Depuis quelques années, la pratique du blogging académique s’est développée. Blogs de chercheurs, de séminaires ou d’institutions se sont multipliés. La souplesse de l’outil, sa facilité d’utilisation, la diversité des usages peuvent en effet séduire des acteurs divers, du doctorant qui tient un journal de recherches jusqu’aux chercheurs plus confirmés proposant des outils de travail et des formations méthodologiques, comme les professeurs concevant leur blog un « séminaire permanent » (pour reprendre l’expression d’André Gunthert, un pionnier de l’exercice). Les revues et institutions académiques sont, parfois, elles aussi tentées par l’exercice, qu’il s’agisse d’assurer une veille dans un domaine ou d’assurer une présence numérique via l’emploi de différents médias sociaux. Pour l’Observatoire de l’espace [OdE] du CNES (Centre national d’Études spatiales), chargé de soutenir la recherche en sciences humaines et sociales sur le spatial, la mise en place au printemps 2015 d’un blog accueillant les textes de chercheurs en sciences humaines et sociales s’est ainsi inscrite dans un mouvement plus large.
L’idée initiale était « d’offrir un espace d’exposition de recherches et de discussion à des chercheurs en SHS plaçant l’espace et les activités spatiales au cœur de leur travail »1. De plus, « en privilégiant un outil numérique, propice à une écriture collaborative et exploratoire, [l’Observatoire de l’espace cherchait] à offrir un moyen pour soutenir des recherches et réflexions en train de se faire sur un objet aux contours protéiformes [et à] constituer, par le biais de comptes-rendus de lecture, une bibliographie évolutive répondant aux centres d’intérêts des chercheurs. » S’appuyant sur ses liens avec des chercheurs travaillant dans le domaine, sur un support technique assuré par Mille Bases éditions, et sur mon propre travail éditorial, l’OdE a mis en ligne le carnet de recherches « Humanités spatiales » (http://humanites-spatiales.fr/) à la fin du mois de mars 2015. Depuis, dix contributeurs différents ont participé à la rédaction de billets présentant des recherches individuelles ou collectives, ou proposant des recensions d’ouvrages et revues. Bien que n’ayant pas encore une année d’existence2, le blog aborde, via ces billets, des sujets et thèmes divers, mais toujours relatifs aux conceptions culturelles de l’espace et des activités spatiales. Il est, en cela, fidèle à son projet éditorial.
Le carnet de recherches reste pour le moment dans une phase de développement. L’animation de ce carnet, qui n’est ni adossé à un programme de recherches spécifique ni à la préparation d’une publication, demande un investissement éditorial soutenu3. Si les billets se succèdent régulièrement – le point est à souligner, car la difficulté de maintenir un carnet collectif est bien connue de ceux qui s’y sont essayé – il n’en demeure pas moins que l’outil pourrait se développer davantage. Le projet dépasse en effet la simple juxtaposition de billets. En créant ce carnet, l’OdE cherchait à créer un lieu par lequel des chercheurs pouvaient échanger sur leurs travaux et pistes de travail, faire des suggestions de lecture ou réagir aux idées des uns et des autres, et à soutenir ainsi une communauté de chercheurs qui reste en devenir. Peut-être en rendant publics certains textes, l’outil remplit-il cette fonction, mais le site lui-même n’en porte pas encore la trace. Une diversification des origines disciplinaires des chercheurs écrivant dans ce carnet est aussi souhaitable : alors que l’inscription de l’espace et du spatial dans la culture intéresse a priori de nombreuses disciplines, les contributeurs actuels sont pour la plupart issus des études sur les sciences. Les approches développées par des historiens de la littérature, de l’art ou encore des philosophes viendraient particulièrement enrichir le propos collectif en déplaçant les cadres conceptuels et les méthodologies employés4. Enfin, à l’appui des recherches, c’est aussi à une réflexion sur les sources et le recours aux témoignages que le carnet pourrait servir.
Le recours à l’outil « blog » a en effet été pensé comme un moyen pouvant permettre aux chercheurs de présenter des travaux qui ne sont pas encore aboutis suffisamment aboutis pour être publiés dans des revues, mais qui bénéficieraient déjà d’une mise en écriture. La possibilité d’exposer des pistes de recherche basées notamment sur des fonds d’archives particuliers, des collections d’objets, ou sur des entretiens avec des acteurs du spatial5 existe donc. De la même manière que les recensions, en s’agrégeant les unes aux autres, permettront de constituer progressivement ce carnet en outil de documentation (ne visant pas l’exhaustivité), la présentation de sources et le travail sur la base de témoignages pourrait, à terme, constituer une « boîte à outils » pour les chercheurs s’intéressant à l’espace. En effet, si les archives du CNES ont été présentées en 2014 dans la revue Vingtième Siècle6, les sources envisageables pour étudier l’inscription de l’espace dans la culture sont bien plus diverses : archives des ministères et de la défense, archives de laboratoires et d’entreprises du secteur aérospatial, archives privées de passionnés de l’espace et de l’astronautique, mais aussi livres de vulgarisation ou revues, ouvrages ou de films de science-fiction, jouets pour enfants, affiches, bâtiments, etc. sont autant d’objets pouvant être constitués en sources. Comme le rappelle Antoine Prost, « tout peut être document » pour le chercheur en SHS7. De fait, réussir à faire parler et à rendre signifiantes des choses aussi éclectiques et banales qu’un jouet en plastique ou une piscine Tournesol constitue un travail passionnant, mais nécessitant au préalable une mise en ordre (et en corpus), ainsi qu’une certaine prise de distance. En mettant au jour, en recensant et en commentant des fonds importants ou originaux, en suggérant des croisements et des parallèles, le carnet apporterait une aide précieuse à ériger les objets en sources. De même, en proposant des retours d’expériences sur le recours aux témoignages ou échanges avec des acteurs du secteur, le carnet pourrait offrir des points d’appui méthodologiques, d’autant moins négligeables que la recherche dans le domaine fait souvent de ces ressources le passage obligé, bien qu’ambivalent, d’une enquête8. Mais pour que le carnet « Humanités spatiales » remplissent pleinement sa fonction d’outil au service des chercheurs comme le souhaitait l’OdE en procédant à sa mise en ligne, il revient aux chercheurs de se l’approprier et de continuer à l’enrichir.