Si les phénomènes spectaculaires comme les éclipses, les comètes, les aurores boréales ou encore les pluies d’étoiles filantes interpellent le grand public, la position des points lumineux dans le ciel relève d’une observation plus régulière du ciel, à même de noter qu’à travers des étoiles fixes dessinant des constellations immuables à l’échelle d’une vie humaine, se déplaçaient d’autres points lumineux très tôt désignés planètes, πλανήτης, « astres errants » en grec. Alors que le Soleil et la Lune changeaient de place en se déplaçant toujours dans le même sens, parmi les cinq planètes visibles à l’œil nu (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne), les deux premières semblaient osciller autour du Soleil, visibles tantôt le matin, tantôt le soir, et les trois dernières pouvaient stationner et avoir des mouvements rétrogrades…
Avant l’avènement de l’astrophysique au xixe siècle et de la cosmologie au xxe siècle, et donc l’étude des étoiles, des galaxies et de l’Univers dans son ensemble, l’astronomie a longtemps eu pour objet d’étude l’astronomie de position et notamment l’étude des mouvements apparents des planètes dans le ciel. Lorsque l’on aborde l’histoire du mouvement des planètes, la première question qui vient à l’esprit est bien sûr celle de l’évolution du modèle représentatif : géocentrisme ou héliocentrisme ? Avec pour problématique constante la question qui fut le grand casse-tête des astronomes : comment expliquer les mouvements rétrogrades des planètes ? Mais historiquement, d’autres questions ont eu autant d’importance dans l’élaboration des conceptions astronomiques. Ces planètes étaient-elles portées par des sphères en rotation, combinant leurs mouvements, du premier moteur aux huitièmes et même neuvièmes sphères des fixes ou des étoiles ? Puis, quel que soit le modèle adopté, afin d’expliquer au mieux la réalité observée, vint la figure de leurs orbites : circulaires ou elliptiques ? Enfin se posa la question des causes de ces mouvements planétaires, dans un premier temps avec la théorie de la gravitation, puis en prenant en compte les interactions mutuelles de ces planètes…
De Pythagore à Platon et Eudoxe, d’Aristote et Ptolémée à Copernic, de Kepler à Newton puis à Laplace, l’histoire des mouvements planétaires constitue un long cheminement de la pensée et un chapitre des plus intéressants de l’histoire de l’astronomie. Nous allons essayer de l’historiciser à partir de chronologies ouvrant à des comparaisons dans le cas d’approches parallèles, et à la mise en évidence de lignes causales permettant de construire des représentations et des explications1.
1. Du premier moteur à la gravitation universelle : une construction par étapes
Prenant le relais des anciennes mythologies, sous l’influence de Platon, les philosophes grecs élaborent une représentation du cosmos à partir d’un modèle géométrique. Le Soleil, la Lune, les planètes et les étoiles tournent autour de la Terre, placée au centre du monde, d’abord plate, puis sphérique. Cette mathématisation génère une première cosmologie, complétée pour l’organisation de l’univers par la physique (ou plutôt la Métaphysique d’Aristote, bien que celui-ci n’ait jamais employé ce terme dans ses écrits2). À la base de tous les mouvements qui s’enclenchent, il conçoit un « premier moteur », sorte de Dieu dans sa philosophie. Dans son traité Du Ciel, il complète les idées de Platon, en développant un concept philosophique basé sur une division entre le monde sublunaire et le monde supra-lunaire, en quelque sorte la « Terre et les Cieux », ces derniers étant le monde de la perfection et de l’immuabilité3.
1.1. La science grecque et le « miracle grec »
Le qualificatif de « miracle grec » a souvent été employé pour désigner l’évolution intellectuelle de l’humanité qui s’est opérée grâce aux philosophes de la Grèce antique. Il est d’autant plus regrettable que de nombreuses sources primaires aient disparu depuis cette époque, notamment dans les destructions successives de la Bibliothèque d’Alexandrie. Il en va ainsi pour l’astronomie et notamment les modèles théoriques développés pour expliquer le mouvement des planètes, dont plusieurs ne sont connus qu’à travers des citations d’autres ouvrages concernés4. Hormis les ouvrages de mathématiques d’Euclide, parmi les deux traités d’Autolycos de Pitane (v. 360 - v. 260 av. J-C.), Sur la sphère en mouvement constitue le plus ancien écrit astronomique grec conservé en totalité5.
Ce qui frappe au premier abord dans l’astronomie grecque, c’est de voir la théorie privilégiée, tandis que les observations semblent délaissées, excepté pour Hipparque de Nicée (v. 190 – v. 120 av. J-C.) dont les historiens des sciences savent uniquement que son activité observationnelle est bornée entre l’équinoxe d’automne du 26 septembre 147 av. J-C. et une position de la Lune le 7 juillet 1276. Bien que son catalogue de 850 étoiles, décrit notamment par Ptolémée, ne nous soit pas parvenu7, on sait que c’est en comparant ses relevés avec ceux de deux de ses prédécesseurs vers 300 av. J-C., Aristille et Timocharis8, qu’il a mis en évidence la précession des équinoxes, sa principale découverte. Les positions des étoiles sur la sphère céleste ne sont pas fixes, mais se déplacent d’est en ouest. Hipparque a évalué ce changement des points équinoxiaux entre les cercles fondamentaux de l’équateur et de l’écliptique à un déplacement d’un degré par siècle, soit 36 secondes angulaires par an (en fait, 50 secondes angulaires).
Durant le ve siècle avant notre ère, la Grèce est en effet marquée par de grandes mutations. Athènes devient son centre intellectuel avec Socrate (v. 470 - 399 av. J-C.), qui modifie la conception de la philosophie dans les écoles présocratiques où la cosmologie et la physique occupaient une place prépondérante. Ainsi, au viie siècle avant notre ère, une nouvelle démarche se fait jour : avancer une explication rationnelle du monde à l’aide de lois naturelles. Indépendamment de la mythologie, une science émerge grâce aux philosophes ioniens comme le mathématicien Thalès de Milet (v. 625 - v. 546 av. J-C.) ou Anaximandre (v. 610 – v. 546 av. J-C.) qui produit la première théorie astronomique non mythologique9, en concevant l’hypothèse du géocentrisme, avec une forme sphérique de l’univers dont la Terre, plate au sommet d’un cylindre dont la hauteur était le tiers de son diamètre, occupe le centre. En l’absence de sources primaires, l’idée d’une Terre sphérique est attribuée soit à Pythagore (v. 580 – v. 495 av. J-C.), soit à Parménide (fin vie – milieu ve av. J-C.). Cette hypothèse ne semble être admise que vers la fin du ve siècle avant notre ère, confortée par les observations de la forme arrondie de l’ombre de la Terre durant les éclipses totales de Lune. Mais elle avait déjà émergée dès le ve siècle, étant loin d’être admise ainsi qu’en témoigne cette citation d’Hérodote, vers 450 av. J-C. : » Pour moi, je ne puis m’empêcher de rire quand je vois quelques gens, qui ont donné des descriptions de la circonférence de la Terre, prétendre, sans se laisser guider par la raison, que la Terre est ronde comme si elle eût été travaillée au tour10. »
1.2. L’apport des mathématiques à travers un modèle géométrique
Après Thalès et Pythagore qui ont marqué leur époque par leurs apports et leur enseignement, Platon (427/8 – 348/7 av. J-C.), disciple de Socrate, apporte une contribution majeure qui aura une grande influence sur la science grecque en imposant l’idée d’une astronomie fondée sur les mathématiques. En orientant cette discipline vers une approche plus théorique qu’observationnelle par rapport aux Chaldéens des siècles antérieurs, il ouvre la voie à une cosmologie basée sur un modèle géométrique. Il conçoit le monde avec une forme sphérique, dans lequel le mouvement de tout corps céleste doit être circulaire et uniforme. Dans la République, il assure que « nous étudierons l’astronomie, comme la géométrie, à l’aide de problèmes », même si cette méthode prescrit « aux astronomes une tâche maintes fois plus difficile »11.
C’est dans le Timée, écrit vers 360 avant notre ère, que Platon donne leur nom aux planètes12. Selon Brisson, le Timée est triplement novateur, par sa volonté de trouver une explication scientifique qui dépasse les données purement sensibles ; par son utilisation d’axiomes a priori ; enfin, parce que » Platon fait des mathématiques l’instrument permettant d’exprimer certaines des conséquences qui découlent des axiomes qu’il a posés »13.
En conformité avec les quatre arts mathématiques de Pythagore et des pythagoriciens14, Platon inclut l’astronomie dans ce qui sera plus tard désigné le Quadrivium par Boèce (480-524) : arithmétique, géométrie, astronomie, musique car pour lui l’astronomie et la musique sont sœurs, la science des astres étant faite pour les yeux comme l’harmonique pour l’ouïe15. En fait, dans le Timée, Platon associait « gymnastique et musique » pour cette quatrième composante, les deux allant de pair à travers des exercices et mouvements harmonieux du corps, sinon en rythme comme à travers la danse. Son allégorie de la caverne représente le passage du monde sensible au monde intellectuel de la connaissance. En premier lieu, son « philosophe-roi » cher à Socrate aura été initié pendant son enfance à l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie, en même temps qu’il aura pratiqué la gymnastique et la musique car elles communiquent « au moyen de l’harmonie un certain accord – et non la science – et une certaine eurythmie au moyen du rythme »16.
Dans l’Epinomis, qu’il soit authentique ou apocryphe car son authenticité est remise en question dans le corpus platonicien, l’astronomie joue un rôle équivalent à l’éducation dans le Timée.
1.3. L’éther et la physique du mouvement des planètes, de l’Antiquité au xviiie siècle
Si dans la mythologie grecque, Éther est un dieu primordial, la notion d’éther de l’Antiquité, développée par des auteurs tels Empédocle, Platon ou Aristote, n’a pas le même sens que l’éther de l’époque moderne qui remplit l’espace, dans son approche gravitationnelle pour les mouvements des planètes ou l’éther luminifère pour le transport de la lumière, envisagés avec des conceptions différentes par Descartes, Hooke et Newton et leurs successeurs au xixe siècle comme Maxwell pour le transport des ondes électromagnétiques17.
Le grand apport de la science grecque étant la mathématisation de la nature à travers deux grands principes : les qualités et les analogies mathématiques, l’astronomie en général et les mouvements planétaires en particulier en fournissent un champ d’application.
Ainsi, la première méthode d’analogie est effectuée par Empédocle (490 – 430 av. J-C.) qui relie les quatre éléments (terre, feu, eau, air) aux quatre polyèdres réguliers (les solides platoniciens : cube, tétraèdre, octaèdre, icosaèdre), avant la découverte d’un cinquième polyèdre régulier, le dodécaèdre, qui conduira à définir une sorte de cinquième élément purement céleste, d’où la notion de quintessence ou d’éther, bâtie sur des bases infondées, mais qui sera évoquée comme lieu de mouvement des planètes avec des sens différents selon les époques.
Empédocle, dans sa conception des quatre éléments, envisage l’éther comme l’air atmosphérique sans brouillard. Anaxagore (v. 500 – 428 av. J-C.) est le premier à distinguer l’air et l’éther, au sens du feu céleste18. Dans le Timée, comme dans l’Epinomis, Platon conçoit aussi l’éther comme la forme la plus pure de l’air19, distinguant trois sortes d’éther (air supérieur, air atmosphérique, brouillard) tandis qu’avec le Phédon, il s’agit de l’espace entre l’air et le ciel, séjour des dieux astres, attribuant à l’éther sa propriété d’être en mouvement. Aristote (384 – 322 av. J-C.), s’il ne fait pas usage du terme nommément, fait apparaître l’éther comme un cinquième élément dans sa conception du monde céleste supra-lunaire, évoquant dans son traité Du Ciel sa nécessité en liaison avec la translation circulaire20. Des stoïciens aux pythagoriciens, les sens varient également, ces derniers distinguant également trois éthers21.
Avant même de parler de gravitation, définie théoriquement par Newton au xviie siècle, le terme grave (qui veut dire lourd, pesant en grec) est formulé par Aristote dans son étude de la chute des corps, sa destination naturelle étant de rejoindre le centre de la Terre. Aristote ayant posé comme principe l’existence d’un centre du monde, le fait que la Terre soit ronde lui permet de définir l’isotropie de la gravité, première théorie physique basée sur une symétrie.
La physique d’Aristote envisage aussi un premier moteur, non mu, à la base de toute chose. Ce concept, soumis à des interprétations divergentes, inspirera beaucoup les théologiens médiévaux à travers la notion d’intellect agent, intermédiaire entre Dieu et l’âme humaine.
2. Des révolutions des sphères aux orbites circulaires
L’univers dans l’Antiquité commence par être représenté en fonction de l’apparence observée : une Terre d’abord plate, puis sphérique, avec les astres portés par des sphères en mouvement autour : le Soleil, la Lune, les planètes et même les étoiles, elles aussi situées sur une sphère, la sphère des fixes, car à première vue, elles semblent toujours à la même place… Il a fallu beaucoup de temps, d’observations et d’audaces intellectuelles pour remettre en question ce modèle et faire évoluer cette représentation géocentrique du cosmos.
Avec Eudoxe de Cnide, les planètes et les étoiles sont portées par 27 sphères homocentriques en rotation, centrées sur la Terre. Les mouvements des planètes étant en fait elliptiques, ce système complexe évolue jusqu’à 56 sphères dans le modèle développé par Aristote, théorie non réaliste, mais qui a la vertu de sauver les apparences, selon la philosophie de Platon dans le Timée.
Selon David Lindberg, nous trouvons dans leurs contributions
(1) un changement d’interprétation allant des questions stellaires aux planétaires, (2) la création d’un modèle géométrique, le système à deux corps [two-sphere model] pour la représentation des phénomènes stellaires et planétaires et (3) l’instauration de critères gouvernant des théories devant prendre en compte les observations planétaires22.
Cette astronomie eudoxienne laisse progressivement la place à l’astronomie ptolémaïque, avec une nouvelle approche théorique probablement introduite par Apollonius ou Hipparque, comportant une combinaison de cercles épicycles et déférents, afin là encore d’approcher les positions observées des planètes à l’aide d’un modèle géométrique conforme à la philosophie grecque de perfection et de régularité des orbites circulaires.
2.1. Les planètes portées par des sphères homocentriques en rotation
La première théorie du mouvement des planètes est due à Pythagore, avec son « harmonie des sphères » qui conçoit la Terre comme une sphère immobile placée au centre du monde, entourée de sept sphères portant chacune un corps céleste : la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne. Une dernière sphère contenait les étoiles fixes. Toutes ces sphères célestes cristallines étaient en rotation autour de la Terre. Ce premier modèle géocentrique présentait toutefois l’inconvénient de ne pouvoir expliquer des irrégularités dans le mouvement de certaines planètes, comme les mouvements rétrogrades. Pour pallier ce problème, Eudoxe de Cnide (v. 390 - 337 av. J-C.), contemporain de Platon, construit un système complexe de 27 sphères, chaque planète correspondant à cinq sphères de manière à restituer ses mouvements apparents (stations et rétrogradations)23. La Lune et le Soleil, qui n’ont pas de mouvement de rétrogradation, n’ont que trois sphères. Le modèle eudoxien présente cependant trois défauts pour les mouvements, les vitesses et les luminosités des planètes.
Callippe de Cyzique (370 – 300 av. J-C.) perfectionne les sphères d’Eudoxe sur le premier point. Il trouve que 27 sphères sont insuffisantes pour rendre compte des mouvements planétaires. Il en ajoute sept pour arriver à un total de 34 sphères. Leur ventilation nous est fournie par Aristote dans sa Métaphysique : deux sphères pour le Soleil, deux pour la Lune, et une pour les planètes Mercure, Vénus et Mars24. Cette combinaison est ensuite reprise et affinée par Aristote en le portant à 56 sphères. Supposant ces sphères en contact afin d’expliquer la transmission des mouvements d’une sphère à l’autre, il ajoute « des sphères tournant à rebours ».
Malgré cela, leurs systèmes sont encore dans l’impossibilité d’expliquer les variations de vitesse et de luminosité apparente des planètes, les planètes restant avec ces sphères à des distances fixes de la Terre, problème soulevé par Autolycos de Pytane vers 310 avant notre ère.
2.2. Mouvements rétrogrades des planètes - Le grand problème de l’astronomie…
Si le Soleil et la Lune ne soulèvent guère de débats, les mouvements des cinq planètes visibles à l’œil nu (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) occupent une place à part. Ils sont observés dans une région du ciel, un bandeau constituant les constellations du Zodiaque (de part et d’autre de l’Écliptique). Leur étude a longuement occupé et préoccupé les astronomes, confrontés à la difficulté d’expliquer les mouvements rétrogrades des planètes Mars, Jupiter et Saturne, a priori incompatibles avec la perfection des mouvements circulaires dans le monde supra-lunaire distingué par la physique d’Aristote. Sans parler de la précession des équinoxes, observée par Hipparque dès l’Antiquité, mais non explicable sans modèle héliocentrique.
Afin d’expliquer cette question du mouvement rétrograde, Claude Ptolémée (v. 90 – v. 168) dans l’Almageste25 expose et perfectionne la théorie des épicycles et déférents probablement introduite par Hipparque et Apollonius trois siècles auparavant26. Les planètes tournent autour de points eux-mêmes en rotation autour de la Terre. Elles peuvent ainsi en apparence se mouvoir en marche arrière sur la sphère céleste…
2.3. Les planètes en mouvements sur des orbites circulaires : introduction de l’excentricité - épicycles et déférents
Les sphères portant les planètes dans l’astronomie eudoxienne sont en effet remplacées par des orbites circulaires dans l’astronomie ptolémaïque. En l’absence d’orbites elliptiques pour approcher la réalité des mouvements planétaires observés, les astronomes font appel à deux approches différentes avec ces orbites circulaires. D’une part, le modèle excentrique, avec les planètes évoluant sur un cercle dont le centre est simplement excentré par rapport à la Terre, d’autre part le modèle des épicycles et des déférents, où chaque planète se déplace sur un petit cercle, appelé épicycle, dont le centre est en révolution sur un grand cercle centré sur la Terre, appelé déférent.
Les historiens des sciences manquent de sources primaires pour établir avec certitude la généalogie de la théorie des épicycles, exposée par Ptolémée qui évoque fréquemment Hipparque27. Claude Ptolémée présente la théorie des épicycles, probablement introduite par Hipparque28 et développée par Apollonius de Perga (v. 240 – début iie av. J-C.) en prolongement de ses recherches sur les excentricités des orbites des planètes, Apollonius ayant d’ailleurs érigé en théorème l’équivalence de ces deux approches pour les planètes.
Ptolémée apporte une importante modification en optimisant les tailles et les positions des divers cercles et surtout par l’introduction de son point équant. L’équant consiste à excentrer le centre du déférent par rapport à la Terre. De ce fait, chaque planète en restant à égale distance du centre de son épicycle, respecte le critère de mouvement circulaire, tout comme elle respecte le critère de mouvement uniforme par rapport à son point équant, même s’il ne s’agit plus d’un mouvement circulaire et uniforme au sens strict. Comme le système hipparquien, le système de Ptolémée était à même de reproduire les rétrogradations, mais aussi le comportement et les variations d’éclat des planètes, du fait qu’avec son point-équant, il pouvait restituer les variations de distances à la Terre, ce que ne pouvait Hipparque. Grâce à cette « tricherie géniale », selon l’historien de l’astronomie Jean-Pierre Verdet, Ptolémée s’inscrit dans les exigences des philosophes de l’Antiquité, tout en approchant par son modèle les positions observées des planètes. En pratique, l’hypothèse excentrique s’applique au Soleil tandis que les hypothèses des épicycles concernent la Lune et les planètes. Le traité de Ptolémée, qui marque l’apogée de l’astronomie grecque, permet d’envisager des calculs d’éclipses et des tables pour les positions de la Lune et des planètes. Cette synthèse améliorant le modèle d’Aristote dans la forme, en permettant ce va-et-vient « théorie-tables » dans la comparaison entre les positions planétaires calculées et observées, elle devient l’ouvrage de référence pendant plus d’un millénaire, tant dans le monde européen que dans la science arabe. Le premier modèle planétaire sans épicycles semble celui d’Ibn Baja (Avempace) (v. 1080 – v. 1138) dans l’Espagne andalouse, mais les épicycles ont été utilisés en Europe (y compris dans le modèle héliocentrique copernicien) jusqu’au xviie siècle, époque où le modèle képlérien des orbites elliptiques remplace progressivement cette combinaison de cercles parfaits.
Il est à noter qu’à la différence d’Aristote, qui considérait son modèle comme une réalité physique, tant pour Eudoxe que pour Ptolémée, il s’agit d’un support mathématique abstrait pour les calculs. La représentation mécanique des mouvements planétaires a aussi préoccupé les Grecs, en témoigne la machine d’Anticythère, découverte en 1900 dans une épave près de la côte d’Anticythère. Cette machine à engrenages de bronze du deuxième siècle avant notre ère, à présent considérée comme le premier calculateur analogique antique, décrivait les mouvements solaire, lunaire et des planètes visibles à l’œil nu, avec des roues dentées faisant penser aux épicycles. Les chercheurs ont émis quatre auteurs et deux lieux possibles pour sa réalisation : soit Archimède ou un de ses disciples à Syracuse, soit Hipparque ou Posidonios à Rhodes29.
3. La rotation des planètes sur elles-mêmes
Plutôt que d’envisager une rotation de la sphère céleste autour de la Terre, à l’époque d’Aristote, Héraclide du Pont (v. 388 – v. 310 av. J-C.) et Hycétas de Syracuse ( v. 400 – v. 335 av. J-C.) substituent à la Terre immobile un modèle avec une rotation diurne de la Terre, expliquant la rotation apparente de la voûte céleste de manière plus simple et naturelle avant que des idées importantes émergent comme la distinction de deux types de mouvements, celui de la sphère des fixes s’opérant en sens inverse de ceux du Soleil, de la Lune et des planètes.
Depuis la résolution de l’UAI en 2006, le Soleil est accompagné d’un cortège de huit planètes en révolution autour de lui et en rotation sur elles-mêmes. Jusqu’à la découverte d’Uranus en 1781 par William Herschel, puis de Neptune par les calculs de Le Verrier en 1846 (celle-ci conséquence de perturbations observées de l’orbite d’Uranus), il n’y a que cinq planètes visibles à l’œil nu en mouvement autour du Soleil, si l’on excepte la Terre. Cette dernière étant en rotation sur elle-même avec le mouvement diurne, il paraissait naturel d’envisager une semblable rotation pour toutes les planètes. Dans la science médiévale, les progrès sont davantage dus à des penseurs (mathématiciens ou théologiens) qu’à des astronomes, les observations nouvelles apparaissant limitées à cette époque où les instruments ont peu évolué depuis l’Antiquité, hormis l’astrolabe, largement propagé par les astronomes arabes. Ainsi, Jean Buridan (1292-1363) et Nicole Oresme (vers 1320-1382) développent cette notion de rotation diurne, tandis qu’en se basant sur des arguments théologiques, Nicolas de Cues (1401-1464), dans son Traité de la Docte ignorance (1440), est le premier astronome du Moyen Âge à affirmer que le monde ne peut pas être fini, que la Terre n’en est pas le centre, et qu’elle se meut. Mais ses conceptions cosmologiques furent ignorées par ses contemporains et oubliées par ses successeurs pendant plus d’un siècle. Envisager la Terre comme un astre semblable aux autres dans le ciel explique aussi l’identification de nature apportée par Léonard de Vinci en concevant la lumière cendrée de la Lune comme le clair de Terre, analogue au clair de Lune renvoyant vers la Terre la lumière du Soleil.
4. Positionnement des planètes par rapport au plan de l’écliptique
Transmise par les traductions dans le monde arabe, puis dans le monde européen à l’époque médiévale, l’astronomie grecque est perfectionnée avec la volonté de concilier au mieux observations et modèle théorique. Cela permet d’expliquer l’entêtement des astronomes à compliquer à l’extrême la représentation de Ptolémée. Il fallait une audace intellectuelle pour oser sortir du modèle géocentrique et construire une nouvelle représentation avec le Soleil au centre. Un changement de paradigme consacré par la révolution copernicienne.
4.1. Positions des planètes
Dans les modèles géocentriques, de Platon à Ptolémée, les planètes et les corps tournant autour de la Terre comme la Lune et le Soleil sont représentés dans le même ordre : Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, suivis de la sphère des étoiles fixes. Dans le modèle héliocentrique, le Soleil prend la place centrale, tandis que dans le modèle tychonique intermédiaire, la Terre conserve sa position centrale, tandis que Mercure et Vénus tournent autour du Soleil.
4.2. Géocentrisme et héliocentrisme
L’idée selon laquelle « La Terre n’est pas au centre » semble apparue pour la première fois avec le penseur grec Philolaos de Crotone (v. 470 – 385 av. J-C.), cité par Copernic30 comme le premier à considérer que la Terre n’était pas immobile, au centre de l’Univers, mais tournait autour d’un « feu central », demeure de Zeus et mère des dieux, différent du Soleil et placé au centre de l’Univers…
Afin d’expliquer les mouvements apparents des planètes Mercure et Vénus qui semblent osciller autour du Soleil, Copernic31 attribue également à Héraclide du Pont (v. 387 – v. 312 av. J-C.), élève de Platon et d’Aristote, et à Ecphantos (ive av. J-C.), astronome pythagoricien, une première approche héliocentrique partielle, de type géo-héliocentrique, avec ces deux planètes tournant autour de l’astre du jour, alors que celui-ci et les autres planètes tournent autour de la Terre selon le classique modèle géocentrique : ce modèle est donc précurseur de celui de Tycho Brahe au xvie siècle.
Quant au premier concept entièrement héliocentrique, il est l’œuvre d’Aristarque de Samos (320 – 250 av. J-C.) et nous est parvenu à travers les descriptions et critiques d’Archimède (v. 287 – 212 av. J-C.) dans son Aréraire32, à l’inverse de son ouvrage Sur les distances de la Lune et du Soleil qui figure parmi les sources primaires disponibles, sans la mention de son hypothèse héliocentrique33.
Plus que l’exactitude des résultats, le principe des méthodes d’Aristarque pour déterminer les distances du Soleil et de la Lune est remarquable pour l’Antiquité, tout comme la mesure de la circonférence de la Terre, calculée vers -220 par Eratosthène de Cyrène (v. 275 – v. 195 av. J-C.) à partir de l’ombre portée par le Soleil en deux villes, Syène et Alexandrie, à l’époque supposées sur le même méridien. Aristarque met par ailleurs en évidence que le Soleil est plus grand que la Terre. Ne pouvant concevoir un astre plus grand tourner autour d’un autre plus petit, Aristarque introduit donc un modèle héliocentrique général faisant se mouvoir toutes les planètes, y compris la Terre, autour du Soleil. Admis seulement à son époque par l’astronome Séleucos de Séleucie (v. 190 - v. 150 av. J-C.) qui argumente en faveur de ce système héliocentrique en relation avec ses contributions sur les marées34, son modèle, comme celui d’Héraclide du Pont, suppose la sphère des fixes immobile et la Terre en rotation autour de son axe, tout en tournant autour du Soleil. Ce modèle d’Aristarque est plus réaliste et aurait pu s’imposer. Mais il était conçu avec des mouvements circulaires uniformes, et ne correspondait pas aux observations. En particulier, du fait de la méconnaissance des distances stellaires à l’époque, on estimait qu’avec un déplacement de la Terre, l’apparence des constellations sur la sphère des fixes devait être déformée35…
4.3. Copernic et la controverse ptoléméo-copernicienne – Atouts et défauts du modèle copernicien
L’œuvre de Copernic (1473-1543) est souvent présentée comme un tournant capital dans l’histoire de l’astronomie et du mouvement des planètes. Si son ouvrage majeur, le De Revolutionibus, paraît en 1543, il est en fait l’aboutissement d’une vie de labeur, son programme ayant été initialement présenté dès 1510 à travers le Commentariolus36.
Ces atouts sont en premier lieu la simplicité des trajectoires. Le modèle permet d’expliquer les mouvements apparents de Vénus et de Mercure, toujours près du Soleil. Il présente aussi des défauts. D’abord, il conserve la sphère des fixes37. Ensuite, il confond toujours le centre du système solaire avec le centre de l’Univers38.
4.4. Oppositions au modèle de Copernic
Les objections au modèle de Copernic sont de trois ordres : théologiques, astronomiques et physiques. En premier lieu, et malgré la préface d’Osiander (présentant l’ouvrage de Copernic comme l’exposé d’un simple modèle mathématique), les contradictions avec le Livre de Josué, les critiques de Luther et les premières preuves observationnelles de Galilée confortant ce modèle, aboutissent à la mise à l’Index du De Revolutionibus en 1616 par l’Inquisition. Quant aux objections astronomiques, elles sont essentiellement liées à la planète Mars, dont la dimension apparente semble encore fixe avec les instruments de l’époque, sauf pour de rares observateurs comme Gersonide (1288-1344) qui note ses variations d’éclat lors des oppositions39. Or, sa distance varie dans le modèle copernicien. Elle doit donc s’accompagner de dimensions apparentes variables, ce que permettra l’apport de la lunette introduite par Galilée. Enfin, les objections physiques sont formulées à travers la chute des corps qui restent constamment liés à la Terre, soi-disant en mouvement (alors que de la poussière sur une toupie en rotation est dispersée…). De même nature, le fait que la Lune reste reliée à la Terre en mouvement semble en contradiction (il faudra attendre le principe de relativité de Galilée…).
4.5. Tycho Brahe et son modèle géo-héliocentrique
Depuis ses observatoires de l’île de Hven, Uraniborg et Starjeborg, Tycho Brahe (1546-1601) effectue de multiples observations, notamment de Mars, qui se révéleront très utiles à Kepler pour établir ses lois grâce à l’orbite excentrique de cette planète40.
Après la supernova de 157241, ses observations de la parallaxe de la grande comète de 1577, en la comparant à celle de la Lune, la détermine à une distance supérieure d’au moins quatre fois celle de notre satellite. Il contribue ainsi à remettre en cause les postulats d’immuabilité du monde supra-lunaire d’Aristote. Mais Tycho, sensible aux idées de Copernic, ne peut toutefois abandonner totalement le géocentrisme. Reprenant une conception d’Héraclide du Pont dans l’Antiquité, il élabore un système mixte où le Soleil, en orbite autour de la Terre avec Mercure et Vénus tournant autour de lui, joue le rôle de centre secondaire42.
4.6. Les observations de Galilée
S’il n’est pas l’inventeur de l’instrument, Galileo Galilei (1564-1642) commence la construction d’une lunette astronomique en 1609, effectuant durant l’automne et l’hiver ses premières observations. En 1610, paraît son retentissant opuscule Sidereus Nuncius ou Messager céleste43, présentant le relief lunaire et les cratères de la Lune (invalidant l’invariabilité supra-lunaire d’Aristote), les phases de Vénus (prédites par Copernic), les satellites de Jupiter (astres dédiés aux Médicis, résolvant l’argument de la Lune liée à la Terre), ainsi que les variations des dimensions apparentes de Mars confortant également le modèle héliocentrique. De 1624 à 1632, à la demande du Pape Urbain viii, Galilée œuvre à son grand ouvrage Dialogue sur les deux grands systèmes du Monde, encouragé par le pape44. Mais sa présentation (qui devait en théorie être neutre) apparaît clairement en faveur de l’approche copernicienne et même, pour certains, contraire aux Saintes Écritures. D’où son assignation en 1633 devant le tribunal de l’Inquisition et le légendaire « Et pourtant elle tourne… » qu’il aurait prononcé à l’énoncé de son verdict…
5. Orbites des planètes : circulaires ou elliptiques ? - De la régularité des vitesses planétaires à leur variabilité
Dès le xvie siècle, avec Copernic, les épicycles ne sont plus nécessaires pour les mouvements rétrogrades, mais sont maintenues pour décrire géométriquement les mouvements elliptiques. Avant Kepler, pour figurer l’excentricité observée des mouvements planétaires, Ptolémée avait introduit l’équant, avec un centre du déférent excentré45. Les coniques avaient été introduites en mathématiques par Apollonius de Perga et développées par les travaux d’Hypatie d’Alexandrie.
5.1. Les coniques - Apollonius de Perga
Apollonius avait développé dans ses Éléments sur les coniques46 des recherches mathématiques sur ces courbes (ellipse, parabole, hyperbole) à partir de l’intersection d’un cône et d’un plan avec différentes inclinaisons. Il aurait donc pu introduire les ellipses pour décrire les mouvements planétaires. De même pour la mathématicienne Hypathie (v. 355-370 – 415 av. J-C.), tuée lors d’une des destructions de la Bibliothèque d’Alexandrie, qui avait composé un traité de vulgarisation en huit livres, sans doute calqués sur l’œuvre d’Apollonius, mais qui a disparu depuis47. Les travaux d’Apollonius ne trouveront application en astronomie que deux millénaires plus tard avec Kepler et ses lois sur les orbites elliptiques des planètes. Ayant élevé les orbites circulaires et l’uniformité des mouvements planétaires au rang de principes absolus, les Grecs se focalisaient sur le mouvement circulaire, à la fois le plus simple au plan géométrique et le plus uniforme au plan dynamique avec des vitesses constantes.
5.2. Kepler et les orbites elliptiques des planètes
À partir des observations très précises pour l’époque de Tycho Brahe, Johannes Kepler (1571-1630) établit trois lois régissant les mouvements planétaires48. Son système envisage les plans des trajectoires planétaires passant par le Soleil qui occupe l’un des deux foyers dans le référentiel héliocentrique. Les planètes ont des orbites elliptiques, et décrivent la loi des aires. Ces deux premières lois empiriques de Kepler (loi des orbites et loi des aires) sont publiées en 1609 dans son Astronomia novia49 et sont complétées par sa troisième loi des périodes sur les durées de révolutions, publiée en 1619 dans son Harmonices Mundi50. Dans cet ouvrage, Kepler écrit : « C’est comme si une force émane du Soleil » ce qui l’amène à envisager l’hypothèse d’une force magnétique. Il faudra attendre Newton pour faire le lien avec ces lois de Kepler dans le cadre de la gravitation universelle avec une loi d’attraction en 1/r².
5.3. Système Terre-Lune – Première détermination d’orbites elliptiques
La première détermination d’orbites elliptiques revient à l’étude du système Terre-Lune par Jeremiah Horrocks (1619-1641) et John Wallis (1616-1703) dont les travaux sont précurseurs de ceux de Newton sur le centre de masse51. Reprenant les tables astronomiques existantes avec un centre de gravité commun pour les deux astres, l’orbite elliptique de la Lune est établie par Horrocks, auteur des calculs établissant les passages de Vénus à 8 ans d’intervalle et de l’observation du premier passage de Vénus devant le Soleil avec Wallis en 1639.
5.4. Gravitation - Des lois de Kepler aux lois du mouvement de Newton
À la suite d’Horrocks, Christopher Wren (1632-1723) fait le pari avec Edmond Halley (1656-1742) et Robert Hooke (1635-1703) de la possibilité d’établir une loi de gravitation pour expliquer les mouvements planétaires. Il revient à Newton de comprendre le lien entre les lois de la mécanique classique et la troisième loi de Kepler. Et c’est devenu un exercice de mathématique classique que de démontrer que l’on retrouve les trois lois de Kepler pour un corps en mouvement à partir du moment où l’on admet que ce corps est soumis à une accélération inversement proportionnelle au carré de sa distance à un point fixe, et dirigée vers ce point, une accélération en 1/r². A partir de la troisième loi de Kepler, Isaac Newton (1643-1727) développe sa théorie sur la gravitation.
Si la première remarque du caractère « inversement proportionnel au carré de la distance » revient à Hooke, c’est à travers les Principia de Newton, écrits entre 1684 et 1687, que cette théorie connaît une avancée décisive. Mais, longtemps oublié, le rôle de Hooke se révèle capital dans cette évolution théorique.
5.5. Gravitation - Hooke et Newton
Les relations difficiles de Hooke et Newton et l’émergence des notions intervenant dans la théorie de la gravitation ont été étudiées par Jean-Pierre Romagnan52. L’année 1665 est restée pour Isaac Newton son annus mirabilis. Fuyant la peste de Londres, il séjourne à Woolsthorpe et réfléchit en toute sérénité aux mouvements planétaires. Comme Huygens, il est encore en faveur de la vis centrifuga (force centrifuge) pour compenser la force attractive alors que Hooke comprend très vite qu’une seule force intervient, celle qui dévie le corps de sa trajectoire rectiligne. C’est dès l’année 1666 que Hooke commence à s’interroger sur la cause de l’infléchissement du mouvement rectiligne en mouvement curviligne par la présence d’un corps attractif placé au centre dans son article A Statement of Planetary Movements as a Mechanical Problem53. Quatre ans plus tard, en 1670, il approfondit la question dans An Attempt to Prove the Motion of Earth from Observations54 [Un essai pour prouver le mouvement annuel de la Terre], avançant une idée très féconde : la composition des mouvements, la force attractive du Soleil entraînant une variation de la vitesse radiale dans sa composition avec la vitesse tangentielle, ce qui induit la trajectoire curviligne. Fort de son intuition et de ses expérimentations mécaniques (comme le roulement d’une bille sur un cône inversé ou le lancement d’un pendule conique avec une vitesse initiale dont la direction évite la verticale de son point de suspension), Hooke interpelle Newton en novembre 1679. Dans un premier temps, celui-ci lui répond, mais commet une erreur en imaginant qu’un corps lâché du sommet d’une tour pourrait poursuivre un mouvement en spirale jusqu’au centre de la Terre. Le fait que Hooke l’ait rendue publique à la Royal Society dégrade leurs relations déjà difficiles. Après une ultime rectification, Newton ne lui répond plus. C’est pourtant les remarques de Hooke qui l’ont amené à la composition des mouvements (vitesses radiales et tangentielles) et à la discrétisation de la force attractive (idée de Hooke). Newton ayant enfin compris à partir de 1679 la loi des aires de Kepler, il admet en 1684 dans son De Motu Corporum in Gyrum55 une seule force attractive centrale, puis en 1687 il publie ses Principia56 : il est à présent clairement établi que sans Hooke, Newton n’aurait pas été aussi vite ni aussi loin.
5.6. Résistances à Newton : René Descartes (1596-1650) et la théorie des tourbillons
Pour le mouvement des planètes, Descartes exclut une action à distance du Soleil, celle-ci n’ayant à l’époque aucun fondement rationnel57. La notion d’éther lui sert à expliquer de manière mécaniste le mouvement des planètes à l’aide de grands tourbillons. Cette « matière subtile », composée de minuscules « globules » transparents, remplit l’espace et lui permet de réfuter l’existence du vide. Elle emporte et maintient les planètes sur leurs trajectoires. Si sa théorie ne permet pas de faire des calculs prévisionnels, elle influence durablement les savants français du xviie et du début du xviiie siècle. Incompatible avec celle de la gravitation de Newton, elle a contribué à ralentir la pénétration de la mécanique newtonienne en France, les cartésiens y voyant l’introduction d’une force occulte dans une science qu’ils veulent purement mécaniste. Newton lui-même ne se satisfait pas d’une force se transmettant à travers le vide. Il envisage un éther mécanique emplissant l’espace et justifiant la transmission de la force gravitationnelle, sans y être soumis. Il soutient ce point de vue par des considérations théologiques, considérant l’espace comme le sensorium Dei. Son éther demeure une hypothèse sous-jacente, n’intervenant pas dans les calculs physiques58.
6. D’autres corps en révolution autour du soleil : des comètes dans le débat
La description des mouvements des planètes autour du Soleil concerne aussi celle des autres corps du système solaire, comme les astéroïdes ou les comètes. Celles-ci entrent dans le débat à la faveur de la grande comète de 1680 et de celle de 1682 dont Halley calcule le retour périodique.
6.1. Les comètes historiques et leurs mouvements
Durant les deux millénaires écoulés, une quarantaine de comètes spectaculaires ont été recensées, dont plusieurs dans l’Antiquité, comme la grande comète de 147 av. J-C. mentionnée par Sénèque59. Hormis la comète de 1577, qui avait permis à Tycho Brahe de remettre en question l’immuabilité du monde supra-lunaire d’Aristote, il faut pourtant attendre le xviie siècle pour que l’étude de leurs mouvements rejoigne les préoccupations des astronomes et qu’elles entrent dans le débat concernant les mouvements des planètes.
6.2. La grande comète de 1680 et la comète de Halley en 1682
La grande comète de 1680 a marqué les esprits et l’histoire. Par son éclat et son impact sur la société, on considère qu’elle marque un tournant dans le clivage astrologie/astronomie. Il y a un avant et un après. Le passage de cette comète suscite en 1680-1681 trois lettres de John Flamsteed (1646-1719) à Newton qui conçoit une forme d’attraction semblable aux aimants. En 1682, Halley observe une nouvelle comète qui deviendra la « comète de Halley » après ses recherches historiques lui permettant de l’identifier avec des comètes précédentes et d’établir en 1684 sa périodicité à environ 76 ans. Suite à sa contribution théorique pour calculer cette première comète périodique, Halley décide de financer l’impression des Principia de Newton.
6.3. Le retour de la comète de Halley en 1759, consécration de la mécanique céleste
Halley ayant effectué des calculs sur les trajectoires cométaires basé sur les Principia de Newton, à partir de l’annonce dans son célèbre opuscule publié en 170560 identifiant les comètes de 1531, 1607 et 1682 comme un seul et même objet périodique. Il avance de fait son possible retour vers 1758. L’approche de cette comète suscite en 1757 de nouveaux calculs de Jérôme de Lalande (1732-1807) et Nicole-Reine Lepaute (1723-1788) afin de déterminer à l’avance son périhélie. Ils calculent le retard dû aux perturbations des grandes planètes Jupiter et Saturne avec le concours d’Alexis Clairaut (1713-1765), qui avait développé mathématiquement le problème des trois corps. Leur résultat, prévoyant un périhélie en avril 1759 avec une incertitude d’un mois, est confirmé par un passage de la comète à cette plus courte distance au Soleil le 13 mars, qui consacre le succès de la mécanique newtonienne.
7. Attraction universelle et interférence entre les mouvements des planètes
Le développement de nouveaux outils mathématiques au xviiie siècle, tels le calcul différentiel et intégral et les travaux novateurs de Clairaut et Lagrange en mécanique sur le problème des trois corps, ouvrent la voie aux calculs des perturbations que provoquent entre elles les planètes sur leurs propres mouvements.
7.1. Des lois de Kepler à la théorie de Laplace
Avec le calcul différentiel, des mathématiciens comme Alexis Clairaut, Leonhard Euler (1707-1783), Jean le Rond D’Alembert (1717-1783) et Joseph-Louis de Lagrange (1736 -1813) apportent à l’étude des mouvements planétaires de nouveaux outils de calcul et donc une nouvelle force théorique. En effet, même si les lois de Kepler énoncent que les orbites des planètes décrivent des ellipses régulières et si les lois de Newton ont permis de mieux comprendre leur gravitation autour du Soleil, les mathématiciens s’aperçurent que ces lois s’appliquaient à un système à deux corps et ne tenaient pas compte des perturbations dues aux interactions entre les planètes. Or, de petites interactions peuvent s’accumuler et changer les orbites.
Durant le xviiie siècle, le problème des trois corps fait de grands progrès avec l’apport fondamental de nouveaux outils mathématiques. Si Clairaut et d’Alembert61 ont beaucoup œuvré sur la question de l’orbite de la Lune, Euler s’est occupé de transcrire les Principia dans l’analyse leibnizienne et a joué un rôle important pour l’étude des mouvements planétaires entre Newton et Laplace62. À la suite des contributions de Lagrange au problème des trois corps63, à travers ses recherches sur les interactions Jupiter-Saturne publiées en 1784 dans sa Théorie du mouvement et de la figure elliptique des planètes64, Pierre-Simon de Laplace (1749-1827), également auteur d’une cosmogonie du système solaire, prolonge l’étude théorique des mouvements planétaires. Du fait que le rapport des vitesses de Saturne et de Jupiter est égal au rapport de 2 à 5, Laplace a démontré en 1785 et en 1786 que, dans le calcul de leurs perturbations réciproques, certains termes prennent de grandes valeurs amenant des perturbations de l’ordre d’un millénaire.
7.2. De Laplace aux développements en cours sur la stabilité des orbites planétaires
En mécanique céleste, ce problème à trois corps constitue une version simplifiée d’un problème beaucoup plus large : la stabilité du système solaire à long terme avec les multiples interactions des différents astres. Le problème à trois corps n’ayant pas de solutions exactes, Henri Poincaré (1854-1912) met en exergue une solution approchée, démontrant aussi en 1889 que la stabilité du système est précaire par le fait que les séries utilisées pour décrire ces perturbations sont divergentes. À sa suite, Alexandre Liapounov (1857-1918) et George David Birkhoff (1884-1944) contribuent à fonder une nouvelle théorie des systèmes dynamiques qui sert à introduire la théorie des systèmes chaotiques, l’étude de la notion de stabilité des systèmes dynamiques montrant deux grands types de comportement : les phénomènes quasi périodiques et les phénomènes hyperboliques (ou chaotiques).
En 1954, Andrei Nikolaïevitch Kolmogorov (1903-1987) présente au Congrès international des mathématiques d’Amsterdam un exposé sur la théorie des perturbations, permettant de retourner la situation pour le problème des trois corps, avançant que si l’instabilité du système solaire est possible, elle ne survient que rarement. Sa découverte ne suscitant guère d’intérêt, il ne poursuit pas dans cette voie. En 1963, un de ses élèves, Vladimir Arnold (1937-2010), démontre que pour d’assez petites perturbations des mouvements planétaires, presque toutes les trajectoires restent proches des ellipses de Kepler. Un résultat similaire, prouvé la même année par Jürgen Moser (1928-1999), constitue le théorème KAM, base de la théorie KAM dénommée en leur honneur avec leurs initiales, qui permet alors d’envisager le système solaire de type quasi-périodique65. Mais les contributions de Jacques Laskar durant les années 1980 montrent toutefois que la dynamique du système solaire est plutôt chaotique, distinguant en 1989 la quasi-stabilité des planètes géantes et le comportement aléatoire des planètes telluriques…
En recouvrant plus de deux millénaires de l’astronomie, l’histoire des mouvements planétaires constitue un domaine important en histoire des sciences, tant aux plans théoriques, conceptuels, observationnels qu’instrumentaux. Les éclairages permis par cette étude au niveau de la science occidentale restent à compléter pour les œuvres émanant des astronomes arabes, indiens ou chinois. Quant aux perturbations liées au problème à trois corps, étudiées et approfondies par les mathématiciens, elles restent d’actualité pour l’étude de la stabilité à long terme du système solaire.