Une nacelle à soi. Devenir femme aéronaute au xixe siècle

  • A Nacelle of One’s Own. Becoming a Woman Aeronaut in the 19th Century

Résumés

Le vol féminin n’est pas une invention du xxe siècle, pas plus qu’il ne saurait être réduit à une innovation mondaine de la Belle Époque. Il participe en fait des exploits de pionnières audacieuses au début du xixe siècle, poursuit sa course alimenté par les frasques d’artistes et de demi-mondaines, et se concentre au tournant du xxe siècle au sein des classes aisées en quête de nouveautés, avides de sensationnel, et soucieuses de délimiter sportivement l’espace d’une sociabilité exclusive.
Lorsqu’en 1902 le journal La Vie au Grand Air s’associe à l’Aéro-club de France pour organiser le premier « Challenge des femmes aéronautes », il ne fait en définitive que consacrer une réalité ancienne : les femmes volent, sautent en parachute et pilotent des aérostats aussi sûrement que les hommes. Paradoxalement, à considérer les divers récits qui constituent la formidable geste de la conquête de l’air, cette histoire serait presque uniquement une affaire d’hommes. Les chroniqueurs, tous masculins, n’accordent aux femmes qu’une place secondaire, un rôle bien minime au regard de la réalité des faits. Ce phénomène n’est pas contingent : il souligne, s’il en est encore besoin, qu’aux yeux d’une société gouvernée par et pour les hommes, le modèle de la femme aéronaute, courageuse, tenace, énergique, libre, s’accorde mal avec l’idéal de grâce, de tendresse et de soumission traditionnellement dévolu aux mères, aux épouses ou aux filles. De fait, la création de La Stella, aéro-club sportif féminin, en 1909, peut à maints égards être perçue comme un écho, une réponse favorable aux « filles de l’air » qui ont sillonné le ciel, du Premier Empire jusqu’à l’aube de la IIIe République, en défiant le regard des hommes. La conquête du ciel, mythe viril, s’apparente dès lors pour les femmes à une autre conquête, celle de leur dignité sociale et humaine. Plus qu’un marqueur social distinctif, les pratiques aérostatiques deviennent les enjeux et les vecteurs d’une féminité en construction. L’expression d’une liberté à conquérir : une nacelle à soi.

Women’s air flight is not an invention of the 20th century, nor can it be reduced to a social innovation of the Belle Époque. In fact, it was the result of the exploits of daring pioneers at the beginning of the 19th century, and continued to be fueled by the antics of artists and demi-mondaines. At the turn of the 20th century, it was concentrated among the wealthy classes in search of novelties, eager for sensationalism, and anxious to delimit the space of an exclusive sociability through sport.
When in 1902 the newspaper La Vie au Grand Air joined forces with the Aéro-club de France to organise the first “Challenge des femmes aéronautes”, it was in the end only consecrating an old reality: women flew, parachuted and flew aerostats as surely as men. Paradoxically, if we look at the various stories that make up the amazing story of the conquest of the air, this story is almost exclusively a man’s story. The chroniclers, all male, only give women a secondary place, a very minimal role in relation to the reality of the facts. This phenomenon is not incidental: it underlines, if it were still necessary, that in the eyes of a society governed by and for men, the model of the woman aeronaut, courageous, tenacious, energetic, free, does not fit well with the ideal of grace, tenderness and submission traditionally attributed to mothers, wives or daughters. In fact, the creation of La Stella, a women's flying club, in 1909, can in many ways be seen as an echo, a favourable response to the “girls of the air” who took to the skies from the First Empire to the dawn of the Third Republic, defying the gaze of men. The conquest of the sky, a virile myth, was then similar to another conquest for women, that of their social and human dignity. More than a distinctive social marker, aerostatic practices became the stakes and vectors of a femininity under construction. The expression of a freedom to be conquered: a nacelle of one’s own.

Plan

Texte

Au1 mois d’octobre 1908, le Lustige Blätter, hebdomadaire satirique berlinois, illustre la quête éperdue de vitesse qui marque la société à l’aide d’une vignette explicite, représentant un couple dans la nacelle d’un « sphérique2 » emporté au-dessus de la ville dans une course folle. Dans cette scène, le caricaturiste a très visiblement associé la construction de la masculinité à la maîtrise des techniques de la vitesse et, symétriquement, aux symboles de puissance que cette conquête de la modernité, appelant à repousser sans cesse les limites humaines et techniques, suggère. L’homme est aux commandes de l’aérostat. Il s’adresse à sa femme qui, simple passagère du périple, l’écoute sagement, agrippée aux cordages :

Et dis encore que je ne suis pas un homme moderne ! Je suis né dans un train rapide ; je me suis fiancé en automobile ; j’accomplis mon voyage de noces en ballon et j’ai déjà vendu ma carcasse à la section d’anatomie3.

Fig. 1. « Sur les hauteurs »

Fig. 1. « Sur les hauteurs »

(Lustige Blätter, Berlin, octobre 1908)

Cette figure masculine dont les propriétés (sang-froid, courage, virilité, coup d’œil, sens du commandement, de la prise de décisions) sont par ailleurs parfaitement décrites dans les colonnes de la presse et les magazines spécialisés (aéronautique, sport)4 emprunte largement aux modèles de séduction qui font des aéronautes, puis des aviateurs, les héros des temps modernes5, capables de subjuguer les foules en mettant en œuvre les ressorts du courage et de l’excellence. Autant de qualités qui ressortent d’un rapport spécifique que les élites entretiennent avec la culture aéronautique et sportive au tournant du siècle6. En 1913, le cinéaste et acteur Max Linder réinscrit ainsi le thème du sportsman accompli dans une vision stéréotypée des destins sociaux de sexe au prisme d’une parade éblouissante au cours de laquelle, pour séduire sa promise, le héros, fils de bonne famille doit prouver sa valeur : courant, nageant, pilotant une automobile et s’élevant dans les airs aux commandes d’une machine volante7. Sport et conquête des airs donnent ainsi le sentiment de se superposer, accentuant dans cette maîtrise combinée des risques et de l’exploit, les effets masculinisant d’une aventure dont bien peu de journaux envisagent alors qu’elle ait pu constituer, symétriquement, un creuset favorable à la construction de féminités conquérantes.

Est-ce à dire que les femmes ont été exclues de cette histoire, ou plutôt qu’elles ont dû se contenter de cette assignation à demeurer les spectatrices immobiles d’un progrès qui leur échappait, tantôt fidèles compagnes clouées au sol, témoins impuissantes des exploits de ceux qui, dans l’envol, prenaient tous les risques, tantôt passives passagères d’une aventure à laquelle elles semblent être finalement restées étrangères ?

En réalité, personne n’ignore, en ce début de xxe siècle, et surtout pas la gent masculine, que les femmes sont capables de s’élever dans les airs. Leur aisance à se saisir de l’aéromobilité commence d’ailleurs à attirer l’attention des journalistes, devenant même l’enjeu de spéculations concernant les possibilités pour les femmes et les hommes de s’illustrer, sinon de s’accomplir et de se dépasser, dans ce type de pratiques. Quelques figures, à l’image de Marie Marvingt, cycliste, automobiliste, aéronaute, aviatrice de la première heure8, défrayent la chronique. Certains titres comme La Vie au Grand Air ou la revue Femina, cherchent à intégrer ce changement, nuançant même la dimension strictement masculine de l’aventure aéronautique, en tirant du passé les noms de « l’aéroporiste » Élisa Garnerin ou de « l’aéronautrice » Sophie Blanchard9. Ils tentent de mettre en perspective les prouesses oubliées de ces femmes courageuses avec les velléités contemporaines des apprenties aéronautes et participent à recomposer un sillon féminin dans l’expérience du vol humain, en articulant l’audace des pionnières du passé et les ambitions des sportives de la Belle Époque10. Les femmes, quant à elles, ne manquent pas d’instrumentaliser ces figures aérostatiques anciennes pour forger et légitimer leur droit au vol dans le contexte de la modernité aéronautique triomphante, marquée par les succès du ballon, du dirigeable et bientôt de l’aéroplane, voire pour imaginer des structures qui permettraient d’autonomiser cette conquête féminine de l’air au sein d’un premier aéro-club entièrement dédié aux femmes, La Stella (1909)11.

Mais cette dynamique, qui participe d’une identité féminine moderne, c’est-à-dire d’une féminité ouverte sur la possibilité de choisir, sur la liberté d’agir, voire de partir à la conquête du monde, dérange. Derrière un discours en apparence favorable au vol féminin, derrière l’antienne rassembleuse d’un progrès aéronautique ouvert à toutes les initiatives, conforme aux objectifs d’encouragement à la navigation aérienne qui a présidé à la naissance de l’Aéro-club de France (1898), toute une frange d’aéronautes mâles masque difficilement ses réticences à se voir directement concurrencée dans les airs par « les aéronautes du sexe aimable »12, et à confondre dans un même élan progrès technique, agréments mondains et émancipation féminine. L’engagement aéronautique des femmes, soutenu par de grandes envolées lyriques à prétentions universalistes et progressistes – discours produit par des élites masculines détenant le monopole des progrès techniques et sportifs au sein de cercles d’encouragement puissants13 – reste encore largement perçu comme une transgression14.

La codification sportive du vol, ses obligations, son coût, ses interdits offrent dans une certaine mesure aux hommes bien nés la possibilité de contrôler un tant soit peu l’activité aéronautique féminine émergente, en particulier celle de leurs épouses et de leurs filles. Autour des années 1900, l’accès des femmes à la nacelle s’apparente donc à une conquête, ou plutôt une reconquête : celle d’un droit au vol si vaillamment acquis dès la fin de la Révolution par quelques pionnières courageuses, et si ardemment défendu à travers fêtes et spectacles par les « filles de l’air » jusque sous le Second Empire. C’est dire que la pratique féminine de l’aérostation est très largement antérieure à sa codification sportive. C’est reconnaître également que cette pratique, qu’il nous faut envisager tout d’abord comme une aventure émancipatrice – technique, spectaculaire, professionnelle – avant d’en éclairer l’orientation sportive, socialement plus classante, s’est confrontée à un certain nombre de problèmes et qu’elle fut en son temps, déjà, l’objet d’enjeux et de controverses qui ont marqué son histoire et son développement.

Il apparaît donc essentiel, dans un premier temps, de ne pas réduire l’émergence du vol féminin à sa simple expression sportive, institutionnelle et compétitive, pratique de la leisure class15, mais de saisir au contraire combien cette naissance s’inscrit, sinon dans une continuité, du moins dans une généalogie de pratiques qu’il convient d’éclairer. Il devient dès lors possible d’inscrire cette étude historique dans une analyse plus large, couvrant les enjeux attachés aux rapports sociaux de sexe et à la construction des féminités aéronautiques, c’est-à-dire comme un élément qui intègre le cadre des études de genre16 rapportées aux dynamiques de la conquête de l’air, depuis la phase expérimentale « éclairée », à la fin du xviiie siècle, jusqu’à la phase de sportivisation, au tournant des xixe et xxe siècles.

Nous présenterons donc tout d’abord plusieurs éléments permettant d’apprécier de quelle manière de très jeunes femmes voire de jeunes filles s’attribuent un pouvoir dans la pratique du vol au cours du xixe siècle, et nous analyserons les images de la féminité que ces femmes construisent dans les rapports singuliers qu’elles instaurent à ce que nous pourrions appeler la « performance aérienne », avant de montrer la spécificité et la modernité de cette conquête féminine des airs dans le contexte sportif et mondain de la Belle Époque.

C’est en privilégiant une entrée par l’ordinaire des jours, celui de femmes aéronautes, pionnières dans l’art de voler et de démontrer les possibilités de la conquête de l’air, que nous aborderons cette étude. Seul un travail attentif aux traces du quotidien aéronautique des femmes permet de rompre les silences de l’histoire, le silence des femmes, pour reprendre Michelle Perrot17. Une telle approche permet de comprendre comment des féminités se sont littéralement construites et incarnées dans la maîtrise des techniques de l’ascension, comme autant de modalités et de formes d’expressions d’une liberté à conquérir, en montgolfière, puis en ballon, ouvrant sur la force d’une idée à faire vivre : une nacelle à soi18.

1. Jouissance du vol et inconvenance des ascensions : vaincre les préjugés

Au mois de février 1818, le Mémorial Bordelais, feuille locale, d’inspiration légitimiste, témoigne avec une intensité et une émotion inhabituelles de l’étonnant événement auquel vient d’assister la veille, à Bordeaux, une foule enthousiaste :

L’ascension aérostatique de Mlle Garnerin, depuis si longtemps contrariée par les pluies continuelles, et remise de dimanche en dimanche, a enfin eu lieu hier soir à cinq heures précises. […] Le ballon s’est élevé majestueusement, emportant la célèbre aéronaute qui agitait un drapeau blanc et saluait gracieusement l’assemblée. […] Mlle Garnerin était déjà loin de son ballon quand on a pu revoir seulement le parachute qui se déployait en champignon et descendait lentement […].
À sept heures et demie, Mlle Garnerin a paru à une loge du Grand-Théâtre, où elle a été accueillie par les plus vifs applaudissements.19

Si le journal s’attarde sur l’impatience du public et sur les contraintes inhérentes aux intempéries, il traduit surtout la très vive émotion qui s’empare de la ville face au spectacle bouleversant d’une jeune fille s’élançant courageusement dans le vide. La conquête de l’air n’est pourtant pas en soi une nouveauté dans la région. Bordeaux compte même au rang des villes de province qui, dès la fin du xviiie siècle, ont très activement participé à l’aventure aéronautique en renouvelant les expériences des frères Montgolfier20.

La teneur dramatique, soigneusement cultivée, de ce spectacle rassembleur réside ici dans la nouveauté que représente l’image d’une frêle jeune fille se jetant courageusement dans le vide après s’être élevée avec une grande maîtrise dans les airs. La mise en scène stupéfie et captive les foules parce qu’elle propose une tension nouvelle dans la dramaturgie du spectacle, en introduisant un ingrédient jusqu’alors impensable : la fraîcheur et l’innocence d’une jeune femme confrontée à l’incertitude de l’expérience et à la chute toujours possible. Mais la réussite de l’ascension et de la descente en parachute, en célébrant in fine l’habileté des femmes autant que leur audace, consacre une rupture dans le rapport à la performance aéronautique qui est encore à cette époque essentiellement dominée par les hommes.

Ce changement témoigne plus généralement du déplacement des horizons d’attente aéronautiques au xixe siècle, du « théâtre de la physique » vers le « théâtre de la foire ». Alors que la science officielle se détourne de l’invention des ballons, l’expérience aérostatique se transforme en spectacle rémunérateur destiné à captiver les foules. L’amateur éclairé cède la place au « professionnel de l’air », bientôt accompagné de son épouse, de sa fille ou de sa nièce. Progressivement, ces femmes d’aéronautes deviennent des femmes aéronautes capables de s’élever seules dans les airs pour sillonner les cieux. Leur capacité à apprivoiser les nouvelles techniques et à gérer avec maestria le spectacle des ballons ou la terrible descente en parachute stupéfie le public et marque l’imagination des témoins locaux, du poète Meste Verdié au chroniqueur Jean Saint-Rieul-Dupouy, en passant par le prolifique contempteur de la vie bordelaise, Pierre Bernadau21. Leurs récits, auxquels s’ajoutent les comptes-rendus de la presse, révèlent en creux l’importance d’un phénomène jusqu’ici peu visible et largement sous-estimé : la féminisation du vol humain au xixe siècle et, symétriquement, la capacité des femmes à orienter les développements de la pratique aéronautique22.

L’entrée des femmes sur la scène aéronautique, qui s’affirme très nettement au début du xixe siècle, bénéficie largement du nouveau marché créé par l’apparition de l’aérostat, et son exploitation publique. Mais elle est aussi déjà, à cette époque, le fruit d’efforts, de luttes, et témoigne sans aucun doute d’une volonté des femmes à ne pas être tenues à l’écart du progrès, et en particulier de la conquête de l’air, qui devient réalité en 178323.

Quelques rares pionnières, issues des classes sociales dominantes ou des milieux artistiques, accompagnent les premières expériences. Elles n’en sont que les passagères (Mme Thible à Lyon le 4 juin 1784, Mme Sage en Angleterre le 29 juin 1785, etc.) et prennent le risque d’être férocement moquées24. L’appétence des femmes pour une invention qui marque son temps reste très critiquée par la frange conservatrice de la société, que ce dangereux dynamisme, pensé et décrit comme contre nature, inquiète. Au-delà de la satire, le discours argumenté, destiné à discréditer cette audace féminine, relève essentiellement du registre des bonnes mœurs et de la morale, combiné à des appréciations vaguement hygiénistes, articulant le cas échéant l’inconvenance à la fragilité supposée des « organes féminins ». Les nouvelles héroïnes, parmi lesquelles beaucoup d’artistes et de comédiennes25, sont accusées de grimper dans la nacelle bien plus pour goûter les plaisirs renouvelés de l’amour que pour satisfaire à une juste curiosité scientifique. Pour comprendre cette suspicion, il faut revenir au corpus très impressionnant de chansons libertines qui ont été publiées au lendemain des toutes premières ascensions. Ces quatrains, chansons, tirades, ces fantasmes poétiques, organisent l’existence de ce que nous nommerons « l’aérostation galante ». Cette licence poético-érotique attachée aux premières ascensions contribue à inscrire dans les esprits l’idée d’une nacelle offerte aux plaisirs libertins que rehaussent la tension et l’excitation de l’ascension26. Les autorités, qui se montrent extrêmement soucieuses de maintenir l’ordre, surveillent attentivement l’organisation des ascensions et des spectacles mobilisant des foules encore peu habituées aux rassemblements de masse en contexte émotionnel extrême, et promptes à se soulever ou à réagir violemment à la moindre occasion27. Elles n’encouragent guère les envolées associant hommes et femmes, susceptibles d’ajouter à l’émotion immense de l’envol, le trouble de l’extase sublimée. Elles n’hésitent pas à s’opposer aux audacieux aéronautes qui contreviennent à ce qui est tout d’abord perçu comme le cours normal et moral de l’expérience : une nacelle, un homme. Sous le Directoire, le physicien-aéronaute André-Jacques Garnerin, qui tente de s’élever dans les airs accompagné par une jeune comédienne, Célestine Henri, se voit dans un premier temps interdire l’expérience, jugée inconvenante28.

Fig. 2. « Seconde ascension du physicien Garnerin avec la citoyenne Henri », Parc de Mousseaux, 5 Thermidor An VI (23 juillet 1798)

Fig. 2. « Seconde ascension du physicien Garnerin avec la citoyenne Henri », Parc de Mousseaux, 5 Thermidor An VI (23 juillet 1798)

(D’après Grand-Carteret John, Delteil Léo, La Conquête de l’air vue par l’image (1495-1909) : ascensions célèbres, inventions et projets, portraits, pièces satiriques, caricatures, chansons et musique, curiosités diverses, Paris, 1909)

Le citoyen Picquemard, commissaire du Bureau central, censure littéralement cette ascension, au nom des bonnes mœurs, ajoutant également protéger une jeune personne qui n’avait vraisemblablement pas évalué les risques encourus au regard « des accidents qui pouvaient résulter de la seule pression de l’air sur des organes aussi délicats que ceux d’une jeune fille29 ». L’argument est repris dans la presse, suscitant un débat à propos d’un projet jugé « immoral et indécent30 ». Toutefois, en 1798, au lendemain de la Révolution, le contexte sociopolitique joue en faveur de l’aéronaute-physicien et de sa passagère. Il est vrai que Garnerin, rendu célèbre par l’invention du saut en parachute (17 octobre 1797), élève du physicien Jacques Charles pionnier du ballon gonflé d’« air inflammable » (hydrogène), bénéficie d’excellents réseaux et gagne à sa cause de nombreux soutiens et défenseurs. Avec l’appui du Parlement, de l’Académie des sciences, ainsi que du ministre de la Police, notamment, il réussit à faire valoir l’injustice et l’incohérence de cette interdiction et fait casser la décision des magistrats. Tranchant sur le fond, l’autorité supérieure – en l’occurrence l’Administration départementale de la Seine – est obligée de reconnaître « qu’il n’y a pas plus de scandale à voir deux personnes de sexe différent s’élever dans l’air que de les voir monter dans une même voiture […] et que d’ailleurs on ne peut empêcher une femme majeure de faire à cet égard ce que l’on permet aux hommes […]31 ». Cette décision permet au duo d’aéronautes de s’élever ensemble dans les airs, remportant un immense succès32, d’abord à Paris puis à Bordeaux. Garnerin n’en reste pas là. Il forme une élève, Jeanne Labrosse, qui devient son épouse et la première femme à sauter en parachute, le 12 octobre 1799. Puis il exporte son expérience-spectacle en couple, vers l’Angleterre (1802)33. Ces activités préfigurent une vogue d’un genre nouveau dans laquelle des femmes ordinaires vont acquérir dans les airs un capital expérientiel important, forger leur réputation et construire des destins professionnels individuels. En s’élançant à l’assaut du ciel, accompagnées dans un premier temps par des hommes, puis seules, ces femmes gagnent en assurance, en autonomie et stupéfient des foules immenses, désormais assemblées pour acclamer les « filles de l’air ».

2. Le triomphe des « filles de l’air »

Les « filles de l’air » sont des adolescentes et de jeunes femmes de condition modeste. Ce sont elles qui, relayant pères et époux, grimpent dans la nacelle pour se lancer à la conquête du ciel sous les applaudissements du public. Cette image nous permet de souligner trois aspects essentiels du vol féminin naissant au début du xixe siècle :

– le couple, et plus largement la famille, ont été les vecteurs privilégiés de la féminisation des pratiques aérostatiques ;

– ce processus de féminisation s’appuie sur l’exploitation commerciale et spectaculaire du vol en ballon ;

– l’engouement extraordinaire et populaire suscité par les exploits publics des premières femmes volantes permet à l’aérostation féminine de s’accommoder en partie des préjugés sociaux, moraux, voire médicaux qui tentent régulièrement de la museler.

En 1805, Sophie Blanchard devient la première femme aéronaute à voler régulièrement en ballon et, par suite, à vivre du commerce de ses ascensions34. Épouse du célèbre aéronaute Jean-Pierre Blanchard35, la jeune femme d’extraction modeste, originaire de Trois-Canons, près de La Rochelle, débute sa carrière à Toulouse le 18 août 1805. Les vols qu’elle vient exécuter à Bordeaux entre 1806 et 1809 constituent le prolongement d’un apprentissage rapide. Ils annoncent également la transition encore inédite à l’époque qui conduit une femme à prendre courageusement la place de son mari dans les airs.

Fig. 3. Mme Blanchard, « l’Aéronautrice », vers 1810

Fig. 3. Mme Blanchard, « l’Aéronautrice », vers 1810

(D’après Lecornu Joseph, La Navigation aérienne. Histoire documentaire et anecdotique, Paris, Nony, 1903)

Mme Blanchard ne reste pas longtemps la seule « femme aéronaute ». Désormais l’élan est donné. Les ascensions féminines connaissent un succès croissant jusqu’au début du Second Empire, suscitant parmi le public une émotion et un enthousiasme sans commune mesure. On se presse pour assister aux performances de ces femmes courageuses, exceptionnelles, et dans une certaine mesure, libres.

Combien sont-elles à s’élever ainsi régulièrement dans les airs ?

Répondre à cette question suppose de recouper les informations disponibles principalement fournies par deux « tableaux statistiques », concernant l’aérostation et les aéronautes (1847 et 1850), par les comptes-rendus de la presse relatifs aux ascensions et par les informations glanées dans différents fonds d’archives36.

Que nous apprennent ces documents ? Tout d’abord que les aéronautes qui font commerce de leur art et que nous qualifierons d’aéronautes professionnels, exécutent à eux seuls environ 90 % du volume total des ascensions réalisées en France, et plus largement en Europe occidentale, durant la première moitié du xixe siècle. Les 10 % restants sont le fait d’amateurs occasionnels et de baptêmes de l’air. La population aéronautique totale recensée entre 1783 et 1848 fait globalement état de 68 femmes aéronautes contre 491 hommes. Mais nous pouvons analyser plus finement le ratio réel de la dynamique genrée du vol en considérant la partie de l’activité aéronautique la plus importante, la plus massive et la plus régulière, c’est-à-dire celle exercée par les « professionnel(le)s de l’air ». Ainsi, parmi les 56 aéronautes professionnels identifiés exerçant dans la première moitié du xixe siècle : 20 sont des femmes et 36 sont des hommes. Avec plus d’une aéronaute sur 3 faisant commerce des ascensions, l’aérostation féminine apparaît nettement plus professionnalisée que l’aérostation masculine (un sur 9). Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs, l’activité aéronautique féminine est, au cours du premier xixe siècle, proportionnellement bien plus dynamique que l’aérostation masculine (dont la pratique se diversifie davantage : ascensions savantes, expérimentations, baptêmes de l’air, etc.).

À l’origine de la féminisation de l’aérostation, les liens de parenté entre pratiquants et pratiquantes apparaissent prépondérants. De véritables dynasties d’artistes se sont ainsi constituées autour d’une activité rémunératrice37. Les plus anciennes familles, Garnerin, Blanchard, commencent à affirmer leur présence au tout début du xixe siècle. Elles sont rapidement rejointes par les Margat, Reichard, Green (venues d’Angleterre) puis, au milieu du xixe siècle, par les Lartet, Poitevin, Godard. Ce chemin de professionnalisation, adossé à la structure familiale, est, à bien des égards, semblable à celui que connaissent au même moment les artistes du cirque moderne en plein essor. La rencontre entre grandes familles circassiennes et aérostatiques, comme les Franconi et les Margat, donne du reste un sel particulier aux développements de l’aérostation, augurant de spectacles originaux, mêlant spectacle des ballons, ascensions acrobatiques, équestres et animalières38. Cette dynamique connaît son acmé au milieu du xixe siècle aussi bien à Paris, au cœur des spectacles de l’hippodrome, ou en province, au cœur des jardins de plaisir, à l’image des spectacles produits dans les établissements bordelais (Plaisance, Vincennes, Champs-Élysées, etc.).

Le couple est le premier maillon de cette chaîne. En s’avérant économiquement rentable, l’association des époux en aérostation permet aux femmes de faire valoir leurs compétences dans la conduite des aérostats. Ces femmes aéronautes ont, dans la plupart des cas, commencé leur carrière en faisant équipe avec leur époux, avant de voler de leurs propres ailes. Certaines ont même prolongé leur activité professionnelle au-delà de la disparition du conjoint. Après la mort de son mari, le 7 mars 1809 à La Haye, Sophie Blanchard exécute plus d’une soixantaine de vols en France et en Europe. Elle emporte avec elle dans les airs illuminations et feux d’artifice pour la plus grande joie du public, avant de périr, victime de son art dangereux, à Paris, le 6 juillet 181939.

La gestion du risque est indéniablement la composante essentielle d’une activité qui, pour perdurer, n’a d’autre choix que de rechercher les conditions sans cesse renouvelées de l’émotion qu’elle procure à un public toujours plus exigeant. Ascensions équestres, ballons illuminés, feux d’artifice, descentes en parachute, constituent progressivement la substance d’un programme aérien au cœur duquel la jeunesse, parfois l’enfance, et la féminité sont amenées à jouer un rôle déterminant. Dans les années 1840, Mme Lartet, femme de l’aéronaute François Lartet, exécute plus d’une centaine d’ascensions, seule dans sa nacelle, suscitant l’effroi des spectateurs par son audace. Dans les années 1850, Louise Poitevin sidère le public en s’élevant dans les airs, juchée sur un cheval, puis sur un taureau.

Filles et nièces participent à l’accroissement de cette visibilité émotionnelle des femmes en aérostation. Et nous faillirions à l’évocation d’un tableau suffisamment représentatif si nous n’associions pas au triomphe des « filles de l’air » le nom d’Élisa Garnerin dont nous évoquions l’un des exploits bordelais en introduction. Cette jeune fille, nièce d’André-Jacques Garnerin, premier parachutiste de l’histoire, a en effet effectué entre 1815 et 1835 une quarantaine d’ascensions et de sauts en parachute avec une précision et une technique remarquables40.

Fig. 4. Portrait de Mlle Élisa Garnerin « l’Aéroporiste »

Fig. 4. Portrait de Mlle Élisa Garnerin « l’Aéroporiste »

(D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

Fig. 5. Le parachute et la nacelle employés par André-Jacques Garnerin, à partir de 1797

Fig. 5. Le parachute et la nacelle employés par André-Jacques Garnerin, à partir de 1797

Sa nièce, Élisa Garnerin, utilise un système similaire, à partir de 1815.

(D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

Fig. 6. 35e ascension et descente en parachute de Mlle Élisa Garnerin, à Hambourg, le 14 juin 1829

Fig. 6. 35e ascension et descente en parachute de Mlle Élisa Garnerin, à Hambourg, le 14 juin 1829

(Musée Carnavalet, département des arts graphiques, coll. Nadar. PC001E)

Toutes ces femmes ont en commun le fait d’exercer une profession nouvelle, risquée, et d’avoir, à un moment ou un autre de leur carrière, bénéficié d’un accueil chaleureux auprès du public.

Que nous nous attachions à suivre les femmes aéronautes dans leurs évolutions sur les places publiques, dans les foires, les établissements de plaisir ou même parfois devant les souverains, leur activité, leur commerce, correspond à une demande, et s’intègre donc à un marché du divertissement et de la fête. Le succès de l’aérostation féminine, et, avec lui, l’origine d’une certaine tolérance, repose donc sur le plaisir qu’éprouve le public à jouir du spectacle de la féminité et de son audace triomphante, non sans jouer sur l’esthétique et le désir que cette appétence pour l’exploit extraordinaire suscite. Louise Poitevin, qui s’élève dans les airs habillée en amazone bleu nuit, chaussant bottes vernies, arborant catogan et haut de forme, a bien compris ce principe. La jeune femme attire à elle tous les regards masculins, à l’aise sur son alezan que le ballon enlève dans les airs, subjuguant même Napoléon III. À la grâce s’allient le courage et les compétences d’une jeune femme dont le palmarès en fin de carrière à la fin du xixe siècle se révèle étonnant : 571 ascensions, souvent d’une rare originalité, 32 descentes en parachute et 7 repêchages en mer. Mme Poitevin s’éteint en 1908. L’influence que cette femme a exercée de manière plus diffuse à travers son activité professionnelle sur le devenir aéronautique mérite sans doute d’être soulignée. Cette passion du vol doit en effet être mise en perspective avec le développement d’une culture aérienne familiale et avec les carrières de ses proches qui intègrent les réseaux émergeant des sociétés et institutions aéronautiques dans la seconde moitié du xixe siècle. Son fils, Adrien Duté-Poitevin, devient aéronaute ; il est employé au laboratoire aérostatique de Chalais-Meudon. Son gendre, Théodore Sivel, venu également à l’aérostation, devient un membre éminent de la Société française de navigation aérienne (SFNA) et participe aux développements des ascensions scientifiques. Il est l’une des malheureuses victimes de l’ascension expérimentale du Zénith, en 187541.

3. Femme aéronaute : un statut d’exception

Le succès et l’appétence du public pour les exploits féminins constituent la meilleure publicité pour une activité qui, ponctuellement, se heurte à quelques injonctions dont le principal objectif est de tracer une limite entre le tolérable (une féminité aéronautique professionnelle) et l’intolérable (une impensable contamination) qui consisterait à accepter que cette enthousiasmante liberté ne s’ouvre à une population plus large de femmes.

La loi cherche à renforcer, tout au long du premier xixe siècle, les frontières sociales et les codes de bienséance qui spécifient l’espace autorisé de l’expertise aéronautique féminine :

Ainsi vous ne tolèrerez aucune ascension aérostatique dont feraient partie des femmes ou des mineurs, à moins que les individus de cette catégorie n’exercent la profession d’aéronaute et n’accompagnent leur père ou leur mari42.

Le statut d’aéronaute reste donc en théorie un statut d’exception. L’univers de l’aérostation professionnelle naissant dans lequel les femmes font carrière au xixe siècle est d’abord un territoire socialement codifié et régi comme nous l’avons souligné supra par de fortes traditions familiales. Si la circulaire du ministre de l’Intérieur, F. de Persigny, vient en 1853 recadrer l’activité, c’est qu’en réalité l’aérostation féminine échappe depuis quelque temps aux ornières sociales bien identifiées dans lesquelles elle était contenue. Elle déborde peu à peu le domaine réservé des artistes professionnelles reconnues, donc légitimes, tout en créant une concurrence inédite, jugée dangereuse dans sa forme. Dans la région bordelaise par exemple, l’aérostation s’ouvre à une population plus large, plus fragile, notamment de très jeunes filles qui, sans expérience préalable, dans un contexte de frénésie du divertissement, se lancent un jour dans l’aventure aéronautique au risque d’y perdre la vie. Dans un contexte devenu très concurrentiel, le programme des réjouissances s’appuie sur la présence recherchée de recrues susceptibles de générer de la « nouveauté », quitte à mettre en scène de jeunes, voire de très jeunes débutantes dont l’inexpérience devient en fin de compte le centre de toutes les attentions. Le journaliste du Mémorial Bordelais, venu assister au mois d’octobre 1842 à la deuxième ascension d’une très jeune aéronaute, « Mlle Herliska L. de Bordeaux, âgée de quinze ans moins trois mois, accompagnée de M. Kirsch », remarque ainsi combien l’événement marque les esprits et suscite parmi le public un effroi mêlé de sentiments troubles, plaisir, excitation et peur : « L’aspect le plus intéressant qu’offre ce spectacle est sans contredit celui de voir Mlle Herliska L. et M. Ch. Kirsch se placer dans la nacelle ; cela seul cause une émotion involontaire43 […]. »

Il nous faut donc opérer une nette distinction entre, d’une part, ce que devient à partir des années 1840 l’activité aéronautique, marquée localement par l’élargissement du socle des vocations et, d’autre part, la phase la plus ancienne d’un mouvement composé d’artistes dont la réputation professionnelle s’est solidement installée en Europe, en rayonnant principalement à partir de la France.

Revenons à Bordeaux l’espace d’un court instant. Force est de constater que les années 1847-1849 demeurent incontestablement les années durant lesquelles s’installe définitivement la réputation de professionnelles de l’air comme Mme Lartet. Au mois de juillet 1849, l’habile aéronaute s’élève pour sa 107e ascension et s’écrase sans mal dans le cimetière voisin de la Chartreuse, non sans avoir suscité l’effroi des spectateurs. Quelques années plus tard, en 1852, c’est au tour de Mme Poitevin de stupéfier les Bordelais par ses audacieuses ascensions équestres puis taurines. Cependant, l’apparente facilité et l’audace avec laquelle ces artistes se jouent des difficultés ne doivent pas nous tromper. Car le danger et la mort constituent bien l’ingrédient majeur des émotions que provoque chaque envol.

Fig. 7. Mort de Mme Blanchard, à Paris, le 6 juillet 1819

Fig. 7. Mort de Mme Blanchard, à Paris, le 6 juillet 1819

(D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

En 1853, une Bordelaise, Emma Verdier, trouve la mort près de Mont-de-Marsan. Cette jeune élève de Mme Lartet a commencé sa carrière en 1847, en volant pour l’établissement des Champs Élysées à Bordeaux. Il reste difficile, compte tenu de la documentation disponible, de définir à quel moment la jeune fille bascule de l’amateurisme vers le professionnalisme. Il faut d’ailleurs entendre le terme d’amateurisme dans son sens le plus large. En effet, les Bordelaises que la presse présente comme de « jeunes amatrices de la ville », Emma Verdier, Jenny Vidal, Ursule Coudert ou Mme Massé, sont en réalité, bien souvent, de jeunes recrues, de conditions très modestes, parfois d’anciennes écuyères, que les lieux de spectacle rémunèrent sur les recettes de la journée, lorsque ce ne sont pas directement les accès payants aux espaces de l’expérience qui fournissent aux héroïnes locales un pécule bien mérité. La différence réside essentiellement dans l’idée de carrière au long cours. Elle est également liée au regard que la société porte alors sur cette « folie aérostatique ». Car les accidents, jusqu’ici assez rares, commencent à se succéder. Jenny Vidal, qui ascensionne à l’établissement de la Brasserie à Pessac, chute à l’atterrissage, dans une prairie, et se foule un poignet. Puis Mme Massé reste perchée dans un arbre lors de la réalisation d’une ascension au départ d’un jardin privé, à Bordeaux.

Dès 1847, la presse, qui narre les exploits des aéronautes, cherche également à sensibiliser l’opinion publique aux risques encourus, relayant ainsi les inquiétudes de la municipalité :

Dans l’intérêt des imprudents qui ne craignent pas de confier leur existence à la frêle nacelle d’un ballon sans avoir au préalable les connaissances nécessaires et indispensables pour diriger un aérostat, on assure que l’autorité municipale, qui a pour mission de prévoir et d’éviter les accidents, s’occupe de la rédaction d’un arrêté qui soumettra à de prudentes formalités ceux qui exploitent cette dangereuse industrie44.

En réalité, les textes officiels et les avertissements relayés par la presse ne sont que d’une efficacité limitée face à l’enthousiasme apparent avec lequel certaines jeunes filles franchissent le pas pour se lancer dans l’aventure. Après les premiers succès obtenus à Bordeaux, Emma Verdier accompagne le couple Lartet sur les routes de la région. Sa mort accidentelle dans la région de Mont-de-Marsan45, alors qu’elle remplaçait François Lartet dans une ascension qu’il avait craint d’assurer lui-même, invite cependant à questionner les conditions réelles et les motivations profondes de son engagement : entre liberté et nécessité. Jusqu’à quel point en effet la passion des ascensions ou l’émancipation d’une jeune fille dans les airs ont-elles pu constituer le moteur d’une activité décrite par quelques contemporains comme un moyen d’existence plutôt misérable pour « une pauvre fille abandonnée46 » ? Le courage et l’expérience naissante de Mlle Verdier ont sans doute suffi à contrebalancer momentanément les dangers encourus. Jusqu’à ce que le sort vienne abattre celle qui avait fait le choix d’une carrière audacieuse pour les uns, vulgairement foraine pour les autres. La disparition brutale de cette jeune aéronaute coïncide presque parfaitement avec les transformations qui, au milieu du xixe siècle, créent les conditions du changement dans la manière d’appréhender le vol féminin.

4. La remasculinisation des pratiques aéronautiques au prisme de la science et de la patrie

Jusque sous le Second Empire, l’aérostation féminine se développe sans rencontrer d’obstacles importants, d’une part parce qu’elle est l’affaire de « professionnelles de l’air », somme toute bien identifiées, d’adolescentes ou de jeunes femmes d’origine sociale plutôt modeste, d’autre part parce qu’elle répond durant cette époque à l’appétence particulière de la société française pour les spectacles et fééries47. Mais les fonctions distractives de cette activité aérostatique et la professionnalité de celles qui l’exercent ne suffisent plus au début des années 1870 à garantir la reconnaissance et la pérennité des pratiques féminines. La transformation du champ des possibles en matière d’usages aérostatiques ouvrant sur les paradigmes rationnels de la production, de la guerre et de l’industrie, transforme symétriquement les procédures de légitimation des pratiques et tend à écarter les femmes du domaine aérien. Sur le plan de la navigation aérienne tout d’abord, le siège de Paris (1870) a permis de démontrer dans l’urgence l’utilité stratégique des aérostats, permettant en particulier le transport de missives, et l’évasion de M. Gambetta par la voie des airs. D’autre part, le monde scientifique songe à se préoccuper de nouveau sérieusement d’une invention que l’on souhaite soustraire à l’emprise foraine et réhabiliter au nom de la science et de « l’utile », considérant que l’aérostation a été jusqu’alors abandonnée aux plaisirs publics. Or les femmes n’occupent aucune position légitime dans les domaines valorisés – ingénierie, science, applications militaires et industrielles – de la seconde moitié du xixe siècle au cœur du réseau émergeant des sociétés aérostatiques, savantes et patriotiques. Le grand mouvement utilitariste en faveur de la navigation aérienne qui voit se développer des pratiques aéronautiques sous l’angle de la rationalité et de l’expérimentation guidée par le « progrès scientifique » laisse assez bien présager ce que peut devenir une conception pragmatique de l’aérostation : une affaire d’hommes48.

Certes, le conflit franco-prussien et le siège de Paris ont montré dans une certaine mesure que l’habileté des femmes en couture49 pouvait être une ressource dans les ateliers aérostatiques (dirigés l’un par Gabriel Yon et Camille Dartois ; l’autre par les frères Godard). Mais cette division sociale du travail aéronautique ne fait que souligner la hiérarchie implicite et les formes de domination que cette assignation à devenir les « petites mains » de l’aérostation implique : la féminité aérostatique relèverait ainsi d’une servilité « technique », au plus bas de l’échelle de fabrication, et non plus d’une expression pratique, au sens de l’expression de soi contenue dans l’accomplissement émancipateur de l’ascension.

Mais là n’est pas la seule dynamique du changement. En effet nous devons également observer qu’à la même époque, l’aérostation professionnelle décline. En grande partie parce que le réseau d’exploitation qui a contribué à son succès jusque sous le Second Empire, principalement les établissements de plaisirs à l’image des jardins de Tivoli à Paris ou de Plaisance à Bordeaux, disparaît. De nouvelles perspectives urbaines que trament les réaménagements haussmanniens accélèrent la disparition des lieux de distraction. Une vogue s’évanouit, celle des ascensions de plaisir, dominée par le succès des envolées féminines.

Les formes émergentes de rationalités qui contribuent à réinstaller l’aérostation au cœur de préoccupations utilitaristes, scientifiques et militaires, excluent durablement les femmes d’un art qu’elles avaient investi par le biais du spectacle. Sans emploi précis, la majeure partie des hommes – professionnels de l’air – dont une fraction importante s’est illustrée pendant le siège de Paris, est absorbée par le réseau des nouvelles sociétés aérostatiques qui les emploient comme conseillers techniques, professeurs d’aérostation ou tout simplement comme praticiens pour réaliser des manœuvres ou des ascensions scientifiques : autant de reconversions professionnelles interdites aux femmes aéronautes.

Si nous ajoutons à ce tableau le fait qu’à l’issue de la guerre franco-prussienne les femmes sont avant tout perçues comme des mères potentielles, qu’elles traversent une époque où la société française (et plus particulièrement les médecins) prend conscience des problèmes de dénatalité qui la frappent, et frémit à l’idée de se voir à nouveau envahie par un ennemi prussien fort et nombreux, nous comprenons mieux pourquoi le concept même du vol féminin, et des dangers qu’il sous-tend, devient suspect.

Observons enfin que les premiers sportifs de l’air, c’est-à-dire les amateurs masculins qui volent par plaisir et avec panache, dominant un art qui s’apparente alors au tourisme scientifico-mondain, entendent bien se démarquer des pratiques aérostatiques foraines qui ont dominé la première moitié du xixe siècle. Dans ce rejet de l’aérostation-spectacle perçue comme une exploitation populaire, comme un commerce vulgaire du vol – voire comme une utilisation malsaine du corps des femmes, mis en scène dans les airs – s’inscrit la condamnation des ascensions féminines. Les femmes aéronautes, d’extraction sociale modeste, les professionnelles, les saltimbanques de l’air, sont accusées d’avoir usé de leurs charmes pour séduire des masses avides de sensations fortes. Et si les hommes ont alors du mal à ignorer les compétences techniques, le savoir, la ténacité dont ces femmes aéronautes ont fait preuve, tout au moins tentent-ils de jeter un discrédit moral et social sur la dimension mercantile opportuniste, intéressée et donc tout à fait condamnable qui, selon eux, a présidé à l’utilisation de ces qualités. Leur activité est jugée sévèrement et disqualifiée par l’élite des premiers amateurs sportifs peu encline à se voir opposer une concurrence féminine dans les airs, nouveau champ d’exploits et de l’excellence dont elle est en train de codifier les pratiques, comme autant de marqueurs sociaux.

Le processus de reconditionnement idéologique et culturel du vol humain procède donc de l’émergence de nouvelles sociabilités, dominées par les hommes : sociabilités du savoir, d’une part, sociabilités des pratiques d’agréments aéronautiques, loisirs touristique et excursionniste, d’autre part.

C’est dire à quel point la sportivisation aérostatique, dont la première étape pourrait être assez précisément située entre 1873 avec la création de l’éphémère Aeronautic Club par l’architecte J. Chavoutier, et 1898 et la création de l’Aéro-club de France, s’inscrit dans le contexte d’une très large remasculinisation des usages de l’air. C’est reconnaître également que les femmes – et pas n’importe quelles femmes – vont devoir reconquérir une place et un droit au vol dans un univers sensiblement différent. Celui d’une pratique d’élite, d’amateur, centrée à la fois sur l’homme et sur une appartenance sociale privilégiée : voler par pur plaisir, sans contrepartie financière, demande en effet des moyens, une situation.

Cependant il serait faux de croire qu’entre les années 1870 et 1890, l’aérostation féminine disparaît en totalité. D’abord parce que quelques rares professionnelles, telles Mme Duruof (Caroline Dufour) ou Mlle Fanny Godard, perpétuent tant bien que mal une certaine tradition populaire du spectacle aérostatique. Ensuite parce que les aspirations aéronautiques féminines ne se sont pas éteintes par la seule volonté masculine. Quelques femmes vont rapidement le prouver.

Fig. 8. Mme Duruof (Caroline Dufour) et son mari repêchés en mer (1874)

Fig. 8. Mme Duruof (Caroline Dufour) et son mari repêchés en mer (1874)

(D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

Dès lors, il est facile de comprendre combien les rares dames ou demoiselles qui bravent les interdits sociaux, moraux, ou médicaux afférents à la pratique du ballon, dont la valence positive est désormais du côté de la science ou de l’amateurisme le plus pur, sont montrées du doigt et soumises ainsi à la critique et combien, aussi ponctuelles soient-elles, leurs aventures aériennes sont avant tout perçues comme des caprices ou des excentricités.

Or, si nous parlons d’excentricités, rien d’étonnant à retrouver parmi ces adeptes inconditionnelles du vol, et en définitive d’une certaine forme de liberté, des femmes que leurs conditions sociales et professionnelles ont déjà passablement marginalisées. Il en va ainsi des musiciennes, comédiennes, artistes diverses, exploratrices, aventurières qui, par provocation, souci de réclame, de reconnaissance, ou plus simplement par curiosité et soif de liberté, alimentent les rubriques de la presse en commettant leurs « frasques aéronautiques ». Il suffirait pour illustrer notre propos de rappeler que la tragédienne Sarah Bernhardt fut, en 1878, l’une de ces provocatrices. Et que son voyage aérien exécuté sur le Doña Sol, en compagnie de son amant le peintre Georges Clairin, et de l’aéronaute Louis Godard, fit scandale. Au point que l’administrateur de la Comédie française, Émile Perrin, se brouilla avec sa jeune sociétaire et que le ministre des Beaux-Arts dut intervenir en personne et rétablir le calme50. Certes, l’ascension de la comédienne, dont l’éclat sulfureux fut en partie nourri par la publication des récits aérostatiques illustrés par Perrin51, intègre la longue histoire d’actes perturbateurs qui émaillent sa carrière. Or ces éléments en eux-mêmes ont été rendus possibles par l’ouverture d’espaces performatifs pour les femmes, comme le théâtre et la presse52. L’aérostation vient donc ici prolonger ou élargir la scène de ces performances émancipatrices et transgressives en offrant une singulière caisse de résonnance aux aspirations féminines à jouir de la vie, fût-ce en s’élevant dans les airs. D’autres femmes suivent ces traces aériennes, comme le montrent les ascensions volontairement fracassantes et impertinentes de la comédienne Léa d’Asco, en 1887, ou de la musicienne et sportswoman Camille Du Gast, en 1895. Les comptes-rendus médiatiques de ce que la presse présente comme des frasques aérostatiques témoignent alors tout autant de la volonté des femmes à s’approprier un territoire bien à elles dans l’aventure aérostatique, tout en affirmant leur indépendance, que des réactions plus conservatrices de la société à l’égard du plaisir qui s’exprime visiblement à travers cette activité.

Dans le contexte de la Belle Époque, la « sportivisation » du vol en ballon offre de nouvelles perspectives à la construction des féminités aéronautiques qui intègrent désormais une forme de modernité culturelle ouverte à la fois sur la performance, le record, et les pratiques d’agrément ou de tourisme. L’aérostation, puis l’aviation naissante, en devenant un loisir et un terrain de jeu destiné à affirmer ou conforter l’excellence des classes sociales dominantes (ensemble de pratiques que nous avons conceptualisé sous le nom d’« aéronautisme53 »), dessinent de nouvelles perspectives et de nouveaux territoires pour l’expression de l’émancipation des femmes. Elles prolongent l’élan des libertés que leur offrent déjà les nouvelles mobilités matérialisées par les locomotions nouvelles (de la vélocipédie à l’automobilisme) associées à l’essor du sport moderne.

Fig. 9. Sarah Bernhardt en ballon, accompagnée du peintre Georges Clairin et de l’aéronaute Eugène Godard

Fig. 9. Sarah Bernhardt en ballon, accompagnée du peintre Georges Clairin et de l’aéronaute Eugène Godard

(D’après Bernhardt Sarah, Dans les nuages. Impressions d’une chaise, Paris, G. Charpentier éditeur, 1878)

5. Prendre en main son destin aéronautique : de la passagère à la pilote sportive

À partir de quel moment le concept de femme aéronaute sportive prend-il corps ?

Quels jalons marquent son histoire dans le contexte mondain de la Belle Époque ? Il serait facile de faire remonter cette naissance à l’année 1902, et plus précisément au mois de juin 1902, époque à laquelle le journal La Vie au Grand Air, s’associant à la commission sportive de l’Aéro-club de France, crée le « challenge des femmes aéronautes », première compétition aérostatique féminine de l’histoire54. Mais si cette date offre l’avantage d’être précis et concrète, elle ne doit pas nous faire oublier que depuis quelques années déjà, un certain nombre de femmes ont pris la voie des airs de manière jugée plus sportive que scandaleuse par la presse elle-même, et, dans une certaine mesure, par le cercle très masculin des aéronautes de l’Aéro-club de France. Or, si les dames ou les demoiselles qui s’élèvent « sportivement » à partir des années 1895 croisent celles dont l’aventure aérienne relève encore de l’excentricité, il est permis de se demander où se situe exactement la différence.

Cette distinction est de toute évidence d’ordre social. En effet, lorsque nous examinons la liste des passagères ainsi enlevées dans les airs peu avant 1900, nous remarquons que ces dames sont en réalité les épouses, les filles ou plus largement les relations proches de personnalités aérostatiques masculines très en vue dans les cercles mondains de l’aéronautique sportive55. Réutilisant un schéma de transmission qui a été l’un des principaux vecteurs de la féminisation des pratiques aérostatiques professionnelles au xixe siècle avec les « filles de l’air », à savoir les liens de sang, toute une classe sociale aisée semble ainsi s’approprier jalousement un usage distinctif du ballon qu’elle codifie et institutionnalise progressivement.

Dès lors, l’accès des femmes à la nacelle au tout début du xxe siècle peut bien être perçu comme le second acte d’une partition jouée par des élites délimitant sportivement l’espace d’une sociabilité exclusive à travers un amateurisme aérostatique de bon ton : une pratique mondaine, coûteuse, qui confine à la distinction. Lorsque l’Aéro-club de France annonce dans son bulletin officiel (mai 1902), publié par la revue l’Aérophile, que « les membres de l’Aéro-club peuvent faire pénétrer leurs parentes dans le parc d’aérostation de Saint-Cloud » et que « par une faveur exceptionnelle, le prix du gaz sera abaissé au prix de 0,15 F [au lieu de 0,16 F par m3] quand les ballons qui partiront du parc n’enlèveront exclusivement à leur bord que des membres de la Société ou des femmes parentes56 », ne propose-t-il pas en définitive à tout un monde privilégié que passionne l’idée aéronautique et sportive de créer un entre-soi rigide, protégé, au sein duquel la femme, l’épouse, la fille seront acceptées avant tout comme membres des mêmes élites ? Notons ainsi que pour pénétrer dans l’univers très clos de l’Aéro-club de France, qui est à l’époque le principal club du pays, et demeurera par la suite le seul organisme fédérateur en France, il faut pouvoir être parrainé, et payer en sus une cotisation élevée57. Observons également que l’Aéro-club de France, poussant cette « logique de classe » jusqu’au bout, accorde même la gratuité du droit d’ascension aux épouses de ses membres à partir de 190458.

Toutefois, cette politique aérostatique en faveur des femmes bien nées ne doit pas nous tromper. Car au sein même de cette sociabilité exclusive, l’accès des femmes au vol demeure limité. Ces dames, en effet, se voient cantonnées dans leur rôle de passagères passives, exclues du club lui-même, de son organisation et de ses décisions, qui restent une affaire d’hommes.

Ici encore nous ne devons guère être surpris par ce constat. En s’élevant dans les airs aux côtés de son mari, de son père, ou d’un ami très proche, la femme du monde ne semble pas exprimer véritablement une volonté sportive. Le sport aérostatique étudié comme un comportement mondain ne définit pas encore une expression féminine réfléchie. Il n’émane pas des femmes, mais de la société dirigée par leurs maris.

Fig. 10. Un déjeuner en plein ciel

Fig. 10. Un déjeuner en plein ciel

(Composition de René Lelong pour la revue Fémina, 15 août 1909)

La première compétition féminine organisée en juin 1902, est ainsi contrôlée et supervisée par des hommes. L’article 6 du règlement de cette coupe stipule même qu’il n’est pas nécessaire que la concurrente pilote elle-même le ballon : elle peut se faire accompagner par un pilote quelconque (entendons un homme breveté)59. Il faut néanmoins considérer de manière plus nuancée cette emprise masculine et cet assujettissement des femmes au statut de passagère en simple représentation. D’abord, le sport aérostatique permet aux femmes de rencontrer d’autres pratiquants, tant hommes que femmes, puis il permet que se créent des liens d’une sociabilité qui n’est pas uniquement féminine, ni familiale. Il admet enfin la mixité alors que celle-ci est habituellement soigneusement évitée. Le Challenge des femmes aéronautes est sans doute aussi le point de départ d’un processus de réaffirmation des femmes comme aéronautes, même si les commentaires des journalistes traduisent encore durablement la difficulté à prendre la juste mesure des ambitions et des capacités féminines :

Tel est également le cas de la coupe des femmes aéronautes. Cette coupe était remise à l’aéronaute du sexe aimable qui avait franchi la plus grande distance mesurée, du point de départ au point d’atterrissement, sur un arc de grand cercle, au niveau des mers. Voilà, certes, une définition bien ardue pour une coupe féminine60.

Une fragilité supposée, une moindre facilité à appréhender les questions scientifiques et techniques liées au vol, la difficulté à maîtriser le risque, constituent quelques-uns des stéréotypes de genre véhiculés par la presse.

Pourtant, une dynamique est à l’œuvre. Les femmes ne sont certes pas encore pilotes, mais tout au moins exercent-elles des droits : celui de s’inscrire en leur propre nom dans une compétition sportive ; de faire valider leur performance ; celui de choisir leur pilote et leurs aides.

Dans ce challenge où le but consiste à voler le plus loin et le plus longtemps possible, quinze participantes s’inscrivent en 1902, parmi lesquelles Mlles Berthe de Nyse, Lina de Vita, de Longe, Mmes la duchesse d’Uzès, et Magdeleine Savalle (gagnante grâce à un vol de 408 km). Aucune ne pilote elle-même son aérostat61.

Une seconde édition a lieu en 1903, dans des termes et avec des résultats identiques si ce ne sont les performances accomplies par la gagnante : Miss Moulton (1 100 km en 11 heures – atterrissage aux environs de Breslau, en Silésie)62.

Ici encore, nous ne retrouvons que des femmes du monde, certes courageuses, mais dont le rôle se limite toujours à celui de simple passagère, l’aérostat restant guidé par la main d’un homme. Il semble pourtant qu’à partir de cette époque, et en l’espace de très peu de temps, les femmes soient amenées à affirmer une certaine autonomie en matière de vol. Comment se manifeste cette évolution ?

L’examen attentif des comptes-rendus d’ascensions régulièrement publiés par la revue l’Aérophile entre 1901 et 1914 nous permet de cerner assez précisément le profil de la pratique aérostatique sportive durant cette période. Les données ainsi fournies nous apprennent tout d’abord que le volume des ascensions auxquelles participent les dames ne connaît pas une augmentation radicale durant cette période. D’une année sur l’autre, cette participation oscille entre 12 % et 16 % et s’avère donc relativement stable63.

Cependant, derrière cette apparente stabilité, le caractère des vols se modifie profondément. Et si les femmes se contentent de n’être que les passagères dociles d’équipages conduits par les hommes, en revanche, dès 1906 et surtout après 1909, elles s’émancipent de ce rôle pour affirmer d’incontestables qualités de pilote. Ces femmes s’attribuent également un certain pouvoir dans la vie aéronautique sportive, par leurs compétences, bien sûr, mais aussi en se regroupant et en s’appropriant l’idée d’association sportive.

Quelques étapes importantes marquent cette progression :

– Le 6 mai 1906, Mme Émile Carton, épouse d’un constructeur aéronautique membre de l’Aéro-club de France, est la première femme de la génération sportive à s’élever seule dans les airs.

– En août 1906, Marie Surcouf, épouse d’un ingénieur aéronautique membre de l’Aéro-club de France, s’élève dans les airs, pilotant le premier équipage entièrement féminin.

– Ces deux événements sont de toute évidence à mettre en rapport avec la création au même moment d’un Comité des dames au sein d’une société sportive très proche de l’Aéro-club de France : l’Aéronautique-club de France.

– À la tête de ce Comité, nous retrouvons Marie Surcouf qui, dès 1909, fonde La Stella, premier aéro-club sportif féminin64.

Avant de revenir plus en détail sur cette innovation importante, observons qu’à partir de cette époque les changements semblent s’amplifier, et s’accélérer :

– Dès 1909, donc, la part des vols exclusivement féminins augmente. De fait, la qualification des femmes dans l’exercice de l’aérostation devient tangible : le 17 juin 1909, Marie Surcouf obtient le premier brevet de pilote sportif qui soit décerné à une femme.

– En août 1910, Mlle Tissot et Mme Airault voient également leurs compétences homologuées. Toutes deux ont satisfait aux exigences d’un brevet initialement conçu pour et par les hommes de l’Aéro-club de France : dix ascensions, dont deux seules à bord, et une exécutée de nuit.

– À partir de 1912, La Stella est reconnue apte à délivrer ses propres brevets aux normes de la Fédération aéronautique internationale (FAI), créée en 190565. D’autre part, les femmes aéronautes et tout particulièrement les « Stelliennes » participent à un nombre croissant de compétitions, quand elles ne créent pas elles-mêmes leurs propres coupes.

Le règlement qui accompagne l’organisation de ces manifestations ne laisse subsister que peu de doutes en ce qui concerne les changements qui se sont opérés dans les mentalités :

– En avril 1912, il est question d’un prix récompensant la dame qui, dans son aérostat, aura enlevé le plus de néophytes masculins dans l’année !

– En juin 1913, quatre compétitions exclusivement réservées aux dames voient le jour. Toutes ont en commun un article de leur règlement qui en dit long : « Aucun pilote masculin ne devra se trouver à bord66. »

Ces trop rapides indications montrent de toute évidence qu’un écart important s’est creusé entre le modèle de la passagère docile des premiers challenges féminins, en 1902, et celui de la pilote sportive, compétente, brevetée, seul maître à bord de son aérostat, à la veille de la Première Guerre mondiale.

Or, si nous pressentons bien en parcourant les repères qui jalonnent cette progression l’importance du rôle joué par l’aéro-club féminin La Stella à partir de 1909, encore faut-il se pencher plus précisément sur le nouveau visage associatif que prend dès lors la pratique féminine de l’aérostation afin de déterminer les enjeux qu’une telle organisation sous-tend.

Quelle place occupe la création de ce club dans la vie aéronautique sportive ? Comment est-elle accueillie ? Quel est le public de La Stella ? Et, en définitive, autour de quels discours s’organisent les pratiques aérostatiques de ses membres ?

6. La Stella (1909-1914), premier aéro-club féminin de l’histoire

Dans une lettre adressée à toutes les Stelliennes, en mars 1909, le Comité de direction du club se félicite de l’accueil réservé par la presse du monde entier à l’apparition de l’aéro-club féminin qui, pour reprendre les mots de la présidente, Marie Surcouf (épouse d’Édouard Surcouf, aéronaute, ingénieur et industriel français, membre de l’Aéro-club de France), comble une lacune :

Pour constituer une puissance, les femmes aéronautes d’hier et d’aujourd’hui […] ont le devoir de se concerter et de faire grande et puissante l’œuvre de propagande qui toujours est dévolue à la femme67.

Le discours, empreint d’une plaisante modernité, séduit les journalistes, à tel point que dans le journal l’Aéro, le thème est repris puis amplifié. Nous y pouvons lire que : « Le triomphe de la locomotion aérienne sera l’œuvre de la femme… et certes principalement de La Stella, club féminin plus actif que bien des clubs masculins68 ». Il est vrai que ce club très distingué fait preuve d’un dynamisme convaincant : alors que 19 sociétaires résolues se sont rassemblées lors de sa création, le 10 février 1909, le club peut s’enorgueillir de 122 membres après une année d’existence. Il fête sa 200e adhésion en avril 191269.

D’emblée, les Stelliennes ont choisi des parrains parmi les personnages les plus en vue et les plus puissants de l’époque : Louis Barthou, alors ministre des Travaux publics, partage d’abord la présidence d’honneur avec le mécène Henry Deutsch de la Meurthe, puis à partir de novembre 1909 avec la princesse de Polignac.

C’est dire dans quelles sphères sociales évolue une association qui compte dans ses rangs les plus grands noms de l’aristocratie, de la haute bourgeoisie, et dont les membres payent en moyenne une cotisation annuelle de 100 francs, assortie d’un droit d’entrée de 25 francs auxquels s’ajoutent bien évidemment les frais élevés d’ascension.70 Du reste, à l’instar de l’Aéro-club de France auquel La Stella est affiliée : les femmes désireuses de participer à la vie du club aérostatique sont soumises à une stricte sélection. Il faut en effet pouvoir être recommandée par trois marraines, déjà membres du club depuis un certain temps71.

Nous percevons bien dans les relations cordiales qu’entretient La Stella avec son alter ego masculin, l’Aéro-club de France, dont certains membres siègent en place d’honneur chez les femmes72, que l’organisation d’un club aérostatique de dames n’est pas l’expression même d’un féminisme revendicateur.

La Stella apparaît avant tout comme un cercle mondain qui, réservé aux femmes, n’en accueille pas moins, sous certaines conditions, les bonnes volontés masculines de l’élite aéronautique. Pourtant, à travers ces rapports en apparence sereins, les femmes aéronautes affirment déjà une forme de pouvoir : « La Stella, écrit Mme Surcouf, est un club féminin [qui] permet aux pères, maris, fils, ou frères de ses adhérentes de les accompagner dans leurs voyages aériens73 ». Entre « permission » et « autorisation » le chemin est étroit, et la présidente de La Stella joue habilement sur cette fragile frontière pour mieux insister sur l’innovation que représente, dans le contexte des mœurs de l’époque, cette autonomie en marche, ou plutôt « en vol » : cette fois-ci, enfin, les femmes peuvent montrer leurs aptitudes à diriger non seulement leur vol, mais également celui de leur conjoint ; et qui plus est dans le cadre d’une organisation qu’elles supervisent et dont elles assument seules les charges et les responsabilités.

Une telle émancipation n’est-elle pas de nature à susciter quelques réticences au sein même du monde aéronautique, bastion d’un masculinisme non dissimulé ? En fait, tout est affaire ici de subtilité. Le discours des hommes, et avec lui, celui de la presse spécialisée, montre que la femme aéronaute est perçue comme une exception. Elle est toujours présentée comme une femme jeune, qui allie de rares qualités d’audace, d’énergie et d’endurance à celles plus classiques de charme, de poésie et de tendresse, traditionnellement dévolues à l’épouse, la mère ou la fille. Usant de tact et sans doute soucieuses de ne pas remettre en question une forme d’autonomie et de liberté, les sportives de l’air emploieront un discours qui abonde dans ce sens et qui se veut rassurant. Comme le soutient Mme Surcouf :

La femme comme l’homme a le devoir d’être sportive, si elle doit faire une sélection dans les sports si nombreux aujourd’hui pratiqués, l’aérostation est certainement celui qu’elle désignera tout d’abord. Il est sans contredit celui dont l’imprévu, la poésie et la sécurité le désignent à ses suffrages74.

Entendons : il est celui qui permettra à la femme de rester femme sans inquiéter outre mesure la gent masculine75.

Fig. 11. Portraits de femmes aéronautes : « Deux intrépides sportswoman »

Fig. 11. Portraits de femmes aéronautes : « Deux intrépides sportswoman »

(D’après l’Aérophile, n° 1, janvier 1907)

Fig. 12. Portrait de Mme Surcouf, présidente de La Stella

Fig. 12. Portrait de Mme Surcouf, présidente de La Stella

(Carte postale, vers 1910. Coll. auteur)

Fig. 13. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

Fig. 13. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

Le ballon « Les Bleuets » : pilote Mme Surcouf, passagères Mmes Airault et Tissot.

(Coll. auteur)

Fig. 14. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

Fig. 14. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

Le départ du ballon « Les Roses ».

(Coll. auteur)

Autre sujet qui aurait pu donner matière à débat : la tenue vestimentaire des aéronautes sportives ne s’avère pas en définitive révolutionnaire. Contrairement à celle des dernières professionnelles de l’air qui, dans les années 1890, avaient adopté des ensembles proches du maillot de corps ; contrairement aux premières aviatrices qui, telle Thérèse Peltier (née Marie-Thérèse Juliette Cochet), vont faire scandale en 1908 en abandonnant le corset : la pilote d’aérostat, femme du monde, conserve une silhouette décente, c’est-à-dire engoncée dans des règles strictes d’élégance et de représentation.

Le fait peut paraître surprenant si nous tenons compte des conseils que donne, déjà en 1905, à ses homologues féminines, un aéronaute convaincu, le comte Henry de la Vaulx, membre très influent de l’Aéro-club de France :

Des vêtements amples laissant toute liberté des mouvements et suffisamment chauds sans excès sont les plus pratiques […]. Pour les dames, le costume le plus pratique est la jupe courte (jupe de bicyclette) avec le chapeau mou et des voiles larges et épais semblables à ceux des femmes alpinistes76.

Mais le code de l’élégance prime. Il est vrai qu’au-delà de l’aspect purement sportif, les Stelliennes, qui ont affirmé leur identité collective à travers un hymne et un emblème – une étoile d’or à cinq branches –, aiment à paraître. Elles se rassemblent fréquemment lors des manifestations dont le caractère mondain permet aux membres du club et à leurs invités de se rencontrer entre gens de la haute société.

Et l’étude attentive de ces réceptions, thés dansants, conférences, concerts, montre que si les femmes aéronautes savent gérer leur association de manière efficace sur le plan aéronautique et sportif : elles n’en sont pas moins attachées à une certaine image de femme du monde ; à un code social d’élite.

Il y a là de toute évidence à travers l’usage du ballon et plus largement de la vie de club un souci permanent d’intégration de la femme de sport, femme mondaine, à son univers naturel : un monde de nantis, avide de nouveauté et de distinction, protégé, et dont l’accès est en définitive interdit à un féminisme aérostatique populaire77.

Il reste qu’au sein même de cet entre-soi privilégié, les femmes aéronautes ne se lassent pas d’exercer un certain pouvoir, grisées par l’idée même que dans la nacelle et face à la pratique du vol, leurs compétences valent bien celles des hommes. Ces femmes prennent également de plus en plus conscience du rôle important qu’elles assument dans les bouleversements que s’apprêtent à occasionner sous peu les applications de la navigation aérienne. Leurs aspirations sportives témoignent d’une recherche évidente de liberté ou tout au moins de mieux-être. Pour Mme Airault, porte-parole du club :

Stella, école d’énergie, de poésie, de douceur […] est un mouvement de féminisme bien compris. […] Tout le sport aérien est une attirance parce qu’il aide à développer les belles qualités d’initiative, de puissante volonté et de mépris du danger, devenues indispensables aux aspirations féminines actuelles78.

Certes, à l’image du discours et de l’attitude adoptée par les Stelliennes, l’organisation des compétitions laisse habilement cohabiter dynamisme et poésie, rigueur du vol et féminité éternelle. Il suffit d’évoquer le nom des aérostats engagés durant la fête annuelle de La Stella, intitulée « Fête des Ballons fleuris », le 30 juin 1910 – Les Œillets, Les Roses, Les Tulipes, Les Pavots, Les Chrysanthèmes, Les Iris, Les Bleuets – pour apprécier la subtilité avec laquelle les femmes jouent avec les codes de la féminité attendue, et dressent soigneusement, face à l’image d’une pilote aguerrie, le tableau esthétisé, toujours touchant de féminité, d’une tendre épouse ou douce mère.

Toutefois, le succès donne des ailes. Et si les journalistes hommes ne persistent à voir dans ces rassemblements sportifs qu’un enchantement de toilettes exquises79, nul doute que les Stelliennes se montrent en fin de compte de plus en plus téméraires dans leurs discours.

Après une saison particulièrement satisfaisante, Mme Duchange, nouvelle secrétaire générale du club, en 1912, dresse un bilan des activités :

65 ascensions en sphérique, 14 ascensions en dirigeables, 10 vols en aéroplane. Aujourd’hui, nous voyons une femme regardée comme très originale, la femme pilote, qui reflète cependant bien le sens de notre époque de hardiesse, d’élévation et de fermeté. Elle est la femme moderne dans la vérité du mot, car elle s’associe aux belles idées, elle ne s’effraye pas de la lutte et sa réserve d’énergie la rend certaine de ne pas chanceler, ni manquer de souffle. Que ce soit en sciences ou en art, nous la trouvons en bonne place. À ces qualités universelles, il manquait celle de la volonté, vous l’avez créée, mesdames les aéronautes, pilotes, suivant l’élan donné par notre présidente Madame Surcouf80.

Pour la première fois, sous l’impulsion donnée au mouvement féminin et devant sa réception plutôt favorable dans l’opinion publique, ces dames n’hésitent plus à franchir le pas en affichant leurs ambitions. Le 17 décembre 1912, au Palais d’Orsay, lors du grand banquet annuel de La Stella, Marie Surcouf plaide ouvertement la cause des femmes auprès de la partie masculine de son auditoire, redoublant de diplomatie dans l’introduction de son discours : « la femme de sport n’efface pas, croyez-le bien, les sentiments de la femme tout simplement […] ». Mais, elle poursuit, plus offensive :

L’empire des airs appartient à tous, et qui oserait contester que la femme n’a pas droit à la conquête des étoiles ? Ce que l’homme parvient à acquérir par sa force musculaire, par son endurance physique, la femme le conquiert aussi par sa volonté, sa ténacité, son courage81.

Le propos, jouant habilement sur les stéréotypes de genre pour imposer l’image d’une féminité de lutte et d’endurance, est ferme et osé dans le contexte de la Belle Époque. Il traduit incontestablement la force de ces femmes téméraires qui, pour n’en être pas moins mondaines, affirment leur volonté, leurs aspirations à participer par le biais de la conquête de l’air et des pratiques sportives qui s’y rattachent, à une reconsidération radicale de leur statut de femme. N’est-il pas significatif de constater que c’est précisément à partir de 1912 que les femmes aéronautes prennent en main leur destin de sportive pour éliminer définitivement – en tout cas dans les règlements de leurs coupes – les présences masculines ?

La Stella n’a pas survécu longtemps aux grands bouleversements du premier conflit mondial. Mais pour être juste, l’aérostation dans son ensemble n’est pas sortie indemne de la guerre. Détrôné par l’avion, dont la vulgarisation a été fulgurante, le sphérique semble progressivement s’effacer et disparaître de la scène sportive dans années 1920-1930. L’aérostation ne ressurgit dans sa forme compétitive qu’à partir des années 1960, en développant une pratique sportive nouvelle qui mobilise essentiellement l’air chaud des montgolfières. Cette résurgence sportive de l’aérostation permet aux femmes de réinvestir une nouvelle fois le cadre aérostatique au cœur d’une activité fédérale, touristique ou professionnelle.

Conclusion

Au moment de clore cette étude, plusieurs points méritent d’être soulignés. Le premier a trait au langage spectaculaire et « performeur » dans lequel s’épanouit le courage des femmes aéronautes au XIXe siècle. La sensibilité à l’égard des exploits féminins et, simultanément, l’essor de l’aérostation féminine résultent bien d’une translation des enjeux aéronautiques, de l’expérience originelle vers le spectacle et la performance au prisme du risque : du théâtre de la physique vers le théâtre de la foire. Alors que le xviiie siècle avait valorisé une forme de curiosité « éclairée », attachée à l’invention et l’expérimentation des machines volantes, apanage des cercles élitistes et masculins du savoir, le goût du public pour le spectacle stupéfiant des envols en ballon a favorisé l’éclosion du sensationnalisme aérostatique et généré par glissement de nouvelles attentes en matière d’émotions dont ont su s’emparer les femmes. Ces épouses d’aéronautes, devenues « femmes aéronautes », d’origine modeste, ont ainsi satisfait ces attentes, tout au long du premier xixe siècle, développant, souvent au mépris de dangers considérables et au risque de leurs propres vies, une identité professionnelle féminine forte au sein d’un marché des exploits aérostatiques en expansion (ascensions illuminées, sauts en parachute, acrobaties et ascensions équestres). Le centre de gravité des attentes aéronautiques s’est ensuite progressivement déplacé du spectacle vers la valorisation de nouvelles formes d’usages savants et rationnels du vol humain. À partir du Second Empire et plus sûrement au moment de la guerre de 1870, les femmes qui menaient une carrière aérostatique se sont heurtées à de très fortes dynamiques de remasculinisation du champ aéronautique, liées à la conjonction de deux phénomènes. D’une part, le progrès aéronautique dynamisé par les ressorts de la guerre, l’idéologie patriotique et les nécessités d’un retour au « vol utile » se sont réincarnés dans des réseaux aérostatiques savants reposant sur une sociabilité exclusivement masculine (les « sociétés aérostatiques »). D’autre part, les pratiques d’agrément et les perspectives touristiques du vol en ballon, dominées par la figure de l’amateur éclairé, ont contribué à disqualifier l’activité professionnelle et « foraine » des femmes de l’air, jugée vulgaire, avant que les élites, passionnées par l’essor des nouvelles technologies et la sportivisation du vol humain ne réinventent, pour elles-mêmes, au sein d’un entre-soi rigide, de nouveaux rapports aéronautiques dans l’ordre du genre.

Au tournant des xixe et xxe siècles, les femmes issues des classes dominantes ont pu accéder à une pratique aéronautique et sportive codifiée envisagée comme pratique de classe. Elles ont développé un sport aérostatique distinctif au travers duquel elles ont su s’attribuer un certain pouvoir sans pour autant heurter les mentalités masculines. Et nous serions tentés de dire, à travers l’exemple de l’aérostation, qu’il y a coïncidence, durant la Belle Époque, entre la délimitation sportive d’une sociabilité exclusive et l’expression d’une identité féminine moderne, ouverte sur les pratiques de performances sportives et techniques. Il pourrait paraître vain d’associer à travers plus d’un siècle de distance le succès des « filles de l’air », aux victoires des aéronautes sportives, tant il est vrai que l’origine sociale de ces femmes semble s’opposer. Remarquons toutefois que si les hommes, et particulièrement les chroniqueurs masculins, semblent avoir renvoyé dos à dos professionnelles de l’air du xixe siècle et sportives mondaines du xxe siècle (lorsqu’ils ne taisaient pas l’activité des premières), les femmes aéronautes de la Belle Époque ont quant à elles fait très souvent référence aux exploits de leurs illustres prédécesseuses, comme modèles de courage et d’énergie, se sentant en définitive assez proches de ces pionnières. Au fil des décennies, les femmes ont investi la pratique du vol humain, tantôt en professionnelles aguerries, tantôt en amatrices distinguées, mais au-delà des clivages culturels et sociaux qui ont marqué ces différences, l’appropriation du vol au féminin entre conquête et transgressions renvoie plus largement à un idéal de liberté, comme l’expression assumée d’une dignité dans la quête d’une nacelle à soi.

Notes

1 Ce travail d’histoire s’inscrit plus précisément dans la continuité des travaux que nous conduisons depuis plusieurs années autour des femmes aéronautes et de la construction des féminités et des masculinités dans le cadre de la conquête de l’air entre la fin du xviiie siècle et le premier conflit mondial. Il reprend pour partie certains résultats de travaux plus anciens, mis en perspective et réactualisés dans le cadre de la présente étude. Retour au texte

2 Ballon à gaz employé pour la compétition ou le tourisme. Retour au texte

3 « Sur les hauteurs », Lustige Blätter, Berlin, octobre 1908, repris dans Grand-Carteret John, Delteil Léo, La conquête de l’air vue par l’image (1495-1909) : ascensions célèbres, inventions et projets, portraits, pièces satiriques, caricatures, chansons et musique, curiosités diverses, Paris, 1909. Retour au texte

4 Voir par exemple « Le carnet du sportsman », La Vie au Grand Air, coll. 1900-1914 ou les « Portraits d’aéronautes », l’Aérophile, coll. 1898-1914. Retour au texte

5 Ory Pascal, La Légende des airs. Images et objets de l’aviation, Paris, Hoebeke, 1991. Retour au texte

6 Robène Luc, L’Homme à la conquête de l’air. Des aristocrates éclairés aux sportifs bourgeois, Paris, L’Harmattan, 2 t., 1998 ; Robène Luc, Bodin Dominique, Héas Stéphane, « Pau et l’invention de l’aviation sportive (1908-1910). Des enjeux technologiques aux plaisirs mondains : naissance d’un loisir et nouveaux pouvoirs du corps », STAPS, n° 87, 2010, pp. 13-31. Retour au texte

7 Linder Max, « Max pratique tous les sports » (court métrage), Pathé frères, France, 1913. Retour au texte

8 La Vie au Grand Air, 1910, n° 637, couverture. Retour au texte

9 Ces dénominations sont celles employées par les aéronautes elles-mêmes ou celles qui leur ont été attribuées par les témoins de leurs exploits au xixe siècle. Robène Luc, Bodin Dominique, « Bordeaux et les “filles de l’air”. Femmes aéronautes en Aquitaine au xixe siècle », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, n° 15, 2009, pp. 181-198. Retour au texte

10 Voir notamment la série « Les femmes et le ballon libre », publiée par La Vie au Grand Air en 1903. Retour au texte

11 Robène Luc, « Le mouvement aéronautique et sportif féminin à la Belle Époque. L’exemple de la Stella, 1909-1914) » in Lebecque Pierre-Alban, Sports, éducation physique et mouvements affinitaires au xxe siècle. Valeurs affinitaires et sociabilités, t. 1, L’Harmattan, Paris, 2004, pp. 219-233. Retour au texte

12 Expression employée par la revue La Vie au grand Air, en 1905, pour identifier les femmes aéronautes. La Vie au Grand Air, 1905, n° 331, p. 27. Retour au texte

13 En particulier au sein des sociétés d’encouragement regroupées autour des progrès liés à l’élevage, et aux perspectives d’excellence attachées à la vitesse, aux techniques de la mobilité et à la conquête du monde, depuis le Jockey-Club (1834), jusqu’à l’Aéro-Club de France (1898), en passant par le Touring-Club de France (1893) et l’Automobile-Club de France (1895), ainsi que leurs déclinaisons locales (par exemple à Bordeaux : Automobile Bordelais, Aéro-club Bordelais, Aéro-Club du Sud-Ouest, etc.). Autant de cercles au cœur desquels circulent les mêmes élites, masculines, bien nées. Voir : Robène Luc, L’Homme à la conquête de l’air, op. cit., t. 2. « L’aventure aéronautique et sportive », 1998 ; Bravard Alice, « Le cercle aristocratique dans la France bourgeoise. 1890-1939 », Histoire, économie & société, n° 1, 2011, pp. 85-99 ; Agulhon Maurice, Le Cercle dans la France bourgeoise (1810-1848). Étude d’une mutation de sociabilité, A. Colin, Paris, 1977. Retour au texte

14 Nous employons ce terme au sens que lui a donné Juliette Rennes dans son ouvrage, Femmes en métiers d’hommes. Cartes postales. 1890-1930, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Éditions Bleu autour, 2013, et plus largement au sens que lui avaient conféré Michelle Zancarini-Fournel et Juliette Rennes au cœur du séminaire « La féminisation des professions et des métiers. xixe-xxie siècles. Images, archives, textes », EHESS, 2011-2012. Retour au texte

15 Veblen Thorstein, Théorie de la classe de loisir (1899), Gallimard, Paris, 1978. Retour au texte

16 Nous nous référons ici au genre entendu comme la construction sociale des différences sexuelles : McPherson Katheryn, Morgan Cecilia, Forestell Nancy, Gendered past, Historical Essays in Femininity and Masculinity in Canada, Toronto, Oxford University Press, 1999. Le genre en tant que rapport social construit sur la différence est intrinsèquement un rapport de pouvoir qui peut être décliné analytiquement en termes de normes, de classement ou de hiérarchie : Delphy Christine, L’Ennemi principal, t. 1 « Économie politique du patriarcat », Paris, Syllepse, 1998. Cette définition a étayé les chantiers de recherche que nous avons développés dans le cadre de l’ANR Pras-Gevu, consacrée aux rapports des femmes et des hommes à l’éducation corporelle, aux sports et plus largement aux paradigmes de la performance. Voir : Terret Thierry, Robène Luc et al., Sport, genre et vulnérabilité au xxe siècle, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2012. Retour au texte

17 Perrot Michelle, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998. Retour au texte

18 Il s’agit bien évidemment d’une référence au livre de Woolf Virginia, Une chambre à soi, Paris, 10-18, UGE, 2001 (éd. originale 1929). Retour au texte

19 Le Mémorial Bordelais, 9 février 1818. Retour au texte

20 Robène Luc, L’Homme à la conquête de l’air, t. 1, « Le règne des aéronautes », Paris, L’Harmattan, 1998. Retour au texte

21 Verdié Antoine (dit Meste), « Anecdote d’un Gascon, lors de la onzième ascension à Bordeaux de Mlle Garnerin, en parachute », E. Mons Typogr., Bordeaux, 1818 ; Bernadau Pierre, « Les tablettes de l’escouteur bordelais », Bibliothèque de Bordeaux, Ms 713 ; Saint-Rieul Dupouy, Jean, « L’été à Bordeaux », Bordeaux, Féret fils, 1850. Retour au texte

22 Robène Luc, Bodin Dominique, « Bordeaux et les “filles de l’air”… », op. cit. Retour au texte

23 Le premier vol humain est réalisé à Paris, le 21 novembre 1783, par F. Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlandes. Retour au texte

24 Une estampe sous-titrée « Nymphe aérostatique sortant de figurer à l’Opéra » montre la caricature d’une élégante vêtue de ballons auprès d’un âne braillant. Il s’agit selon toute vrasemblance de Mme Thible, cantatrice, ainsi tournée en ridicule pour avoir osé s’élever vers les cieux en chantant des airs d’opéra afin d’exprimer sa joie et son émotion. Musée du Louvre, coll. Rothschild, 24 381-L.R. Retour au texte

25 La comédienne Célestine Henri, à Paris, compagne aéronautique de A.-J. Garnerin (1798) ; Mlle Nancy, artiste à l’opéra de Bordeaux et première femme parachutiste bordelaise, dont la carrière est littéralement lancée « dans les airs » sur l’idée du directeur de l’opéra, le sieur Bojolay (1818), etc. Voir Robène Luc, Bodin Dominique, « Bordeaux et les “filles de l’air”… », op. cit. Retour au texte

26 Un grand nombre de ces poèmes est rassemblé dans : Dupuis-Delcourt Jean-François, Nouveau manuel complet d’aérostation, Paris, Encyclopédie Roret, 1850, chapitre 14. Citons pour exemple cet impromptu sur les globes (attribué à M. Lhermitte de Braillanne, 1783) : « Tout globe tend à s’élever / Témoins ceux qu’on voit à Cythère / À ceux de Montgolfier combien je les préfère / C’est par eux qu’on peut se trouver / Dans les cieux sans quitter la terre » ; ou bien encore cet extrait tiré de l’œuvre du chansonnier Clairambault-Maurepas (1783) : « Pour moi, si je voyage / Je veux pour mon ballon / N’avoir que ma chère Lison / Dedans son joli globe / J’introduirai mon gaz […] » Retour au texte

27 Robène Luc, Bodin Dominique, Héas Stéphane, « Performances spectaculaires et violences urbaines en France à la fin du xviiie siècle : l’exemple des premières ascensions aérostatiques », Revue Juridique et économique du sport, n° 75, 2005, pp. 131-139. Retour au texte

28 « Lettres de Garnerin, annonçant qu’il s’était pourvu auprès des autorités supérieures, contre la défense qui lui a été faite d’exécuter son projet d’ascension avec une personne de sexe différent », Le Moniteur universel, 12 floréal, An VI (1er mai 1798). Retour au texte

29 L’Ami des lois, 12 floréal an VI (1er mai 1798). Retour au texte

30 Le Moniteur universel, 13 floréal an VI (2 mai 1798). Retour au texte

31 Garnerin André-Jacques, « Parc de Mousseaux. Voyage aérien du citoyen Garnerin avec une jeune personne », copie d’une lettre adressée à plusieurs journalistes par le citoyen Garnerin, Parc des Mousseaux, 28 floréal an VI (17 mai 1798), Imp. du Cercle Social, 25 prairial an VI (13 juin 1798). Voir également : Le Moniteur universel, 27 prairial An VI (15 juin 1798). Retour au texte

32 Garnerin André-Jacques, « Rapport fait par le citoyen Garnerin de son voyage aérien », Paris, Imp. du Cercle Social, An VI (1798). Retour au texte

33 The Times, 20 juillet 1802, Baden-Powell Collection, National Aerospace Library, GB 398 bad/8. Retour au texte

34 Nous possédons des renseignements très précis sur les ascensions exécutées à Bordeaux entre 1806 et 1809 grâce aux témoignages de l’avocat bordelais Pierre Bernadau, Tablettes, op. cit. Retour au texte

35 Jean-Pierre Blanchard (1753-1809) est le premier aéronaute à avoir traversé la Manche par la voie des airs en 1785. Retour au texte

36 Voir notamment : Dupuis-Delcourt Jean-François, Nouveau manuel complet d’aérostation, op. cit. ; Anonyme, Notice sur l’art aérostatique par un aéronaute, Bordeaux, Cruzel, s. d. [prob. 1847] ; Archives Nationales, F21/717-719, Documents relatifs à l’activité aérostatique professionnelle d’Élisa Garnerin et de son père (qui l’accompagne comme impresario et technicien). Retour au texte

37 Bernadau note que toutes les expériences réalisées par l’« Aéronautrice » ont été productives. Ce qui confirme le succès financier de l’entreprise et nous renseigne sur la popularité des ascensions féminines. En effet, concernant l’expérience du 20 août 1809, à Bordeaux, il précise que « cette dernière, quoique à 20 sous par personne, lui a valu 5 000 francs de dépenses payées ». Soit, si l’on tient compte des frais de fabrication de l’hydrogène (acide vitriolique, zinc) évalués à la même période pour Garnerin, aux environs de 2 000 à 3 000 francs ; un nombre d’entrées payantes approximativement compris entre 7 000 et 8 000 personnes ; à cela s’ajoute le chiffre difficilement évaluable correspondant aux spectateurs non payants qui s’agglutinent autour des enceintes de l’expérience et qui peut facilement tripler voire quadrupler l’effectif concerné. Notre estimation en ce qui concerne les vols de Mme Blanchard se situe donc dans une fourchette de 20 000 à 30 000 personnes, ce qui est considérable. Retour au texte

38 Les Franconi, fondateurs du Cirque Olympique à Paris (1807), ont notamment dressé le cerf « coco » (en réalité une biche) pour le couple Margat. C’est sur cet animal que l’aéronaute s’élève dans les airs au cours des années 1820. Retour au texte

39 Le feu d’artifice dont elle avait agrémenté son ascension aux jardins de Tivoli fait exploser l’hydrogène qui gonflait son aérostat. La malheureuse est précipitée dans le vide. Retour au texte

40 AN F21 / 717-719. Lettres d’Élisa Garnerin, du ministre de l’Intérieur et du préfet de police concernant notamment des demandes de dégrèvement formulées par Mlle Garnerin, en raison des impôts qui frappent ses recettes, à la suite des ascensions. Retour au texte

41 De Oliveira Patrick Luiz Sullivan, « Martyrs Made in the Sky : The Zénith Balloon Tragedy and the Construction of the French Third Republic’s First Scientific Heroes », Notes and Records : The Royal Society Journal of the History of Science, n° 74, vol. 3, 2020, pp. 365-386. Retour au texte

42 Ministère de l’Intérieur, Persigny, F. [circulaire] 1853. Retour au texte

43 Le Mémorial Bordelais, 16 octobre 1842. Retour au texte

44 Le Mémorial Bordelais, 13 novembre 1847. Retour au texte

45 Gazette des Tribunaux, 11 janvier 1854. Retour au texte

46 Driou A., Un fantastique voyage, Limoges, Librairie du xxe siècle, s. d. [1ère ed. 1856], p. 23. Retour au texte

47 Martin Roxane, « Quand le merveilleux saisit nos sens : spectaculaire et fééries en France (xviie-xixe siècle) », Sociétés & Représentations, n° 31, 2011, pp. 17-33, p. 23. Retour au texte

48 Pour approfondir la question de la construction des masculinités scientifiques en opposition aux qualités perçues comme féminines, voir également : Robène Luc, Bodin Dominique, Héas Stéphane, « Le bonheur est dans les airs. L’aérostation (1880-1914) », Terrain, n° 46, 2006, pp. 123-136 ; Locher Fabien, « De nouveaux territoires pour la science : les voyages aériens de Camille Flammarion », Sociétés & Représentations, n° 21, 2006, pp. 157-173 ; De Oliveira Patrick Luiz Sullivan, « Martyrs Made in the Sky […] », op. cit. ; Milam Lorrain Erika, Nye Robert A. (eds.), « Scientific masculinities », Osiris, vol. 30, 2015. Retour au texte

49 Les exercices communément appelés « travaux de femmes » (couture, broderie, canevas, tricot, surpiqûre, etc.) sont inscrits au programme de l’instruction publique pour les filles à partir des années 1880. Ferry Jules, « Instructions officielles – Écoles primaires publiques », Journal Officiel, 2 août 1882. Retour au texte

50 Bernhardt Sarah, Dans les nuages. Impressions d’une chaise, Paris, G. Charpentier éditeur, 1878. Voir également les récits de cette aventure faits par Sarah Bernhardt dans Je sais tout, le 15 avril 1905 et repris à la mort de la comédienne dans L’Aérophile, 1er-15 avril, 1923. Retour au texte

51 Ibid. Retour au texte

52 Roberts Mary Louise, Disruptive Acts : The New Woman in Fin-de-Siècle France, Chicago, University of Chicago Press, 2002. Retour au texte

53 Robène Luc, L’Homme à la conquête de l’air […], op. cit. Retour au texte

54 L’Aérophile, juin 1902, p. 132. Retour au texte

55 L’Aérophile, « Bulletin des ascensions », Coll. 1898, 1899 et 1900. Retour au texte

56 L’Aérophile, juin 1902, p. 132. Retour au texte

57 Autour de 1900, la cotisation de l’Aéro-club de France s’élève à cinquante francs. Il faut encore ajouter des droits d’entrée, droits d’ascension, et frais d’ascensions (80 F à 120 F de gaz par vol) pour bien situer le niveau de vie des privilégiés fréquentant ce cercle mondain. Retour au texte

58 « Règlement sportif de l’Aéro-club de France », L’Aérophile, 1904, p. 130 et p 171. Retour au texte

59 « Règlement de la Coupe de la Vie au Grand Air », L’Aérophile, juin 1902, p. 132. Retour au texte

60 La Vie au Grand Air, 1905, p. 32. Retour au texte

61 La Vie au Grand Air, 1903, p. 648. Retour au texte

62 L’Aérophile, octobre 1903, pp. 230-231. Retour au texte

63 « Bulletin des ascensions », L’Aérophile, coll. 1901-1914. Retour au texte

64 Il est important de souligner qu’il n’existe que très peu de clubs sportifs féminins créés avant 1914. Retour au texte

65 La FAI, créée sur proposition de l’Aéro-club de France, et présidée par le prince Roland Bonaparte, regroupe les représentants des aéro-clubs nationaux existant (Europe occidentale essentiellement). Elle homologue les records internationaux, statue sur le règlement des coupes, des compétitions, et supervise en définitive toute activité aéronautique sportive. Ses membres sont tous masculins. Retour au texte

66 L’Aérophile, 1er juin 1913, pp. 263-264. Retour au texte

67 Centre de documentation du musée de l’Air et de l’Espace. Dossier « Femmes et ballons », série n° 2. Lettre de Mmes Surcouf (présidente), Blériot, Desfosses-Dalloz et Max Vincent (vice-présidentes), Airault (secrétaire générale), Savignac (trésorière), Mlle Charpentier (secrétaire), en date du 1er mars 1909, Paris. Retour au texte

68 L’Aéro, n° 67, 9 décembre 1909. Retour au texte

69 « Stella – Assemblée générale statutaire du 17 mars 1910. Rapport de Mme M. Airault, secrétaire générale », l’Aérophile, 15 avril 1910, pp. 190-191 et « Stella – Assemblée générale statutaire – Avril 1912. Rapport de Mme Duchange, secrétaire générale », L’Aérophile, 15 avril 1912 p. 190. Retour au texte

70 La Stella se compose en fait de membres donateurs (2 000 F versés au minimum), membres perpétuels (droits rachetés par versement unique de 1 500 F), membres fondateurs et membres sociétaires (100 F de cotisation annuelle), membres participants (25 F par an, ou 400 F de droits forfaitaires). Les hommes ne peuvent être admis que comme membres donateurs, ou participants. Centre de documentation du musée de l’Air et de l’Espace. Dossier « Femmes et ballons », série n°2. Extrait des statuts de La Stella, art. 2. Retour au texte

71 Demande d’enregistrement de membre pour La Stella. Centre de documentation du musée de l’Air et de l’Espace. Dossier « Femmes et Ballons », série n° 2. Retour au texte

72 Notamment Léon Barthou, vice-président de l’Aéro-club de France et membre d’honneur de La Stella ; idem pour le comte de la Valette, membre du comité de l’Automobile-club de France. Précisons également que Mme Max-Vincent, épouse du vice-président du Touring-club de France, a été désignée vice-présidente du club féminin. Retour au texte

73 Mmes Surcouf, Blériot, et al. Lettre du 1er mars 1909, loc. cit. Retour au texte

74 Déclaration de Marie Surcouf reproduite dans un article de l’Aéro, « Les femmes s’en mêlent », n° 22, 28 janvier 1909. Retour au texte

75 Dans un article intitulé « Les conquérants de l’air » (mars-avril 1909), un auteur – au nom de plume évocateur, Rastignac – qu’inquiète cette flambée d’énergie écrit : « N’exaltons par outre mesure le courage féminin […] », critique à peine voilée de l’enthousiasme des sportives de l’air (coupure de presse, journal non identifié). Centre de documentation, musée de l’Air et de l’Espace. Dossier « Femmes et Ballons », série n° 2. Retour au texte

76 La Vaulx Henry (Comte de), Les Sports modernes illustrés, chapitre « Aérostation », Paris, Larousse, 1905, p. 10. Retour au texte

77 En octobre 1909, une jeune femme probablement d’origine modeste, exprime dans un billet anonyme son désarroi et sa frustration : « En dehors des femmes que leur fortune et leur situation mettent à même de vivre à leur guise, il en est qui sont obligées de rester à l’écart par suite de l’exiguïté de leurs ressources, ou même de la nécessité de gagner leur vie, et qui, cependant, s’intéressent à l’aérostation de toute leur âme. », lettre datée du 25 octobre 1909, publiée dans L’Aéro, n° 61, 28 octobre 1909. Retour au texte

78 L’Aérophile, 15 avril 1910. Retour au texte

79 Ibid. Retour au texte

80 « Stella. Assemblée générale statutaire – avril 1912 », rapport de Mme Duchange, secrétaire générale, L’Aérophile, 15 avril 1912, pp. 190-192. Retour au texte

81 « Discours de Mme Surcouf », 17 décembre 1912, Centre de documentation du musée de l’Air et de l’Espace. Dossier Surcouf (Mme). Retour au texte

Illustrations

  • Fig. 1. « Sur les hauteurs »

    Fig. 1. « Sur les hauteurs »

    (Lustige Blätter, Berlin, octobre 1908)

  • Fig. 2. « Seconde ascension du physicien Garnerin avec la citoyenne Henri », Parc de Mousseaux, 5 Thermidor An VI (23 juillet 1798)

    Fig. 2. « Seconde ascension du physicien Garnerin avec la citoyenne Henri », Parc de Mousseaux, 5 Thermidor An VI (23 juillet 1798)

    (D’après Grand-Carteret John, Delteil Léo, La Conquête de l’air vue par l’image (1495-1909) : ascensions célèbres, inventions et projets, portraits, pièces satiriques, caricatures, chansons et musique, curiosités diverses, Paris, 1909)

  • Fig. 3. Mme Blanchard, « l’Aéronautrice », vers 1810

    Fig. 3. Mme Blanchard, « l’Aéronautrice », vers 1810

    (D’après Lecornu Joseph, La Navigation aérienne. Histoire documentaire et anecdotique, Paris, Nony, 1903)

  • Fig. 4. Portrait de Mlle Élisa Garnerin « l’Aéroporiste »

    Fig. 4. Portrait de Mlle Élisa Garnerin « l’Aéroporiste »

    (D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

  • Fig. 5. Le parachute et la nacelle employés par André-Jacques Garnerin, à partir de 1797

    Fig. 5. Le parachute et la nacelle employés par André-Jacques Garnerin, à partir de 1797

    Sa nièce, Élisa Garnerin, utilise un système similaire, à partir de 1815.

    (D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

  • Fig. 6. 35e ascension et descente en parachute de Mlle Élisa Garnerin, à Hambourg, le 14 juin 1829

    Fig. 6. 35e ascension et descente en parachute de Mlle Élisa Garnerin, à Hambourg, le 14 juin 1829

    (Musée Carnavalet, département des arts graphiques, coll. Nadar. PC001E)

  • Fig. 7. Mort de Mme Blanchard, à Paris, le 6 juillet 1819

    Fig. 7. Mort de Mme Blanchard, à Paris, le 6 juillet 1819

    (D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

  • Fig. 8. Mme Duruof (Caroline Dufour) et son mari repêchés en mer (1874)

    Fig. 8. Mme Duruof (Caroline Dufour) et son mari repêchés en mer (1874)

    (D’après Figuier Louis, Les Merveilles de la science, Furne, Jouvet et Cie éditeurs, Paris, 1878)

  • Fig. 9. Sarah Bernhardt en ballon, accompagnée du peintre Georges Clairin et de l’aéronaute Eugène Godard

    Fig. 9. Sarah Bernhardt en ballon, accompagnée du peintre Georges Clairin et de l’aéronaute Eugène Godard

    (D’après Bernhardt Sarah, Dans les nuages. Impressions d’une chaise, Paris, G. Charpentier éditeur, 1878)

  • Fig. 10. Un déjeuner en plein ciel

    Fig. 10. Un déjeuner en plein ciel

    (Composition de René Lelong pour la revue Fémina, 15 août 1909)

  • Fig. 11. Portraits de femmes aéronautes : « Deux intrépides sportswoman »

    Fig. 11. Portraits de femmes aéronautes : « Deux intrépides sportswoman »

    (D’après l’Aérophile, n° 1, janvier 1907)

  • Fig. 12. Portrait de Mme Surcouf, présidente de La Stella

    Fig. 12. Portrait de Mme Surcouf, présidente de La Stella

    (Carte postale, vers 1910. Coll. auteur)

  • Fig. 13. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

    Fig. 13. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

    Le ballon « Les Bleuets » : pilote Mme Surcouf, passagères Mmes Airault et Tissot.

    (Coll. auteur)

  • Fig. 14. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

    Fig. 14. La fête aéronautique des « Ballons fleuris » organisée par La Stella (1909)

    Le départ du ballon « Les Roses ».

    (Coll. auteur)

Citer cet article

Référence électronique

Luc Robène, « Une nacelle à soi. Devenir femme aéronaute au xixe siècle », Nacelles [En ligne], 12 | 2022, mis en ligne le 20 juin 2022, consulté le 26 avril 2024. URL : http://interfas.univ-tlse2.fr/nacelles/1620

Auteur

Luc Robène

Professeur à l’université de Bordeaux
luc.robene@u-bordeaux.fr

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