie au Grand Air, 1913, n° 797, p. 1124. Retour au texte

83 La Vie au Grand Air, 1913, n° 781. Retour au texte

84 La Vie au Grand Air, couverture intérieure, 29 décembre 1905, n° 381. Retour au texte

85 « La conquête de l’air à l’Ambigu », La Vie au Grand Air, 1905, n° 333, p. 77. Retour au texte

86 La Vie au Grand Air, 1905, n° 336, p. 136. Retour au texte

87 La Vie au Grand Air, 1909, double page couleur non paginée, n° de Noël. Retour au texte

88 La Vie au Grand Air, 1909, encart non paginé, n° de Noël. Retour au texte

89 La Vie au Grand Air, 1909, n° 568, p. 84 Retour au texte

90 La Vie au Grand Air, 1909, fiche non paginée, n° de Noël. Retour au texte

91 Ibid. Retour au texte

92 La Vie au Grand Air, 1913, n° 772, p. 529. Retour au texte

93 La Guerre aérienne illustrée, 20 décembre 1917 ; La Vie au Grand Air, 15 juin 1917. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Luc Robène, « L’aviation c’est du sport ! Images et représentations de l’aéronautique dans la presse sportive de la Belle Époque. L’exemple de La Vie au Grand Air (1900-1914) », Nacelles [En ligne], 1 | 2016, mis en ligne le 01 octobre 2016, consulté le 25 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/145

Auteur

Luc Robène

Professeur des universités

Université de Bordeaux

UMR 7172 THALIM

luc.robene@u-bordeaux.fr

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